Je reviens récemment de dix jours de vacances à
Toronto avec mon poussinet. Comme je suis de ceux qui voyagent
extrêmement peu[#1] tant je
n'aime pas ne pas être chez moi, et
je ne prends quasiment jamais de
vacances[#2], c'est, en soi,
assez remarquable pour être signalé. Mais Toronto n'est pas pour moi
juste une ville nord-américaine quelconque, c'est une ville à laquelle
j'ai un certain attachement (disons au moins que c'est la seule du
continent que je puisse prétendre connaître un petit peu), et j'ai de
la famille dans le coin.
[#] La précédente fois que j'avais pris un vol long courrier, c'était en 2014 pour aller à New York.
[#2] Pas juste parce que je n'aime pas voyager, mais aussi parce que les « vacances » sont un peu une arnaque : la pile de choses pénibles que je dois faire continue à grandir exactement au même rythme que j'aie posé des jours de congés ou pas, donc espérer que prendre des vacances puisse être relaxant, dans ces conditions, est illusoire.
Méta : Ce billet est, comme à mon habitude, fort long, puisque je rassemble un peu tout ce qui me passe par la tête. Si vous voulez juste un compte-rendu avec quelques photos (d'autres suivront probablement plus tard), sautez plus bas. ❧ Par ailleurs, je fais des liens vers OpenStreetMap pour désigner certains endroits dont je parle, et j'essaie d'utiliser autant que possible le même centrage de la carte (ou un petit nombre de centrages différents) pour aider à comparer les endroits, mais comme je ne connais pas la taille de votre navigateur, si votre fenêtre est petite il faudra parfois dézoomer un peu pour trouver le marqueur qui signale l'endroit dont je parle.
☞ Mes précédentes visites à Toronto
Je suis déjà allé à Toronto, donc, mais ça remonte à longtemps, et on ne peut pas non plus dire que j'y suis sois allé souvent. J'y ai vécu un an, entre l'été 1984 et l'été 1985 (j'avais 8 ans, et et j'y ai été à l'école, en 3e année d'école primaire donc). Puis j'y suis retourné à l'été 1988 (environ un mois, mais je ne sais plus exactement). Puis de nouveau à l'été 1995 (je crois que j'y ai passé une semaine, suivie d'une autre semaine à Ottawa[#3]). Et la dernière fois avant celle-ci, c'était en avril 2007[#4] où j'y étais allé dix jours pour voir mon poussinet (qui faisait, lui, un stage de cinq mois à l'Université de Toronto). Ceci étant, comme je l'avais écrit dans mon billet sur le passage du temps (note #3), l'impression que j'ai dans ma tête est que ces passages à Toronto se rapprochent dans le temps alors qu'en réalité ils s'éloignent : et j'ai du mal à me rendre compte que ça faisait plus de 18 ans que je n'y avais pas mis les pieds.
[#3] Pro-tip : ne passez pas une semaine à Ottawa. Autant une semaine à Toronto c'est facile à meubler, autant une semaine à Ottawa c'est signer pour un ennui profond.
[#4] On voit que j'évite soigneusement de passer l'hiver à Toronto. (Et le seul hiver que j'y ai passé, celui de 1984–1985, a je crois été plutôt doux, alors qu'en France il a été très froid, donc on va dire que j'ai quand même de la chance.) Mais même en avril 2007 j'ai trouvé qu'il faisait insupportablement froid, et j'ai dû m'acheter une paire de gants sur place. Cette fois-ci nous avons eu beaucoup de chance avec le temps, parce que peu avant notre arrivée il faisait très désagréablement chaud (et humide), mais nous avons eu un temps extrêmement plaisant (à part une seule matinée pluvieuse) : ensoleillé et ni trop chaud ni trop froid. La période de fin août et début septembre est sans doute le meilleur moment pour visiter cette ville (au moins pour ce qui est de la météo, et si, comme moi, on n'aime ni le chaud ni le froid).
☞ À la recherche des changements
Mais peut-être justement qu'on comprend mieux un
endroit si on n'y vient que rarement, parce que c'est l'occasion de
remarquer des changements que les locaux, qui vivent le changement
graduel et donc ne le voient pas forcément. Indéniablement, Toronto a
beaucoup changé en 18 ans, surtout parce qu'il s'est construit
beaucoup de nouveaux gratte-ciel, surtout à proximité du lac Ontario.
