David Madore's WebLog: 2008-01

Vous êtes sur le blog de David Madore, qui, comme le reste de ce site web, parle de tout et de n'importe quoi (surtout de n'importe quoi, en fait), des maths à la moto et ma vie quotidienne, en passant par les langues, la politique, la philo de comptoir, la géographie, et beaucoup de râleries sur le fait que les ordinateurs ne marchent pas, ainsi que d'occasionnels rappels du fait que je préfère les garçons, et des petites fictions volontairement fragmentaires que je publie sous le nom collectif de fragments littéraires gratuits. • Ce blog eut été bilingue à ses débuts (certaines entrées étaient en anglais, d'autres en français, et quelques unes traduites dans les deux langues) ; il est maintenant presque exclusivement en français, mais je ne m'interdis pas d'écrire en anglais à l'occasion. • Pour naviguer, sachez que les entrées sont listées par ordre chronologique inverse (i.e., la plus récente est en haut). Cette page-ci rassemble les entrées publiées en janvier 2008 : il y a aussi un tableau par mois à la fin de cette page, et un index de toutes les entrées. Certaines de mes entrées sont rangées dans une ou plusieurs « catégories » (indiqués à la fin de l'entrée elle-même), mais ce système de rangement n'est pas très cohérent. Le permalien de chaque entrée est dans la date, et il est aussi rappelé avant et après le texte de l'entrée elle-même.

You are on David Madore's blog which, like the rest of this web site, is about everything and anything (mostly anything, really), from math to motorcycling and my daily life, but also languages, politics, amateur(ish) philosophy, geography, lots of ranting about the fact that computers don't work, occasional reminders of the fact that I prefer men, and some voluntarily fragmentary fictions that I publish under the collective name of gratuitous literary fragments. • This blog used to be bilingual at its beginning (some entries were in English, others in French, and a few translated in both languages); it is now almost exclusively in French, but I'm not ruling out writing English blog entries in the future. • To navigate, note that the entries are listed in reverse chronological order (i.e., the most recent is on top). This page lists the entries published in January 2008: there is also a table of months at the end of this page, and an index of all entries. Some entries are classified into one or more “categories” (indicated at the end of the entry itself), but this organization isn't very coherent. The permalink of each entry is in its date, and it is also reproduced before and after the text of the entry itself.

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Entries published in January 2008 / Entrées publiées en janvier 2008:

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(dimanche)

Encore de la géographie parisienne

Après les subtilités de la porte de Bercy, je suis allé hier avec mon poussinet explorer les environnements urbains du sud-est du treizième arrondissement. Par exemple autour des rues Marcel Duchamp, Jean Fautrier et Trolley de Prévaux que je ne connaissais pas du tout bien qu'elles soient à un gros kilomètre de chez moi ; mais surtout autour des secteurs nouveaux un peu à l'est de là. C'est perturbant parce que tout un tas de plans ne sont pas à jour, pas plus que les images de Google local (leurs indications de rues, elles, ont l'air bonnes). Ainsi nous nous sommes retrouvés au croisement de la rue du Chevaleret et de la rue des Grands Moulins (cette dernière n'apparaît même pas sur le plan de Paris que j'utilise normalement), sous un pont que vous ne pouvez pas voir sur Google local puisque là-dessus la rue s'arrête brutalement au milieu de nulle part, à essayer de passer de l'une vers l'autre par un escalier encore en construction longeant un terrain vague où il y avait probablement eu quelque chose par le passé mais qui est actuellement essentiellement un grand trou : il faudrait que je demande à ma maman (responsable des cartes et plans à la Bibliothèque historique de la ville de Paris) si elle peut retrouver à quoi ressemblait cet endroit il y a une quinzaine d'années, mais j'imagine que c'étaient essentiellement des zones de triage de chemin de fer partout. De même, on ferait bien de mémoriser maintenant l'allure des voies du côté de la gare d'Austerlitz parce que tout cela va être transformé.

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(mercredi)

Vous avez tout compris à la recherche, M. Attali

Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française sous la présidence de Jacques Attali :

Objectif : Rendre notre recherche plus compétitive

Décision 29 : Financer d'avantage la recherche publique sur projet et à la performance.

Je ne me prononcerai pas sur le reste du rapport — parce que je n'aime pas parler de politique sur ce blog — mais il y a des choses qui me font bondir et sur lesquelles je suis assez compétent pour savoir à quel point elles sont ineptes. Je ne sais pas si le but avoué de celui qui a écrit ce qui précède était d'assassiner la recherche fondamentale (sans doute pensée comme pas assez productive, pas assez compétitive, pas assez performante : toutes ces qualités ne pouvant certainement être que celles de la recherche appliquée) ou s'il n'y a simplement pas pensé (autrement dit, je ne sais pas si c'est par malveillance ou ignorance que cette recommandation est faite), mais, disons-le clairement, il n'y a pas de pire fléau pour la recherche fondamentale que le fonctionnement « sur projet » et « à la performance ».

