Vous êtes sur le blog de David Madore, qui, comme le
reste de ce site web, parle de tout et
de n'importe quoi (surtout de n'importe quoi, en fait),
des maths à
la moto et ma vie quotidienne, en passant
par les langues,
la politique,
la philo de comptoir, la géographie, et
beaucoup de râleries sur le fait que les ordinateurs ne marchent pas,
ainsi que d'occasionnels rappels du fait que
je préfère les garçons, et des
petites fictions volontairement fragmentaires que je publie sous le
nom collectif de fragments littéraires
gratuits. • Ce blog eut été bilingue à ses débuts (certaines
entrées étaient en anglais, d'autres en français, et quelques unes
traduites dans les deux langues) ; il est
maintenant presque exclusivement en
français, mais je ne m'interdis pas d'écrire en anglais à
l'occasion. • Pour naviguer, sachez que les entrées sont listées par
ordre chronologique inverse (i.e., la plus récente est en haut).
Cette page-ci rassemble les entrées publiées en
janvier 2008 : il y a aussi un tableau par
mois à la fin de cette page, et
un index de toutes les entrées.
Certaines de mes entrées sont rangées dans une ou plusieurs
« catégories » (indiqués à la fin de l'entrée elle-même), mais ce
système de rangement n'est pas très cohérent. Le permalien de chaque
entrée est dans la date, et il est aussi rappelé avant et après le
texte de l'entrée elle-même.
You are on David Madore's blog which, like the rest of this web
site, is about everything and
anything (mostly anything, really),
from math
to motorcycling and my daily life, but
also languages, politics,
amateur(ish) philosophy, geography, lots of
ranting about the fact that computers don't work, occasional reminders
of the fact that I prefer men, and
some voluntarily fragmentary fictions that I publish under the
collective name of gratuitous literary
fragments. • This blog used to be bilingual at its beginning
(some entries were in English, others in French, and a few translated
in both languages); it is now almost
exclusively in French, but I'm not ruling out writing English blog
entries in the future. • To navigate, note that the entries are listed
in reverse chronological order (i.e., the most recent is on top).
This page lists the entries published in
January 2008: there is also a table of months
at the end of this page, and
an index of all entries. Some
entries are classified into one or more “categories” (indicated at the
end of the entry itself), but this organization isn't very coherent.
The permalink of each entry is in its date, and it is also reproduced
before and after the text of the entry itself.
Après les subtilités de la porte de
Bercy, je suis allé hier avec mon poussinet explorer les
environnements urbains du sud-est du treizième arrondissement. Par
exemple autour
des rues
Marcel Duchamp, Jean Fautrier et Trolley de Prévaux que je ne
connaissais pas du tout bien qu'elles soient à un gros kilomètre de
chez moi ; mais surtout autour des secteurs nouveaux un peu à l'est de
là. C'est perturbant parce que tout un tas de plans ne sont pas à
jour, pas plus que les images de Google local (leurs indications de
rues, elles, ont l'air bonnes). Ainsi nous nous sommes retrouvés au
croisement
de la rue du Chevaleret et de la rue des Grands Moulins (cette
dernière n'apparaît même pas sur le plan de Paris que j'utilise
normalement), sous un pont que vous ne pouvez pas voir sur Google
local puisque là-dessus la rue s'arrête brutalement au milieu de nulle
part, à essayer de passer de l'une vers l'autre par un escalier encore
en construction longeant un terrain vague où il y avait probablement
eu quelque chose par le passé mais qui est actuellement
essentiellement un grand trou : il faudrait que je demande à ma maman
(responsable des cartes et plans à
la Bibliothèque
historique de la ville de Paris) si elle peut retrouver à quoi
ressemblait cet endroit il y a une quinzaine d'années, mais j'imagine
que c'étaient essentiellement des zones de triage de chemin de fer
partout. De même, on ferait bien de mémoriser maintenant l'allure des
voies du côté de la gare d'Austerlitz parce que tout cela va être
transformé.