Pour illustrer ce point, j'ai d'ailleurs essayé de couper, ci-contre,
une de mes photos prises ce mois-ci dans les mêmes proportions que
celle avec laquelle j'avais
illustré mon billet
de 2007[#5].
[#5] Le point de vue n'est cependant pas exactement le même, comme on l'aura remarqué (la photo de 2025 est prise depuis ici ; celle de 2007 a dû être prise depuis environ là, même si je n'avais pas de GPS à l'époque pour noter précisément l'emplacement). Donc la comparaison n'est pas parfaite. Mais ça donne quand même une bonne idée du changement.
Évidemment, ce n'est pas évident de savoir, quand je ne
reconnaissais pas un endroit, si c'était parce que l'endroit avait
changé en 18 ans (voire 30, parce que parfois mon dernier passage à
tel endroit remontait à ma visite de 1995) ou si c'était parce que ma
mémoire[#6] avait déformé les
choses. Je crois que ma façon de visiter, qui tournait parfois au
pèlerinage sur des lieux vus précédemment mais pas forcément
intrinsèquement intéressants, a parfois agacé mon poussinet, mais il a
accepté de supporter les radotage de son copain sur le bon vieux temps
(alors tu vois, c'est à cet endroit qu'en 1988, <anecdote
absolument sans intérêt pour qui ne l'a pas vécue>
). Lui-même
n'était même pas tellement intéressé à revoir la maison où il avait
séjourné quelques mois en 2007, et c'est moi qui ai insisté.
[#6] C'est toujours traître, la mémoire : je peux garder un souvenir incroyablement précis d'un détail mineur, et inventer complètement toutes sortes de choses autour. S'agissant de la géographie, cependant, l'effet typique est de comprimer les distances : je vais me rappeler précisément deux endroits A et B, et pas tout l'espace entre eux, donc dans ma tête ils seront côte à côte, et que je revois les lieux dans la réalité, je suis tout surpris de constater l'existence d'un écartement que j'avais mentalement complètement occulté. (Or il est certain que si Toronto a changé, l'espacement entre deux endroits donnés n'a pas dû bouger, la constante de Hubble n'est pas si importante que ça.)
Un exemple parfaitement sans intérêt pour donner une idée de ma
façon de traquer le passé. Il y avait dans un parc du côté de
l'Université de Toronto (je peux maintenant dire que
c'était ici,
dans le parc de Hart House Circle) quatre sculptures un peu
mystérieuses (sculpture
n'est pas terrible, mais je ne sais pas
quel mot utiliser : marqueurs
, peut-être ?) : trois en forme de
pyramides creuses, et une en forme d'obélisque ; ces quatre trucs
étaient alignés, du plus petit (l'obélisque) au nord au plus grand au
sud. Je les avais remarqués quand j'étais petit, et je m'étais
demandé à quoi ils servaient ou s'ils avaient un sens particulier.
Puis j'avais fini par comprendre : ils étaient positionnés de sorte
que les sommets des quatre fussent précisément alignés avec le sommet
de
la tour CN
(haute de 553m, restée très longtemps la plus tour du monde, et qui
domine et caractérise le paysage torontois), de sorte que si on
plaçait son œil au bon endroit on voyait un alignement très
satisfaisant.
(Voyez ici
et là
les photos que j'en ai prises en 2007.) En 1995 j'étais tout content
de montrer cette petite curiosité de la ville à l'ami avec qui je
voyageais (j'ai eu un petit peu de mal à la retrouver), et en 2007 je
l'ai montrée à mon poussinet. Cette fois-ci, pas moyen de les
retrouver. (Pour le coup, je ne pouvais avoir aucun doute de leur
existence, mais je n'étais plus sûr de l'endroit.) Après
investigation, j'ai eu confirmation du fait que je cherchais bien au
bon endroit, mais les marqueurs ont disparu : ils existaient encore en
2019 (on
peut les
voir sur Google Street View, mais
on m'a
dit qu'ils n'étaient plus là en 2022).
J'ai tendance à être un peu obsédé, comme ça, à retrouver les choses du passé, à comprendre exactement ce qui a changé et comment, à enquêter sur quand et pourquoi.