De quoi s'agit-il ? La recherche « sur projet » signifie qu'avant de travailler sur un problème donné, le chercheur doit rédiger un programme de recherche détaillant le problème sur lequel il se propose de travailler, défendant son importance, et quantifiant les moyens dont il a besoin pour ce travail ; ce programme passe devant une commission d'experts (d'autres chercheurs) qui évaluent sa pertinence et, si tout va bien, les crédits sont débloqués. Dit comme ça, ça ressemble à une bonne idée, et il y a certainement des domaines de l'entreprise humaine dans lesquels ç'en est une : croire que c'est le cas pour la recherche fondamentale revient à faire preuve d'une fantastique ignorance de ce que recherche fondamentale signifie. Ce n'est pas juste que les programmes en question (j'en ai vu, aussi bien du côté « demandeur » que du côté « expert ») sont un condensé de langue de bois et de pipo parce qu'il n'y a pas de moyen de faire autrement ; ce n'est pas juste que les formulaires prennent un temps délirant à remplir (temps qu'on ne passe pas à faire de la recherche, donc !) et un nouveau temps délirant à évaluer : tout ça n'est que la pointe de l'iceberg. Le vrai problème avec les « projets », c'est que ce n'est juste pas comme ça que fonctionne la recherche fondamentale : on ne cherche pas sous forme de « projets ».

Je me demande si les bureaucrates qui ont inventé ce mode de fonctionnement s'imaginent vraiment que Newton, Darwin, Turing, auraient découvert les lois de la mécanique, les mécanismes de la sélection naturelle, et les machines programmables universelles, en travaillant sur un projet qui aurait eu ce but (avec quoi pour financements ? une pomme ? un voyage aux Galápagos ?), mais ça me semble assez peu crédible (et j'aimerais bien voir les programmes qu'ils auraient écrits et les avis d'experts qu'ils auraient reçus ! aurait-on accepté ces idées ?). Alors évidemment on va m'accuser du syndrome de Galilée : tous les chercheurs ne sont évidemment pas des Newton, Darwin ou Turing — mais si on présuppose qu'on n'en aura pas, il est certain qu'on n'en aura plus.

Quant à l'évaluation de la performance, qui va avec la proposition, j'aimerais déjà qu'on m'explique ce que c'est que la performance d'un chercheur. La grande mode est de la mesurer avec des indicateurs bibliographiques numériques (un des derniers dans la série étant le h-number) qui partent tous de l'idée stupide que la qualité d'un chercheur peut se mesurer sous une forme ou une autre dans le graphe des citations des articles — c'est oublier que les articles ne sont qu'un moyen de communication scientifique, pas un système d'évaluation. Le problème est que quand on tente de mesurer quelque chose de fondamentalement impossible à mesurer, comme la performance d'un chercheur, on utilise des indicateurs qui sont par essence faux, donc falsifiables (par exemple, s'il s'agit de compter des citations d'articles, on incite les gens à se citer les uns les autres sans aucune raison scientifique), et qu'on donne des motivations extrêmement fortes à les falsifier, ce qui a un effet désastreux sur la science (multiplication inutile du nombre d'articles ou du nombre de pages de ceux-ci ou des citations ou de tout autre facteur qu'on aura décidé d'utiliser pour noter).

De même, proposer des bonus aux chercheurs « performants » peut sembler une bonne idée mais elle est catastrophique : (1) car elle introduit un esprit de compétition qui va à l'encontre des principes sains de la science (les chercheurs du monde entier doivent collaborer pas rivaliser), (2) car elle incite à la frilosité scientifique (pourquoi, en effet, chercher à faire des choses nouvelles et risquées plutôt qu'abattre les papiers faciles ?) et (3) car elle invite au mensonge (si le directeur de laboratoire a un pouvoir de décision sur l'argent que gagne le chercheur de l'équipe, il n'est plus un mentor bienveillant mais un chef face auquel on va chercher à se faire mousser) ; et avant tout, (0) elle passe à côté de l'idée que la grande majorité des chercheurs sont intellectuellement intéressés par ce qu'ils font, au point qu'un bon nombre continuent à travailler après leur retraite, et n'ont pas besoin de « carotte » supplémentaire pour avancer (au contraire, l'absence d'une telle carotte aide à faire que ceux qui s'engagent dans la recherche sont réellement motivés ! je ne dis pas qu'il faut mal payer les chercheurs, mais il me semble surtout important de leur éviter les tracas administratifs, les formulaires à remplir, les évaluations incessantes et autres nuisances de ce genre).

