David Madore's WebLog: 2019-04

Vous êtes sur le blog de David Madore, qui, comme le reste de ce site web, parle de tout et de n'importe quoi (surtout de n'importe quoi, en fait), des maths à la moto et ma vie quotidienne, en passant par les langues, la politique, la philo de comptoir, la géographie, et beaucoup de râleries sur le fait que les ordinateurs ne marchent pas, ainsi que d'occasionnels rappels du fait que je préfère les garçons, et des petites fictions volontairement fragmentaires que je publie sous le nom collectif de fragments littéraires gratuits. • Ce blog eut été bilingue à ses débuts (certaines entrées étaient en anglais, d'autres en français, et quelques unes traduites dans les deux langues) ; il est maintenant presque exclusivement en français, mais je ne m'interdis pas d'écrire en anglais à l'occasion. • Pour naviguer, sachez que les entrées sont listées par ordre chronologique inverse (i.e., la plus récente est en haut). Cette page-ci rassemble les entrées publiées en avril 2019 : il y a aussi un tableau par mois à la fin de cette page, et un index de toutes les entrées. Certaines de mes entrées sont rangées dans une ou plusieurs « catégories » (indiqués à la fin de l'entrée elle-même), mais ce système de rangement n'est pas très cohérent. Le permalien de chaque entrée est dans la date, et il est aussi rappelé avant et après le texte de l'entrée elle-même.

You are on David Madore's blog which, like the rest of this web site, is about everything and anything (mostly anything, really), from math to motorcycling and my daily life, but also languages, politics, amateur(ish) philosophy, geography, lots of ranting about the fact that computers don't work, occasional reminders of the fact that I prefer men, and some voluntarily fragmentary fictions that I publish under the collective name of gratuitous literary fragments. • This blog used to be bilingual at its beginning (some entries were in English, others in French, and a few translated in both languages); it is now almost exclusively in French, but I'm not ruling out writing English blog entries in the future. • To navigate, note that the entries are listed in reverse chronological order (i.e., the most recent is on top). This page lists the entries published in April 2019: there is also a table of months at the end of this page, and an index of all entries. Some entries are classified into one or more “categories” (indicated at the end of the entry itself), but this organization isn't very coherent. The permalink of each entry is in its date, and it is also reproduced before and after the text of the entry itself.

[Index of all entries / Index de toutes les entréesLatest entries / Dernières entréesXML (RSS 1.0) • Recent comments / Commentaires récents]

Entries published in April 2019 / Entrées publiées en avril 2019:

↓Entry #2595 [older| permalink|newer] / ↓Entrée #2595 [précédente| permalien|suivante] ↓

(dimanche)

Les cours de conduite commencent à m'user psychologiquement

Méta : Cette entrée, où je prouve encore une fois mon super-pouvoir de dire en 5000 mots ce qui tiendrait facilement en 500, est un peu un mélange de calimérisme (bouh hou hou, je suis nul et le monde est vraiment trop zinjuste) et de réflexions disparates (généralement cachées dans les abondantes notes) mais que j'espère un peu plus intéressantes, sur l'apprentissage de la conduite. Il est question de mon permis moto, mais beaucoup de ce que je dis est applicable aussi à quelqu'un qui passerait le permis B (ou, je suppose, C ou D) : vers la fin, je donne d'ailleurs quelques idées qui pourraient peut-être resservir à d'autres, sait-on jamais.

Quand je me suis inscrit au permis moto, je me doutais que ce serait sans doute long et difficile, et que j'en baverais : (a) parce que j'avais exactement zéro expérience des deux-roues motorisés, (b) parce que je ne suis plus tout jeune pour commencer, (c) parce que la moto n'est pas réputée pour être particulièrement facile, et (d) parce que je venais d'en baver pour le permis voiture et que les mêmes causes produisent probablement les mêmes effets. Bref, j'étais conscient de cette possibilité, j'étais bien conscient que quand le test psychotechnique complètement bidon mais légalement obligatoire préliminaire à la formation m'a prédit 20–35 heures de formation, ce n'était rien d'autre qu'un test complètement bidon mais légalement obligatoire, et je n'ai pas été surpris de mettre cinq mois (et 87 heures de formation) à obtenir l'épreuve de plateau (= épreuve hors circulation).

En revanche, s'agissant de l'épreuve de circulation (qui est essentiellement la même[#] qu'au permis B, mais sur une moto au lieu d'être dans une voiture) j'avais un espoir raisonnable que ce serait plutôt facile. Au moins une fois assimilés les quelques points de circulation spécifiques à la moto (le véhicule étant plus étroit, on ne se place pas toujours bêtement au centre de sa voie ; on cherche à se dégager autant que possible de toute proximité avec un poids lourd, et surtout à ne pas rester derrière ; en contrepartie, l'exigence de respect des limitations de vitesse est moins strict, surtout quand il s'agit, justement, de se dégager d'une situation possiblement dangereuse), et évidemment, des aspects de maniement du véhicule qui n'ont pas été vus pendant la préparation au plateau (comment gérer un rond-point, prendre un virage avec plus ou moins de visibilité, comment démarrer en côte ou tourner en pente, etc.), mais en tout cas, rien d'insurmontable.

[#] Sauf qu'évidemment l'inspecteur est dans une voiture (conduite par le moniteur-accompagnateur) et donne ses instructions par radio via une oreillette. Il y a d'autres petites différences, mais elles sont mineures (le nombre de de compétences à valider et donc de points de notation n'est pas le même : il n'est pas demandé de manœuvre, et les vérifications techniques ont été traitées lors de l'épreuve de plateau).

Pourquoi penser que ce serait plutôt facile ? D'abord parce que « tout le monde le dit ». Tout le monde, c'est-à-dire plusieurs amis qui ont passé le permis A ou A2 et qui ont tous décrit l'épreuve de circulation comme une sorte de formalité, ou encore des avis variés mais globalement concordants qu'on trouve en ligne (au pif, celui-ci). Ensuite parce que le taux de réussite est (au niveau national en 2017) de 91% pour l'épreuve de circulation contre 64% pour l'épreuve de plateau (pour comparaison, c'est 57% pour le permis voiture ; source ici, tableau page 22 [numérotée 21] du PDF) : une épreuve avec 91% de taux de réussite (même 92% en première présentation) en 2017 ne donne pas l'impression d'être outrageusement sélective[#2]. • Une bonne partie de cette facilité doit venir du fait que beaucoup des candidats au permis A2 dont déjà le permis B, mais même sans ça, si on regarde le taux de réussite au permis A1 (qui est exactement comme le permis A2 mais pour des motos de ≤125cm³ et peut être passé dès 16 ans, ce qui fait que ceux qui le passent n'ont presque jamais un autre permis), il est encore de 80%, suggérant que l'épreuve en elle-même est moins exigeante que le permis voiture ; une raison que j'ai entendu avancer à ce sujet est que les inspecteurs ne sont généralement pas eux-mêmes motards[#3] et s'en foutent un peu (voire, bavardent juste avec le moniteur-accompagnateur), ou simplement qu'ils ne voient pas aussi bien que s'ils étaient assis à côté du candidat et donnent quelque bénéfice du doute au candidat. • Mais bon, le fait est que j'ai obtenu mon permis B (et même si l'apprentissage a été douloureux, je l'ai quand même eu du premier coup et avec quasi le maximum des points), et j'ai fait attention, depuis, à conduire suffisamment pour, au strict minimum, maintenir mon niveau, à ne pas prendre de mauvaise habitude, et à respecter scrupuleusement le Code de la route. (Et mon poussinet trouve qu'effectivement je conduis mieux maintenant qu'il y a un an. Même, je n'écrase pas les piétons, c'est dire ! 😉) • Et puis, il y a une différence de motivation, qui au moins ne devrait pas nuire[#4] : j'ai passé le permis B plus par nécessité ou obligation sociale, je voyais ça comme une corvée et je ne prends aucun plaisir à conduire une voiture ; alors que je passe le permis A2 largement parce que j'en ai envie, et j'ai pu constater que (quand le temps est propice…) c'est vraiment agréable de rouler en moto. Et comme corollaire de la différence de motivation, une différence d'application (je vais revenir sur la manière dont je m'applique).

[#2] Argument à prendre avec des pincettes, évidemment, puisque les auto-écoles décident quand présenter les candidats… la préparation pourrait être beaucoup plus longue et difficile et donner quand même un taux de réussite meilleur à l'épreuve finale. D'ailleurs, le permis D (bus/car) a effectivement un taux de réussite supérieur au permis B (voiture) et personne ne s'imagine que conduire un bus est plus facile que conduire une voiture (ma belle-mère, qui a ce permis D, confirme d'ailleurs). Mais quand même, l'épreuve de circulation du permis A2 a le plus haut taux de réussite de tous ceux qui sont inscrits dans le tableau auquel je me réfère, ça doit bien traduire quelque chose. • D'autre part, il faut quand même signaler qu'il y a des différences très importantes entre départements : le taux de réussite à l'épreuve de circulation du permis A2 en 2017 avait beau être de 91% au niveau national, il était seulement de 88% pour l'Île-de-France, et de 79% pour Paris (j'aimerais en savoir plus sur les causes de ces disparités).

[#3] Je crois quand même comprendre qu'ils ont eux-mêmes l'obligation de passer le permis A (donc A2 maintenant ?) (cf. cette page ou celle-ci, j'ai la flemme de chercher quelque chose de plus officiel). Ils n'ont d'ailleurs pas l'air d'avoir d'obligation de passer les permis C, D et *E, en revanche : je ne sais pas si ceux qui font passer ces permis-là doivent eux-mêmes l'avoir.

[#4] Ça faisait partie de l'expérience (pas très scientifique) de tester si la motivation joue dans l'aptitude à réussir. Ma conclusion provisoire, c'est que je n'ai pas vraiment l'impression. Du coup, je peux le dire à ceux qui envisagent de passer un permis mais qui voient ça comme une corvée : ce manque de motivation ne vous compliquera probablement pas spécialement la tâche (qui peut être difficile pour d'autres raisons, bien sûr, comme elle l'a été pour moi).

Bref, il y avait un certain nombre de raisons de penser (prudemment !) que ce serait raisonnablement facile, ou au moins que j'aurais fait le plus dur.

Sauf que non, ça n'a pas vraiment l'air parti pour : j'ai l'air d'avoir gagné un nouveau tour pour la case « cancre ». Et là, je commence un petit peu à trouver ça usant[#5] d'accumuler les heures de formation pour patauger dans une médiocrité dont je cherche à identifier la cause. Bon, pour l'instant j'en suis à 14h de conduite (7 leçons de chacune environ 2h de conduite effective[#6]) sans compter la circulation que j'avais déjà faite en allant et en revenant du plateau lors de la préparation à cette épreuve (que j'estime à pas loin de 20h, mais bon, c'est toujours le même trajet) : ce n'est pas encore affolant, surtout que le minimum légal semble[#7] être de 12h, mais c'est surtout parce que mes progrès sont douteux que c'est un peu décourageant.

[#5] J'ai la chance de ne pas avoir de problème côté financier, parce que les heures commencent à chiffrer. Mais juste pour le temps consommé, ce n'est pas négligeable non plus.

[#6] Pour rentabiliser le temps, le mode de fonctionnement des cours de circulation de mon auto-école est qu'on part pendant 3 ou 4 heures à 3 ou 4 élèves à tourner sur 2 motos (avec un changement toutes les heures environ) : donc deux élèves conduisent pendant que l'autre ou les deux autres sont dans la voiture avec le moniteur (et peuvent donc observer et écouter ses commentaires, ce n'est pas du temps complètement perdu). L'avantage est qu'on se fatigue moins que si on conduisait tout le temps et qu'on peut aller plus loin que si les leçons duraient vraiment deux heures. L'inconvénient est qu'il faut vraiment bloquer tout son après-midi ou toute sa matinée.

[#7] J'écris seulement semble parce c'est un peu confus : la base juridique que j'ai trouvée est l'arrêté du 24 juin 1992 relatif à la formation à la conduite des motocyclettes et des motocyclettes légères qui d'après Legifrance est toujours en vigueur, mais qui ne semble pas avoir été mis à jour pour tenir compte de la progressivité du permis moto (on ne peut plus passer le permis A directement, seulement le A2), et par ailleurs je ne sais pas bien comment interpréter la phrase la durée minimale de la formation pratique à la conduite de ces véhicules est de vingt heures, dont huit hors circulation et douze sur une voie ouverte à la circulation publique (s'il faut juste comprendre de huit heures hors circulation et de douze heures en circulation, pourquoi avoir précisé le total ? le texte semble dire x≥8 et y≥12 et x+y≥20 du coup je me demande à quoi sert le dernier).

↑Entry #2595 [older| permalink|newer] / ↑Entrée #2595 [précédente| permalien|suivante] ↑

↓Entry #2594 [older| permalink|newer] / ↓Entrée #2594 [précédente| permalien|suivante] ↓

(jeudi)

Le problème des journalistes à la recherche d'experts

Une fois n'est pas coutume : je vais défendre un peu les journalistes qui doivent traiter un sujet un peu technique.

