David Madore's WebLog: Quelques réflexions à 1 femtozorkmid sur les transports

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(jeudi)

Quelques réflexions à 1 femtozorkmid sur les transports

Méta : Bon, je me retrouve encore une fois à menacer de finir le mois sans avoir écrit une entrée dans ce blog, ce qui ferait peut-être bugguer mon moteur de blog (sans doute pas, mais je pense que ça lui fera générer une page avec juste le chapeau et le pied de page, et rien entre les deux, et je ne veux pas ça). Le problème est, comme d'habitude, que j'avais commencé à écrire plusieurs entrées de maths que j'ai à chaque fois suspendues pour en écrire une autre, et que j'ai donc empilé les textes commencés et que j'ai un peu la flemme de reprendre. (En plus, j'ai pas mal de cours en ce moment, et quand je n'ai pas cours j'ai plus envie d'en profiter pour me balader plutôt qu'écrire dans ce blog.) Mais comme je veux quand même écrire quelque chose ici et qu'il est hors de question que je reparle de covid et que je ne vais pas non plus parler de l'Ukraine parce que je ne suis pas spécialiste de Tout malgré les apparences, je vais dire quelques mots sur un sujet propre à apporter la paix et la quiétude, à savoir : les transports.

Just kidding. Je ne comprends pas vraiment pourquoi, mais s'il y a un sujet quasiment aussi explosif que la politique — par exemple sur les réseaux sociaux — c'est bien ce qui touche aux transports. Dans doute parce que, que ce soit sur la route ou dans la foule des transports en commun aux heures de pointe, nous avons une occasion unique d'être en situation conflictuelle avec un grand nombre d'autres personnes et donc de les rendre responsables de notre malheur alors que nous sommes plutôt tous ensemble dans la même merde. Il n'y a pas de meilleur moyen de devenir misanthrope ou malthusien ou de se convaincre du fait que l'enfer c'est les autres qui veulent faire le même chemin que d'essayer d'aller de A à B au même moment que des milliers d'autres.

Bizarrement, cette situation, qui devrait conduire à vouloir diversifier autant que possible les modes de transport, a plutôt l'effet inverse. Je veux dire que même les personnes les plus intelligentes ont tendance à tomber dans la mentalité les moyens de transport que j'utilise sont bien et sont indispensables, tous les autres sont inutiles, dangereux, polluants, coûteux ou idiots (à laquelle il faut souvent ajouter et pour les moyens que j'utilise, moi je sais bien m'en servir, le problème vient toujours des autres). Alors que dans la réalité, tous les moyens de transport sont très bien, et d'ailleurs je les utilise tous, sauf évidemment les scooters qui sont la pire engeance inutile, dangereuse, polluante, coûteuse et idiote. 😉

Quelque part, là, il faut que je sorte la blague de la personne qui roule sur l'autoroute en écoutant la radio et entend un flash info spécial avertissant qu'il y a une voiture sur cette autoroute qui roule à contresens. Elle s'exclame : Comment ça, une voiture ? Elles sont toutes à contresens !

Un peu plus sérieusement, il y a évidemment toutes sortes de questions qui interagissent de façon complexe et souvent contradictoire quand il s'agit d'évaluer les modes de transports : le coût individuel, le coût de maintenance des infrastructures, le temps de parcours, la possibilité d'utiliser ce temps pour autre chose (lire, travailler…), la fréquence de disponibilité, la prévisibilité du temps de parcours, la fiabilité, la congestion, les conflits avec les autres usagers, la sécurité pour l'usager, la sécurité pour les tiers, les nuisances et autres externalités pour les tiers (à commencer par la pollution, qui prend elle-même plusieurs dimensions : émissions de CO₂, émissions de particules fines, autres émissions comme l'ozone ou les oxydes d'azote, pollution à la production du véhicule, pollution sonore et lumineuse voire d'autres formes comme les détritus abandonnés), le stress engendré, le confort, le statut social associé au mode de transport, le respect des règles (comme le code de la route), les enjeux sociétaux (voire, moraux) à décider de privilégier tel ou tel mode, ou que sais-je encore. La pandémie nous a fait découvrir de nouvelles dimensions, comme le risque de contaminations ou l'inconfort de devoir porter un masque (qui ont certainement joué sur le report de modes de transport vers d'autres). Les grèves nous rappellent la question sociale délicate de savoir si les transports en commun sont un service essentiel dont on devrait exiger un service minimum. Chacun a sa petite idée sur tout ça, non seulement sur ces différentes dimensions, mais aussi sur leur importance relative. Je ne prétends certainement pas évoquer toutes ces questions, juste ranter sur quelques idées qui me passent par la tête. Mais ce qui est fascinant, c'est à quel point on peut être méprisant des arbitrages des autres (même si évidemment l'accusation d'ignorer les externalités de ses choix est légitime a priori).