Je vois quotidiennement les méfaits de la recherche par projets alors je ne peux que me lamenter de voir ce mode de fonctionnement recommandé au président de la République. Mais la suggestion suivante me laisse aussi sans voix :

Décision 30 : Réformer le statut d'enseignant-chercheur.

[…] Recruter et financer (salaires, frais de fonctionnement et équipements) tous les nouveaux chercheurs sur des contrats de 4 ans. […] Aucun chercheur ne devra bénéficier de plus de deux (ou, exceptionnellement, trois) contrats de quatre ans successifs. Au bout de cette période, le chercheur pourrait évoluer vers un contrat à durée indéterminée de « directeur de recherche », vers une activité d'enseignement, ou vers l'entreprise privée.

Quand je vois la galère que bon nombre de mes amis ont vécue, en voulant s'engager dans la recherche, de devoir passer par un nombre incroyable de situations précaires (post-docs, ATER, etc.), pas forcément trop mal payées, mais qui font qu'on doit changer de résidence tous les deux-trois ans, au détriment de toute vie familiale, personnelle et affective, et parfois pour se retrouver le bec dans l'eau sans aucune possibilité de poste fixe (parce que les postes dans le public sont trop rares et ne tolèrent aucune originalité de parcours et parce que les entreprises privées n'ont aucun intérêt pour la recherche fondamentale), je suis sûr qu'ils aimeront beaucoup la suggestion de développer cette sorte de choses. Et tout le monde appréciera l'idée qu'on ne puisse faire que huit (ou exceptionnellement douze) ans de recherche : je ne sais pas si le principe sous-jacent est qu'après ça on a le cerveau trop ramolli ou quoi, mais je trouve bizarre de former des gens pendant vingt ou trente ans pour les employer pendant huit ans à ce à quoi on les a formés.

Ah, sinon, la suggestion de quadrupler les promotions de l'ENS (décision 24) me fait aussi bien rire : j'aimerais bien savoir où ils imaginent les accueillir. Et, de façon plus pertinente, vers où les orienter si on supprime les métiers de chercheur et qu'on sabre les postes d'enseignants.

Ajout () : J'ai écrit une entrée plus récente sur un sujet proche, qui est peut-être plus clairement argumentée.

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(lundi)

Petite vérité de géographie parisienne : suite

J'avais signalé cette anomalie géographique parisienne : depuis le pont National (celui qui mène au boulevard Poniatowski), il n'y a aucune façon commode d'aller à pied, disons, à l'avenue des Terroirs de France : pourtant, c'est à quelque chose comme 400m de là, mais il semble qu'on doive ou bien aller rive gauche pour prendre le pont de Tolbiac et remonter la Seine rive droite, ou bien faire un tour encore plus énorme de l'autre côté en allant jusqu'à la rue de Charenton pour ensuite revenir par la rue Proudhon. Dans les deux cas, c'est absurde.

Quel est le problème ? Tout, dans cet endroit, est conçu pour l'automobile, il y a une espèce d'échangeur monstrueux (entre le périphérique et l'autoroute de l'Est) dans lequel un piéton n'a pas le droit de circuler, et pour couronner le tout on a des voies de train (petite ceinture, voies de la gare de Lyon) qui bloquent de larges régions. Ce qu'on voudrait bien faire, c'est passer sous le boulevard Poniatowski, ici (via la rue Robert Etlin) pour rejoindre les quais de Bercy ; malheureusement, si on peut très bien aller jusqu'à l'endroit en question (un escalier y mène), il n'y a pas de trottoir, il y a un panneau interdisant explicitement l'endroit aux piétons, et la glissière de sécurité matérialise cette interdiction. C'est complètement absurde, parce qu'il y aurait largement eu la place pour mettre un trottoir sous le pont : il s'arrête juste brutalement, comme pour le plaisir de vous em***der. Du coup, la suggestion qu'on m'avait faite, en commentaire dans la précédente entrée sur ce sujet, d'emprunter la rue Robert Etlin (tourner trois fois à droite pour tourner à gauche) ne marche pas : on ne peut pas passer sous le pond, à pied.

Cet échangeur est décidément bizarre. Il y a un moyen d'aller à pied jusqu'au centre commercial Bercy 2, mais c'est un cul-de-sac. Il y a aussi une piste, pour piétons et vélos, qui part des quais de Bercy pour mener jusqu'à Charenton, mais elle est complètement isolée du reste (et invraisemblablement glauque : quand elle passe sous le pont du périphérique, par exemple, dont les lumières sont évidemment cassées, c'est tellement digne d'un film d'apocalypse que j'en ai eu des frissons), elle a l'air de continuer très loin dans Charenton avant de mener vers une sortie.

