David Madore's WebLog: Surtout, ne parlons pas de l'élection présidentielle ! (Ils en ont parlé.)

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(lundi)

Surtout, ne parlons pas de l'élection présidentielle ! (Ils en ont parlé.)

Comme je le disais récemment sur Twitter, les résultats électoraux font toujours l'effet d'un choc même quand on sait qu'il est logiquement impossible qu'il en sorte quelque chose de bon. Il y a un effet psychologique à la révélation soit qu'on a attrapé la peste soit qu'on a attrapé le choléra, de même qu'il y a une violence psychologique inouïe à devoir choisir entre les deux (ou à choisir de ne pas choisir, mais en sachant on aura quand même l'un des deux), qu'on devrait logiquement ressentir dès que cette fatalité devient évidente, mais qui ne se concrétise que quand on est face à la révélation même. J'ai eu beau me dire je me fous de ces résultats, ils seront forcément un désastre, ça n'a pas marché.

Je ne suis pas du genre à crier tous pourris (et de toute façon la faute que je vois n'en est pas tant aux candidats qu'à une combinaison entre le mode de scrutin et surtout le modèle présidentiel, cf. ci-dessous), c'est bien la première fois que je ressens une aversion pareille pour tous les candidats, pourtant fort nombreux, qui se présentaient à cette élection : peste, choléra, fièvre typhoïde, cancer du pancréas… (est-ce que parmi tous les fils humoristiques du type candidats à la présidentielles as <truc> — où <truc> = projections cartographiques, trains, races de vaches, systèmes électriques, équations de la physique, éditeurs texte, etc. — personne n'en a fait un avec les maladies graves ? bon, y'a ça).

Alors certes, je ne m'attendais pas à trouver une personne candidate qui se prononce simultanément pour toutes sortes de choses que j'approuverais, comme : ⁃ une restauration de services publics forts, ⁃ la mise en place d'un revenu universel permettant de ne pas centrer la vie des individus autour du travail rémunéré, ⁃ un pacte écologique scientifique avec une place prépondérante donnée à l'énergie nucléaire (avec construction d'un maximum de nouvelles centrales) pour réduire les émissions de CO₂ et des taxes pigouviennes sur les pollueurs, ⁃ la relance d'une intégration européenne accrue, ⁃ le rejet explicite de tout nationalisme ou isolationnisme, ⁃ une stabilisation de la dette publique financée par une fiscalité progressive et redistributive, ⁃ des réformes constitutionnelles et organiques pour limiter les pouvoirs du président de la République, redonner le rôle de premier plan au parlement et la présidence du conseil des ministres au Premier ministre, mettre en place un scrutin plus représentatif à l'Assemblée nationale, (je n'ose même pas parler de réforme du Sénat,) et transformer le Conseil constitutionnel en cour de justice complètement séparée du pouvoir politique, ⁃ une protection claire du droit à manifester sans se heurter à la brutalité policière, ⁃ des moyens accrus donnés au Défenseur des Droits, ⁃ une politique judiciaire qui cherche vraiment à privilégier la réinsertion sur la punition, ⁃ une politique de santé publique qui condamne catégoriquement les errements répressifs lors de la pandémie de covid, ⁃ une réforme en profondeur du droit d'auteur pour mettre fin à ses excès, ⁃ la dépénalisation de l'usage de toutes les drogues récréatives et celle de la vente du cannabis, ⁃ des simplifications de procédures administratives (par exemple la suppression de cette idiotie qu'est le justificatif de domicile), ⁃ la suppression de toute mention du sexe des individus de l'état-civil, des papiers d'identité et de tout fichier de l'Administration, ⁃ le rejet clair de toute forme de service national obligatoire comme constituant une forme de servitude anachronique, ⁃ une revalorisation des métiers de l'enseignement et de la recherche, la fin de la recherche « compétitive », « darwinienne », et la possibilités de financements autrement que par seuls projets, ⁃ un grand plan de transparence de l'accès aux documents administratifs sous forme informatisée et en données ouvertes ⁃ et je veux bien cent balles et un mars aussi. Je me doute bien que plein de gens ne seront pas d'accord avec ça, et il est normal qu'aucun candidat ne le propose. (J'oublie sans doute plein de choses dans ma liste de toute façon. Par ailleurs, ce n'est pas la peine de me dire que ce que je liste est vague, irréalisable voire auto-contradictoire : si vous n'avez pas remarqué que les projets des candidats sont toujours vagues, irréalisables et auto-contradictoires, c'est que vous n'avez jamais lu un programme politique. Je précise cependant à toutes fins utiles que ceci n'est pas un programme et que je n'ai aucune intention de me présenter à quelque élection que ce soit.)

Bref, je n'en demandais pas tant, je sais bien que quand on vote il faut accepter d'avaler des grosses couleuvres, mais disons que ç'aurait été agréable qu'il y eût au moins une personne, parmi ces candidats, que je trouve susceptible de faire moins de mal que de bien, ou disons, moins de mal qu'une théière, — la théière étant quelque chose à qui on ne craint pas trop d'accorder les pouvoirs démesurément dangereux du président de la République française. J'ai quand même voté pour quelqu'un (peut-être du niveau « tuberculose » dans les maladies graves ?) parce que voter blanc ne permet pas d'avoir une théière présidente, mais c'est tout de même affligeant, et je crois que je ne suis pas loin d'être le seul affligé, que la moins pire option pour le second tour soit le mec qui il y a deux ans a fait fermer les forêts et fait signer des papiers débiles à 70M de personnes pour mettre le nez dehors, pour une infection respiratoire(!).

