[#2] Pas juste parce
que je n'aime pas voyager, mais aussi parce que les « vacances » sont
un peu une arnaque : la pile de choses pénibles que je dois faire
continue à grandir exactement au même rythme que j'aie posé des jours
de congés ou pas, donc espérer que prendre des vacances puisse être
relaxant, dans ces conditions, est illusoire.
☞ Mes précédentes visites à Toronto
Je suis déjà allé à Toronto, donc, mais ça remonte à longtemps, et
on ne peut pas non plus dire que j'y suis sois allé souvent. J'y ai
vécu un an, entre l'été 1984 et l'été 1985 (j'avais 8 ans, et j'y
ai été à l'école, en 3e année d'école primaire donc). Puis j'y suis
retourné à l'été 1988 (environ un mois, mais je ne sais plus
exactement). Puis de nouveau à l'été 1995 (je crois que j'y ai passé
une semaine, suivie d'une autre semaine à
Ottawa[#3]). Et la dernière
fois avant celle-ci, c'était en
avril 2007[#4] où j'y étais
allé dix jours pour voir mon poussinet (qui faisait, lui, un stage de
cinq mois à l'Université de Toronto). Ceci étant, comme je l'avais
écrit dans mon billet sur le passage du
temps (note #3),
l'impression que j'ai dans ma tête est que ces passages à Toronto se
rapprochent dans le temps alors qu'en réalité ils s'éloignent : et
j'ai du mal à me rendre compte que ça faisait plus de 18 ans que je
n'y avais pas mis les pieds.
[#3] Pro-tip : ne
passez pas une semaine à Ottawa. Autant une semaine à Toronto c'est
facile à meubler, autant une semaine à Ottawa c'est signer pour un
ennui profond.
[#4] On voit que
j'évite soigneusement de passer l'hiver à Toronto. (Et le seul hiver
que j'y ai passé, celui de 1984–1985, a je crois été plutôt doux,
alors qu'en
France il
a été très froid, donc on va dire que j'ai quand
même de la chance.) Mais même en
avril 2007 j'ai trouvé qu'il faisait insupportablement froid, et j'ai
dû m'acheter une paire de gants sur place. Cette fois-ci nous avons
eu beaucoup de chance avec le temps, parce que peu avant notre arrivée
il faisait très désagréablement chaud (et humide), mais nous avons eu
un temps extrêmement plaisant (à part une seule matinée pluvieuse) :
ensoleillé et ni trop chaud ni trop froid. La période de fin août et
début septembre est sans doute le meilleur moment pour visiter cette
ville (au moins pour ce qui est de la météo, et si, comme moi, on
n'aime ni le chaud ni le froid).
☞ À la recherche des changements
Mais peut-être justement qu'on comprend mieux un
endroit si on n'y vient que rarement, parce que c'est l'occasion de
remarquer des changements que les locaux, qui vivent le changement
graduel et donc ne le voient pas forcément. Indéniablement, Toronto a
beaucoup changé en 18 ans, surtout parce qu'il s'est construit
beaucoup de nouveaux gratte-ciel, surtout à proximité du lac Ontario.
Pour illustrer ce point, j'ai d'ailleurs essayé de couper, ci-contre,
une de mes photos prises ce mois-ci dans les mêmes proportions que
celle avec laquelle j'avais
illustré mon billet
de 2007[#5].
[#5] Le point de vue
n'est cependant pas exactement le même, comme on l'aura remarqué (la
photo de 2025 est prise
depuis ici ;
celle de 2007 a dû être prise depuis
environ là,
même si je n'avais pas de GPS à l'époque pour noter
précisément l'emplacement). Donc la comparaison n'est pas parfaite.
Mais ça donne quand même une bonne idée du changement.
Évidemment, ce n'est pas évident de savoir, quand je ne
reconnaissais pas un endroit, si c'était parce que l'endroit avait
changé en 18 ans (voire 30, parce que parfois mon dernier passage à
tel endroit remontait à ma visite de 1995) ou si c'était parce que ma
mémoire[#6] avait déformé les
choses. Je crois que ma façon de visiter, qui tournait parfois au
pèlerinage sur des lieux vus précédemment mais pas forcément
intrinsèquement intéressants, a parfois agacé mon poussinet, mais il a
accepté de supporter les radotage de son copain sur le bon vieux temps
(alors tu vois, c'est à cet endroit qu'en 1988, <anecdote
absolument sans intérêt pour qui ne l'a pas vécue>
). Lui-même
n'était même pas tellement intéressé à revoir la maison où il avait
séjourné quelques mois en 2007, et c'est moi qui ai insisté.