Rapport de la Commission pour la libération de la croissance
française sous la présidence de Jacques Attali :
Objectif : Rendre notre recherche plus
compétitive
Décision 29 : Financer d'avantage la recherche publique
sur projet et à la performance.
Je ne me prononcerai pas sur le reste du rapport — parce que
je n'aime pas parler de politique sur ce blog — mais il y a des
choses qui me font bondir et sur lesquelles je suis assez compétent
pour savoir à quel point elles sont ineptes. Je ne sais pas si le
but avoué de celui qui a écrit ce qui précède était
d'assassiner la recherche fondamentale (sans doute pensée comme pas
assez productive, pas assez compétitive, pas assez performante :
toutes ces qualités ne pouvant certainement être que celles de la
recherche appliquée) ou s'il n'y a simplement pas pensé (autrement
dit, je ne sais pas si c'est par malveillance ou ignorance que cette
recommandation est faite), mais, disons-le
clairement, il n'y a pas de pire fléau pour
la recherche fondamentale que le fonctionnement « sur projet » et « à
la performance ».
De quoi s'agit-il ? La recherche « sur projet » signifie qu'avant
de travailler sur un problème donné, le chercheur doit rédiger un
programme de recherche détaillant le problème sur lequel il se propose
de travailler, défendant son importance, et quantifiant les moyens
dont il a besoin pour ce travail ; ce programme passe devant une
commission d'experts (d'autres chercheurs) qui évaluent sa pertinence
et, si tout va bien, les crédits sont débloqués. Dit comme ça, ça
ressemble à une bonne idée, et il y a certainement des domaines de
l'entreprise humaine dans lesquels ç'en est une : croire que c'est le
cas pour la recherche fondamentale revient à faire preuve d'une
fantastique ignorance de ce que recherche fondamentale
signifie. Ce n'est pas juste que les programmes en question (j'en ai
vu, aussi bien du côté « demandeur » que du côté « expert ») sont un
condensé de langue de bois et de pipo parce qu'il n'y a pas de moyen
de faire autrement ; ce n'est pas juste que les formulaires prennent
un temps délirant à remplir (temps qu'on ne passe pas à faire de la
recherche, donc !) et un nouveau temps délirant à évaluer : tout ça
n'est que la pointe de l'iceberg. Le vrai problème avec les
« projets », c'est que ce n'est juste pas comme ça que fonctionne la
recherche fondamentale : on ne cherche pas sous forme de
« projets ».
Je me demande si les bureaucrates qui ont inventé ce mode de
fonctionnement s'imaginent vraiment que Newton, Darwin, Turing,
auraient découvert les lois de la mécanique, les mécanismes de la
sélection naturelle, et les machines programmables universelles, en
travaillant sur un projet qui aurait eu ce but (avec quoi pour
financements ? une pomme ? un voyage aux Galápagos ?), mais ça me
semble assez peu crédible (et j'aimerais bien voir les programmes
qu'ils auraient écrits et les avis d'experts qu'ils auraient reçus !
aurait-on accepté ces idées ?). Alors évidemment on va m'accuser du
syndrome de Galilée : tous les chercheurs ne sont évidemment pas des
Newton, Darwin ou Turing — mais si on présuppose qu'on n'en aura
pas, il est certain qu'on n'en aura plus.