Bref, tout l'endroit semble surgi de l'imagination de Kafka.

Heureusement, je découvre à l'instant un document de la Mairie de Paris qui montre que celle-ci, au moins, est au courant du problème et envisage d'y mettre un terme. Reste que je ne comprends pas pourquoi on ne peut pas simplement ajouter un petit trottoir (protégé par une barrière) sous le pont du boulevard Poniatowski.

Mise à jour () : Ce problème a fini par être corrigé à l'été 2013, voir ici.

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(dimanche)

Fragment littéraire gratuit #109 (trahison ?)

Aujourd'hui on a deux fragments pour le prix d'un.

Un instant, Gilles se laisse faire. Un seul instant, avant de me rejeter violemment.

— T'es un putain de pédé !

C'est plus une explosion qu'une phrase : il prononce les premiers mots doucement, puis de plus en plus vite et de plus en plus fort. Hurlant, il répète encore : T'es qu'un putain de pédé ! Et se tait soudainement, les yeux dilatés, les narines écartées. Il me fait penser à un taureau prêt à ruer. Au loin, un passant s'arrête une seconde, puis presse le pas.

Je recule un peu, juste un peu. Je n'ai pas peur, je suis seulement curieux de savoir ce qu'il va faire. Je lui jette un regard qui doit passer pour narquois. Peut-être que je hoche la tête, je ne sais pas.

Il est vraiment beau, le con.

— T'étais qu'un pédé. Putain, Stéphane ! Putain, mais c'est pas vrai… Dis-moi qu'c'est pas vrai.

Il n'a pas rué. Il ne m'a pas frappé. Est-ce qu'il y a de la tristesse dans sa voix maintenant ? Peut-être pas. Mais ce n'est déjà plus la rage de la surprise. Plutôt la colère qu'il ressent face à ce qu'il doit considérer comme une trahison. Il pense que je suis passé de l'autre côté — celui des fiotes, des tapettes.

— Et moi je t'aimais, bordel. Je t'aimais comme un frère. Tu peux pas comprendre ça, hein ? Toi tu pensais qu'à me sucer…

Le reproche est d'autant plus injuste qu'il mêle vérité et erreur. Pourtant, il ne m'atteint pas. Puis Gilles me tombe dessus, me plaque à terre.

— Moi j'aurais donné ma vie pour toi. Je te croyais ami. Et toi tu voulais juste me baiser.

Toujours pas de coups. Puis un seul, sans énergie. Est-ce qu'il se retient ? Ou est-ce qu'au contraire il cherche à se convaincre de me frapper ? Est-ce qu'il croit être physiquement plus fort que moi, maintenant que je suis « devenu » pédé ? Il répète plusieurs fois sa dernière phrase, en variant légèrement le ton. Comme un acteur qui cherche à entrer dans son rôle, n'y arrive pas. Je me dis qu'il sait très bien que c'est faux.

Il me garde longtemps à terre. Je me demande s'il se rend compte que la situation pourrait passer pour érotique. Je finis par en avoir marre : je me dégage. Je lui fous une baffe :

— Maintenant ça suffit, merde. Oui, je suis un putain de pédé, comme tu dis. La différence entre nous deux, c'est que j'ose dire en face ce que je suis.

Cette fois c'est lui qui recule. D'abord d'un mètre, comme si un serpent l'avait mordu. Puis, sans un mot de plus, il part en courant.

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(dimanche)

Fragment littéraire gratuit #108 (§109–118)

Voici un fragment que je pourrais qualifier de particulièrement gratuit…

§109. La cour intérieure renferme un jardin. Au centre de celui-ci se trouve une statue, représentant une jeune femme nue, surplombant une fontaine ; trois coins de la cour sont ornés de massifs de fleurs, le quatrième (le coin nord-ouest) est plutôt un sous-bois à l'ombre d'un assez grand pommier. Si vous voulez vous approcher de la fontaine, rendez-vous au §106 ; si vous voulez regarder les bosquets de plus près, rendez-vous au §263 ; si c'est le pommier qui vous intéresse, allez au §616. Sinon, des portes permettent quitter la cour : au nord au §730, au sud au §600, à l'est au §695, ou à l'ouest au §524.

§110. Vous prononcez le premier mot qui vous vienne à l'esprit. Jetez quatre dés : si la somme est inférieure ou égale à votre Chance, rendez-vous au §538 ; si elle est supérieure, rendez-vous au §771.