[#6] C'est toujours
traître, la mémoire : je peux garder un souvenir incroyablement précis
d'un détail mineur, et inventer complètement toutes sortes de choses
autour. S'agissant de la géographie, cependant, l'effet typique est
de comprimer les distances : je vais me rappeler précisément deux
endroits A et B, et pas tout l'espace entre eux,
donc dans ma tête ils seront côte à côte, et que je revois les lieux
dans la réalité, je suis tout surpris de constater l'existence d'un
écartement que j'avais mentalement complètement occulté. (Or il est
certain que si Toronto a changé, l'espacement entre deux endroits
donnés n'a pas dû bouger, la constante de Hubble n'est pas si
importante que ça.)
Un exemple parfaitement sans intérêt pour donner une idée de ma
façon de traquer le passé. Il y avait dans un parc du côté de
l'Université de Toronto (je peux maintenant dire que
c'était ici,
dans le parc de Hart House Circle) quatre sculptures un peu
mystérieuses (sculpture
n'est pas terrible, mais je ne sais pas
quel mot utiliser : marqueurs
, peut-être ?) : trois en forme de
pyramides creuses, et une en forme d'obélisque ; ces quatre trucs
étaient alignés, du plus petit (l'obélisque) au nord au plus grand au
sud. Je les avais remarqués quand j'étais petit, et je m'étais
demandé à quoi ils servaient ou s'ils avaient un sens particulier.
Puis j'avais fini par comprendre : ils étaient positionnés de sorte
que les sommets des quatre fussent précisément alignés avec le sommet
de
la tour CN
(haute de 553m, restée très longtemps la plus tour du monde, et qui
domine et caractérise le paysage torontois), de sorte que si on
plaçait son œil au bon endroit on voyait un alignement très
satisfaisant.
(Voyez ici
et là
les photos que j'en ai prises en 2007.) En 1995 j'étais tout content
de montrer cette petite curiosité de la ville à l'ami avec qui je
voyageais (j'ai eu un petit peu de mal à la retrouver), et en 2007 je
l'ai montrée à mon poussinet. Cette fois-ci, pas moyen de les
retrouver. (Pour le coup, je ne pouvais avoir aucun doute de leur
existence, mais je n'étais plus sûr de l'endroit.) Après
investigation, j'ai eu confirmation du fait que je cherchais bien au
bon endroit, mais les marqueurs ont disparu : ils existaient encore en
2019 (on
peut les
voir sur Google Street View, mais
on m'a
dit qu'ils n'étaient plus là en 2022).
J'ai tendance à être un peu obsédé, comme ça, à retrouver les
choses du passé, à comprendre exactement ce qui a changé et comment, à
enquêter sur quand et pourquoi.
Déjà en 2007 j'avais traîné mon poussinet dans une balade que mon
papa et moi faisions régulièrement en 1984–1985, pour tâcher de
retrouver par où nous passions (dans une des ravines que compte
Toronto et qui reste un petit coin de verdure bizarrement isolé au
milieu de la ville : en gros
de là
à là,
même si je n'ai pas réussi à retrouver exactement quel était
l'itinéraire[#7]), et
maintenant j'ai de nouveau traîné mon poussinet pour retrouver à la
fois l'itinéraire d'origine et aussi l'itinéraire que nous avions
suivi en 2007 pour retrouver celui
d'origine[#8].