Quant à l'évaluation de la performance, qui va avec la proposition,
j'aimerais déjà qu'on m'explique ce que c'est que la performance d'un
chercheur. La grande mode est de la mesurer avec des indicateurs
bibliographiques numériques (un des derniers dans la série étant
le h-number) qui
partent tous de l'idée stupide que la qualité d'un chercheur peut se
mesurer sous une forme ou une autre dans le graphe des citations des
articles — c'est oublier que les articles ne sont qu'un moyen de
communication scientifique, pas un système d'évaluation. Le problème
est que quand on tente de mesurer quelque chose de fondamentalement
impossible à mesurer, comme la performance d'un chercheur, on utilise
des indicateurs qui sont par essence faux, donc falsifiables (par
exemple, s'il s'agit de compter des citations d'articles, on incite
les gens à se citer les uns les autres sans aucune raison
scientifique), et qu'on donne des motivations extrêmement fortes à les
falsifier, ce qui a un effet désastreux sur la
science (multiplication inutile du nombre d'articles ou du
nombre de pages de ceux-ci ou des citations ou de tout autre facteur
qu'on aura décidé d'utiliser pour noter).
De même, proposer des bonus aux chercheurs « performants » peut
sembler une bonne idée mais elle est catastrophique : (1) car elle
introduit un esprit de compétition qui va à l'encontre des principes
sains de la science (les chercheurs du monde entier doivent
collaborer pas rivaliser), (2) car elle incite à la
frilosité scientifique (pourquoi, en effet, chercher à faire des
choses nouvelles et risquées plutôt qu'abattre les papiers faciles ?)
et (3) car elle invite au mensonge (si le directeur de laboratoire a
un pouvoir de décision sur l'argent que gagne le chercheur de
l'équipe, il n'est plus un mentor bienveillant mais un chef face
auquel on va chercher à se faire mousser) ; et avant tout, (0) elle
passe à côté de l'idée que la grande majorité des chercheurs
sont intellectuellement intéressés par ce qu'ils font, au
point qu'un bon nombre continuent à travailler après leur retraite, et
n'ont pas besoin de « carotte » supplémentaire pour avancer (au
contraire, l'absence d'une telle carotte aide à faire que ceux qui
s'engagent dans la recherche sont réellement motivés ! je ne dis pas
qu'il faut mal payer les chercheurs, mais il me semble surtout
important de leur éviter les tracas administratifs, les formulaires à
remplir, les évaluations incessantes et autres nuisances de ce
genre).
Je vois quotidiennement les méfaits de la recherche par projets
alors je ne peux que me lamenter de voir ce mode de fonctionnement
recommandé au président de la République. Mais la suggestion
suivante me laisse aussi sans voix :
Décision 30 : Réformer le statut
d'enseignant-chercheur.
[…] Recruter et financer (salaires, frais de fonctionnement
et équipements) tous les nouveaux chercheurs sur des contrats de
4 ans. […] Aucun chercheur ne devra bénéficier de plus de deux
(ou, exceptionnellement, trois) contrats de quatre ans successifs. Au
bout de cette période, le chercheur pourrait évoluer vers un contrat à
durée indéterminée de « directeur de recherche », vers une
activité d'enseignement, ou vers l'entreprise privée.
Quand je vois la galère que bon nombre de mes amis ont vécue, en
voulant s'engager dans la recherche, de devoir passer par un nombre
incroyable de situations précaires
(post-docs, ATER, etc.), pas forcément trop mal
payées, mais qui font qu'on doit changer de résidence tous les
deux-trois ans, au détriment de toute vie familiale, personnelle et
affective, et parfois pour se retrouver le bec dans l'eau sans aucune
possibilité de poste fixe (parce que les postes dans le public sont
trop rares et ne tolèrent aucune originalité de parcours et parce que
les entreprises privées n'ont aucun intérêt pour la recherche
fondamentale), je suis sûr qu'ils aimeront beaucoup la suggestion de
développer cette sorte de choses. Et tout le monde appréciera l'idée
qu'on ne puisse faire que huit (ou exceptionnellement douze) ans de
recherche : je ne sais pas si le principe sous-jacent est qu'après ça
on a le cerveau trop ramolli ou quoi, mais je trouve bizarre de former
des gens pendant vingt ou trente ans pour les employer pendant huit
ans à ce à quoi on les a formés.