Déjà en 2007 j'avais traîné mon poussinet dans une balade que mon papa et moi faisions régulièrement en 1984–1985, pour tâcher de retrouver par où nous passions (dans une des ravines que compte Toronto et qui reste un petit coin de verdure bizarrement isolé au milieu de la ville : en gros de là à là, même si je n'ai pas réussi à retrouver exactement quel était l'itinéraire[#7]), et maintenant j'ai de nouveau traîné mon poussinet pour retrouver à la fois l'itinéraire d'origine et aussi l'itinéraire que nous avions suivi en 2007 pour retrouver celui d'origine[#8].
[#7] Nous descendions dans la ravine de Yellow Creek (Avoca Ravine) typiquement au niveau de St. Clair Ave, et ensuite nous suivions le ruisseau vers l'aval. Mais en gros au niveau de son confluent avec le Don (celui-ci, évidemment, pas celui-là), on arrive dans un dédale très difficile à naviguer entre les rivières, plusieurs routes compliquées à traverser reliées entre elles par des gros échangeurs, une voie de chemin de fer, une autre voie de chemin de fer abandonnée, et une ancienne briqueterie (ici), maintenant abandonnée (qui en 2007 était franchement un peu glauque, mais depuis a été convertie en un lieu extrêmement bobo). Je ne sais plus du tout ce que mon papa et moi faisions quand nous arrivions là, ni par où nous sortions de la ravine. Vous vous en foutez complètement, mais moi ça me démange depuis 2007.
[#8] Normalement, l'itération de l'enquête devrait s'arrêter là : cette fois j'ai une trace GPS précise, enregistrée par le téléphone, du chemin que nous avons suivi chaque jour, et j'ai noté plein de détails de façon obsessionnelle dans mon journal (que je tenais déjà en 2007, mais pas aussi précisément).
Une chose importante à mes yeux qui a disparu du Toronto de 2025
alors qu'il existait encore (fût-ce sous une forme déjà diminuée) en
2007, c'est
le Centre
des sciences de l'Ontario, un musée des sciences qui a (avec le
Palais de la Découverte à Paris) beaucoup fait pour mon éveil
scientifique (j'en parlais dans ce
billet). En 1995 je l'avais revisité avec énormément de plaisir.
En 2007 j'avais été très déçu qu'une grande partie avait été réservée
aux enfants (et l'ensemble du musée était nettement plus orienté dans
le sens d'amuser les enfants maintenant que j'étais adulte que quand
je l'appréciais en étant moi-même enfant). Maintenant il a
complètement fermé (à cause de problèmes dans le bâtiment qui est
d'ailleurs architecturalement intéressant en lui-même). Dans le même
ordre d'idées, il y avait une boutique de jouets scientifiques
(Science City
, dans le Holt Renfrew Centre), que
j'adorais en 1984–1985, que j'avais été incroyablement heureux de
trouver encore ouverte en 2007 (du coup, nous y avons acheté un
Rubik's cube), et qui a fermé depuis. Et encore une fermeture à
signaler :
le World's
Biggest Bookstore
où j'ai passé plein de temps n'existe
plus.
Mais bon, je ne veux pas ennuyer excessivement mes lecteurs en racontant les choses que j'ai essayé de retrouver (ou, au niveau méta, en racontant la manière dont j'ai ennuyé mon poussinet en essayant de les retrouver) ou les minutiæ des changements que j'ai remarqués. Beaucoup des choses que j'ai racontées dans mon billet de 2007 restent quand même parfaitement valables[#9].
[#9] Allez, encore un autre pour la route : en 2007, j'écrivais que l'équivalent canadien de Starbucks était Second Cup (mon poussinet adorait les Second Cup, et quand je lui ai rendu visite en 2007, nous avons passé la moitié de notre temps à Toronto à simplement traîner dans ces cafés). Maintenant, Second Cup existe encore, mais il y en a beaucoup moins (plusieurs de ceux que nous fréquentions en 2007 avaient fermé) : la réponse canadienne à Starbucks est maintenant plutôt Tim Hortons et il y en a partout… mais vraiment partout.
☞ Location et conduite d'une voiture
Une différence avec 2007 qui n'est en rien un changement de la ville, c'est que cette fois-ci mon poussinet et moi avons loué une voiture.