Manifestement, si quelqu'un choisit de traverser l'Île-de-France en voiture, quitte à passer des heures dans les embouteillages (et peut-être à payer le prix de plus en plus élevé des carburants fossiles), plutôt que de prendre les transports en commun, ce n'est pas que cette personne ignore l'existence des transports en commun. L'explication la plus simple est peut-être simplement que le temps de trajet en transports en commun est beaucoup plus long : en fait, il est assez déprimant de constater à quel point il est difficile de trouver des trajets où les transports en commun soient meilleurs à la fois que la voiture et que le vélo : à Paris intra muros le vélo est presque toujours plus rapide que le métro, et en banlieue parisienne la voiture est presque toujours plus rapide que le RER, même quand on tient compte de la congestion sur les routes (disons la congestion normale aux heures de pointe). Pour donner un simple exemple, pour aller de chez moi à chez ma mère à Orsay (qui n'habite pourtant pas bien loin de l'arrêt du RER B alors que je suis moi-même sur une ligne de métro qui la croise), le mieux qu'on puisse faire en transports en commun est un poil en-dessous d'une heure, ce qui correspond en voiture à une situation de très gros bouchons en heure de pointe.

Je ne sais pas dans quelle mesure c'est possible de rêver une situation où les transports en commun seraient généralement concurrentiels en temps avec la voiture, mais on peut certainement rêver mieux. J'ai déjà raconté ici à quel point la qualité des transports vers mon bureau est nulle, entre un RER B à bout de souffle à force de sous-investissement chronique dans la maintenance, et un bus qui passe une fois tous les jamais à un arrêt très éloigné de là où passe le RER, qui est tout le temps archi-bondé, et qui dessert un nombre invraisemblable d'arrêts sur un trajet aussi tarabiscoté qu'interminable entre Massy-Palaiseau et mon école. Évidemment, il y a des endroits bien plus mal desservis en transports en commun, mais il fallait quand même une intelligence de génie pour décider de créer un pôle scientifique au milieu de nulle part sur cet endroit totalement inaccessible qu'est le plateau de Saclay — tellement grand et vide, d'ailleurs, que même les transports au sein du pôle scientifique du plateau de Saclay sont extrêmement problématiques si on n'a pas de voiture. (Je compte sur Émilia Robin, dont je fais au passage la pub du travail d'histoire de la région, pour nous expliquer comment on en est arrivé à une telle aberration.) Alors il est vrai qu'on nous promet l'arrivée pour Un Jour™ de la ligne de métro 18 du Grand Paris Express, qui ne doit pas être purement imaginaire parce que des travaux ont vraiment commencé (et contribuent leur part à ce que ce plateau soit un champ de boue permanent), sans doute que ce sera un progrès par rapport à cet épouvantable bus 91·06, mais le problème du RER et, ne l'oublions pas, de l'interconnexion entre le RER et le métro du futur, restera.

On a parfois l'impression qu'à défaut d'améliorer l'attractivité des transports en commun, la solution retenue a souvent été d'empirer à dessein celle de la voiture. L'approche me semble assez analogue à vouloir régler une pénurie de logements en taxant les loyers les plus élevés plutôt qu'en créant de nouveaux logements. Je pense notamment à l'attitude consistant à refuser de créer de nouvelles infrastructures routières (voire, appeler à en supprimer) au motif qu'elles seront de toute façon saturées : si elles saturent, c'est justement que des gens cherchent à s'en servir, donc qu'elles rendent un service, et qu'elles sont préférées aux alternatives, donc, toutes choses étant égales, c'est plutôt un argument pour continuer de même que la saturation des logements sociaux n'est pas un argument pour arrêter d'en construire. (En revanche, il faut bien séparer cet argument bidon de saturation de celui qui consiste à dire qu'à moyens constants on transporte plus de gens, ou on augmente leur satisfaction, en investissant dans autre chose que les infrastructures routières, ce qui est tout à fait recevable, et au moins plausible, je n'ai pas d'avis bien arrêté sur le fond.)