Ah, sinon, la suggestion de quadrupler les promotions de
l'ENS (décision 24) me fait aussi bien rire : j'aimerais
bien savoir où ils imaginent les accueillir. Et, de façon plus
pertinente, vers où les orienter si on supprime les métiers de
chercheur et qu'on sabre les postes d'enseignants.
Ajout () : J'ai écrit
une entrée plus récente sur un
sujet proche, qui est peut-être plus clairement argumentée.
J'avais signalé cette anomalie
géographique parisienne : depuis
le pont
National (celui qui mène au boulevard Poniatowski), il n'y a
aucune façon commode d'aller à pied, disons, à
l'avenue
des Terroirs de France : pourtant, c'est à quelque chose comme
400m de là, mais il semble qu'on doive ou bien aller rive gauche pour
prendre
le pont
de Tolbiac et remonter la Seine rive droite, ou bien faire un tour
encore plus énorme de l'autre côté en allant jusqu'à
la rue
de Charenton pour ensuite revenir par
la rue
Proudhon. Dans les deux cas, c'est absurde.
Quel est le problème ? Tout, dans cet endroit, est conçu pour
l'automobile, il y a une espèce d'échangeur monstrueux (entre le
périphérique et l'autoroute de l'Est) dans lequel un piéton n'a pas le
droit de circuler, et pour couronner le tout on a des voies de train
(petite ceinture, voies de la gare de Lyon) qui bloquent de larges
régions. Ce qu'on voudrait bien faire, c'est passer sous le
boulevard
Poniatowski, ici
(via la rue Robert Etlin) pour rejoindre les quais de Bercy ;
malheureusement, si on peut très bien aller jusqu'à l'endroit en
question (un escalier y mène), il n'y a pas de trottoir, il y a un
panneau interdisant explicitement l'endroit aux piétons, et la
glissière de sécurité matérialise cette interdiction. C'est
complètement absurde, parce qu'il y aurait largement eu la place pour
mettre un trottoir sous le pont : il s'arrête juste brutalement, comme
pour le plaisir de vous em***der. Du coup, la suggestion qu'on
m'avait faite, en commentaire dans la précédente entrée sur ce sujet,
d'emprunter la rue Robert Etlin (tourner trois fois à droite pour
tourner à gauche) ne marche pas : on ne peut pas passer sous le pond,
à pied.
Cet échangeur est décidément bizarre. Il y a un moyen d'aller à
pied jusqu'au centre commercial Bercy 2, mais c'est un cul-de-sac. Il
y a aussi
une piste,
pour piétons et vélos, qui part des quais de Bercy pour mener jusqu'à
Charenton, mais elle est complètement isolée du reste (et
invraisemblablement glauque : quand elle passe sous le pont du
périphérique, par exemple, dont les lumières sont évidemment
cassées, c'est tellement digne d'un film d'apocalypse que j'en ai eu
des frissons), elle a l'air de continuer très loin dans Charenton
avant de mener vers une sortie.
Bref, tout l'endroit semble surgi de l'imagination de Kafka.
Heureusement, je découvre à l'instant
un document
de la Mairie de Paris qui montre que celle-ci, au moins, est au
courant du problème et envisage d'y mettre un terme. Reste que je ne
comprends pas pourquoi on ne peut pas simplement ajouter un petit
trottoir (protégé par une barrière) sous le pont du boulevard
Poniatowski.
Mise à jour () : Ce
problème a fini par être corrigé à
l'été 2013, voir ici.
Aujourd'hui on a deux fragments
pour le prix d'un.
Un instant, Gilles se laisse faire. Un seul instant, avant de me
rejeter violemment.
— T'es un putain de pédé !
C'est plus une explosion qu'une phrase : il prononce les premiers
mots doucement, puis de plus en plus vite et de plus en plus fort.
Hurlant, il répète encore : T'es qu'un putain
de pédé ! Et se tait soudainement, les yeux dilatés, les
narines écartées. Il me fait penser à un taureau prêt à ruer. Au
loin, un passant s'arrête une seconde, puis presse le pas.