Je pense à la situation où le public attend des explications sur un fait d'actualité (du genre : un avion qui s'est écrasé et on veut des pistes d'explications, une cathédrale qui a brûlé et on veut savoir si elle pourra être reconstruite, quelque chose de ce goût-là ; mais ça peut aussi être, par exemple, une découverte scientifique ou archéologique, ou quelqu'un qui obtient une récompense prestigieuse — style prix Nobel — dont il faut dire un mot des travaux), et le journaliste qui doit couvrir le sujet doit trouver un expert à interviewer. Dans l'urgence, évidemment. Et sans lui-même rien connaître au sujet. On reproche souvent aux journalistes de faire appel à des pseudo-experts qui n'ont pas de vraie accréditation académique, et dont la compréhension du sujet peut être douteuse. Secondairement, on leur reproche aussi souvent de mal citer les titres des personnes interviewées. La constatation est entièrement juste, mais il me semble que ce n'est pas uniquement de la faute des journalistes.

Le monde académique est vraiment difficile à naviguer. Même pour ceux qui sont dedans, ce n'est pas forcément évident. Pour commencer, il a ses codes : les titres académiques, par exemple, ou les noms des institutions sont souvent l'œuvre du Club Contexte, et il en va de même jusqu'au nom des disciplines. Pour essayer de juger qui est « le plus compétent », le journaliste est-il vraiment censé savoir la différence entre un maître de conférences, un professeur des Universités, un chargé de recherches, un directeur de recherches, un professeur agrégé, un chargé de cours, etc. ? Entre un docteur et une personne habilitée à diriger les recherches ? Est-il vraiment censé comprendre le rapport entre le CNRS et ses différentes UMR, entre les universités et les regroupement d'universités ? Moi-même je m'y perds complètement : je ne vois pas comment on peut raisonnablement s'attendre à ce que des gens censés couvrir tous les sujets du monde puissent y connaître quoi que ce soit. Les codes, en plus, dépendent des disciplines, parfois même des sujets précis. Comment savoir qui est le plus expert sur tel ou tel sujet ? Comment trouver le bon expert ?

Et encore, il ne s'agit, là, que de problèmes un peu superficiels. De façon plus profonde, le journaliste va être confronté à une variation de l'effet Dunning-Kruger qui fera que les experts potentiels peuvent avoir tendance à sous-estimer leurs compétences (ouhlà ! je suis spécialiste de l'influence d'Homère dans la culture romaine entre la fin de la République et la fin de la dynastie julio-claudienne : je suis complètement incapable de commenter la découverte d'une statue d'Ulysse datant des Antonins) ou à les surestimer (oui, je suis spécialiste d'Histoire, bien sûr que je peux répondre à toutes vos questions…).

Voir aussi ce bout de fil Twitter concernant les spécialités des personnes interrogées.

Le journaliste ne sait pas forcément lui-même à quel point ses questions sont pointues (auquel cas il faudra un spécialiste du sous-domaine précis) ou générales ; parfois il en a toute une série qui mériteraient autant d'experts différents ; et parfois, il a plus besoin de quelqu'un de vaguement calé dans le domaine mais qui sait expliquer de façon pédagogique que d'un expert ultra-ciblé.

Rappelons-nous bien que l'enseignement, la pédagogie, la capacité à vulgariser sont aussi des compétences réelles : si on va juste expliquer à l'antenne ce qu'est une équation, ce n'est pas la peine de trouver un spécialiste des équations aux dérivées partielles pseudo-paraboliques dans les domaines quasi-convexes (après s'être essuyé un refus du spécialiste des équations aux dérivées partielles quasi-paraboliques dans les domaines pseudo-convexes qui prétendait en aucun cas ne pouvoir être de la moindre utilité). Petit mot de ma part, donc, à des chercheurs que j'ai parfois entendu se plaindre qu'un journaliste fasse appel à un prof agrégé pour expliquer tel ou tel point de leur domaine de recherche : il se trouve que c'est le boulot de l'enseignant, pas du chercheur, d'expliquer la science, et il se trouve qu'expliquer n'est pas une compétence qu'on a automatiquement quand on est expert en quelque chose. (Et, oui, parfois l'agrégé dira des conneries, mais je ne trouve pas qu'on puisse vraiment en faire le reproche au journaliste qui n'était pas infondé a priori de se dire qu'un enseignant vaut parfois mieux qu'un chercheur quand il s'agit d'expliquer au grand public !)

Cf. le fil Twitter qui se termine par ici.

D'ailleurs, si j'ai l'immodestie de me prendre comme exemple, je pense que je suis capable d'expliquer un certain nombre de choses pas trop mal et sans dire trop de conneries, alors que je ne suis pas chercheur dans ces domaines-là, et je crois même en avoir fait la preuve à diverses occasions sur ce blog : je ne sais pas dans quelle mesure je serais capable de répondre à des questions de journaliste (et encore moins si je présenterais bien à la télé — la dernière fois qu'on m'a interviewé, c'était pour Cash investigation et le sujet n'est jamais passé à l'antenne), mais en admettant que ce soit le cas, il reste que c'est terriblement difficile de me trouver ou d'avoir l'idée de faire appel à moi. Je ne sais pas très bien de quoi je suis censé être spécialiste officiellement (géométrie algébrique, je suppose ? peut-être crypto ? quelque chose comme ça), mais honnêtement ce ne sont pas les sujets sur lesquels il serait le plus pertinent de me faire parler : comme quoi les titres et spécialités académiques ne sont pas forcément le plus fiable indicateur de la compétence à communiquer sur un sujet.

Bref, c'est terriblement compliqué.

Normalement, la façon dont on devrait s'y prendre serait par indirections et approximations successives : on contacte la personne qu'on connaît qui est la plus proche du domaine sur lequel on a besoin d'explications, on lui demande de recommander quelqu'un d'autre, et éventuellement on itère plusieurs fois jusqu'à avoir une personne qui est raisonnablement compétente et s'exprime clairement (et on prend éventuellement plusieurs experts auxquels on demande des avis croisés des experts les uns sur les autres de façon à déceler d'éventuels charlatans ou simplement à laisser s'exprimer de saines controverses académiques). Le journaliste, évidemment, n'a pas le temps pour ça : procéder par recommandations indirectes prend du temps, parce que chaque personne va avoir besoin de plusieurs jours pour recommander l'expert un peu plus pointu suivant (et encore, s'il répond à ses mails — parce que, évidemment, personne ne connaît le mobile de quelqu'un d'autre, donc tout doit se faire par mail, et le milieu académique ne répond pas forcément à ses mails avec la plus grande promptitude, je plaide coupable, je plaide coupable). Si Notre-Dame brûle ou que l'avion s'écrase le jour J, le journaliste ne se satisfait pas d'avoir un expert à interviewer à J+42, et même si je suis le premier à me plaindre de l'obsession à vouloir tout traiter dans l'immédiateté et le direct et à avoir toujours quelque chose à dire immédiatement, là, je ne peux pas lui donner entièrement tort.

Même les organismes de recherche ne sont pas forcément capables de faire mieux : si un journaliste contacte le CNRS (enfin, le bureau de presse du CNRS) pour demander un expert capable de parler de la frobnication du foobar, le CNRS pourra sans doute lui donner le contact d'un chercheur en foobars bleutés, mais c'est à peu près tout — il n'y a aucune prospection a priori de personnes capables de bien parler, de domaines d'expertise secondaire, etc. Et même, je ne sais pas dans quelle mesure les domaines d'expertise principaux sont bien répertoriés et connus des organismes qui emploient les chercheurs (mon cas est sans doute spécial parce que cherche à rester assez « généraliste » dans un monde où l'ultra-spécialisation est la norme, mais même les organismes qui m'emploient ne savent pas grand-chose sur mes domaines de compétences[#]).

[#] J'ai un peu souvent tendance à le rappeler, mais je suis le premier à avoir calculé et publié des images et vidéos de simulation de traversée des horizons et de la singularité des trous noirs de Kerr, par exemple : on peut dire que c'est une forme de compétence ; mais absolument personne ne sait « officiellement » que j'ai cette compétence, donc personne n'aurait jamais l'idée de chercher David Madore pour parler des trous noirs, même sous l'angle purement mathématique (je ne suis évidemment pas compétent pour parler de l'astronomie des trous noirs).

Et n'oublions pas, même si le monde de la recherche académique a tendance à se croire dépositaire unique du savoir, que toute expertise n'est pas forcément académique, tout simplement parce que tout sujet d'expertise n'est pas forcément académique (je le prends comme exemple principal parce que c'est ce que je connais au moins un peu). Le monde industriel, le monde des arts ou du spectacle, le monde du droit, le monde politique ou diplomatique, et plein d'autres, auront chacun leurs propres codes, complètement différents de celui du monde académique, leur propre façon de juger, codifier et signaler l'experise, et la difficulté à trouver les experts sera comparable — mais complètement différente. On ne peut pas dire que ce n'est pas un labyrinthe.

Alors, à la place, ce que font généralement les journalistes[#2], c'est une combinaison entre quelques recherches Web pour trouver quelqu'un qui semble être expert du sujet et qui soit lié à une institution académique respectable, et surtout, d'avoir un petit carnet d'adresses de personnes capables de répondre rapidement et de parler clairement sur un certain nombre de sujets d'expertise, même si ce ne sont pas les meilleurs experts du monde. (C'est la principale raison pour laquelle ce sont toujours un peu les mêmes personnes qui passent sur les plateaux télés.) Éventuellement, celui qui se trouve sur ce petit carnet du journaliste et qui a un peu d'honnêteté intellectuelle pourra conseiller au journaliste d'essayer de faire appel la prochaine fois (ou au moins, le lendemain, si le sujet est encore pertinent le lendemain) à telle autre personne. Ce système est très imparfait, mais au moins, il marchouille. Je ne trouve pas qu'on puisse vraiment faire le reproche aux journalistes de travailler ainsi (à part qu'ils devraient interroger plus souvent leurs experts sur une personne différente à contacter la prochaine fois, de façon à élargir un peu leur carnet).

[#2] Je le sais pour avoir été contacté à quelques occasions et pour avoir demandé comment on m'a trouvé (par exemple, le fait d'avoir écrit un truc sur BitCoin sur mon blog et d'être en poste à Télécom ParisPloum fait qu'on m'a contacté au sujet du BitCoin) ; et pour avoir parlé à d'autres personnes contactées de façon plus régulières par les journalistes. (Cf. aussi l'ajout à la fin de cette entrée-ci.)

D'ailleurs, je parle, là, de journalistes qui ont besoin d'experts, mais je pense que le problème est largement le même pour les décideurs politiques : l'État a ses services spécialisés qui peuvent être tout à fait compétents, mais je pense que quand on commence à toucher aux frontières de la recherche académique, trouver la bonne personne à interroger devient véritablement difficile[#3].

[#3] Pour la petite histoire : toujours à cause de mon petit texte sur le BitCoin, j'avais été amené à participer, à la demande de quelqu'un à Bercy, à une réunion de discussion sur le choix de terminologie à recommander officiellement en français autour des crypto-monnaies. Je ne pense pas avoir été complètement inutile dans l'histoire (ne serait-ce que pour servir de contrepoint à un entrepreneur qui avait l'air de considérer BitCoin comme le salut de l'Humanité et de l'économie française, et à quelqu'un de la Banque de France qui voyait surtout l'angle monétaire), mais disons que c'était plutôt par sérendipité, et manifestement il y a véritablement difficulté à trouver le bon contact.

Quelqu'un m'avait proposé la maxime l'information est inutile sans la bonne méta-information : peut-être qu'on peut dire, de même, que l'expertise est inutile sans la bonne méta-expertise, et qu'on a vraiment un problème de méta-expertise (c'est-à-dire de mise en place de mécanismes permettant de trouver facilement et rapidement les bons experts).

Un début de commencement de piste pour résoudre ce problème de la méta-expertise serait peut-être d'essayer d'organiser, en commun entre agences de presse, organismes de recherche et établissements d'enseignement, un guichet unique, une sorte de hotline[#4] ou de forum, pour les journalistes (et éventuellement d'autres entités accréditées pouvant avoir besoin rapidement d'expertise pour la relayer auprès du grand public ou auprès de décideurs). L'idée serait de se constituer d'avance un carnet d'adresses beaucoup plus fourni et détaillé que que celui du journaliste lambda, avec des experts pré-enregistrés mais aussi des méta-experts capables de répondre très rapidement et de recommander un expert. Bien sûr, pour que ce soit un peu sérieux, il ne faut pas compter uniquement sur le volontariat : c'est-à-dire que ces experts et méta-experts devraient a minima, bénéficier du soutien de leur organisme de rattachement (par exemple sous forme d'une décharge de service ou au moins d'une prise en compte bienveillante du temps passé à répondre à ce type de question) : cela nécessiterait qu'on accepte de valoriser activement des activités de type vulgarisation ou communication scientifique qui ne sont, actuellement, que la cinquième roue du carrosse. Mais c'est là un autre débat.

Cf. le fil Twitter qui passe par ici.

[#4] Je m'inspire un peu du fait que Hollywood a apparemment mis en place avec des universités américaines une hotline (cette vidéo en parle un peu) pour répondre aux questions scientifiques que peuvent avoir les scénaristes de films (j'en avais déjà dit un mot).

↑Entry #2594 [older| permalink|newer] / ↑Entrée #2594 [précédente| permalien|suivante] ↑

↓Entry #2593 [older| permalink|newer] / ↓Entrée #2593 [précédente| permalien|suivante] ↓

(mardi)

Petites pensées rapides sur l'incendie de Notre-Dame

★ On a beau vivre à l'époque d'Internet, le poussinet et moi avons appris que Notre-Dame brûlait par quelqu'un dans la rue et pas par Twitter : nous nous promenions hier soir du côté des Gobelins, j'ai remarqué que plein de gens photographiaient quelque chose que je n'arrivais pas à identifier, et en fait c'était la fumée (dont je n'avais pas fait attention que ce n'étaient pas des nuages) ; le poussinet a dit que c'était certainement un gros incendie et quelqu'un nous a dit oui, c'est Notre-Dame qui brûle. Un peu plus loin nous avons trouvé une terrasse de laquelle on pouvait voir la flèche et les flammes qui la léchaient, et plusieurs personnes nous y ont rejoints : c'est étonnant à quel point les passants dans la rue qui, normalement, s'ignorent mutuellement, deviennent spontanément loquaces dans ce genre de circonstances.