§111. Lorsque vous reprenez connaissance, vous vous rendez compte que vos cou, poignets et chevilles sont enchaînés ; vous êtes attaché au mur d'une pièce presque entièrement vide, aux murs nus, sans aucune autre ouverture qu'une porte fermée devant laquelle se trouve une chaise, seul objet de la pièce. Assis sur la chaise, vous faisant face, Kerenbor vous regarde fixement. Toutes vos possessions ont disparu et vos vêtements sont réduits à un cache-sexe. Voyant que vous avez ouvert les yeux, Kerenbor se lève et s'approche de vous. Alors, on fait moins le malin maintenant ? vous demande-t-il d'une voix moqueuse. Préférez-vous garder le silence pour l'instant (rendez-vous au §737), adopter une attitude soumise (rendez-vous au §782) ou bien le provoquer (rendez-vous au §124) ? Enfin, si vous possédez la compétence de Domination mentale, vous pouvez tenter de l'utiliser à présent : rendez-vous au §289.

§112. Le Gardien sourit. Mauvaise réponse, vous annonce-t-il : crois-tu vraiment que nous resterions ici si ton idée était juste ? Puis, sans hésitation, il vous transperce le cœur. Vous êtes mort.

§113. Le serpent vous attaque (PV 20 ; PA 12 ; PD 18, Habileté −2). Si vous parvenez à le tuer sans être touché, rendez-vous au §346. Si vous le tuez mais que vous avez été touché, rendez-vous au §197 pour connaître les effets de son venin (notez le numéro du paragraphe actuel pour pouvoir y revenir).

§114. Le coffret contient une gemme grosse comme un œuf de caille, de couleur très légèrement bleutée, que vous identifiez immédiatement comme la Larme du ciel. Si vous avez fait une promesse à Kerenbor à Elenbrion, rendez-vous au §788 si vous comptez tenir cette promesse (ou si vous n'avez pas le choix) ou bien au §450 si vous ne la tiendrez pas ; si vous n'avez pas fait de promesse, allez au §738.

§115. Vous vous arrêtez, en proie à un vertige : la plaine est interrompue par une ravine si étroite qu'elle est presque invisible de quelque distance, et pourtant profonde d'au moins cent pieds. Au fond coule un ruisseau difficile à voir dans l'obscurité de la gorge mais dont le son laisse penser qu'il est de quelque importance. Sauter au-dessus de la ravine ne pose pas de difficulté et vous pouvez continuer votre chemin vers l'est au §301 ou vers l'ouest au §385, ou bien longer le cours d'eau vers le nord au §696 ou vers le sud au §743. Enfin, vous pouvez tenter de descendre dans le cañon ; si vous le souhaitez, jetez quatre dés : si la somme est inférieure ou égale à votre Agilité ou si vous possédez la compétence d'Escalade, rendez-vous au §471 ; si elle est supérieure, rendez-vous au §629.

§116. Vous montrez l'anneau à Alnaéra, qui bondit. Il porte le sceau impérial ! s'exclame-t-elle : Où l'avez-vous trouvé ? Allez-vous lui répondre que vous l'avez trouvé par hasard (allez au §145), ou que vous l'avez volé (allez au §358), ou bien préférez-vous lui dire la vérité (allez au §312) ?

§117. Le garde vous salue et vous laisse passer. Vous voici dans Elenbrion : choisissez votre destination sur le plan en annexe et rendez-vous au paragraphe indiqué.

§118. Le couloir dans lequel vous vous trouvez comporte trois portes latérales. Une première, vers le nord, est marquée d'un dessin stylisé représentant une araignée : vous pouvez tenter de l'ouvrir au §763 ; la seconde, à une quinzaine de pas de la première, est de même ornée d'un serpent : vous pouvez tenter de l'ouvrir au §537. L'unique porte menant vers le sud, située à peu près à même distance de celles menant au nord, ne porte aucun symbole mais semble de facture plus riche que les deux autres : si vous voulez l'ouvrir, rendez-vous au §167. Enfin, vous pouvez continuer le couloir vers l'ouest au §16, ou vers l'est au §600.

…En quelque sorte un hommage à des livres qu'on peut lire comme des recueils de fragments, les Livres dont vous êtes le héros. Quand j'étais jeune, je trouvais plus amusant de les lire linéairement que d'y jouer vraiment (enfin, quand je dis linéairement, j'allais quand même regarder vers quoi pointaient les numéros auxquels on était renvoyé, parfois à une profondeur deux ou trois, mais quand j'avais fini je revenais au paragraphe pour passer simplement au suivant).

