Méta : Bon, je me retrouve encore une fois à menacer de finir le mois sans avoir écrit une entrée dans ce blog, ce qui ferait peut-être bugguer mon moteur de blog (sans doute pas, mais je pense que ça lui fera générer une page avec juste le chapeau et le pied de page, et rien entre les deux, et je ne veux pas ça). Le problème est, comme d'habitude, que j'avais commencé à écrire plusieurs entrées de maths que j'ai à chaque fois suspendues pour en écrire une autre, et que j'ai donc empilé les textes commencés et que j'ai un peu la flemme de reprendre. (En plus, j'ai pas mal de cours en ce moment, et quand je n'ai pas cours j'ai plus envie d'en profiter pour me balader plutôt qu'écrire dans ce blog.) Mais comme je veux quand même écrire quelque chose ici et qu'il est hors de question que je reparle de covid et que je ne vais pas non plus parler de l'Ukraine parce que je ne suis pas spécialiste de Tout malgré les apparences, je vais dire quelques mots sur un sujet propre à apporter la paix et la quiétude, à savoir : les transports.
Just kidding. Je ne comprends pas vraiment
pourquoi, mais s'il y a un sujet quasiment aussi explosif que la
politique — par exemple sur les réseaux sociaux — c'est bien ce qui
touche aux transports. Dans doute parce que, que ce soit sur la route
ou dans la foule des transports en commun aux heures de pointe, nous
avons une occasion unique d'être en situation conflictuelle avec un
grand nombre d'autres personnes et donc de les rendre responsables de
notre malheur alors que nous sommes plutôt tous ensemble dans la même
merde. Il n'y a pas de meilleur moyen de devenir misanthrope ou
malthusien ou de se convaincre du fait que l'enfer c'est les autres
qui veulent faire le même chemin
que d'essayer d'aller
de A à B au même moment que des milliers
d'autres.
Bizarrement, cette situation, qui devrait conduire à vouloir
diversifier autant que possible les modes de transport, a plutôt
l'effet inverse. Je veux dire que même les personnes les plus
intelligentes ont tendance à tomber dans la mentalité les moyens de
transport que j'utilise sont bien et sont indispensables, tous les
autres sont inutiles, dangereux, polluants, coûteux ou idiots
(à
laquelle il faut souvent ajouter et pour les moyens que j'utilise,
moi je sais bien m'en servir, le problème vient toujours des
autres
). Alors que dans la réalité, tous les moyens de transport
sont très bien, et d'ailleurs je les utilise tous, sauf évidemment les
scooters qui sont la pire engeance inutile, dangereuse, polluante,
coûteuse et idiote.
Quelque part, là, il faut que je sorte la blague de la personne qui
roule sur l'autoroute en écoutant la radio et entend un flash info
spécial avertissant qu'il y a une voiture sur cette autoroute qui
roule à contresens. Elle s'exclame : Comment
ça, une voiture ? Elles sont toutes à contresens !
Un peu plus sérieusement, il y a évidemment toutes sortes de questions qui interagissent de façon complexe et souvent contradictoire quand il s'agit d'évaluer les modes de transports : le coût individuel, le coût de maintenance des infrastructures, le temps de parcours, la possibilité d'utiliser ce temps pour autre chose (lire, travailler…), la fréquence de disponibilité, la prévisibilité du temps de parcours, la fiabilité, la congestion, les conflits avec les autres usagers, la sécurité pour l'usager, la sécurité pour les tiers, les nuisances et autres externalités pour les tiers (à commencer par la pollution, qui prend elle-même plusieurs dimensions : émissions de CO₂, émissions de particules fines, autres émissions comme l'ozone ou les oxydes d'azote, pollution à la production du véhicule, pollution sonore et lumineuse voire d'autres formes comme les détritus abandonnés), le stress engendré, le confort, le statut social associé au mode de transport, le respect des règles (comme le code de la route), les enjeux sociétaux (voire, moraux) à décider de privilégier tel ou tel mode, ou que sais-je encore. La pandémie nous a fait découvrir de nouvelles dimensions, comme le risque de contaminations ou l'inconfort de devoir porter un masque (qui ont certainement joué sur le report de modes de transport vers d'autres). Les grèves nous rappellent la question sociale délicate de savoir si les transports en commun sont un service essentiel dont on devrait exiger un service minimum. Chacun a sa petite idée sur tout ça, non seulement sur ces différentes dimensions, mais aussi sur leur importance relative. Je ne prétends certainement pas évoquer toutes ces questions, juste ranter sur quelques idées qui me passent par la tête. Mais ce qui est fascinant, c'est à quel point on peut être méprisant des arbitrages des autres (même si évidemment l'accusation d'ignorer les externalités de ses choix est légitime a priori).
Manifestement, si quelqu'un choisit de traverser l'Île-de-France en voiture, quitte à passer des heures dans les embouteillages (et peut-être à payer le prix de plus en plus élevé des carburants fossiles), plutôt que de prendre les transports en commun, ce n'est pas que cette personne ignore l'existence des transports en commun. L'explication la plus simple est peut-être simplement que le temps de trajet en transports en commun est beaucoup plus long : en fait, il est assez déprimant de constater à quel point il est difficile de trouver des trajets où les transports en commun soient meilleurs à la fois que la voiture et que le vélo : à Paris intra muros le vélo est presque toujours plus rapide que le métro, et en banlieue parisienne la voiture est presque toujours plus rapide que le RER, même quand on tient compte de la congestion sur les routes (disons la congestion normale aux heures de pointe). Pour donner un simple exemple, pour aller de chez moi à chez ma mère à Orsay (qui n'habite pourtant pas bien loin de l'arrêt du RER B alors que je suis moi-même sur une ligne de métro qui la croise), le mieux qu'on puisse faire en transports en commun est un poil en-dessous d'une heure, ce qui correspond en voiture à une situation de très gros bouchons en heure de pointe.
Je ne sais pas dans quelle mesure c'est possible de rêver une situation où les transports en commun seraient généralement concurrentiels en temps avec la voiture, mais on peut certainement rêver mieux. J'ai déjà raconté ici à quel point la qualité des transports vers mon bureau est nulle, entre un RER B à bout de souffle à force de sous-investissement chronique dans la maintenance, et un bus qui passe une fois tous les jamais à un arrêt très éloigné de là où passe le RER, qui est tout le temps archi-bondé, et qui dessert un nombre invraisemblable d'arrêts sur un trajet aussi tarabiscoté qu'interminable entre Massy-Palaiseau et mon école. Évidemment, il y a des endroits bien plus mal desservis en transports en commun, mais il fallait quand même une intelligence de génie pour décider de créer un pôle scientifique au milieu de nulle part sur cet endroit totalement inaccessible qu'est le plateau de Saclay — tellement grand et vide, d'ailleurs, que même les transports au sein du pôle scientifique du plateau de Saclay sont extrêmement problématiques si on n'a pas de voiture. (Je compte sur Émilia Robin, dont je fais au passage la pub du travail d'histoire de la région, pour nous expliquer comment on en est arrivé à une telle aberration.) Alors il est vrai qu'on nous promet l'arrivée pour Un Jour™ de la ligne de métro 18 du Grand Paris Express, qui ne doit pas être purement imaginaire parce que des travaux ont vraiment commencé (et contribuent leur part à ce que ce plateau soit un champ de boue permanent), sans doute que ce sera un progrès par rapport à cet épouvantable bus 91·06, mais le problème du RER et, ne l'oublions pas, de l'interconnexion entre le RER et le métro du futur, restera.