[#7] Nous descendions
dans la ravine
de Yellow
Creek (Avoca Ravine) typiquement au niveau de St. Clair Ave, et
ensuite nous suivions le ruisseau vers l'aval. Mais en gros au niveau
de son confluent avec le Don
(celui-ci,
évidemment,
pas celui-là),
on arrive dans un dédale très difficile à naviguer entre les rivières,
plusieurs routes compliquées à traverser reliées entre elles par des
gros échangeurs, une voie de chemin de fer, une autre voie de chemin
de fer abandonnée, et une ancienne briqueterie
(ici),
maintenant abandonnée (qui en 2007 était franchement un peu glauque,
mais depuis a été convertie en
un lieu extrêmement
bobo). Je ne sais plus du tout ce que mon papa et moi faisions
quand nous arrivions là, ni par où nous sortions de la ravine. Vous
vous en foutez complètement, mais moi ça me démange depuis 2007.
[#8] Normalement,
l'itération de l'enquête devrait s'arrêter là : cette fois j'ai une
trace GPS précise, enregistrée par le téléphone, du
chemin que nous avons suivi chaque jour, et j'ai noté plein de détails
de façon obsessionnelle dans mon
journal (que je tenais déjà en 2007, mais pas aussi
précisément).
Une chose importante à mes yeux qui a disparu du Toronto de 2025
alors qu'il existait encore (fût-ce sous une forme déjà diminuée) en
2007, c'est
le Centre
des sciences de l'Ontario, un musée des sciences qui a (avec le
Palais de la Découverte à Paris) beaucoup fait pour mon éveil
scientifique (j'en parlais dans ce
billet). En 1995 je l'avais revisité avec énormément de plaisir.
En 2007 j'avais été très déçu qu'une grande partie avait été réservée
aux enfants (et l'ensemble du musée était nettement plus orienté dans
le sens d'amuser les enfants maintenant que j'étais adulte que quand
je l'appréciais en étant moi-même enfant). Maintenant il a
complètement fermé (à cause de problèmes dans le bâtiment qui est
d'ailleurs architecturalement intéressant en lui-même). Dans le même
ordre d'idées, il y avait une boutique de jouets scientifiques
(Science City
, dans le Holt Renfrew Centre), que
j'adorais en 1984–1985, que j'avais été incroyablement heureux de
trouver encore ouverte en 2007 (du coup, nous y avons acheté un
Rubik's cube), et qui a fermé depuis. Et encore une fermeture à
signaler :
le World's
Biggest Bookstore
où j'ai passé plein de temps n'existe
plus.
Mais bon, je ne veux pas ennuyer excessivement mes lecteurs en
racontant les choses que j'ai essayé de retrouver (ou, au niveau méta,
en racontant la manière dont j'ai ennuyé mon poussinet en essayant de
les retrouver) ou les minutiæ des changements que j'ai remarqués.
Beaucoup des choses que j'ai racontées dans
mon billet de 2007 restent quand
même parfaitement
valables[#9].
[#9] Allez, encore un
autre pour la route : en 2007, j'écrivais que l'équivalent canadien
de Starbucks était Second Cup (mon poussinet
adorait les Second Cup, et quand je lui ai rendu visite
en 2007, nous avons passé la moitié de notre temps à Toronto à
simplement traîner dans ces cafés). Maintenant, Second
Cup existe encore, mais il y en a beaucoup moins (plusieurs de
ceux que nous fréquentions en 2007 avaient fermé) : la réponse
canadienne à Starbucks est maintenant plutôt Tim
Hortons et il y en a partout… mais
vraiment partout.
☞ Location et conduite d'une voiture
Une différence avec 2007 qui n'est en rien un changement de la
ville, c'est que cette fois-ci mon poussinet et moi avons loué une
voiture.
Je dis que nous
avons loué une voiture, mais en fait
c'est moi qui ai loué une
voiture[#10], parce que ce
gros malin a trouvé le moyen de laisser son permis de conduire en
France[#11], du coup c'est moi
qui ai dû conduire[#12],
situation un peu absurde vu que je n'aime pas conduire une voiture
alors que le poussinet aime beaucoup ça, et que j'étais quand même
assez terrifié vu que c'était la première fois que je conduisais en
Amérique du Nord (ou en fait, ailleurs qu'en France).