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(mardi)

Des associations d'idées (dans l'ombre de Borges)

J'ai déjà parlé ici de ce que j'appelle l'effet Zahir (du nom d'une nouvelle de Borges), qui est l'effet qu'on ressent quand on voit une même idée ressurgir de façon indépendante (ou au moins, apparemment indépendante) à un intervalle de temps rapproché (typiquement, un ami vous conseille de lire le livre que vous venez justement d'acheter le matin même — sans savoir, bien sûr, que vous venez de l'acheter). Je viens d'en vivre un que j'ai trouvé amusant. J'était sous la douche et j'ai pensé (plus ou moins aléatoirement) à deux choses : L'Invention de Morel (La invención de Morel, titre d'un roman d'Adolfo Bioy Casares — lequel était d'ailleurs ami de Borges — dans lequel un savant trouve un moyen d'« enregistrer » des fragments de sa vie et de celle de ses amis, pour pouvoir revivre perpétuellement ses moments heureux) et L'année dernière à Marienbad (titre d'un film d'Alain Resnais).

Je sais quelles sont les associations d'idées qui m'ont mené à penser à l'une et l'autre de ces œuvres : j'ai pensé au roman de Bioy Casares (que j'ai lu) parce que j'ai pensé à mon GPS et à la façon dont j'enregistre des promenades que je fais presque comme si j'enregistrais des fragments de vie. J'ai pensé au film de Resnais (que je n'ai pas vu) parce que j'ai pensé au jeu de Nim, qui joue un rôle important dans ce film (et j'avais entendu parler de L'année dernière à Marienbad pour la première fois vers '87 parce que je venais d'apprendre le jeu de Nim, que j'en ai parlé à mon père qui m'a donné la stratégie gagnante, et il connaissait le jeu sous le nom de jeu de Marienbad à cause du film ; nous en avons reparlé quand nous avons passé les vacances de l'été '90 à Munich et que nous avons visité le parc du château de Nymphenburg où le film a été tourné) ; et si j'ai pensé au jeu de Nim, c'est parce que je compte en parler dans le cadre d'un exposé au séminaire de mon équipe. Bref, a priori aucun rapport entre ces deux chemins de pensée.

En sortant de la douche, je regarde Wikipédia pour vérifier si Bioy Casares et Borges se connaissaient bien (ce que, à la réflexion, je devais savoir puisque j'ai lu le Tlön de Borges, où Bioy Casares est explicitement nommé) et j'y apprends :

The best-known novel by Bioy Casares is La invención de Morel (Morel's Invention). […] Both Borges and Octavio Paz described the novel as "perfect." The story is held to be the inspiration for Alan Resnais's Last Year in Marienbad.

Amusant.

Il n'y a pas de conséquence ou de morale à tirer de cette coïncidence, bien sûr — ce n'est pas un signe que le monde de Tlön se met à s'imprégner sur le nôtre, et ce n'est pas non plus le premier pas vers la Contradiction. Mais j'aime ce genre de rencontres fortuites (en anglais il y a un mot que j'aime beaucoup : serendipity). J'ai un ami, cependant, dont la capacité à faire des associations d'idées est telle qu'il doit voir le Zahir partout, et sa conversation s'en ressent.

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(samedi)

Fragment littéraire gratuit #107 (la Contradiction)

Au mur figurait l'inscription énigmatique suivante :

…945497946690011303871870040893554688 = 2∞−1

(Les chiffres sur la gauche devenaient de plus en plus petits et rapidement illisibles.)

L'homme resta silencieux pendant qu'Ack et Bel s'assirent dans les chaises qu'il leur désigna. Il ne parla qu'après les avoir longuement dévisagé comme s'il cherchait à lire dans leur visage la clé d'un mystère ancien.

Venons-en au fait, Messieurs, car la menace est terrible. Vous avez combattu des ennemis terrifiants qui mettaient en danger la reine, le royaume ou l'humanité tout entière… L'agent Bel voulut protester mais l'homme ne lui en laissa pas le temps. Vous et vos collègues avec combattu des ennemis terrifiants, mais aucun tel que celui-ci.

Voyant que l'autre attendait une question, Ack demanda poliment : Que compte-t-il faire ? Expliquez-nous donc.

Il ne veut pas seulement devenir maître du monde, ou de l'univers tout entier, mais de tous les univers possibles. Notre savant fou n'est pas un vulgaire biologiste qui menacerait de dominer l'humanité, ni un chimiste prêt à faire sauter la Terre ; ni même un physicien qui aurait découvert comment repolariser le vide et transformer ainsi le cosmos en une mer de bébé-univers. Non, il est bien plus dangereux que tout ça !

Venez-en au fait, je vous en prie. Que projette-t-il ?

Notre mathématicien s'apprête à modifier la logique même du monde. Son pouvoir serait alors sans limites.