Je dis que nous
avons loué une voiture, mais en fait
c'est moi qui ai loué une
voiture[#10], parce que ce
gros malin a trouvé le moyen de laisser son permis de conduire en
France[#11], du coup c'est moi
qui ai dû conduire[#12],
situation un peu absurde vu que je n'aime pas conduire une voiture
alors que le poussinet aime beaucoup ça, et que j'étais quand même
assez terrifié vu que c'était la première fois que je conduisais en
Amérique du Nord (ou en fait, ailleurs qu'en France).
[#10] Nous avons
d'ailleurs rencontré la complication suivante : mes cartes de crédit
sont techniquement des cartes de débit (elles sont à débit immédiat,
je préfère parce que c'est beaucoup plus simple pour faire mes
comptes). La différence n'a aucun sens, aucun intérêt et aucune
importance en France, mais comme Visa et MasterCard tiennent à la
maintenir parce qu'en Amérique du Nord c'est important, ben c'est
écrit debit
au
dos. Or apparemment les loueurs de voiture Nord-Américains, et pas
seulement Nord-Américains, n'aiment pas du tout les cartes de débit
(la raison n'est pas claire, et est certainement stupide parce qu'il
est faux de prétendre qu'on ne peut pas bloquer des fonds sur une
carte de débit). Donc nous avons essuyé plusieurs refus (et perdu
deux heures) avant que Hertz accepte de me faire la location.
[#11] Apparemment il
s'est dit bon, de toute façon, les Canadiens ne reconnaissent pas
le permis de conduire français comme pièce d'identité, donc ça ne sert
à rien de le prendre
, et il l'a retiré de son portefeuille pour le
poser sur son bureau. Et il ne s'en est rendu compte que quand nous
sommes arrivés à l'hôtel et que l'hôtelier a listé le permis de
conduire comme pièce d'identité possible.
[#12] J'ai eu une Toyota Corolla hybride (immatriculée, je ne sais pas pourquoi, en Nouvelle-Écosse). Plutôt agréable à conduire, même si j'ai trouvé bizarre la manière dont le moteur thermique se mettait parfois à rugir.
Bon, à vrai dire, la conduite n'a pas spécialement posé problème. Il y a quelques différences à savoir[#13] : les feux sont de l'autre côté des intersections (bon ça c'est facile à comprendre, et finalement pas si surprenant), on a le droit en Ontario de tourner à droite à un feu rouge s'il n'y a pas de panneau l'interdisant, il y a parfois des flèches vertes spéciales permettant de tourner à gauche en donnant le feu rouge en face, et sinon les limites de vitesse sont indiquées explicitement et semblent ne suivre aucune logique. Les voies de sortie sur autoroute sont assez confusantes parce qu'on ne sait jamais bien si la voie de droite va obliger à sortir où si on peut rester dessus (j'ai fini par apprendre à repérer le truc, mais du nombre de rabattements en urgence que j'ai vus, les locaux se font eux-même souvent surprendre). Mais rien de franchement renversant.
[#13] Je ne comprends
pas pourquoi les loueurs de voiture ne se mettent pas ensemble pour
éditer une brochure quelques règles à savoir sur la conduite dans
<tel pays> à destination des étrangers
. Ce serait quand
même fortement dans leur intérêt d'éviter des accidents, et leurs
clients apprécieraient.
La conduite des Ontariens ne m'a pas impressionné. Mon père m'avait toujours seriné que les Français conduisaient très mal (sur ce point je suis assez d'accord) tandis que les Canadiens étaient selon lui profondément civilisés sur la route. Bon, peut-être que les choses ont changé, et c'est vrai que ce n'est pas pareil, mais je n'ai pas trouvé que c'était franchement mieux. Il suffit qu'on roule un tout petit peu lentement parce qu'on hésite sur la direction à prendre (ou qu'on ne sait pas si la voie sort ou pas) et on vous klaxonne derrière, ou on vous double à toute vitesse par la droite (ce qui est, pour autant que je sache, aussi interdit en Ontario qu'en France, et encore plus con vu qu'il y a généralement plein de voies libres à gauche). Les gens ne tiennent pas bien leurs distances et ne savent pas anticiper les changements de file. Il y a certes peut-être un peu moins d'agressivité qu'en Île-de-France, et moins d'excès de vitesse. Mais sinon, j'ai aussi été étonné du nombre de voitures de sport au moteur très bruyant qui s'amusaient à accélérer très fort dans les rues de Toronto (je ne parle pas ici des autoroutes). Et évidemment, le nombre de pickups énormes[#14] est incomparable avec ce qu'on a en France.