★ La manière dont nous réagissons est aussi intéressante. Je suppose que je n'étais pas le seul à me demander allons bon, que va-t-il en rester quand l'incendie sera éteint ? : je relis à cette occasion cette entrée (et celle-ci) où j'avais évoqué ma réaction face aux attentats du 11 septembre 2001 et dans laquelle je confessais que ce qui m'avait le marqué, finalement, c'était la destruction des tours elles-mêmes plus que celle des personnes qui ont péri dedans. Bon, s'agissant de Notre-Dame, je crois comprendre qu'il n'y a heureusement eu qu'un seul pompier sérieusement blessé. Et concernant l'état du monument lui-même, les dégâts ne sont finalement pas si importants : la toiture en bois, bien sûr, a été intégralement détruite, mais la pierre a globalement bien tenu à part certains morceaux de voûte, et ce qui n'a pas tenu pourra être reconstruit ; la flèche est tombée, mais ce n'était de toute façon plus la flèche d'origine, démontée avant/pendant la Révolution, et peut-être que ce sera l'occasion de mettre une flèche plus semblable à l'originale que celle qu'a fait poser Viollet-le-Duc (je suppose que les historiens sont mieux renseignés ou plus soigneux maintenant) ; et, ce qui me préoccupait plus, il semble que les vitraux des rosaces n'aient sans doute pas été sérieusement endommagés. Franchement, ça aurait pu être bien pire ! (Pour plus de détails sur les dommages, cet article de la BBC est plutôt bien, ainsi que ce fil Twitter ; ajout () : voir aussi cet article-ci, plus précis.)

★ Maintenant je pense que ça vaut la peine de reméditer sur ce que j'écrivais dans cette entrée passée autour de l'identité des choses dans le temps et de l'histoire du bateau de Thésée. (J'y évoquais la possibilité que Joconde soit détruite dans un incendie, mais ça marche aussi avec Notre-Dame.) Si on répare Notre-Dame petit bout par petit bout jusqu'à ce qu'il ne reste rien du monument de départ, est-ce toujours Notre-Dame ? Si toutes les plantes d'origine sont mortes depuis que Le Nôtre a créé les jardins de Versailles, sont-ce quand même les mêmes jardins ? Le Pavillon allemand de Barcelone qui existe actuellement est-il l'œuvre de Mies van der Rohe ? Le grand sanctuaire shintō d'Ise est-il toujours le même ou toujours différent ? Suis-je la même personne que celle qui s'appelait David Madore quand les tours du World Trade Center se sont effondrées ? Que de questions délicates posées par autant de variations du bateau de Thésée et dont la réponse est selon moi, finalement, purement conventionnelle.

★ Mais au-delà du problème de l'identité, cela vaut sans doute aussi la peine de s'interroger, de façon connexe, sur ce qui fait la valeur des choses : je suggère ci-dessus, et beaucoup de gens semblent effectivement le penser, que la flèche qui a été détruite n'a pas une grande valeur, parce qu'elle est due à Viollet-le-Duc (qu'il est de bon ton de vilipender) ; mais je crois qu'il faut penser un peu plus loin que plus c'est vieux plus c'est précieux/important (et Viollet-le-Duc, c'est tellement récent, n'est-ce pas), il n'y a que l'original qui vaille, etc. Tout monument est un palimpseste où chaque siècle ajoute sa couche (c'est peut-être même le cas de toute forme d'art à travers l'interprétation et la réinterprétation) : et peut-être que c'est ça qui fait un monument vivant ; c'est un peu ce que j'essayais d'expliquer dans ce texte. Je ne cherche pas forcément ici à défendre Viollet-le-Duc, ni même forcément à contester l'idée qu'il n'y a que l'original qui vaille, mais on doit au moins se poser la question : quelle Notre-Dame voulons-nous, et pourquoi exactement ?

☞ Viollet-le-Duc a-t-il massacré le château de Pierrefonds ? Zwirner a-t-il massacré la cathédrale de Cologne ? Haussmann a-t-il massacré Paris ? Mehmed II a-t-il massacré Sainte-Sophie ? Faudrait-il remettre certaines de ces choses à leur état « original » ? Et qu'est-ce que c'est, d'ailleurs, que l'état « original » ? À quel moment exact la transformation devient-elle historique ? D'ailleurs, dans cet ordre d'idées, Victor Hugo a-t-il massacré Notre-Dame en plaquant dessus (dans notre imagination collective) une image romantique qui n'était pas celle qu'avaient ses bâtisseurs originaux ? Comment le palimpseste s'écrit-il ? Je n'ai pas de réponse à ces questions, mais je pense que ça vaut la peine d'y réfléchir.

Ajout () : Cet article de Didier Rykner dans La Tribune de l'Art défend notamment, comme corollaire de la charte de Venise, la reconstruction de la flèche de Viollet-le-Duc. C'est intéressant de voir que Viollet-le-Duc ne soit pas vilipendé : il faut croire que je me trompe en pensant qu'il était universellement honni. Ceci étant, la charte de Venise est elle-même sujette à critiques et controverses. Je n'ai personnellemnet aucun avis sur le fond, mais ce sont des questions intéressantes.

★ Concernant la question de la conservation, je pense que la tristesse collective dans un tel cas peut aider à faire comprendre un peu les enjeux et l'attachement qu'un geek peut avoir à la préservation de l'information (cf. la religion du copyisme) : dans tous les cas, il s'agit de préserver une forme de mémoire. Essayez de comprendre, si vous n'êtes pas adeptes du copyisme, que pour ceux qui le sont (et je suis, au moins, sympathisant), la destruction de certaines informations est comme l'incendie de Notre-Dame, une perte irréparable pour l'Humanité ; et réciproquement, l'incendie de Notre-Dame est une perte à cause de la destruction de l'information contenue dans le monument, et qu'on n'aura jamais fini d'extraire (on a des photos sous tous les angles, et on a, apparemment, des relevés LIDAR très précis, mais il y en aura toujours plus à relever quand la technologie s'améliorera : si Notre-Dame avait été détruite en 1944, on aurait eu des photos, mais rien à la hauteur de ce que nous avons maintenant comme informations à son sujet).

Bien entendu, je demande aussi que l'information qu'on a effectivement sur Notre-Dame soit rendue publique et facilement accessible sur Internet. Pour reprendre l'exemple des rosaces, j'aimerais bien savoir s'il en existe, publiquement accessibles sur Internet, des photos

  • de très haute résolution (quelque chose comme 10k×10k au minimum pour une rosace),
  • calibrées colorimétriquement (c'est-à-dire prises en éclairant les vitraux par un illuminant au spectre bien défini et par un capteur étalonné dont le profil colorimétrique ICC serait fourni) de façon à rendre les couleurs de façon exacte,
  • et accompagnées de mesures spectroscopiques de transparence peut-être pas point par point mais au moins une pour chaque couleur de pigment,

bref, le genre de choses tout à fait à la portée de notre technologie actuelle. Voilà ce que j'appellerais des données de qualité, et elles devraient être disponibles publiquement pour que tout un chacun puisse en faire usage (pas juste les spécialistes) ; idem pour les relevés LIDAR et toutes sortes d'autres choses. Et si ce n'est pas le cas je me demande un peu ce que fait le ministère de la culture et à quoi il sert (à part promouvoir le filtrage d'Internet pour « défendre les créateurs », mais je digresse).

Tous les objets physiques sont susceptibles d'être détruits : on ne peut pas l'éviter ; mais on peut chercher à capturer l'information qu'ils contiennent, avec toute l'exactitude que notre technologie permet, et à la préserver de façon peut-être un peu plus pérenne (ou au moins indépendamment d'eux ; ou au moins, on peut essayer) : c'est ce qu'il faut s'efforcer de faire et j'ai l'impression que les efforts dans ce sens sont encore vraiment insuffisants. (Cf. ce fil Twitter, plus ancien, et avec lequel je suis totalement d'accord, au sujet de l'incendie du musée national du Brésil après lequel on a un peu pathétiquement fait appel aux contributions des internautes pour rassembler des photos des collections.)

★ Bon, la dernière remarque toute bête que je voudrais faire concerne la notion de patrimoine de l'Humanité ou patrimoine mondial : on pourrait ergoter pour savoir si Notre-Dame fait partie du patrimoine français, parisien, européen, ou autre, sur la base de je ne sais quels critères liés à sa construction ou à l'art qu'elle révèle, mais je propose plutôt un autre critère, en l'occurrence, qui s'est ému de l'incendie. Et là, je n'ai pas un degré de cynisme tel que je penserais que les messages de sympathie reçus du monde entier (du type de ceux qui tournent actuellement sur les panneaux d'affichage de la mairie de Paris, et que je trouve vraiment assez touchants) soient de la pure hypocrisie : c'est à cause de ça que j'ai tendance à dire qu'il faut considérer ce monument comme faisant partie du patrimoine de l'Humanité.

J'ai d'ailleurs fait une remarque dans ce sens en réponse à ma députée sur Twitter. Elle a fait une remarque qui disait quelque chose comme oui mais j'ai l'impression que les mots Nation et Peuple sont plus facilement galvaudés et l'a ensuite effacée. Je ne sais pas ce qu'il faut en conclure.

★ Ajout ultérieur : Passant du patrimoine de l'Humanité au Domaine Public, il faut souligner un risque insidieux de cet incendie : si la toiture ou la flèche, plutôt qu'être reconstruites à l'identique, sont réimaginées par un architecte contemporain, il y aura des droits d'auteur dessus, et faute de liberté de panorama en France, on ne pourra donc plus utiliser librement les photos de Notre-Dame (postérieures à l'incendie), par exemple pour illustrer Wikipédia. Je pense que c'est un réel danger : on s'est déjà fait avoir en l'an 2000 en perdant le Domaine Public sur la Tour Eiffel la nuit (la tour elle-même est dans le Domaine Public mais pas l'éclairage nocturne, ce qui est d'une absurdité sans nom). De même, la pyramide du Louvre empêche d'utiliser librement des photos du Louvre. Ne laissons pas Notre-Dame se faire copyrighter aussi ! On pourra utiliser cette affiche qu'un copain a bricolée pour attirer l'attention sur le phénomène.

↑Entry #2593 [older| permalink|newer] / ↑Entrée #2593 [précédente| permalien|suivante] ↑

↓Entry #2592 [older| permalink|newer] / ↓Entrée #2592 [précédente| permalien|suivante] ↓

(lundi)

Quelques mots (essentiellement méta) sur l'intuitionnisme et les mathématiques constructives

Cela fait un certain temps que je me dis que je devrais écrire une ou plusieurs entrées sur ce blog sur des sujets tournant autour de la logique intuitionniste et des mathématiques constructives. La présente entrée est une sorte de TODO étendu où je mélange, de façon malheureusement confuse et désorganisée, des remarques introductives voire vulgarisatrices sur le sujet (et expliquant de quoi il est question), des remarques d'ordre méta (où je dis que je devrais parler de ceci ou de cela, ou bien me demande comment je pourrais le faire, ou encore me dis que je ne comprends pas bien telle ou telle chose) et des explications de fond assez disparates (et faites à des niveaux de prérequis, il faut bien le dire, complètement incohérents). Même l'ordre dans lequel je dis les choses est assez bizarre (à la limite, je me demande s'il ne vaut pas mieux lire cette entrée en commençant par la fin). Je pense que ça vaut quand même la peine de publier tout ça, en conseillant au lecteur de simplement sauter les passages qui lui semblent obscurs (puisque de toute façon il y a très peu de dépendances dans ce que je vais raconter).

En fait, au départ, je me suis surtout dit que ce serait intéressant d'écrire quelque chose sur le topos effectif et la réalisabilité de Kleene. Je peux au moins recopier l'introduction informelle que j'ai commencé à rédiger à ce sujet :

Pour dire très très très sommairement et très très très vaguement de quoi il est question,

  • un topos est une sorte de « monde mathématique alternatif » régi par les lois de la logique intuitionniste (une logique plus faible que la logique usuelle, ou classique, dans laquelle on a essentiellement supprimé la loi du tiers exclu qui affirme que toute formule logique est soit vraie soit fausse, ou, de façon équivalente, que tout ce qui n'est pas faux est vrai) ; de façon un peu plus précise, un topos est une catégorie (peu importe ce qu'est exactement une « catégorie ») qui possède un certain nombre de propriétés communes avec la catégorie des ensembles, ce qui permet d'y mener un certain nombre de constructions mathématiques usuelles, mais dont le comportement va néanmoins être différent sur un certain nombre de choses, et notamment la logique ; et
  • le topos effectif est un topos particulier qui présente un intérêt particulier en calculabilité : il présente un monde alternatif dans lequel toutes les fonctions ℕ→ℕ sont calculables, ce qui nous offre un regard neuf sur la calculabilité par rapport à sa présentation classique, où la logique intuitionniste éclaire ce que sont les raisonnements effectifs (voir à ce sujet cet article introductif d'Andrej Bauer, qui ne parle pas du topos effectif mais explique en quoi travailler en logique intuitionniste peut rendre plus facile ou plus naturelle la calculabilité).