Ce qui est sûr, c'est que les transports sont une galère pour essentiellement tout le monde, à part une poignée de privilégiés comme moi il y a quelques années qui ont la chance d'habiter à quelques minutes de leur lieu de travail ; et quand quelqu'un prétend avoir la solution aux problèmes, c'est généralement le signe que ce quelqu'un fait partie de ces privilégiés des transports qui devraient plutôt se taire. La mentalité que je trouve détestable, en tout cas, est celle qui consiste à rendre responsables les autres galériens (notamment pour leur choix de mode de transport) au lieu de pointer du doigt les problèmes structuraux comme le manque d'investissement dans les transports en commun.

Cette mentalité a tôt fait de nous transformer en défenseurs chacun de notre mode de transport principal, perçu comme le seul valable. Voyez notamment la manière dont des cyclistes se convainquent facilement que tout le monde pourrait, donc devrait, faire ses déplacements à vélo (ignorant le fait que tout le monde n'a pas le privilège de travailler à distance cyclable de son domicile, ou d'avoir la capacité physique pour effectuer un tel trajet à vélo). A contrario, voyez la mauvaise foi tout aussi déplorable avec laquelle certains se défendent en reprochant en retour aux cyclistes de ne pas respecter le Code de la route (ce qui, au demeurant, est souvent exact, mais cache le vrai problème, qui est que le Code de la route et l'infrastructure routière sont mal adaptés aux vélos).

Un exemple particulier qu'on peut mentionner est celui des véhicules utilitaires (camionnettes), qui ont indiscutablement tendance à avoir une conduite extrêmement dangereuse. Mais il me semble clair que dans la majorité des cas la responsabilité de cette conduite dangereuse incombe (au moins au sens moral, parce que je ne suis malheureusement pas convaincu que le droit suive) aux employeurs des chauffeurs-livreurs qui font subir à ceux-ci une pression indécente pour tenir un rythme de livraison qui n'est tout simplement pas tenable en respectant le Code de la route, ou même simplement le minimum nécessaire pour avoir une conduite pas trop dangereuse. Et à un niveau plus profond, la responsabilité est celle d'une société façon « Uber », qui veut tout se faire livrer et qui demande à ce que ce soit fait dans des délais déraisonnables. Mais ces causes plus profondes ne se voient pas si facilement : tout ce qu'on voit sur la route, c'est la camionnette qui conduit très dangereusement (roulant trop vite et agressivement, stationnant sur les bandes cyclables, etc.).

Un exemple assez représentatif de cette tribalisation du jugement sur les modes de transport est le déni dans lequel sont, je crois, beaucoup de cyclistes sur la parenté et proximité entre vélos et motos. (Et, pour arrêter une seconde mes blagues sur l'engeance que sont les scooters — même si les scooters sont une engeance — quand je dis motos ici je veux parler des deux-roues motorisées en général.) Ce que je veux dire, c'est que la loi et la réglementation ont créé (dans un article d'ailleurs invraisemblablement bordélique) des catégories tout à fait arbitraires cycles [à pédalage assisté], engin de déplacement personnel [motorisé], cyclomoteurs et motocyclettes, auxquelles viennent d'ailleurs de s'ajouter tout récemment encore une catégorie incompréhensible, les cyclomobiles légers, parce que la loi a besoin de catégories précises, mais c'est un signe de tribalisme de récupérer ces catégories techniques pour en faire un jugement, comme s'il y avait une différence fondamentale entre les gentils qui roulent à vélo et les méchants qui roulent à moto. Dans les faits, entre une mobylette électrique et un vélo à assistance électrique, la limite est juste un trait arbitrairement placé par la plume du règlement. (On peut bien sûr prétendre faire une distinction sur une base écologique, mais voilà, il y a des motos électriques et il me semble qu'il n'est pas interdit — même si ça doit être rare depuis les vieux vélos SoleX — de faire un vélo à assistance fournie par un moteur à combustion interne.)