[#14] Ce que j'ai peu vu, en revanche, c'est des motos : pas beaucoup en ville (et encore moins de scooters si on exclut les livreurs), et très peu sur les autoroutes. Une partie de l'explication, je suppose, est que le climat canadien ne doit permettre, en pratique, de faire de la moto que quatre ou cinq mois dans l'année, donc ce n'est pas très tentant d'en acheter. Il n'y a pas non plus beaucoup de camions : là la raison est certainement qu'en Amérique du Nord le rail sert surtout au fret alors qu'en Europe il sert au transport de passagers.
C'est surtout chiant.
L'autoroute
401 de l'Ontario (autoroute est-ouest qui passe à travers
Toronto), apparemment la plus fréquentée de toute l'Amérique du Nord,
est, au moins en certains endroits, une
4×4 voies[#15] (c'est-à-dire
qu'il y a, dans chaque sens, un jeu de 4 voies express
et un
jeu de 4 voies collectrices
, avec des entrées-sorties entre
l'extérieur et la partie collectrice, et des entrées-sorties entre la
partie express et la partie collectrice). La circulation ne semble
pas suivre le même genre de variations temporelles et spatiales qu'en
région parisienne : c'est nettement moins bouché qu'autour de Paris
aux heures de pointe[#16],
mais il n'y a pas non plus vraiment l'air d'avoir de creux
significatif. Nous sommes allés jusqu'à Niagara (pas par cette
autoroute précise, mais par d'autres du même genre) : c'est
interminable, c'est tout droit et tout plat à travers des paysages
moches et il ne se passe rien. Je ne suis pas prêt à traverser le
continent a mari usque ad mare par la route.
[#15] De façon
générale, je rigole en pensant aux gens qui disent que Paris c'est
le tout-voiture
. Et encore, Toronto a un vrai métro, des
vraies trams et des vraies lignes de bus, et il y a des vrais trains
(pas rapides, mais qui fonctionnent) qui permettent d'aller ailleurs,
et même des semblants de pistes cyclables : ce n'est pas Houston ; en
2007 nous avions pu faire plein de choses uniquement avec les
transports en commun, donc même Toronto n'est pas
le tout-voiture
. Mais quand on voit Toronto (qui trouve quand
même le moyen d'avoir des passages piétons avec un signe disant aux
piétons qu'ils ne sont pas prioritaires là !), on se demande dans quel
monde vivent les gens qui pensent que le Paris de 2025, ou même le
Paris de 2005, ou même de 1985, ou même de 1965, serait
le tout-voiture
. Revenez un peu sur Terre, les gens qui
utilisent cette expression !
[#16] En revanche, en revenant de chez mon cousin, nous avons été pris dans un énorme bouchon — en gros 45min de perdues — sur la partie « express » de la 401, qui était réduite en un point à une seule voie à cause de travaux, parce que nous n'avions pas bien lu ce que nous disait Google (rester sur la partie « collectrice » qui, elle, circulait très bien).
☞ L'impression d'étalement urbain
Laissant de côté la conduite automobile, c'est quelque chose qui me frappe, à quel point Toronto me paraît grand (je veux dire, étalé dans l'espace), notamment comparé à Paris.
Je ne suis pas sûr de savoir mettre précisément le doigt sur ce qui donne cette impression. Factuellement on peut dire que Toronto fait 631 km² de surface (limites ici) alors que Paris ne fait que 105 km² : oui, c'est plus grand. Mais en fait ces chiffres sont des limites administratives arbitraires : en 1998, Toronto a été fusionné (par le gouvernement de l'Ontario, et contrairement à la volonté des habitants) avec les municipalité voisines de York, East York, North York, Etobicoque et Scarborough ; surface du Toronto d'avant 1998 était de 97 km² (limites ici), donc tout à fait comparable à Paris, et inversement, la « petite couronne » autour de Paris (en comptant Paris) fait 762 km², tout à fait comparable à Toronto. (Les populations sont plus différentes : 2.8M d'habitants à Toronto contre 6.5M pour Paris et sa petite couronne. Donc Paris est nettement plus dense. Mais je ne sais pas si ça explique grand-chose à mon impression.)