Vous voulez dire, si je comprends bien, demanda 006, cachant avec peine son incrédulité, qu'il veut devenir une sorte de dieu ?

Au moins un dieu, oui : un dieu absolument omnipotent. Je ne parle pas seulement de voyager dans le temps, de vaincre la mort ou de ce genre de choses. Bien plus que ça. Car le Dieu chrétien lui-même, si on en croit Thomas d'Aquin, ne peut pas faire ce qui est logiquement impossible — ea vero quæ contradictionem implicant sub divina omnipotentia non continentur (Somme théologique, première partie, question XXV). Néanmoins, Descartes, dans sa première Méditation

Toutes passionnantes que sont ces considérations théologiques, interrompit 007, elles ne sont pas ce qui nous amène aujourd'hui. Est-il possible que notre savant fou atteigne son but ?

Non, bien sûr : c'est logiquement impossible. Mais son but est précisément d'y arriver bien que ce soit logiquement impossible, puisqu'il cherche à s'affranchir de la logique. Après une pause : Notre avis est que l'arme qu'il construit — la Contradiction — amènera une destruction complète dans laquelle périront non seulement l'univers et tout ce qu'il contient, mais aussi l'idée de l'univers, les triangles équilatéraux et le nombre 42.

Si je comprends, vous dites que c'est impossible mais qu'il y a tout de même un risque qu'il y parvienne. Comment va-t-il s'y prendre ?

L'homme plaça sur la table devant lui un jeu de cartes, le coupa, en retourna la première carte et la montra aux agents secrets : elle représentait un vieil homme s'appuyant sur un bâton et tenant dans l'autre main un objet qui pouvait être une lanterne ou un sablier ; au-dessus de la carte, le chiffre IX. Le neuvième arcane majeur.

En 1873, expliqua-t-il, Charles Hermite — le mathématicien — déposa un pli cacheté à l'Académie des sciences, contenant un lemme essentiel pour atteindre la Contradiction. Ce pli a été détruit sans être ouvert à la mort de Hermite, suivant des instructions qu'il avait laissées dans son testament. Mais nous savons aussi que, profondément troublé par le résultat qu'il avait découvert, il l'avait communiqué à son élève Jules Tannery ; et que celui-ci laissa à sa mort une copie de la démonstration au jeune Albert Châtelet. La piste se perd alors.

Ce papier est ce que cherche notre savant ?

Ce papier est ce qu'il vous faut détruire, ainsi que toute trace, tout souvenir, de ce lemme. Car réunir cette démonstration avec les résultats que notre ennemi possède déjà, cela lui donnerait la Contradiction. La logique du monde dépend de vous, Messieurs !

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(vendredi)

Le durion, la mer, la boussole d'or, la trigo et l'Eee PC

Hier soir à une petite soirée, un ami avait apporté — rapporté de Malaisie plus exactement — des bonbons au durion. Ce fruit à l'odeur très forte a l'air assez extraordinaire en ce qu'il y a des gens qui en sont fous alors que d'autres trouvent que ça sent les pieds, le vomi, le camembert cru à point avec des nuances d'ananas et d'ail (sic), ou encore des excréments de porc, de thérébenthine et d'oignons, le tout garni par une vieille chaussette (re-sic !). En faire des bonbons peut rappeler le sketch crunchy frog des Monty Pythons, mais apparemment les Malais aiment vraiment ça. Bon, mes amis étaient plutôt de l'avis des vieilles chaussettes — moi je n'ai pas eu le courage de goûter, mais une chose m'a vivement frappé, c'est que l'odeur des bonbons quand quelqu'un en mangeait était exactement le parfum très caractéristique d'un médicament (probablement un antibiotique) qu'on m'avait donné un jour quand j'étais petit. (Une odeur si particulière et si marquante que je m'en souviens plus de vingt ans après et pendant longtemps elle a été associée dans mon esprit au médicament « typique ».) Je trouve ça très mystérieux, parce que je ne peux pas imaginer qu'on ait voulu parfumer un médicament pour enfants au durion : c'était sans doute censé être un arôme de fraise (un autre ami qui avait le même souvenir que moi disait qu'il se rappelait que c'était un sirop ou bien une poudre rose vif). Pour un peu, je lancerais un appel à témoins !

Ajout () : fil Twitter sur ce sujet.

J'ai de nouveau vu la mer, mardi, mais cette fois-ci c'était la Manche (à Calais, par ici).

Comme je n'ai pas trouvé mauvais le film qui en a été récemment tiré, j'ai entamé la lecture de la trilogie His Dark Materials de Philip Pullman qui, bien que destinée aux adolescents, a de quoi intéresser les adultes. « Localement » je trouve ça bien écrit et maîtrisé, mais j'ai tendance à penser (sans être encore arrivé jusqu'au bout pour juger vraiment) que l'auteur accumule vraiment trop de péripéties et de rebondissements dans tous les sens qui ajoutent au nœud de l'intrigue de façon artificielle.