Mais reculons d'un cran : pour parler du topos effectif, je me suis dit qu'il fallait d'abord que j'écrive quelque chose sur la réalisabilité de Kleene, qui en est en quelque sorte le prélude. (Si vous voulez savoir très très très sommairement et très très très vaguement de quoi il est question, S. C. Kleene a introduit dès 1945 une notion appelée « réalisabilité », en tentant de donner un sens précis à l'intuitionnisme, et — en très très très gros — le fait qu'une formule arithmétique φ soit « réalisable » [par un entier naturel n] signifie que n en apporte une sorte de « témoignage algorithmique », par exemple, si φ est une formule du type ∀x.ψ(x) affirmant que ψ(x) est vraie pour tout x, alors « réaliser » cette formule va se faire en apportant un programme qui prend en entrée un entier k et en sortie calcule un entier qui réalise ψ(k) ; pour un peu plus de détails, voir le début de cette question que j'ai posée sur MathOverflow, ou pour encore plus, voir le texte Realizability: An [sic] Historical Essay de Jaap van Oosten.) Le lien entre la réalisabilité de Kleene et le topos effectif est très fort : disons que le topos effectif est défini en cherchant une généralisation assez directe de la réalisabilité à des formules plus complexes que celles de l'arithmétique (et les formules arithmétiques qui sont réalisables sont exactement celles qui sont vraies dans le topos effectif).

Ajout : voir cette entrée ultérieure au sujet de la réalisabilité de Kleene, où je la définis proprement ; en voici depuis un sur la réalisabilité propositionnelle. Nouvel ajout : le billet sur le topos effectif est ici.

Bon, mais je me suis alors rendu compte que ce serait commencer in media res de parler du topos effectif ou même de réalisabilité si je ne commençais pas par parler d'intuitionnisme ou de mathématiques constructives. Et là, je suis embêté par le fait que j'ai à la fois trop de choses à dire et pas assez (trop, parce que ça touche à énormément de sujets ; pas assez, parce qu'en ce faisant ça touche aussi à trop de questions sur lesquelles je ne sais pas grand-chose).

Ajout : ce nouveau billet est une tentative de réécriture complète de celui qui suit, et il est peut-être plus clair (ou peut-être que les deux s'éclairent l'un l'autre, je ne sais pas).

La logique intuitionniste est une logique plus faible que la logique classique dans laquelle on s'interdit la loi du tiers exclu (qui dit que tout énoncé P est soit vrai soit faux ; c'est-à-dire : P∨¬P) ; cela revient essentiellement à s'interdire le raisonnement par l'absurde (ou plus exactement, le raisonnement par l'absurde de la forme je veux montrer P : supposons par l'absurde que P soit faux <…>, j'arrive à une contradiction, donc P ne peut pas être faux, c'est-à-dire qu'il est vrai — c'est la dernière partie qui coince en logique intuitionniste ; en revanche, on peut toujours dire je veux montrer que P est faux : supposons par l'absurde que P soit vrai <…>, j'arrive à une contradiction, c'est-à-dire que P est faux, parce que P est faux signifie précisément que la vérité de P est absurde). Faire des maths sans le tiers exclu peut ressembler à un exercice aussi futile qu'essayer de boxer avec les deux mains attachées derrière le dos, et dans une certaine mesure ça y ressemble effectivement, mais cela présente néanmoins un certain intérêt : non seulement c'est intéressant du point de vue de la pure logique de se demander ce qu'on peut faire sans cet axiome (et cette question a des connexions inattendue avec toutes sortes d'autres parties des mathématiques) ; mais par ailleurs, une démonstration en logique intuitionniste apporte véritablement plus de contenu qu'une démonstration classique : pour commencer, elle est valable de façon plus large (et notamment dans les topoï [pluriel de topos]), mais aussi, elle est constructive (au moins si on part de certains axiomes), c'est-à-dire qu'elle exhibe les objets dont elle affirme l'existence.

Une des idées centrales des maths constructives (qui sont à peu près, quoique pas forcément exactement, la même chose que les mathématiques exercées dans le cadre de la logique intuitionniste) est que si on veut prouver P ou Q (en symboles, PQ), il devrait être suffisant mais aussi nécessaire de prouver soit P, soit Q (et notamment, de savoir lequel des deux est vrai !) : ceci va manifestement complètement à l'encontre du tiers exclu qui postule que pour tout énoncé P, soit P est vrai soit ¬P l'est, sans qu'on puisse forcément trancher lequel (et parfois, effectivement, on ne peut prouver ni l'un ni l'autre). De même, si on veut prouver il existe un x tel que P(x) (en symboles, ∃x.P(x)), il devrait être suffisant mais aussi nécessaire d'exhiber un x pour lequel on peut prouver P(x) : de nouveau, ceci va à l'encontre des raisonnements par l'absurde qui ressemblent à supposons qu'aucun tel x n'existe <…>, j'arrive à une contradiction, donc un tel x doit exister (mais au final ne donnent aucune information pour en construire un).

Ajout () : Juste après avoir publié cette entrée je me rends compte que j'ai oublié d'insérer un paragraphe que je comptais écrire sur l'interprétation de Brouwer-Heyting-Kolmogorov qui tente d'expliquer au moins informellement le sens des connecteurs de la logique intuitionniste. Spécifiquement, il s'agit de variations autour des explications suivantes :

  • une preuve de PQ (conjonction) est un couple formé d'une preuve de P et d'une de Q,
  • une preuve de PQ (disjonction) est la donnée d'une preuve de P ou d'une preuve de Q (avec, bien sûr, l'information de laquelle des deux),
  • une preuve de PQ (implication) est une manière de transformer une preuve de P en une preuve de Q,
  • une preuve de ⊤ (le vrai) est triviale,
  • une preuve de ⊥ (le faux) n'existe pas,
  • une preuve de ∀x.P(x) est une manière de transformer un x en une preuve de P(x),
  • une preuve de ∃x.P(x) est la donnée d'un t particulier et d'une preuve de P(t).

↑Entry #2592 [older| permalink|newer] / ↑Entrée #2592 [précédente| permalien|suivante] ↑

↓Entry #2591 [older| permalink|newer] / ↓Entrée #2591 [précédente| permalien|suivante] ↓

(mercredi)

Une tentative pour écrire un Unicode pour les nuls

Méta : Le but de cette entrée serait idéalement de dégager une sorte de document que je voudrais appeler Unicode pour les nuls : l'idée serait d'avoir quelque chose de compréhensible par le grand public (disons par tout le monde ayant une connaissance minimale de l'usage d'un ordinateur — savoir faire du copier-coller par exemple) et qui présente les choses que je voudrais que tout le monde sût à propos d'Unicode (ce que c'est, à quoi ça sert, pourquoi ça existe, mais aussi quel impact ça peut avoir sur eux — notamment au niveau sécurité — et comment s'en servir). Évidemment, un tel document n'aurait vraiment de sens que dans le cadre plus général d'une formation aux bases de l'informatique pour le grand public (qui expliquerait, par exemple, dans un de ses chapitres, ce qu'est le Web et l'idée générale d'un navigateur Web, ce qu'est une URL et une page Web, ce genre de choses, pour pouvoir notamment donner des conseils de sécurité), mais je n'ai ni le temps ni la patience d'essayer d'écrire un tel cours, alors je me contente de réfléchir à une toute petite brique, celle concernant Unicode. (Et encore, je vais plutôt décrire ce que j'imagine qu'il faudrait écrire que l'écrire vraiment.) • Pourquoi spécifiquement Unicode ? D'abord parce que je pense que c'est un low-hanging fruit (le grand public a beaucoup à gagner pour peu d'efforts à en savoir un peu sur le sujet) ; mais aussi pour une raison égoïste, qui est que ça m'agace, quand j'interagis avec des gens électroniquement, de me retrouver à lire ou à répondre à des choses comme comment tu fais pour écrire ℝ dans un message sur Twitter ? (enfin, justement, on va plutôt me demander comment je fais pour écrire un R double barre (i.e., gras-tableau-noir) ; et ce qui m'énerve franchement, ce sont les gens qui écrivent |R pour essayer d'imiter ce ), ou bien je ne sais pas taper l'e-dans-l'o, ce n'est pas sur mon clavier, et je ne parle pas de choses comme ça.

Cette entrée ne se veut pas finie, et pose notamment la question aux lecteurs techniquement compétents de ce qu'il faudrait encore y dire, ou comment rendre les choses plus accessibles à Madame Michu et Monsieur Dugenou. (Mais à vrai dire, j'aurai certainement perpétuellement la flemme de compléter ce texte. Comme j'aurai la flemme de simplifier les passages où je me suis entraîné à dire des choses trop compliquées. Je suis quand même intéressé par les retours d'éventuels Madame Michu et Monsieur Dugenou qui tomberaient sur ce texte, pour qu'ils me disent ce qui leur semble pas clair ou à améliorer dedans.)

Bref. Qu'est-ce que je veux faire comprendre au grand public concernant Unicode ? Principalement les passages en gras dans ce qui suit (mais aussi, quand même, ce qui est entre les passages en gras…) :

Premièrement, bien sûr, ce que c'est : Unicode est un standard informatique définissant un jeu de caractères (mais aussi des conventions sur comment gérer ces caractères) permettant de représenter un nombre gigantesque de langues différentes ainsi qu'une masse énorme de symboles variés (dont les fameux emojis qui sont peut-être maintenant ce qui rend Unicode le plus célèbre auprès du grand public). Il faudrait peut-être ajouter ici des exemples de langues gérées par Unicode et de mots écrits dans ces langues, mais disons que quasiment tous les systèmes d'écriture de langues encore vivantes sur Terre et un bon paquet de langues mortes et quelques langues artificielles (whatever that means) sont représentables par Unicode. Quant aux symboles, ils couvrent toutes sortes de pictogrammes courants, de symboles techniques dont un nombre énorme de symboles mathématiques, mais aussi, tout simplement, beaucoup de signes de ponctuation un peu bizarres ou exotiques.

Maintenant, le problème avec cette présentation, c'est que si on dit ça au grand public, il va avoir tendance à penser immédiatement OK, mais ça ne me concerne pas / ne m'intéresse pas, parce qu'il n'a pas spécialement envie de taper du phénicien ; et il y a le problème annexe qu'il risque de s'imaginer qu'Unicode est un truc compliqué et exotique, peut-être une application à installer en plus sur son ordinateur, ou quelque chose de ce genre. En réalité, il faut faire comprendre au grand public qu'il est forcément concerné au moins pour la raison idiote que dès lors qu'il tape bonjour sur son clavier, ce sont des caractères Unicode (ni plus ni moins que здравствуйте ou أَلسَّلَامُ عَلَيْكُمْ ou 你好 ou नमस्ते ou encore 😃🤝❣️ — que vous voyez peut-être, ou peut-être pas, comme des lettres cyrilliques, des lettres arabes, des idéogrammes chinois, des lettres devanāgarī et des emojis).

Il y aurait peut-être lieu de faire un petit historique et de rappeler qu'à une époque reculée où la lumière d'Unicode ne baignait pas le monde informatique, à cause de limitations sur le nombre de caractères qu'on s'autorisait à prendre, il y avait toutes sortes de jeux de caractères différents : un tel pour l'alphabet latin utilisé par les langues de l'ouest de l'Europe, un autre pour l'alphabet latin des langues de l'est de l'Europe, un pour l'alphabet cyrillique (plusieurs, en fait), et ainsi de suite. Un vrai chaos, dans lequel un document texte risquait sans cesse d'être mal interprété (voir par exemple cette photo d'une carte postale manuscrite dans lequel le nom de la ville russe d'Екатеринбург [Ekaterinburg] se transforme en l'incompréhensible Åêàòåðèíáóðã parce que les jeux de caractères CP1252 et CP1251 ont été confondus), et on ne pouvait pas mélanger des bouts de langues trop différentes dans un même document. Ce n'est pas pour dire que ce genre de confusions n'arrive plus du tout, mais disons que les problèmes ont été sérieusement circonscrits, et en tout cas on peut mélanger sans problème plusieurs langues dans un même texte (y compris le mot russe Екатеринбург et le charabia Åêàòåðèíáóðã), cette page Web en étant la preuve. Mais je ne suis pas sûr que le grand public soit tellement intéressé par les considérations historiques de ce genre. Ça vaut peut-être tout de même la peine de signaler qu'essentiellement tous les jeux de caractères qui préexistaient à Unicode ont été absorbés dans celui-ci, c'est-à-dire que tous leurs caractères font partie d'Unicode (ce qui est parfois malheureux parce que cela donne toutes sortes de caractères dont on ne voudrait pas forcément, par exemple un symbole micro ‘µ’ différent de la lettre mu ‘μ’ — voir plus bas au sujet des caractères visuellement indiscernables).

En revanche, ce que je crois important de souligner, c'est que de nos jours, Unicode est partout : dans l'immense majorité des situations où un ordinateur manipule des chaînes de caractères (i.e., du texte), ces caractères sont des caractères Unicode. Les pages Web sont en Unicode ; les adresses des pages Web sont (ou au moins, peuvent être) en Unicode ; les mails sont en Unicode (pour les adresses mail, c'est plus discutable) ; les documents Word ou LibreOffice sont en Unicode ; les recherches Google / Bing / DuckDuckGo / etc. sont faites en Unicode ; Wikipédia est en Unicode ; les tweets sont en Unicode ; même les SMS sont en Unicode (même s'il y a là quelques subtilités qui font que tous les caractères ne se valent pas) ; sur beaucoup de systèmes d'exploitation, les noms de fichiers sont en Unicode ; et ainsi de suite. (Il y a bien sûr des exceptions : les compagnies aériennes n'utilisent certainement pas Unicode dans leur système de réservation antédiluvien, et si votre nom comporte des caractères bizarres, vous le savez certainement au moment d'essayer de prendre un billet.)