[#10] Nous avons
d'ailleurs rencontré la complication suivante : mes cartes de crédit
sont techniquement des cartes de débit (elles sont à débit immédiat,
je préfère parce que c'est beaucoup plus simple pour faire mes
comptes). La différence n'a aucun sens, aucun intérêt et aucune
importance en France, mais comme Visa et MasterCard tiennent à la
maintenir parce qu'en Amérique du Nord c'est important, ben c'est
écrit debit
au
dos. Or apparemment les loueurs de voiture Nord-Américains, et pas
seulement Nord-Américains, n'aiment pas du tout les cartes de débit
(la raison n'est pas claire, et est certainement stupide parce qu'il
est faux de prétendre qu'on ne peut pas bloquer des fonds sur une
carte de débit). Donc nous avons essuyé plusieurs refus (et perdu
deux heures) avant que Hertz accepte de me faire la location.
[#11] Apparemment il
s'est dit bon, de toute façon, les Canadiens ne reconnaissent pas
le permis de conduire français comme pièce d'identité, donc ça ne sert
à rien de le prendre
, et il l'a retiré de son portefeuille pour le
poser sur son bureau. Et il ne s'en est rendu compte que quand nous
sommes arrivés à l'hôtel et que l'hôtelier a listé le permis de
conduire comme pièce d'identité possible.
[#12] J'ai eu une
Toyota Corolla hybride (immatriculée, je ne sais pas pourquoi, en
Nouvelle-Écosse). Plutôt agréable à conduire, même si j'ai trouvé
bizarre la manière dont le moteur thermique se mettait parfois à
rugir.
Bon, à vrai dire, la conduite n'a pas spécialement posé problème.
Il y a quelques différences à
savoir[#13] : les feux sont de
l'autre côté des intersections (bon ça c'est facile à comprendre, et
finalement pas si surprenant), on a le droit en Ontario de tourner à
droite à un feu rouge s'il n'y a pas de panneau l'interdisant, il y a
parfois des flèches vertes spéciales permettant de tourner à gauche en
donnant le feu rouge en face, et sinon les limites de vitesse sont
indiquées explicitement et semblent ne suivre aucune logique. Les
voies de sortie sur autoroute sont assez confusantes parce qu'on ne
sait jamais bien si la voie de droite va obliger à sortir où si on
peut rester dessus (j'ai fini par apprendre à repérer le truc, mais du
nombre de rabattements en urgence que j'ai vus, les locaux se font
eux-même souvent surprendre). Mais rien de franchement
renversant.
[#13] Je ne comprends
pas pourquoi les loueurs de voiture ne se mettent pas ensemble pour
éditer une brochure quelques règles à savoir sur la conduite dans
<tel pays> à destination des étrangers
. Ce serait quand
même fortement dans leur intérêt d'éviter des accidents, et leurs
clients apprécieraient.
La conduite des Ontariens ne m'a pas impressionné. Mon père
m'avait toujours seriné que les Français conduisaient très mal (sur ce
point je suis assez d'accord) tandis que les Canadiens étaient selon
lui profondément civilisés sur la route. Bon, peut-être que les
choses ont changé, et c'est vrai que ce n'est pas pareil,
mais je n'ai pas trouvé que c'était franchement mieux. Il suffit
qu'on roule un tout petit peu lentement parce qu'on hésite sur la
direction à prendre (ou qu'on ne sait pas si la voie sort ou pas) et
on vous klaxonne derrière, ou on vous double à toute vitesse par la
droite (ce qui est, pour autant que je sache, aussi interdit en
Ontario qu'en France, et encore plus con vu qu'il y a généralement
plein de voies libres à gauche). Les gens ne tiennent pas bien leurs
distances et ne savent pas anticiper les changements de file. Il y a
certes peut-être un peu moins d'agressivité qu'en Île-de-France, et
moins d'excès de vitesse. Mais sinon, j'ai aussi été étonné du nombre
de voitures de sport au moteur très bruyant qui s'amusaient à
accélérer très fort dans les rues de Toronto (je ne parle pas ici des
autoroutes). Et évidemment, le nombre de pickups
énormes[#14] est incomparable
avec ce qu'on a en France.
[#14] Ce que j'ai peu
vu, en revanche, c'est des motos : pas beaucoup en ville (et encore
moins de scooters si on exclut les livreurs), et très peu sur les
autoroutes. Une partie de l'explication, je suppose, est que le
climat canadien ne doit permettre, en pratique, de faire de la moto
que quatre ou cinq mois dans l'année, donc ce n'est pas très tentant
d'en acheter. Il n'y a pas non plus beaucoup de camions : là la
raison est certainement qu'en Amérique du Nord le rail sert surtout au
fret alors qu'en Europe il sert au transport de passagers.