Quelqu'un a corrigé tout récemment une erreur (de signe dans une formule) que j'avais introduite (bien évidemment involontairement !) dans la Wikipédia de langue française il y a trois ans. Si j'étais un de ces journalistes français qui se font un sport de taper sur Wikipédia à tout propos (surtout quand ils ne comprennent rien à ses principes), je me moquerais de cette encyclopédie qui met trois ans à vérifier une formule qu'on trouve dans n'importe quel précis de trigonométrie sphérique ; comme il se trouve, j'ai plutôt envie de me cacher sous le tapis.

J'ai passé mon Eee PC sous Debian parce que j'avais besoin de faire un peu plus de configuration que ce que la Xandros (pour laquelle je n'ai pas accès aux dépôts) me permettait — notamment recompiler mes propres noyaux (or la seule version que je puisse faire marcher du driver wifi a une API incompatible avec ce que certains programmes de la Xandros supposaient). Depuis, plein de petits détails me posent des problèmes (le Wifi décide parfois aléatoirement de ne plus fonctionner, et il n'aime vraiment pas les mises en veille, le touchpad se met parfois sans aucune raison visible à avoir une sensibilité extrêmement mal réglée, le gestionnaire réseau me redemande des clés que je lui ai déjà données, ce genre de choses) : je pense que j'arriverai à les résoudre à terme, mais ça prendra beaucoup de temps. Je déconseille donc fortement la manœuvre (peut-être que j'aurais dû préférer Ubuntu à Debian, en tout cas vraiment la Debian testing mérite son nom).

Pour ce qui est de mon idée de mettre Wikipédia sur une clé USB, j'ai résolu que la bonne façon de faire était de construire un SquashFS à partir des dumps statiques : en éliminant les pages de discussion, les pages utilisateur, etc., et en utilisant la compression LZMA (une des raisons pour lesquelles j'ai dû recompiler un noyau sur mon Eee), on descend ainsi à 6.1Go pour la Wikipédia de langue anglaise et 2.0Go pour celle de langue française… malheureusement un chouïa trop pour les mettre ensemble sur une clé de 8Go (qui ne font pas 8Go mais plutôt de l'ordre de 8 milliards d'octets soit 7.5Go), mais je pourrai mettre l'anglaise sur une clé et la française sur le disque.

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(Tuesday)

Gratuitous Literary Fragment #106 (fantasy)

It's not about magic, in fact. It's not at all about magic. He let go of the jade figurine and went on to fidget with a thick, leather-bound volume that I recognized as a blackletter King James bible. I watched his fingers with some fascination, perhaps giving them more attention than I did to his words. Not at all about magic. I briefly wondered whether he was referring to the book in his hands.

You see, he went on, it's about Good and Evil. Good and Evil are the hallmark of fantasy, not magic. Magic is dispensable. And even insofar as it is not, it is implied by the Manichaean doctrine, which is what this is all about. Whether in the guise of Aslan versus the White Queen or Gandalf versus Sauron, we are witnessing the eon-old fight of Ahura Mazdā and Aŋra Mainiuu, the embodiments of Light and Darkness.

Not all fantasy works are so blatantly dualistic, I objected, and not all dualistic fiction is fantasy.

They are! It is. No matter how they disguise the premise or jiggle with it, it remains a premise. There is no such thing as Good and Evil in the world about us—the real world—the one we live in. There are cowards and fanatics, weak-minded people, and there are those who have ideals—and who might disagree about ideals. There are human failings and there are human virtues, but there is no obvious line between the two, and certainly no such thing as a good man or an evil one. No matter what Christianity would have you believe, or various debased forms of Humanism. Good and Evil are not in the world, they are in how we see it, and that is also where magic lies.

Would you describe Oliver Twist as fantasy, then? How about Les Misérables?

I might, but you're barking up the wrong tree there, dear. Moralism or social criticism are not at all the same as dualism. First, there is a world of difference between portraying Good and Evil locked in the ritual war that is the prime motive of the fantasy-world, and using said fantasy-world as a metaphor because you're trying to make a point that pertains to the real world. Id est, it's not because the author adheres to the view of some characters as good and others evil that they actually are so. Second, it's not because the categories are distinct that authors are forbidden to borrow from both. And so they do. To illustrate this…

But I wasn't really listening any more. As I dreamily stared at the painting of Saint George, the drone of Alwin's words seemed to fade in the distance.

Then something quite extraordinary happened.

Update (): Ska wrote this response to my fragment.

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