Dans les faits, s'il y a évidemment une grande différence entre la sociologie de leurs usagers (conducteurs de vélos, scooters et motos étant bien distincts), la plupart des enjeux de conduite des véhicules eux-mêmes sont essentiellement les mêmes, entre un vélo et une moto en ville. Surtout dans une ville comme Paris limitée à 30km/h et où on n'atteint de toute façon essentiellement jamais cette vitesse (en clair, la vitesse atteinte par un véhicule ou sa capacité à démarrer rapidement aux feux verts ne dépend pas tellement de la puissance du véhicule que de la volonté de la personne qui le conduit à rester en sécurité et à respecter le Code de la route : toute personne qui ne roule pas comme un cinglé se fera régulièrement dépasser, et même agressivement dépasser, par des gens qui le font, ce qui, pour tous les deux-roues, peut être dangereux). Les situations dangereuses à vélo et à moto en ville sont presque exactement les mêmes : l'équilibre général du véhicule, le risque de ne pas être vu par les autres usagers (notamment les utilitaires et les bus), la tentation de se faufiler entre les voitures ou de doubler par la droite, le danger de se faire serrer avec une marge de sécurité insuffisante, ou d'être happé par un véhicule qui tourne sans avoir contrôlé son angle mort. Les motards auront souvent un équipement de protection plus important que les cyclistes (déjà ils ont l'obligation de porter un casque et des gants), mais je ne suis pas persuadé qu'il soit tellement utile contre les risques en ville : c'est plutôt les équipements comme rétroviseurs, klaxon, clignotants qui peuvent assurer une meilleure sécurité, mais rien n'interdit d'en avoir sur un vélo, et de fait, certains en ont. On peut bien sûr prétendre que les motos ont un potentiel d'être plus dangereuses pour les autres usagers que les vélos n'ont pas dans la même mesure, mais ce serait une assez curieuse approche de la sécurité routière que d'ignorer les problèmes de sécurité des types d'usagers qui peuvent en causer à d'autres. (Et je ne parle pas de l'idée de moins s'intéresser à la sécurité des véhicules plus polluants sous prétexte qu'ils sont plus polluants : la sécurité n'est pas censée être une récompense pour bons comportements, et de toute façon il n'est pas terriblement clair selon quels critères une moto électrique serait plus polluante qu'un vélo électrique.)

Je ne dis pas tout ça pour défendre l'idée que les motos aient le droit de rouler sur les pistes cyclables (mais il faut être conscient que c'est une décision assez arbitraire), encore moins le droit de passer aux feux rouges. En revanche, un exemple d'une question qui mérite d'être débattue est celle des sas aux feux : si ceux-ci sont utiles pour la sécurité des cyclistes, ils seraient utiles pour exactement les mêmes raisons (évité d'être pris dans un angle mort ou happé en tournant) aux deux-roues motorisés. Pour quelle raison y a-t-il des sas cyclistes et pas des sas deux-roues ? (Si les cyclistes ne veulent pas être mis en danger par les 2RM, on peut tout à fait imaginer avoir les deux sas, l'un après l'autre, dans l'ordre ou selon la disposition qui assurera le plus de sécurité aux cyclistes : outre que ça ne peut pas leur nuire, ça peut éventuellement éviter que des deux-roues motorisés pensent de bonne foi avoir le droit d'utiliser le sas vélo si des pictogrammes clairs indiquent séparément un sas vélo et un sas 2RM. Et ça ne gênerait vraiment personne de reculer de quelques mètres la ligne d'effet d'un feu pour les véhicules à quatre roues ou plus.) Il me semble que la seule raison est idéologique.

Et ce qui est intéressant à ce sujet, c'est que des cyclistes enjoignent souvent, et ils ont raison, aux automobilistes qui ne se rendent pas compte des problèmes qu'ils rencontrent, notamment les problèmes de sécurité, de rouler un peu à vélo en ville : on peut leur retourner le conseil de rouler un peu à 2RM (ne serait-ce qu'avec un scooter électrique en libre service qui se conduit « sans permis ») pour voir s'ils se sentent tellement plus en sécurité. (Personnellement, j'ai la chance de n'avoir qu'un tout petit bout de trajet à faire en ville avant de rejoindre l'autoroute, mais les quelques fois où je dois amener la moto à la concession suffisent à me convaincre que ce n'est vraiment pas drôle, et je préfère largement prendre le vélo, que je n'aime pourtant vraiment pas, ou le métro, malgré son inefficacité en temps, pour faire des trajets à Paris.)

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