C'est surtout chiant.
L'autoroute
401 de l'Ontario (autoroute est-ouest qui passe à travers
Toronto), apparemment la plus fréquentée de toute l'Amérique du Nord,
est, au moins en certains endroits, une
4×4 voies[#15] (c'est-à-dire
qu'il y a, dans chaque sens, un jeu de 4 voies express
et un
jeu de 4 voies collectrices
, avec des entrées-sorties entre
l'extérieur et la partie collectrice, et des entrées-sorties entre la
partie express et la partie collectrice). La circulation ne semble
pas suivre le même genre de variations temporelles et spatiales qu'en
région parisienne : c'est nettement moins bouché qu'autour de Paris
aux heures de pointe[#16],
mais il n'y a pas non plus vraiment l'air d'avoir de creux
significatif. Nous sommes allés jusqu'à Niagara (pas par cette
autoroute précise, mais par d'autres du même genre) : c'est
interminable, c'est tout droit et tout plat à travers des paysages
moches et il ne se passe rien. Je ne suis pas prêt à traverser le
continent a mari usque ad mare par la route.
[#15] De façon
générale, je rigole en pensant aux gens qui disent que Paris c'est
le tout-voiture
. Et encore, Toronto a un vrai métro, des
vraies trams et des vraies lignes de bus, et il y a des vrais trains
(pas rapides, mais qui fonctionnent) qui permettent d'aller ailleurs,
et même des semblants de pistes cyclables : ce n'est pas Houston ; en
2007 nous avions pu faire plein de choses uniquement avec les
transports en commun, donc même Toronto n'est pas
le tout-voiture
. Mais quand on voit Toronto (qui trouve quand
même le moyen d'avoir des passages piétons avec un signe disant aux
piétons qu'ils ne sont pas prioritaires là !), on se demande dans quel
monde vivent les gens qui pensent que le Paris de 2025, ou même le
Paris de 2005, ou même de 1985, ou même de 1965, serait
le tout-voiture
. Revenez un peu sur Terre, les gens qui
utilisent cette expression !
[#16] En revanche, en
revenant de chez mon cousin, nous avons été pris dans un énorme
bouchon — en gros 45min de perdues — sur la partie « express » de la
401, qui était
réduite en
un point à une seule voie à cause de travaux, parce que nous
n'avions pas bien lu ce que nous disait Google (rester sur la partie
« collectrice » qui, elle, circulait très bien).
☞ L'impression d'étalement urbain
Laissant de côté la conduite automobile, c'est quelque chose qui me
frappe, à quel point Toronto me paraît grand (je veux dire, étalé dans
l'espace), notamment comparé à Paris.
Je ne suis pas sûr de savoir mettre précisément le doigt sur ce qui
donne cette impression. Factuellement on peut dire que Toronto fait
631 km² de surface
(limites
ici) alors que Paris ne fait que 105 km² : oui, c'est plus grand.
Mais en fait ces chiffres sont des limites administratives
arbitraires : en 1998, Toronto a
été fusionné
(par le gouvernement de l'Ontario, et contrairement à la volonté des
habitants) avec les municipalité voisines de York, East York, North
York, Etobicoque et Scarborough ; surface
du Toronto d'avant
1998 était de 97 km²
(limites
ici), donc tout à fait comparable à Paris, et inversement, la
« petite couronne » autour de Paris (en comptant Paris) fait 762 km²,
tout à fait comparable à Toronto. (Les populations sont plus
différentes : 2.8M d'habitants à Toronto contre 6.5M pour Paris et sa
petite couronne. Donc Paris est nettement plus dense. Mais je ne
sais pas si ça explique grand-chose à mon impression.)