Le grand succès d'Unicode, c'est l'interopérabilité : dès lors que tout le monde est d'accord sur ce qu'est un caractère (en refilant l'embarras de la décision à Unicode), on peut considérer que la notion de chaîne de caractères est actée à travers l'informatique, et on peut échanger cette donnée sans trop se poser de questions.

Et par voie de conséquence, dans chacun des cas évoqués plus haut, si vous pouvez utiliser des mots de l'alphabet latin comme bonjour (et certainement si vous pouvez utiliser des emojis), vous pouvez aussi utiliser, ou au moins essayer d'utiliser, toutes sortes d'autres caractères, notamment toutes sortes d'autres écritures. (Par exemple, aucun besoin de passer par « Google Inde » pour chercher नमस्ते dans Google.) Je vais revenir plus loin sur la question de comment on peut saisir ces caractères (si on ne les a pas sur le clavier…), mais je réponds là implicitement à des gens qui s'étonnaient que je puisse utiliser des caractères mathématiques comme ℝ dans mes tweets ou même dans des SMS. Ce sont des caractères Unicode comme les autres, c'est vraiment ça la beauté du système.

Bien sûr, je ne prétends pas que tous les caractères Unicode seront acceptés partout : il peut y avoir plein de raisons d'en interdire certains ou d'en limiter d'autres, ou de ne pas les traiter également. Mais normalement, ce genre de limitations est fait pour des raisons de sécurité ou parce que les caractères sont utilisés pour un sens précis (par exemple, si le caractère ‘/’ est utilisé pour séparer les répertoires dans les noms de fichier, il ne peut pas servir à l'intérieur d'un nom de fichier, vous voyez l'idée) : ce sont donc plutôt des exclusions au cas par cas que le contraire.

Et ce qui est peut-être le plus important : le copier-coller de texte est en Unicode sur tous les systèmes informatiques modernes, ce qui permet de prendre des caractères Unicode d'un endroit (même si on ne sait pas les taper/saisir) et de les reproduire à un autre endroit. Ceci permet déjà au moins de faire des recherches Web de termes de langues exotiques même si on ne sait pas écrire les langues en question, c'est déjà quelque chose d'important à comprendre. (Bon, il faut quand même signaler qu'il arrive que le copier-coller fasse toutes sortes de modifications subreptices sur le texte qu'on copie-colle et cause ainsi des complications, mais c'est au moins un point de départ.) De même, pour ceux qui me demandent comment ils peuvent envoyer un ℝ par SMS, ils peuvent au moins le faire en sélectionnant ce ℝ depuis cette page-ci consultée sur leur mobile, en utilisant copier pour enregistrer le caractère en question dans le presse-papier, et en faisant coller pour mettre le caractère dans un SMS. Il y a possiblement plus simple, mais il est bon d'avoir ce genre de solution en tête (ça me semble tellement évident que j'ai du mal à concevoir qu'on puisse ne pas y penser, mais j'ai observé que tout le monde n'y pense pas forcément, donc je préfère enfoncer les portes ouvertes).

Bon, maintenant, essayons d'être un peu plus précis. Quelques choses que je pense qu'il faut savoir sur les caractères Unicode :

↑Entry #2591 [older| permalink|newer] / ↑Entrée #2591 [précédente| permalien|suivante] ↑

↓Entry #2590 [older| permalink|newer] / ↓Entrée #2590 [précédente| permalien|suivante] ↓

(mardi)

Encore une tentative pour expliquer Gödel

Méta : J'ai écrit un fil un peu long sur Twitter pour tenter d'expliquer le théorème de Gödel, qui reprend grosso modo des idées de cette entrée passée (au moins la partie sur Gödel de celle-ci) mais en mettant l'accent un peu différemment et donnant plus de détails sur les conditions de prouvabilité. Comme ça peut être un complément intéressant et que tout le monde n'aime pas le format Twitter, je reproduis ici ce que j'y ai dit, en reformatant un minimum (en revanche, mon style sur Twitter est sans doute un peu différent de mon style sur ce blog, et je n'ai pas le courage de reformuler plus qu'a minima) :

Je fais d'abord une tentative pour lever la confusion au sujet formalisme. Quand on formalise les [raisonnements] mathématiques, on les décrit sous forme de manipulations de suites de symboles (« syntaxe ») qui obéissent à des règles bien précises. Il est évident que si on demande que les règles de raisonnement elles-mêmes soient formalisées en mathématiques, on a une régression infinie : si quelqu'un prétend ne comprendre que ce qui est formel, c'est turtles all the way down, on ne peut rien démarrer… Pour que le bootstrap soit possible, il faut bien accepter l'idée de décrire les règles de manipulation de la logique en français, ou en faisant appel à des notions mathématiques elles-mêmes pas formalisées (mais néanmoins précises) ! (Refuser cette idée ce serait comme refuser qu'on puisse jouer aux échecs sous prétexte que les règles des échecs n'ont pas été formalisées dans ZFC. Or personne ne pense qu'on a besoin de ZFC pour jouer aux échecs !)

En revanche, ce qu'on peut faire, c'est une fois qu'on a accepté ces règles et construit un système formel avec, utiliser ce système formel pour revisiter (« refléter ») les règles, cette fois-ci formellement : autrement dit, on reconstruit tout le système qu'on a déjà construit, mais on le fait cette fois-ci à l'intérieur du système « externe » qui a été construit informellement. Il y a une mise en abyme. Je parlerai de système interne pour celui qu'on construit ainsi.

Typiquement, ça se fait avec un truc appelé codage de Gödel : si le système externe contient l'arithmétique, on dit qu'on peut refléter toutes les règles formelles comme des manipulations arithmétiques pour fabriquer le système informel. Le code de Gödel d'une formule, c'est l'entier qui représente cette formule (et qui devient, du coup, manipulable par le système externe). Du coup les énoncés comme P est prouvable (qui sont, à la base, informels, parlant du système externe) deviennent des énoncés formels du système externe et qui parlent du système interne. Des énoncés arithmétiques. (Je noterai P plus bas pour P est prouvable.)

Et là, il y a une sorte de postulat épistémologique, qui est que ce que :

Les règles du système interne (formalisées dans le système externe) reflètent correctement les règles du système externe lui-même.

Donc si on croit que le système externe ne dit pas de conneries, et s'il dit que le système interne ne peut pas prouver <ceci-cela>, alors effectivement le système externe ne peut pas prouver <ceci-cela>. (Un ultra-formaliste pourrait rejeter ce postulat et dire : pour moi, les maths formelles sont juste un jeu typographique dénué de sens, le système externe ce sont les règles du jeu, le prétendu système interne n'a pas de sens, pas plus qu'aucun énoncé du jeu. Mais en vrai, les gens font des maths parce qu'ils croient qu'une preuve du fait que 2+2=4 apporte quelque information sur le monde réel, donc il y a bien une connexion entre le système externe, qui vit dans le monde réel, et le système interne, formalisé.)

Accessoirement, les systèmes externe et interne n'ont pas vraiment besoin d'être les mêmes : en fait on a besoin de très peu d'axiomes pour faire fonctionner Gödel. Mais je ne sais pas si ça aide de dire ça. Donc restons dans l'idée que ce sont « les mêmes ».

Maintenant, de quels ingrédients a-t-on besoin pour prouver Gödel ? On a besoin des trois « conditions de prouvabilité de Hilbert-Bernays » (que je noterai (A), (B), (C)), et de l'astuce de Quine. Expliquons ça successivement :

Les conditions de prouvabilité de Hilbert-Bernays remplacent le postulat épistémologique dont j'ai parlé plus haut par quelque chose de précis et de formel. En gros, elles font le lien entre les niveaux externe et interne (et interne², cf. plus bas).

Première chose : (A) si le système externe prouve un énoncé P, alors il prouve que le système interne prouve P [ou plutôt, le code de Gödel de P]. Pourquoi ? Parce que si on a une preuve de P, on peut « refléter » cette preuve : la réécrire comme une preuve formelle dans le système interne, et ceci fournit une preuve de son existence dans le système externe. Bien sûr, tout ce que je viens de dire est informel, puisque (A) est par essence informel ! Mais si on applique ça à un P bien précis et une preuve de P formelle explicite, la recette que je viens de dire donne une preuve tout à fait explicite et formelle (dans le système formel externe) de l'existence d'une preuve dans le système interne. Donc, si on veut, (A) est un métathéorème informel : en soi il n'est pas formel, mais il s'instancie en des théorèmes formels (du système externe) dont on a la recette de construction.

Maintenant on peut refaire tout ça avec un niveau de plus (on a alors trois systèmes : l'externe est informel, l'interne est formalisé dans le système externe, et l'interne² dans le système interne — ça s'arrêtera là) : Tout ce que j'ai dit sur le (A) vaut de nouveau et donne, cette fois, une preuve formelle (dans le système externe) du fait (B) suivant : si le système interne prouve P alors il prouve que le système interne² prouve P. Cette fois c'est un vrai théorème du système externe, pas juste un métathéorème informel.

Enfin, (C) dit que si le système interne prouve [le code de Gödel] de PQ et [celui de] P, alors il prouve [celui de] Q. Ça c'est juste le fait qu'on a la règle de modus ponens dans le système interne (c'est presque une définition).

Bref, si je note □P l'énoncé (du système externe) qui dit qu'il existe une preuve de P dans le système interne, mes conditions de prouvabilité sont :

  • (A) si P est un théorème alors □P en est un,
  • (B) □P⇒□□P est un théorème,
  • (C) □(PQ)⇒□P⇒□Q est un théorème

(tous ces théorèmes dans le système externe ! et ce, quels que soient les énoncés P et Q).

Maintenant, l'astuce de Quine (en fait, le procédé diagonal), c'est quelque chose qui permet de fabriquer un énoncé G tel que G⇔¬□G (démontrablement dans le système externe !), autrement dit un énoncé qui dit je ne suis pas un théorème.

L'astuce fonctionne exactement comme la manière dont on écrit des programmes qui écrivent leur propre code, chose que j'explique en détails dans cette page web consacrée aux quines. On fabrique une formule R(x) (du système externe) qui dit si x est une formule du système interne ayant une variable libre, et qu'on remplace cette variable par le code de Gödel de x elle-même, alors le résultat n'est pas un théorème (du système interne), ou de façon encore plus informelle, R(x) signifie x(‘x’) n'est pas un théorème (soit ¬□x(‘x’)) en notant ‘x’ le code de Gödel de x. Mais du coup, R(‘R’) équivaut à R(‘R’) n'est pas un théorème (soit ¬□R(‘R’)), et c'est ça que je note G.

[Ajout par rapport au fil Twitter:] Dans la présentation informelle proposée par Hofstadter, G est en gros la phrase suivante : Si on prend le morceau de phrase suivant et qu'on le fait suivre (après deux points) de lui-même entre guillemets, on obtient quelque chose qui n'est pas un théorème : Si on prend le morceau de phrase suivant et qu'on le fait suivre (après deux points) de lui-même entre guillemets, on obtient quelque chose qui n'est pas un théorème — l'astuce est de dire cet énoncé n'est pas un théorème sans passer par une référence à cet énoncé que notre système formel ne permet pas de faire ; ceci est exactement parallèle au mécanisme des quines qui permettent de coder imprimer ce programme dans un langage qui ne permet pas une référence à ce programme.

Une fois qu'on a ces ingrédients, la preuve de Gödel est pure manipulation formelle. Tout le raisonnement est tenu dans le système externe (mais parle du système interne — voire interne² quand il y a des □□) :

Supposons □G. Alors □□G d'après (B). Mais la preuve (explicite !) de G⇒¬□G donne □(G⇒¬□G) d'après (A). Or □G et □(G⇒¬□G) donnent □¬□G par (C). Or □□G et □¬□G (i.e. □(□G⇒⊥)) donnent □⊥ d'après (C). Bref, on a prouvé □G⇒□⊥ soit ¬□⊥⇒¬□G. C'est-à-dire (qu'on a prouvé dans le système externe) que si le système interne prouve G alors il prouve ⊥ (c'est-à-dire 0=1). I.e., si le système interne est consistant (¬□⊥), il ne peut pas prouver G (soit : ¬□G)… …donc G, qui équivaut à ¬□G, est vrai ! (c'est-à-dire, est un théorème du système externe, prouvé sous l'hypothèse (¬□⊥) que le système interne est consistant. C'est le premier théorème d'incomplétude.

Maintenant, en appliquant (A) à cette preuve (explicite !) de ¬□⊥⇒¬□G, on obtient □(¬□⊥⇒¬□G) donc □¬□⊥⇒□¬□G (par (C)). Comme ¬□GG donne □(¬□GG) par (A) donc □¬□G⇒□G par (C), les implications □¬□⊥⇒□¬□G, □¬□G⇒□G et □G⇒□⊥ mises bout à bout donnent finalement □¬□⊥⇒□⊥, ou encore ¬□⊥⇒¬□¬□⊥. C'est le second théorème d'incomplétude : si le système (interne) est consistant (¬□⊥) alors il ne prouve pas la consistance du système interne² (¬□¬□⊥). Et comme en fait tous ces systèmes sont le même, le postulat épistémologique évoqué ci-dessus permet de lire ce théorème formel ¬□⊥⇒¬□¬□⊥ sous la forme si Peano est consistant, il ne prouve pas sa propre consistance (idem pour ZFC).