Je pense qu'une partie de l'explication de mon impression est liée à la monotonie : Toronto a un centre-ville avec des grands immeubles, puis s'étale progressivement et très uniformément à partir de ce centre, presque sans centres secondaires, dans une banlieue interminable, aux paysages très peu variés[#17], et rendue encore plus monotone par le plan en grille[#18] des rues de la ville. Tandis que la banlieue parisienne comporte encore des centres secondaires historiques très nets et une plus grande diversité de paysages. Le fait que Toronto ne puisse grandir que dans trois directions (le sud étant bloqué par le lac Ontario) explique aussi que les distances soient plus grandes, à surface égale, qu'à Paris. Mais ce ne sont là que des impressions, et je serais heureux d'avoir quelque chose de plus objectif à mettre derrière mon impression.
[#17] Dans le quartier « financier » il y a plein de gratte-ciels de bureaux et, pas loin, d'habitations. Mais dès qu'on s'écarte un peu, en fait, Toronto est plutôt fait de bâtiments bas : soit des maisons, typiquement mitoyennes, dans les quartiers résidentiels (comme celle où j'ai habité en '84–'85), soit des immeubles bas avec souvent un commerce au rez-de-chaussée (vue typique ici).
[#18] Toronto suit, depuis sa fondation, ce plan en grille typique des villes nord-américaines. Mais il ne pousse pas la logique comme le fait Manhattan jusqu'à donner aux voies de simples numéros : il faut donc connaître le nom des principales si on veut se repérer. (Il n'y a même pas la convention que les rues vont dans un sens et les avenues dans un autre.)
☞ Le PATH
Parlant d'organisation de l'espace, il y a autre chose que je dois évoquer à propos de Toronto parce que c'est une particularité de la ville et même une possible attraction touristique : le PATH.
Il s'agit d'un réseau de centres commerciaux, généralement
souterrains, interconnectés les uns aux autres. Toronto a un grand
centre commercial,
le Eaton
Centre
(ici),
mais beaucoup des gratte-ciel de bureaux dans le centre-ville ont leur
propre centre commercial au sous-sol (plus petit que le Eaton Centre,
mais pas forcément si petit que ça), avec à la fois des commerces qui
peuvent être utiles aux gens qui travaillent dans l'immeuble ou à
proximité (notamment souvent un food court
rassemblant plein de restaurants rapides), ou d'autres d'intérêt
général. Et ces différents centres commerciaux, ou du moins ceux
situés en gros entre le Eaton Centre et le lac, ont été connectés les
uns aux autres, ainsi qu'à plusieurs stations de métro, par toutes
sortes de passages souterrains, formant un immense complexe
commercial. Il y a d'autres villes qui ont ça, notamment parce que
c'est assez apprécié au Canada de ne pas avoir à sortir quand il fait
froid, mais celui de Toronto est particulièrement grand. (D'après
Wikipédia, il y aurait plus de 30 km de galeries et plus de 1200
boutiques, et ce serait un record mondial ; et ces chiffres semblent
dater de 2014 environ.) La photo à gauche du poussinet quelque
part[#19] dans le PATH montre
à quoi ça peut ressembler.
[#19] Elle a été prise alors que nous allions entre la Exchange Tower et le Richmond Adelaide Centre. Comme le GPS ne marche pas en souterrain, je n'ai pas l'emplacement exact.
Et ce qui est intéressant aussi, c'est que même quand les commerces ferment[#20], le réseau reste accessible (peut-être pas en totalité, mais au moins en large partie), comme une voie publique. L'ambiance y est alors un peu surréaliste, parce qu'on traverse ces espaces très propres mais déserts dans des couloirs interminables et un peu labyrinthiques : cela peut titiller l'inquiétude associée aux espaces liminaux[#21].
[#20] À part pour les centres commerciaux vraiment prévus comme tels (le Eaton Centre notamment), les commercent du PATH semblent surtout ouverts aux heures de bureau, donc du lundi au vendredi, et fermant assez tôt. Même le vendredi est très calme, parce qu'apparemment depuis la pandémie les Torontois ont pris l'habitude de télétravailler ce jour-là.
[#21] Cf. par
exemple cette vidéo
ou celle-ci, ainsi
que cet
article Wikipédia
et celui-ci,
si vous avez besoin d'explications sur ce que j'entends par espaces
liminaux
.