Je recule un peu, juste un peu. Je n'ai pas peur, je suis
seulement curieux de savoir ce qu'il va faire. Je lui jette un regard
qui doit passer pour narquois. Peut-être que je hoche la tête, je ne
sais pas.
Il est vraiment beau, le con.
— T'étais qu'un pédé. Putain, Stéphane ! Putain, mais c'est
pas vrai… Dis-moi qu'c'est pas vrai.
Il n'a pas rué. Il ne m'a pas frappé. Est-ce qu'il y a de la
tristesse dans sa voix maintenant ? Peut-être pas. Mais ce n'est
déjà plus la rage de la surprise. Plutôt la colère qu'il ressent face
à ce qu'il doit considérer comme une trahison. Il pense que je suis
passé de l'autre côté — celui des fiotes, des tapettes.
— Et moi je t'aimais, bordel. Je t'aimais comme un frère.
Tu peux pas comprendre ça, hein ? Toi tu pensais qu'à me
sucer…
Le reproche est d'autant plus injuste qu'il mêle vérité et erreur.
Pourtant, il ne m'atteint pas. Puis Gilles me tombe dessus, me
plaque à terre.
— Moi j'aurais donné ma vie pour toi. Je te croyais ami. Et
toi tu voulais juste me baiser.
Toujours pas de coups. Puis un seul, sans énergie. Est-ce qu'il
se retient ? Ou est-ce qu'au contraire il cherche à se convaincre de
me frapper ? Est-ce qu'il croit être physiquement plus fort que moi,
maintenant que je suis « devenu » pédé ? Il répète plusieurs fois sa
dernière phrase, en variant légèrement le ton. Comme un acteur qui
cherche à entrer dans son rôle, n'y arrive pas. Je me dis qu'il sait
très bien que c'est faux.
Il me garde longtemps à terre. Je me demande s'il se rend compte
que la situation pourrait passer pour érotique. Je finis par en avoir
marre : je me dégage. Je lui fous une baffe :
— Maintenant ça suffit, merde. Oui, je suis un putain de
pédé, comme tu dis. La différence entre nous deux, c'est que j'ose
dire en face ce que je suis.
Cette fois c'est lui qui recule. D'abord d'un mètre, comme si un
serpent l'avait mordu. Puis, sans un mot de plus, il part en
courant.
Voici un fragment que je pourrais qualifier
de particulièrement gratuit…
§109. La cour intérieure renferme un jardin. Au centre de
celui-ci se trouve une statue, représentant une jeune femme nue,
surplombant une fontaine ; trois coins de la cour sont ornés de
massifs de fleurs, le quatrième (le coin nord-ouest) est plutôt un
sous-bois à l'ombre d'un assez grand pommier. Si vous voulez vous
approcher de la fontaine, rendez-vous au §106 ; si vous voulez
regarder les bosquets de plus près, rendez-vous au §263 ; si c'est le
pommier qui vous intéresse, allez au §616. Sinon, des portes
permettent quitter la cour : au nord au §730, au sud au §600, à l'est
au §695, ou à l'ouest au §524.
§110. Vous prononcez le premier mot qui vous vienne à
l'esprit. Jetez quatre dés : si la somme est inférieure ou égale à
votre Chance, rendez-vous au §538 ; si elle est supérieure,
rendez-vous au §771.
§111. Lorsque vous reprenez connaissance, vous vous rendez
compte que vos cou, poignets et chevilles sont enchaînés ; vous êtes
attaché au mur d'une pièce presque entièrement vide, aux murs nus,
sans aucune autre ouverture qu'une porte fermée devant laquelle se
trouve une chaise, seul objet de la pièce. Assis sur la chaise, vous
faisant face, Kerenbor vous regarde fixement. Toutes vos possessions
ont disparu et vos vêtements sont réduits à un cache-sexe. Voyant que
vous avez ouvert les yeux, Kerenbor se lève et s'approche de
vous. Alors, on fait moins le malin maintenant ? vous
demande-t-il d'une voix moqueuse. Préférez-vous garder le silence
pour l'instant (rendez-vous au §737), adopter une attitude soumise
(rendez-vous au §782) ou bien le provoquer (rendez-vous au §124) ?