Évidemment, l'ultra-formaliste dont j'ai parlé plus haut objectera et dira que j'ai juste prouvé un énoncé cabalistique ¬□⊥⇒¬□¬□⊥ sans aucun sens dans le monde réel et qui ne dit rien sur mon système externe (lequel vit dans le monde réel). Mais si on croit que les « vrais » entiers naturels ont un sens et que Peano en dit des choses vraies, on est forcé de conclure que Peano est incomplet et ne sait pas prouver certaines choses vraies (essentiellement, il ne sait pas qu'il dit lui-même la vérité).

↑Entry #2590 [older| permalink|newer] / ↑Entrée #2590 [précédente| permalien|suivante] ↑

↓Entry #2589 [older| permalink|newer] / ↓Entrée #2589 [précédente| permalien|suivante] ↓

(lundi)

Les gens qui ne savent pas faire la queue m'énervent

Je ne sais pas si c'est le cas dans beaucoup d'autres pays ou si c'est spécifiquement français (voire spécifiquement parisien, mais je me hasarde à généraliser au moins à la France), mais les Français n'arrivent décidément pas à comprendre le concept d'une queue unique (par queue je veux dire file d'attente) :

Ça me semble la seule façon rationnelle d'attendre quand il y a n guichets interchangeables (par exemple, des caisses de supermarché) : plutôt que prendre position à un de ces guichets et risquer d'attendre très longtemps parce que par hasard une personne devant nous prendrait énormément de temps, de mutualiser les risques de délais entre tous les guichets à la fois par la création d'une queue unique.

C'est ce que j'essaye de faire à chaque fois que la disposition des lieux le permet (par exemple, si chacun des guichets sert un client, en me mettant un peu en retrait de façon à montrer que j'attends le premier qui se libérera, et parfois je me mets même ostensiblement à la fin de deux queues à la fois). Et régulièrement, il y a quelqu'un qui cherche à passer devant moi en se mettant ostensiblement devant un guichet précis, ou bien me demande d'un ton comminatoire dans quelle queue je suis, voire m'ordonne de choisir (sur un ton qui suggère qu'il me considère comme une sorte de tricheur), ou quelque chose comme ça. Je comprends que la deuxième personne d'une file unique soit souvent défavorisée par rapport au cas où la première personne serait obligée de s'engager sur tel ou tel guichet où attendre, mais tout de même, cette réticence à créer une queue unique m'afflige.

Et c'est le cas même si ce n'est pas moi qui la crée mais le commerçant qui essaye de l'organiser. La pharmacie que je fréquente au centre commercial Italie 2 essaye de le faire pour les ordonnances, et il y a souvent des gens qui, malgré les petites pancartes, ne comprennent pas ou feignent de ne pas comprendre (même si une réorganisation des lieux a aidé). La Fnac du même centre arrive à forcer les clients à faire une queue unique, mais c'est à grand renfort de barrières et d'écrans qui invitent le client suivant à patienter, puis à se rendre à telle ou telle caisse qui vient de se libérer.

J'en suis notamment désolé quand il s'agit de la queue au self de l'école où je travaille : manifestement, elle a beau être peuplée en bonne partie de scientifiques, personne ne semble arriver à se décider à faire une queue unique.

J'en viens à un type différent de queue : les embouteillages.

Voici la manière dont il faut conduire dans un embouteillage pour essayer de ne pas empirer, voire, de résorber, le problème :

  1. Ne pas changer de file, sauf s'il y a une vraie bonne raison de le faire (essentiellement, si on doit sortir ou si la route bifurque). Notamment, ne pas changer de file sous prétexte que la file d'à côté a l'air de mieux rouler — de toute façon, c'est une illusion.
  2. Essayer de rouler à vitesse constante, sans accélérer ni freiner (cf. ci-dessous).

Le premier point est assez clair. Ce serait déjà bien si les Français arrivaient à comprendre ne serait-ce que celui-ci (de nouveau, je suppose que ce n'est pas spécifiquement français, de ne pas comprendre ça, mais j'ai quand même tendance à penser que les Français comptent un nombre insupportablement élevé de cons qui n'arrêtent pas de changer de file pour gratter un mètre). Le second point est un chouïa plus subtil.

Le problème principal avec les embouteillages est celui des ondes de compression : la manière dont une voiture réagit à la voiture devant elle est une sorte de liaison élastique, et l'ensemble des voitures circulant sur la route est un milieu (ni vraiment solide ni vraiment fluide) dans lequel peuvent circuler des ondes de compression. Il y a évidemment des embouteillages qui sont « vraiment dus à une raison identifiable », par exemple un accident ou des jonctions ou séparations de voies, mais autour d'une certaine densité critique (que je ne connais pas et dont je ne sais pas si elle est bien connue — mais mon but dans cette entrée est de râler, pas de mener une analyse mathématique précise de la circulation automobile, même si c'est assurément passionnant), ces ondes de compression se forment au moindre déclencheur, qui peut être une raison identifiable (à laquelle l'onde persistera) ou un petit hasard (quelqu'un a donné un coup de frein sans raison, celui derrière donne le même coup de frein un peu après, et ainsi de suite). Voir par exemple cette vidéo pour une expérience réelle menée à ce sujet. Généralement (presque toujours ? je ne suis pas sûr), les ondes de compression circulent en sens inverse des voitures elles-mêmes.

Le comportement vertueux, c'est de conduire différemment pour ne pas avoir une liaison élastique (ou au moins, atténuer ses effets) avec la voiture qui précède. Certains préconisent (par exemple ici) de garder une distance égale avec la voiture derrière et la voiture devant (c'est-à-dire de chercher à être à mi-chemin entre elles), mais je propose plutôt ceci : chercher à rouler à vitesse aussi constante que possible — essentiellement, la vitesse moyenne du trafic. Concrètement, il s'agit essentiellement de ne réaccélérer que très progressivement quand on voit les voitures devant soi repartir, quitte à laisser un grand intervalle se creuser, et utiliser cet intervalle comme tampon quand les voitures devant freineront de nouveau : si on parvient à maintenir une vitesse constante, on aura alors absorbé ce freinage et donc fait disparaître l'onde de compression (laquelle sera transformée en oscillations de la taille de l'intervalle qu'on a devant soi, lesquelles ne se propageront pas plus loin). On cherche donc à trouver une vitesse qu'on peut soutenir en permanence, sans accélérer ni freiner (évidemment, la sécurité impose parfois de freiner, mais si c'est le cas c'est qu'on a surévalué la vitesse et on cherchera à la réduire un peu en redémarrant doucement ; si l'intervalle devant devient vraiment démesuré, on fera le contraire). Idéalement, on voudrait ne jamais avoir à toucher à la pédale de frein.

En outre, cette façon de faire permet de diminuer sa consommation de carburant puisqu'on consomme moins (à distance parcourue donnée) à vitesse constante qu'en freinant et accélérant en alternance. (Évidence physique : freiner, c'est dissiper sous forme de chaleur toute l'énergie cinétique que le moteur aura utilisé du carburant à produire.)

Mon poussinet pratique ce comportement avec énormément d'insistance, moi je ne suis pas aussi puriste que lui, mais j'essaye tout de même de suivre cette idée.

Évidemment, quand on conduit de la sorte et qu'un grand intervalle se creuse devant soi, les autres automobilistes s'énervent : ceux derrière vous klaxonnent parce qu'ils ne comprennent pas pourquoi on n'avance pas plus vite, et ceux sur le côté changent souvent de voie (montrant ainsi qu'ils ignorent le premier point ci-dessus) pour s'insérer dans le vide dégagé (natura abhorret vacuum). C'est là que je suis moins puriste que mon poussinet : dans ces conditions, je me laisse influencer et je réduis un peu le trou (surtout que je me dis qu'inciter les automobilistes à déboîter met en danger les motards qui feraient de l'interfile dans cet embouteillage), mais lui continue imperturbablement à la même vitesse, et de fait, même si des gens se jettent sur le trou, cela contribue à fluidifier l'ensemble du trafic.

Malheureusement, très peu de gens semblent comprendre, ou à plus forte raison appliquer, cette stratégie. Il est dommage qu'on ne l'enseigne pas dans les auto-écoles. (J'ai cependant vaguement l'impression que les poids lourds ont tendance à l'appliquer, mais je ne sais dans dans quelle mesure c'est conscient, ou simplement parce qu'ils cherchent pour d'autres raisons à garder constante leur vitesse.) Il me semble qu'il suffirait d'une proportion assez faible d'automobilistes qui la suivent pour améliorer énormément certaines conditions de circulation : donc je me dis qu'une campagne de sensibilisation des pouvoirs publics pourrait avoir un sens.

↑Entry #2589 [older| permalink|newer] / ↑Entrée #2589 [précédente| permalien|suivante] ↑

↓Entry #2588 [older| permalink|newer] / ↓Entrée #2588 [précédente| permalien|suivante] ↓

(mardi)

Encore des emmerdes de chauffe-eau

La majorité des tracas liés à l'appartement que je partage avec mon poussinet semblent être des problèmes de chauffe-eau : celui que nous avons actuellement date de 2006, ce qui n'est pas si vieux, la résistance a été changée en 2011 parce qu'elle fuyait du courant et faisait sauter le différentiel, puis de nouveau en 2015 suite à des problèmes différents, et voilà que le chauffe-eau fait de nouveau sauter le différentiel et nous avons dû le couper.

Comme d'habitude avec ce genre d'emmerdes, ça tombe toujours au mauvais moment. Par exemple au moment où le poussinet, qui est plus doué que moi question bricolage, doit partir quelques jours à Londres. (On peut toujours se consoler en se disant que les Anglais ont en ce moment des problèmes évidemment bien plus graves que mes petites histoires de chauffe-eau, mais j'ai toujours trouvé que les arguments du calibre ça pourrait être pire ou les problèmes de <X> sont bien plus graves sont profondément cons et, en tout cas, ne sont d'aucune sorte de réconfort.)

Il est peut-être temps de changer le chauffe-eau dans son ensemble : même si l'eau de Paris est très calcaire, il est intolérable qu'un truc auquel on demande juste de réchauffer de l'eau ne soit pas foutu de tenir cinq ans sans nécessiter une intervention. (Il y a une anode sacrificielle en magnésium qui doit protéger la résistance de la corrosion : manifestement, ça n'a pas l'air de marcher si bien que ça.)

À la limite, changer la résistance du chauffe-eau n'est pas, en soi, très compliqué (si on est sûr que ça suffise, ce qui n'est pas garanti) ; il y a surtout l'anxiété de savoir si le joint (qui doit être remplacé à chaque fois) sera bien posé et bien étanche. Mais ce qui est aussi pénible c'est que, vu comme notre ballon est placé, il faut pour presque toute intervention (et peut-être celle-là en particulier) démonter une partie du placard où il se trouve, et pour ça il faut vider ce placard qui contient une quantité faramineuse d'affaires à sortir, donc, et à reranger ensuite. Il faut aussi passer un temps fou à vidanger le ballon en surveillant que le groupe de sortie (qui est une salle merde) ne fuit pas. Bien sûr, ce serait pareil pour changer le chauffe-eau, avec le tracas supplémentaire de trouver un plombier-électricien honnête et compétent (la perle rare), de demander plusieurs devis, de comparer, et tout ça en vivant sans eau chaude. Mais au moins, si on fait changer le chauffe-eau, on peut espérer avoir quelque chose qui ne pose pas problème tous les quatre-cinq ans ; et peut-être même, qui soit agencé de façon qu'on puisse intervenir dessus sans démonter le placard. Sauf si en fait tous les chauffe-eau à ballon sont aussi nuls : je n'en sais rien.

Et en attendant, il faut que je trouve une solution de repli. Je suis du genre d'une part à prendre deux douches par jour, et d'autre part à trouver excessivement pénible de me laver à l'eau froide ne serait-ce que les mains. Nous pourrions aller vivre chez mes parents à Orsay, ce que j'avais fait lors des précédents problèmes de chauffe-eau, mais j'ai trop de choses à faire à Paris en ce moment (et accessoirement, la voiture est au garage). Nous pourrions aller vivre chez mes beaux-parents qui sont à Paris, mais ils sont eux-mêmes dans les cartons/travaux. Je pourrais prendre des douches à mon club de gym qui est à deux pas, mais ils ont eux-mêmes l'air d'avoir l'eau chaude seulement les jours pairs, et ils ferment plus tôt que l'heure à laquelle je prends normalement mes douches (et aussi, c'est un peu con, mais je ne comprends pas bien comment on est censé se débrouiller pour tenir la clé du casier où on range ses affaires pendant qu'on prend une douche).

(Et il n'y a pas que pour se laver soi-même. Pour laver la vaisselle, j'ai aussi besoin d'eau chaude, et là, je ne vais pas apporter ma vaisselle sale chez mes parents ou chez mes beaux-parents ou à mon club de sport.)

Bref, #FirstWorldProblems.

Mise à jour () : Bon, j'ai confirmation de ce que je croyais savoir : je n'aime vraiment, vraiment, vraiment pas les douches collectives.

Mise à jour () : , le poussinet a changé la résistance du chauffe-eau et depuis nous avons de nouveau de l'eau chaude. Il a fallu retirer plusieurs kilos de calcaire, et l'anode en magnésium était presque complètement disparue et s'était détachée de son support, ce qui explique peut-être quelque chose. Le plus difficile, en fait, a été de vidanger le chauffe-eau (avant de remplacer la résistance), parce que le groupe de sécurité était encrassé de calcaire et parce que l'évacuation ne se fait pas bien.