Je pense qu'une partie de l'explication de mon impression est liée
à la monotonie : Toronto a un centre-ville avec des grands immeubles,
puis s'étale progressivement et très uniformément à partir de ce
centre, presque sans centres secondaires, dans une banlieue
interminable, aux paysages très peu
variés[#17], et rendue encore
plus monotone par le plan en
grille[#18] des rues de la
ville. Tandis que la banlieue parisienne comporte encore des centres
secondaires historiques très nets et une plus grande diversité de
paysages. Le fait que Toronto ne puisse grandir que dans trois
directions (le sud étant bloqué par le lac Ontario) explique aussi que
les distances soient plus grandes, à surface égale, qu'à Paris. Mais
ce ne sont là que des impressions, et je serais heureux d'avoir
quelque chose de plus objectif à mettre derrière mon impression.
[#17] Dans le quartier
« financier » il y a plein de gratte-ciels de bureaux et, pas loin,
d'habitations. Mais dès qu'on s'écarte un peu, en fait, Toronto est
plutôt fait de bâtiments bas : soit des maisons, typiquement
mitoyennes, dans les quartiers résidentiels
(comme celle
où j'ai habité en '84–'85), soit des immeubles bas avec souvent un
commerce au rez-de-chaussée
(vue
typique ici).
[#18] Toronto suit,
depuis sa fondation, ce plan en grille typique des villes
nord-américaines. Mais il ne pousse pas la logique comme le fait
Manhattan jusqu'à donner aux voies de simples numéros : il faut donc
connaître le nom des principales si on veut se repérer. (Il n'y a
même pas la convention que les rues vont dans un sens et les avenues
dans un autre.)
☞ Le PATH
Parlant d'organisation de l'espace, il y a autre chose que je dois
évoquer à propos de Toronto parce que c'est une particularité de la
ville et même une possible attraction touristique :
le PATH.
Il
s'agit d'un réseau de centres commerciaux, généralement souterrains,
interconnectés les uns aux autres. Toronto a un grand centre
commercial,
le Eaton
Centre
(ici),
mais beaucoup des gratte-ciel de bureaux dans le centre-ville ont leur
propre centre commercial au sous-sol (plus petit que le Eaton Centre,
mais pas forcément si petit que ça), avec à la fois des commerces qui
peuvent être utiles aux gens qui travaillent dans l'immeuble ou à
proximité (notamment souvent un food court
rassemblant plein de restaurants rapides), ou d'autres d'intérêt
général. Et ces différents centres commerciaux, ou du moins ceux
situés en gros entre le Eaton Centre et le lac, ont été connectés les
uns aux autres, ainsi qu'à plusieurs stations de métro, par toutes
sortes de passages souterrains, formant un immense complexe
commercial. Il y a d'autres villes qui ont ça, notamment parce que
c'est assez apprécié au Canada de ne pas avoir à sortir quand il fait
froid, mais celui de Toronto est particulièrement grand. (D'après
Wikipédia, il y aurait plus de 30 km de galeries et plus de 1200
boutiques, et ce serait un record mondial ; et ces chiffres semblent
dater de 2014 environ.) La photo à gauche du poussinet quelque
part[#19] dans le PATH montre
à quoi ça peut ressembler.
[#19] Elle a été prise
alors que nous allions entre la Exchange Tower et le Richmond Adelaide
Centre. Comme le GPS ne marche pas en souterrain, je
n'ai pas l'emplacement exact.
Et ce qui est intéressant aussi, c'est que même quand les commerces
ferment[#20], le réseau reste
accessible (peut-être pas en totalité, mais au moins en large partie),
comme une voie publique. L'ambiance y est alors un peu surréaliste,
parce qu'on traverse ces
espaces très
propres mais déserts dans des couloirs interminables et un peu
labyrinthiques : cela peut titiller l'inquiétude associée
aux espaces
liminaux[#21].
[#20] À part pour les
centres commerciaux vraiment prévus comme tels (le Eaton Centre
notamment), les commercent du PATH semblent surtout ouverts aux heures
de bureau, donc du lundi au vendredi, et fermant assez tôt. Même le
vendredi est très calme, parce qu'apparemment depuis la pandémie les
Torontois ont pris l'habitude de télétravailler ce jour-là.
[#21] Cf. par
exemple cette vidéo
ou celle-ci, ainsi
que cet
article Wikipédia
et celui-ci,
si vous avez besoin d'explications sur ce que j'entends par espaces
liminaux
.