Enfin, si vous possédez la compétence de Domination mentale,
vous pouvez tenter de l'utiliser à présent : rendez-vous au §289.
§112. Le Gardien sourit. Mauvaise réponse, vous
annonce-t-il : crois-tu vraiment que nous resterions ici si ton
idée était juste ? Puis, sans hésitation, il vous transperce le
cœur. Vous êtes mort.
§113. Le serpent vous attaque
(PV 20 ; PA 12 ; PD 18,
Habileté −2). Si vous parvenez à le tuer sans être
touché, rendez-vous au §346. Si vous le tuez mais que vous avez été
touché, rendez-vous au §197 pour connaître les effets de son venin
(notez le numéro du paragraphe actuel pour pouvoir y revenir).
§114. Le coffret contient une gemme grosse comme un
œuf de caille, de couleur très légèrement bleutée, que vous
identifiez immédiatement comme la Larme du ciel. Si vous avez fait
une promesse à Kerenbor à Elenbrion, rendez-vous au §788 si vous
comptez tenir cette promesse (ou si vous n'avez pas le choix) ou bien
au §450 si vous ne la tiendrez pas ; si vous n'avez pas fait de
promesse, allez au §738.
§115. Vous vous arrêtez, en proie à un vertige : la plaine
est interrompue par une ravine si étroite qu'elle est presque
invisible de quelque distance, et pourtant profonde d'au moins cent
pieds. Au fond coule un ruisseau difficile à voir dans l'obscurité de
la gorge mais dont le son laisse penser qu'il est de quelque
importance. Sauter au-dessus de la ravine ne pose pas de difficulté
et vous pouvez continuer votre chemin vers l'est au §301 ou vers
l'ouest au §385, ou bien longer le cours d'eau vers le nord au §696 ou
vers le sud au §743. Enfin, vous pouvez tenter de descendre dans le
cañon ; si vous le souhaitez, jetez quatre dés : si la somme est
inférieure ou égale à votre Agilité ou si vous possédez la
compétence d'Escalade, rendez-vous au §471 ; si elle est
supérieure, rendez-vous au §629.
§116. Vous montrez l'anneau à Alnaéra, qui bondit. Il
porte le sceau impérial ! s'exclame-t-elle : Où l'avez-vous
trouvé ? Allez-vous lui répondre que vous l'avez trouvé par
hasard (allez au §145), ou que vous l'avez volé (allez au §358), ou
bien préférez-vous lui dire la vérité (allez au §312) ?
§117. Le garde vous salue et vous laisse passer. Vous voici
dans Elenbrion : choisissez votre destination sur le plan en annexe et
rendez-vous au paragraphe indiqué.
§118. Le couloir dans lequel vous vous trouvez comporte
trois portes latérales. Une première, vers le nord, est marquée d'un
dessin stylisé représentant une araignée : vous pouvez tenter de
l'ouvrir au §763 ; la seconde, à une quinzaine de pas de la première,
est de même ornée d'un serpent : vous pouvez tenter de l'ouvrir
au §537. L'unique porte menant vers le sud, située à peu près à même
distance de celles menant au nord, ne porte aucun symbole mais semble
de facture plus riche que les deux autres : si vous voulez l'ouvrir,
rendez-vous au §167. Enfin, vous pouvez continuer le couloir vers
l'ouest au §16, ou vers l'est au §600.
…En quelque sorte un hommage à des livres qu'on peut lire
comme des recueils de fragments, les Livres
dont vous êtes le héros.