↑Entry #2588 [older| permalink|newer] / ↑Entrée #2588 [précédente| permalien|suivante] ↑

↓Entry #2587 [older| permalink|newer] / ↓Entrée #2587 [précédente| permalien|suivante] ↓

(lundi)

Un joli problème paradoxal de théorie de l'information

(Je n'ai pas de poisson d'avril à proposer cette année, mais je vous donne deux entrées pour le prix d'une.)

Même s'il a déjà été signalé hier en commentaire à cette vieille entrée, je ne peux pas ne pas écrire une petite entrée sur ce magnifique problème qui continue à narguer mon intuition — il s'agit d'un de ces cas où les mathématiques font quelque chose qui devrait être très sérieusement impossible, et j'ai beau arriver à prouver (et à comprendre la preuve intellectuellement) que c'est possible, je reste incapable de me faire intuitivement à l'idée que ça l'est. (Je sais, je sais : In mathematics you don't understand things. You just get used to them.)

Le problème est très simple (mais je l'écris de façon un peu longue pour qu'il n'y ait aucune ambiguïté sur les règles du jeu) :

Le cruel Docteur No a capturé deux mathématiciens, que nous appellerons Alice et Bob. Après avoir permis à ceux-ci de se concerter sur leur stratégie, il va les soumettre à son épreuve dont il leur communique les termes : chacun des deux pourra observer une suite binaire infinie aléatoire uniformément distribuée (c'est-à-dire une suite de 0 et 1 dont chaque terme vaut 0 ou 1 avec probabilité ½, indépendamment les uns des autres ; on peut imaginer une suite de résultats de tirages de pile ou face), les deux suites (celle qu'Alice observe et celle que Bob observe) étant indépendantes. Pour fixer les idées, mettons que les termes de chaque suite sont numérotés par les entiers naturels (0, 1, 2, 3, etc.) : appelons (An) la suite observée par Alice et (Bn) la suite observée par Bob. Alice et Bob ne peuvent pas communiquer entre eux (une fois finie la concertation initiale sur leur stratégie commune, mais celle-ci est antérieure à l'observation des suites). Alice, après avoir observé sa suite choisit un entier naturel a qui sera le numéro d'un terme dans la suite de Bob ; de même, Bob, après avoir observé sa suite, choisit un entier naturel b qui sera le numéro d'un terme dans la suite d'Alice. Alice et Bob gagnent (un gentil petit cadeau de la part du Docteur No) si chacun a choisi un terme valant 1 dans la suite de l'autre, c'est-à-dire, si la valeur Ab du terme de la suite d'Alice numéroté par l'entier b choisi par Bob et la valeur Ba du terme de la suite de Bob numéroté par l'entier a choisi par Alice valent tous les deux 1.

Quelle stratégie Alice et Bob peuvent-ils employer pour maximiser leur chance de gain ?

(Formellement : une stratégie d'Alice est une fonction borélienne α:{0,1}→ℕ et une stratégie de Bob est une fonction borélienne β:{0,1}→ℕ. La probabilité de succès est la mesure de l'ensemble des couples (A,B) ∈ {0,1} × {0,1} tels que A(β(B)) = B(α(A)) = 1, pour la mesure de probabilité uniforme sur {0,1} × {0,1} (les valeurs α(A) et β(B) sont les entiers noté a et b). Et on demande de maximiser cette probabilité.)

Remarque : Si on est gêné par les suites infinies (et c'est vrai que c'est agaçant de parler de l'observation d'une suite infinie), on peut ramener le problème à niveau fini : soit N un entier, Alice verra le résultat de N tirages de pile ou face uniformes et indépendant, Bob verra le résultat de N autres tels tirages (indépendants entre eux et indépendants de ceux d'Alice), et chacun devra choisir un entier entre 0 inclus et N exclu faisant référence à un tirage de l'autre, les deux gagnant s'ils ont choisi un tirage valant 1 chez l'autre. La situation paradoxale décrite ci-dessous est la même pour N fini que pour des suites infinies, c'est juste que les nombres sont moins ronds. (Formellement, dans le cas fini, une stratégie d'Alice est une fonction α:{0,1}N→{0,…,N−1} et une stratégie de Bob est une fonction β:{0,1}N→{0,…,N−1}. La probabilité de succès est la mesure de l'ensemble des couples (A,B) ∈ {0,1}N × {0,1}N tels que A(β(B)) = B(α(A)) = 1, pour la mesure de probabilité uniforme sur {0,1}N × {0,1}N.)

Une stratégie évidente consiste à ce qu'Alice et Bob choisissent tous les deux l'entier 0 (faisant référence au premier terme de la suite de l'autre). Dans ce cas, ils gagnent avec probabilité ¼, puisque chacun de A₀ et de B₀ vaut 1 avec probabilité ½, indépendamment l'un de l'autre. Choisir d'autres entiers constants (par exemple si Alice choisit 42 et Bob choisit 1729) donne toujours exactement la même chose.

L'idée intuitive qu'on a spontanément (en tout cas que j'ai eue, et dont je n'arrive toujours pas vraiment à me défaire) est qu'on ne peut pas faire mieux que ¼ :

Raisonnement incorrect : Alice et Bob ne peuvent pas communiquer, n'ont aucune information sur la suite de l'autre, et leurs deux suites sont indépendantes, donc il est impossible que l'observation de sa propre suite puisse aider Alice à faire quoi que ce soit d'utile sur la suite de Bob. Donc il n'y a rien de mieux à faire que de choisir des a et b constants (dont la valeur n'a pas d'importance).

Raisonnement incorrect (variante) : Quelle que soit la manière dont Alice choisit a, la valeur Ba vaudra 0 avec probabilité ½ et 1 avec probabilité ½ (puisque le choix de a ne peut dépendre que de A, qui est indépendant de B), et de même Ab vaudra 0 avec probabilité ½ et 1 avec probabilité ½. Puisque les suites A et B sont indépendantes et que (du coup) les variables a et b le sont, on a Ab = Ba = 1 avec probabilité ¼, et on ne peut pas faire mieux.

Et pourtant, c'est faux.

Et ce n'est même pas très compliqué de faire mieux que 1/4. Voici une stratégie simple qui donne une probabilité 1/3 de succès à Alice et Bob : Alice choisit pour a l'indice du premier 1 dans sa propre suite, et Bob choisit de même pour b l'indice du premier 1 dans la sienne. La probabilité d'avoir a=b est la somme de 1/4 (probabilité d'avoir a=b=0) plus 1/4² (probabilité d'avoir a=b=1) plus 1/4³ (probabilité d'avoir a=b=2), etc., c'est-à-dire la somme des 1/4k, qui vaut 1/3 ; et lorsque c'est le cas, par construction, Ab = Ba = 1 ; par ailleurs, si ab, alors Alice et Bob perdent (par exemple, si a<b, on a Ba = 0 puisque b est l'indice du premier 1 dans la suite B). Donc la probabilité de succès de cette stratégie est exactement 1/3.

J'ai beau avoir écrit cette preuve. Je n'arrive vraiment pas à me faire une idée intuitive de comment il est possible que cette stratégie fonctionne.

Mais je peux quand même dire ceci : la raison pour laquelle les raisonnements ci-dessus (tendant à « prouver » l'impossibilité) sont incorrects, c'est que s'il est bien vrai que chacun de Ab et Ba vaut 0 ou 1 avec probabilité ½, ils ne sont pas indépendants (puisque a dépend de A et b de B), et plus exactement, Alice et Bob peuvent s'arranger (et c'est ce qu'ils font dans la stratégie ci-dessus) pour que les deux événements Ab = 1 et Ba = 1 soient corrélés. Autrement dit, si on ne peut pas améliorer la chance d'avoir Ab = 1, on peut au moins s'arranger pour que, lorsque c'est le cas, ceci apporte des informations sur a ou sur B qui font que Ba = 1 a plus de chances de se produire. Je continue à trouver ça peu clair intuitivement, mais c'est déjà ça.

Maintenant, ce qui est amusant (et presque un peu décevant ?), c'est que cette jolie stratégie donnant 1/3 n'est toujours pas optimale : comme il est expliqué sur le fil MathOverflow lié au début de cette entrée (dans la réponse de mihaild), on peut faire 7/20 (c'est-à-dire 35%). Mais on ne sait pas si c'est optimum, et on n'a pas (au moment où j'écris, d'après de fil de discussion) de borne supérieure autre que le ½ évident.

Référence croisée : ce fil Twitter.

Mise à jour () : La borne supérieure a été améliorée à 3/8 dans le fil MathOverflow avec un argument très simple (quand j'aurai le temps, j'essaierai de mettre à jour ce paragraphe pour le donner). Par ailleurs, il apparaît que problème était déjà discuté (de façon un peu généralisée) dans ce papier, qui prouve une borne supérieure de 3/8, et annonce mais sans preuve une borne supérieure de 81/224.

Complément () : Pour la complétude de cette entrée, je reproduis en la paraphrasant la preuve de la borne supérieure par 3/8 de la probabilité de succès. Si on note a l'entier choisi par Alice et a′ l'entier qu'elle choisirait avec la même stratégie si elle observait la suite (1−An) au lieu de (An) (i.e., si on échange les 0 et 1 dans ce qu'Alice observe), et de même b et b′ pour Bob, alors on peut remarquer que l'espérance E(AbBa) de AbBa (qui est la probabilité de succès p qu'on cherche à maximiser) est aussi égale à l'espérance de (1−Ab) Ba (puisque 1−A est une variable distribuée comme A et toujours indépendante de B) ou de Ab (1−Ba) ou encore de (1−Ab) (1−Ba). La somme de ces quatre espérances (qui est 4p) est donc l'espérance de (Ab+1−Ab) (Ba+1−Ba), soit 4pE((Ab+1−Ab) (Ba+1−Ba)) = 1 + E(AbAb) + E(BaBa) + E((AbAb) (BaBa)) soit encore 1 + E((AbAb) (BaBa)) puisque E(Ab) = E(Ab) et E(Ba) = E(Ba) (en fait, chacune de ces quatre espérances vaut ½). Enfin, comme AbAb vaut +1 ou −1, l'espérance E((AbAb) (BaBa)) est majorée par E(|BaBa|), elle-même majorée par ½ (si ij alors E(|BiBj|)=½). Au final, on a prouvé 4p≤1+½, soit p≤3/8 comme annoncé.

↑Entry #2587 [older| permalink|newer] / ↑Entrée #2587 [précédente| permalien|suivante] ↑

↓Entry #2586 [older| permalink|newer] / ↓Entrée #2586 [précédente| permalien|suivante] ↓

(lundi)

La forêt de Notre-Dame et le domaine de Courson

Le poussinet et moi continuons notre visite des forêts et jardins de l'Île-de-France. Du côté des forêts, ma liste de visites s'allonge :

Bois autour du golf de Courson (parce que nous nous étions mal renseignés, et le domaine de Courson était encore fermé)
Forêt de Meudon (du côté de Chaville) (seul parce que le poussinet était à la montagne)
Forêt de Rambouillet (du côté des étangs de Hollande) (un peu plus à l'est que la dernière fois)
Forêt de Versailles (de Buc à Saint-Cyr-l'École)
Forêt de Marly (de Marly-le-Roi à Saint-Nom-la-Bretèche)
Forêt de Notre-Dame (du côté de Noiseau)
Haute Vallée de Chevreuse (Chevreuse ↔ Port-Royal-des-Champs par le chemin de Racine)
Forêt de Meudon (du côté de Chaville ou Vélizy)
Forêt de Notre-Dame (du côté de Sucy-en-Brie)

J'ai beau dire que ces forêts n'ont pas toutes le même caractère, il faut avouer qu'au bout d'un moment on se met à les confondre. (Sauf Fontainebleau — Fontainebleau est vraiment très différente, et je ne sais pas si c'est à cause du sol ou de son histoire ; en fait, je ne sais essentiellement rien sur l'histoire de ces forêts : je sais que ce ne sont pas des forêts primaires puisqu'il n'y a essentiellement plus de forêt primaire en Europe, mais du coup je ne sais pas à quand elles remontent et dans quelle mesure elles sont naturelles.) Le problème, notamment, c'est qu'une forêt risque de moins ressembler à elle-même, soit d'un endroit à l'autre soit d'un jour à l'autre (il y a des différences très subtiles entre l'hiver et l'été si on regarde bien) qu'elle ne ressemble à une autre forêt. Bref, j'observe certes des différences, mais c'est peut-être simplement dû aux chemins que nous choisissons ou aux moments où nous nous y baladons. Si je cherche les spécificités de la forêt, j'observe surtout des différences sur le degré de prédominance des chênes (je ne sais pas distinguer Quercus robur et Q. petraea, surtout en hiver, et surtout qu'ils doivent s'hybrider, mais ils doivent être les essences les plus courantes à l'exception de Fontainebleau) et les parcelles de bouleaux (Betula pendula ? B. pubescens ?) ; et aussi sur l'âge des arbres, mais ça c'est quelque chose qui varie facilement d'un endroit à l'autre d'une même forêt. Mais il y a aussi quelque chose de tout bête : le relief.

Jusqu'à il y a un mois, je ne connaissais pas, même pas de nom, la forêt de Notre-Dame, qui se situe à environ 20km au sud-est de Paris, du côté de Sucy-en-Brie, Pontault-Combault, Ozoir-la-Ferrière, Lésigny et Boissy-Saint-Léger, et qui fait partie d'un ensemble plus vaste (c'est le problème avec la dénomination et la délimitation des forêts, ce sont de petites taches de vert dont on ne sait pas où mettre les bords). Bon, il faut dire qu'elle a un nom assez con, quand la plupart des forêts s'appellent forêt de <nom de la principale commune du voisinage>, celle-ci fait l'originale.