Il serait bien sûr bon que les électeurs français se rappellent qu'ils peuvent limiter le pouvoir de nuisance de la personne élue à la présidentielle en lui donnant une assemblée politiquement opposée, ce qui rapprocherait un peu l'Élysée du niveau théière, et donnerait aux Français la satisfaction d'avoir rembarré non pas onze mais douze des douze candidats à la présidentielle. Ce n'est pas idéal, ça reste plus dangereux qu'une théière (par exemple parce que le général De Gaulle a par inadvertance égaré une arme atomique à l'article 16 de la Constitution, qui dit le président de la République peut, à tout moment et sans rendre de compte à personne, sur une décision qui ne revient qu'à lui et qui n'est susceptible d'aucun recours, transformer la France en dictature : sympa ; au moins, un parlement hostile pourrait tenter une procédure de destitution), mais ce serait déjà quelque chose. Malheureusement, je ne crois pas que les Français aient bien compris qu'ils ont le droit de voter différemment aux législatives qu'à la présidentielle, donc ça reste sans doute un espoir naïf de ma part.

Le problème des dangers du pouvoir n'est pas neuf, bien sûr. Ce n'est pas difficile à comprendre : être président, c'est un boulot horrible, où on n'a pas une minute pour soi, où on doit sans arrêt gérer les merdes, où tout le monde vous demande de tout faire au sujet de tout, et où tout le monde finit par vous détester, où on est obligé de rencontrer plein de gens chiants ou cons ou meurtriers et de faire semblant de les trouver intéressants, intelligents et gentils, et où on passe des années sans dormir une seule nuit correcte. Pour vouloir un tel boulot, il faut être un dangereux psychopathe tellement obsédé par le pouvoir et la grandeur de soi qu'on juge que le hochet suprême de la présidence compense tous ces inconvénients. De là résulte le fait qu'aucune personne qui a envie de devenir président ne devrait être autorisée à approcher à moins de 100km du bouton nucléaire ou d'aucun des autres pouvoirs qui vont avec le hochet :

To summarize: it is a well known fact, that those people who most want to rule people are, ipso facto, those least suited to do it. To summarize the summary: anyone who is capable of getting themselves made President should on no account be allowed to do the job. To summarize the summary of the summary: people are a problem.

― Douglas Adams, The Restaurant at the End of the Universe (chap. 28)

Ça doit déjà être dans la République de Platon, sauf que Platon n'écrit sans doute pas dangereux psychopathe, il écrit plutôt en effet Socrates tu as raison il a certainement toutes les qualités d'un chien ou quelque chose de chiant comme ça. Et surtout, Platon est super méga hypocrite parce qu'après avoir expliqué qu'il ne faut pas donner le pouvoir aux gens qui veulent le pouvoir, il explique qu'il faut le donner aux philosophes, comme lui qui vient de nous exposer plein d'idées hyper dangereuses sur ce que les philosophes feraient avec le pouvoir ou sur l'éducation des gosses, alors bon, paille poutre tout ça.

Et de fait, quand on regarde l'ensemble des anciens présidents français ou même des gens qui ont été des candidats crédibles, il n'y en a pas des masses dont je n'ai pas l'impression qu'ils soient humainement infects et dangereusement obsédés par le pouvoir. (Indépendamment du fond de leurs idées et de leurs autres défauts pas difficiles à trouver, François Hollande et Alain Juppé sont peut-être de ceux-là.)

Presque n'importe quelle mesure qui conduirait à dépersonnaliser le pouvoir politique serait bienvenue dans la situation absolument pourrie où nous a laissé De Gaulle avec son obsession du pouvoir personnel : qu'il s'agisse d'un régime parlementaire, d'une présidence collégiale ou tournante… n'importe quoi qui limiterait les pouvoirs de nuisance accordés aux dangereux psychopathes qui se font élire, ou l'attrait du poste pour les dangereux psychopathe, mais aussi son caractère pénible pour les non psychopathes (si le pouvoir est réparti entre plus de gens, il est à la fois moins attirant pour les avides de pouvoir mais aussi plus attirant pour les personnes qui veulent simplement servir leur pays et pour qui le stress de trop de responsabilités, ou l'impossibilité de dormir correctement pendant cinq ans, est un repoussoir).

À titre d'exemple, un changement minimal sur la constitution française, qui serait déjà un immense progrès, consisterait à élire tous les cinq ans non pas une personne, mais un collège de cinq personnes (en bloc, selon la même procédure qu'on élit une personne actuellement — pas que j'aime cette procédure, mais je veux évoquer un changement minimal), qui ensuite exercerait le pouvoir chacune pour un an, dans un ordre tiré au sort après l'élection (et qui pourraient aussi servir de suppléants en cas de décès ou d'incapacité temporaire de la personne titulaire) : cela rendrait la charge moins attirante pour les non psychopathes, plus supportable pour les non psychopathes, et cela éviterait que les campagnes se concentrent autour du charisme personnel de la personne à leur centre.

Mais comme le pouvoir de faire un tel changement repose essentiellement dans les mains des dangereux psychopathes contre lesquels il servirait à nous protéger, autant dire que ça n'arrivera pas.

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