Au niveau de l'aménagement, il est très commode de s'y promener parce que (outre qu'elle est commode d'accès depuis Paris), elle est parcourue de routes parfaitement rectilignes (je veux parler de « routes » pour piétons et cyclistes, évidemment, mais je dis routes, parce que la plupart sont nettement plus large qu'un simple chemin). Mais ce qui est surtout frappant, c'est l'absence de relief : ce n'est pas une blague quand on dit que la Brie est une plaine — c'est plat, plat, plat. Du coup, forcément, on peut trouver ça un peu monotone. Mais il y a quand même une certaine variété de paysages d'un endroit à l'autre, et je trouve que ça a du charme.

(Ah, je me rends compte que l'ONF a une page web pour chacune de ses forêts, accessibles depuis cette carte, par exemple ici pour celle de Notre-Dame, et elles semblent donner à chaque fois la proportion des différences essences d'arbres. Il faut que je collecte ces données et que je fasse un graphe de proximité botanique.)

*

Mais nos balades en forêt(s) ne nous empêchent pas de continuer à visiter les parcs et jardins et de chercher à compléter notre tour de ceux qui ont le label Jardin remarquable à proximité de Paris. Occasion de faire une petite checklist de ceux que nous avons vus (j'ai cherché à indiquer la date de ma première visite, quand je pouvais la retrouver ; mise à jour : j'ai ajouté les dates de visites ultérieures à l'écriture de cette entrée) :

  • Paris (75)
    • Paris — Jardin du Palais-Royal ✔ (depuis longtemps)
    • Paris — Ecole du Breuil, jardins et arboretum ✔ ()
    • Paris — Parc de Bagatelle ✔ ()
    • Paris — Parc floral de Paris ✔ (depuis longtemps, mais à revoir)
    • [ajout, labellisé en 2019] Paris — Jardin des Tuileries ✔ (depuis longtemps)
    • [ajout, labellisé en 2021] Paris — Jardin des Serres d'Auteuil ✔ ()
  • Hauts-de-Seine (92)
    • Chatenay-Malabry — La Vallée aux Loups/Maison de Chateaubriand/Arboretum ✔ (, cf. ici)
    • Chatenay-Malabry — L'Ile Verte ✔ ()
    • Rueil-Malmaison — Domaine de la Malmaison ✔ ()
    • Saint-Cloud — Domaine national ✔ (≤ )
    • Sceaux - Parc du domaine de Sceaux ✔ (≤ )
  • Seine-Saint-Denis (93)
    • [ajout, labellisé en 2019] Montreuil — Jardin des murs à pêches ❌
  • Val-de-Marne (94)
    • L'Haÿ-les-Roses — Roseraie du Val-de-Marne ✔ ()
  • Seine-et-Marne (77)
    • Champs-sur-Marne — Domaine national ✔ ()
    • Crécy-la-Chapelle — Jardin du Moulin Jaune ❌
    • Égreville — Jardin du musée Bourdelle ✔ ()
    • Fontainebleau — Domaine national ✔ (≤ )
    • Maincy — Parc du château de Vaux-le-Vicomte ✔ ()
    • Provins — La roseraie de Provins ✔ ()
    • Verdelot — Jardin du Point du jour ✔ ( ; cf. aussi )
  • Yvelines (78)
    • Choisel — Parc du château de Breteuil ✔ (, et moi sans doute avant)
    • Rambouillet — Domaine national ✔ (, et pour la Bergerie)
    • Rocquencourt — Arboretum de Chèvreloup ✔ (, cf. ici)
    • Saint-Germain-en-Laye — Domaine national ✔ ()
    • Thoiry — Parc du château de Thoiry ❌
    • Versailles — Domaine national ✔ (depuis longtemps, dernièrement )
    • Versailles — Potager du Roi ❓
    • Versailles — Jardins familiaux des Petis Bois à Montreuil ❌
    • [ajout, labellisé en 2028] Le Chesnay — Arboretum de Chèvreloup ✔ (, et souvent depuis, cf. notamment ici)
  • Essonne (91)
    • Chamarande — Parc de Chamarande ✔ ()
    • Courances — Parc du château de Courances ✔ ( ; cf. aussi ici et )
    • Courson-Monteloup — Parc de Courson ✔ ( — voir ci-dessous)
    • Méréville — Domaine de Méréville ✔ ( — voir addendum ci-dessous)
    • Saint-Jean-de-Beauregard — Parc du château ✔ (, et moi sans doute avant)
    • Saint-Sulpice-de-Favières — Domaine de Segrez ❌
    • [ajout, labellisé en 2024] Lardy — Parc Boussard ✔ ()
  • Val d'Oise (95)
    • Ambleville — Domaine d'Ambleville ✔ ()
    • Asnières-sur-Oise — Parc de l'Abbaye de Royaumont ✔ ()
    • Chaussy — Domaine de Villarceaux ✔ ()
    • Grisy-les-Plâtres — Jardin de campagne ✔ ()
    • La Roche-Guyon — Potager fruitier du château ✔ ( — vu de l'extérieur )
    • [ajout, labellisé en 2019] Wy-dit-Joli-Village — Jardin du musée de l'outil ✔ ()
  • Oise (60) (sélection)
    • Chantilly — Jardin et parc du château ✔ ()
    • Chantilly — Potager des Princes ✔ ()
    • Compiègne — Jardin et parc du château ✔ ()
    • Chaalis — Roseraie de l'abbaye royale de Chaalis ✔ ()
    • Vez — Jardin du donjon de Vez ✔ ()

(Il y a des jardins que j'ai visités et que je m'étonne de ne pas trouver dans cette liste, comme plusieurs parcs parisiens, les jardins Albert Kahn de Boulogne, ou les jardins du château de Maintenon, et oui, j'ai bien vérifié en Eure-et-Loire. Et si c'était moi qui fixais les critères, je compterais le parc de la Courneuve et celui du Sausset comme jardins remarquables. Bien sûr, j'ai aussi visité des jardins remarquables plus loin de Paris, comme le parc de la Tête d'Or à Lyon — ou le jardin de l'Hôtel de ville d'Épernay sur lequel nous sommes tombés complètement par hasard.)

[Arbres devant le lac du domaine de Courson]Bref, la dernière chose que nous ayons vue, c'est le domaine de Courson (nous y étions passés le mais avions découvert que c'était fermé pour l'hiver, et nous nous sommes résignés à faire un tour des bois autour du domaine — et surtout, du golf d'à côté — à la place ; nous y sommes retournés samedi, et cette fois, nous avons pu le visiter).

Le domaine n'est pas très grand, il est un peu pénible d'accès (sans voiture ce serait vraiment compliqué), mais il est très joli, et cette belle journée de début de printemps était certainement le bon moment pour y aller. Il n'y a rien de vraiment extraordinaire à voir, mais c'est mignon, il y a de beaux arbres, et c'est très paisible.

Addendum () : Nous venons de visiter aujourd'hui le domaine de Méréville, jardin paysager aménagé à la fin du XVIIIe qui vient de (r)ouvrir au public, mais qui a déjà le label Jardin remarquable, si bien que je l'ajoute à la liste ci-dessus. C'est vraiment magnifique. Les aménagements d'époque (entre le style « anglo-chinois » et romantique) sont en ruine, mais ça a presque plus de charme comme ça. Comme il s'agit d'un terrain assez aquatique (la Juine a été détournée pour l'aménager), ça me fait un tout petit peu penser au parc (contemporain!) de la Courneuve, qui est construit sur d'anciens marais, et que j'aime beaucoup. [Fil Twitter, avec quelques photos.]

*

Une chose que je trouve dommage, c'est que souvent, quand nous sommes dans un endroit un petit peu bucolique (donc, paumé…) après avoir fait un tour dans une forêt ou dans un jardin aménagé, nous nous disons que nous aimerions bien prendre un goûter dans un salon de thé un peu cozy à proximité (ou disons, pas trop loin — ou à la rigueur, sur un itinéraire de retour pas déraisonnable). Mais comment trouver ça, quand on ne connaît pas du tout le coin ? On a beau avoir Internet sur son mobile, si on cherche salon de thé (et à plus forte raison salon de thé cozy) dans Google Maps, ça ne donne vraiment pas grand-chose d'intéressant dès qu'on est un peu loin de tout.

*

Sinon, c'est aussi aujourd'hui que rouvre l'arboretum de Chèvreloup, et mon poussinet trépigne déjà d'impatience à l'idée d'y retourner (dès ce week-end). [Addendum () : Nous y sommes allés hier, et les cerisiers étaient en fleurs ; fil Twitter avec quelques mauvaises photos.]

↑Entry #2586 [older| permalink|newer] / ↑Entrée #2586 [précédente| permalien|suivante] ↑

Continue to older entries. / Continuer à lire les entrées plus anciennes.


Entries by month / Entrées par mois:

2024 Jan 2024 Feb 2024 Mar 2024
2023 Jan 2023 Feb 2023 Mar 2023 Apr 2023 May 2023 Jun 2023 Jul 2023 Aug 2023 Sep 2023 Oct 2023 Nov 2023 Dec 2023
2022 Jan 2022 Feb 2022 Mar 2022 Apr 2022 May 2022 Jun 2022 Jul 2022 Aug 2022 Sep 2022 Oct 2022 Nov 2022 Dec 2022
2021 Jan 2021 Feb 2021 Mar 2021 Apr 2021 May 2021 Jun 2021 Jul 2021 Aug 2021 Sep 2021 Oct 2021 Nov 2021 Dec 2021
2020 Jan 2020 Feb 2020 Mar 2020 Apr 2020 May 2020 Jun 2020 Jul 2020 Aug 2020 Sep 2020 Oct 2020 Nov 2020 Dec 2020
2019 Jan 2019 Feb 2019 Mar 2019 Apr 2019 May 2019 Jun 2019 Jul 2019 Aug 2019 Sep 2019 Oct 2019 Nov 2019 Dec 2019
2018 Jan 2018 Feb 2018 Mar 2018 Apr 2018 May 2018 Jun 2018 Jul 2018 Aug 2018 Sep 2018 Oct 2018 Nov 2018 Dec 2018
2017 Jan 2017 Feb 2017 Mar 2017 Apr 2017 May 2017 Jun 2017 Jul 2017 Aug 2017 Sep 2017 Oct 2017 Nov 2017 Dec 2017
2016 Jan 2016 Feb 2016 Mar 2016 Apr 2016 May 2016 Jun 2016 Jul 2016 Aug 2016 Sep 2016 Oct 2016 Nov 2016 Dec 2016
2015 Jan 2015 Feb 2015 Mar 2015 Apr 2015 May 2015 Jun 2015 Jul 2015 Aug 2015 Sep 2015 Oct 2015 Nov 2015 Dec 2015
2014 Jan 2014 Feb 2014 Mar 2014 Apr 2014 May 2014 Jun 2014 Jul 2014 Aug 2014 Sep 2014 Oct 2014 Nov 2014 Dec 2014
2013 Jan 2013 Feb 2013 Mar 2013 Apr 2013 May 2013 Jun 2013 Jul 2013 Aug 2013 Sep 2013 Oct 2013 Nov 2013 Dec 2013
2012 Jan 2012 Feb 2012 Mar 2012 Apr 2012 May 2012 Jun 2012 Jul 2012 Aug 2012 Sep 2012 Oct 2012 Nov 2012 Dec 2012
2011 Jan 2011 Feb 2011 Mar 2011 Apr 2011 May 2011 Jun 2011 Jul 2011 Aug 2011 Sep 2011 Oct 2011 Nov 2011 Dec 2011
2010 Jan 2010 Feb 2010 Mar 2010 Apr 2010 May 2010 Jun 2010 Jul 2010 Aug 2010 Sep 2010 Oct 2010 Nov 2010 Dec 2010
2009 Jan 2009 Feb 2009 Mar 2009 Apr 2009 May 2009 Jun 2009 Jul 2009 Aug 2009 Sep 2009 Oct 2009 Nov 2009 Dec 2009
2008 Jan 2008 Feb 2008 Mar 2008 Apr 2008 May 2008 Jun 2008 Jul 2008 Aug 2008 Sep 2008 Oct 2008 Nov 2008 Dec 2008
2007 Jan 2007 Feb 2007 Mar 2007 Apr 2007 May 2007 Jun 2007 Jul 2007 Aug 2007 Sep 2007 Oct 2007 Nov 2007 Dec 2007
2006 Jan 2006 Feb 2006 Mar 2006 Apr 2006 May 2006 Jun 2006 Jul 2006 Aug 2006 Sep 2006 Oct 2006 Nov 2006 Dec 2006
2005 Jan 2005 Feb 2005 Mar 2005 Apr 2005 May 2005 Jun 2005 Jul 2005 Aug 2005 Sep 2005 Oct 2005 Nov 2005 Dec 2005
2004 Jan 2004 Feb 2004 Mar 2004 Apr 2004 May 2004 Jun 2004 Jul 2004 Aug 2004 Sep 2004 Oct 2004 Nov 2004 Dec 2004
2003 May 2003 Jun 2003 Jul 2003 Aug 2003 Sep 2003 Oct 2003 Nov 2003 Dec 2003

[Index of all entries / Index de toutes les entréesLatest entries / Dernières entréesXML (RSS 1.0) • Recent comments / Commentaires récents]