Quand j'étais jeune, je trouvais plus amusant de les lire linéairement
que d'y jouer vraiment (enfin, quand je dis linéairement, j'allais
quand même regarder vers quoi pointaient les numéros auxquels on était
renvoyé, parfois à une profondeur deux ou trois, mais quand j'avais
fini je revenais au paragraphe pour passer simplement au suivant).
J'ai déjà parlé ici de ce que j'appelle
l'effet Zahir (du nom d'une nouvelle
de Borges), qui est l'effet qu'on ressent quand on voit une même idée
ressurgir de façon indépendante (ou au moins, apparemment
indépendante) à un intervalle de temps rapproché (typiquement, un ami
vous conseille de lire le livre que vous venez justement d'acheter le
matin même — sans savoir, bien sûr, que vous venez de
l'acheter). Je viens d'en vivre un que j'ai trouvé amusant. J'était
sous la douche et j'ai pensé (plus ou
moins aléatoirement) à deux
choses : L'Invention de Morel (La
invención de Morel, titre d'un roman d'Adolfo Bioy Casares
— lequel était d'ailleurs ami de Borges — dans lequel un
savant trouve un moyen d'« enregistrer » des fragments de sa vie et de
celle de ses amis, pour pouvoir revivre perpétuellement ses moments
heureux) et L'année dernière à Marienbad (titre d'un film
d'Alain Resnais).
Je sais quelles sont les associations d'idées qui m'ont mené à
penser à l'une et l'autre de ces œuvres : j'ai pensé au roman de
Bioy Casares (que j'ai lu) parce que j'ai pensé à
mon GPS et à la façon
dont j'enregistre des promenades que je fais presque comme si
j'enregistrais des fragments de vie. J'ai pensé au film de Resnais
(que je n'ai pas vu) parce que j'ai pensé
au jeu de Nim, qui joue
un rôle important dans ce film (et j'avais entendu parler
de L'année dernière à Marienbad pour la première fois
vers '87 parce que je venais d'apprendre le jeu de Nim, que j'en ai
parlé à mon père qui m'a donné la stratégie gagnante, et il
connaissait le jeu sous le nom de jeu de Marienbad à cause du
film ; nous en avons reparlé quand nous avons passé les vacances de
l'été '90 à Munich et que nous avons visité le parc du château de
Nymphenburg où le film a été tourné) ; et si j'ai pensé au jeu de Nim,
c'est parce que je compte en parler dans le cadre d'un exposé au
séminaire de mon équipe. Bref, a priori aucun rapport entre ces deux
chemins de pensée.
En sortant de la douche, je regarde Wikipédia pour vérifier si Bioy
Casares et Borges se connaissaient bien (ce que, à la réflexion, je
devais savoir puisque j'ai lu le Tlön de Borges, où Bioy
Casares est explicitement nommé) et
j'y
apprends :
The best-known novel by Bioy Casares is La
invención de Morel (Morel's Invention). […]
Both Borges and Octavio Paz described the novel as "perfect." The
story is held to be the inspiration for Alan Resnais's Last Year
in Marienbad.
Amusant.
Il n'y a pas de conséquence ou de morale à tirer de cette
coïncidence, bien sûr — ce n'est pas un signe que le monde de
Tlön se met à s'imprégner sur le nôtre, et ce n'est pas non plus le
premier pas vers la Contradiction.
Mais j'aime ce genre de rencontres fortuites (en anglais il y a un mot
que j'aime
beaucoup : serendipity).
J'ai un ami, cependant, dont la capacité à faire des associations
d'idées est telle qu'il doit voir le Zahir partout, et sa conversation
s'en ressent.
Au mur figurait l'inscription énigmatique suivante :
…945497946690011303871870040893554688 = 2∞−1
(Les chiffres sur la gauche devenaient de plus en plus petits et
rapidement illisibles.)
L'homme resta silencieux pendant qu'Ack et Bel s'assirent dans les
chaises qu'il leur désigna. Il ne parla qu'après les avoir longuement
dévisagé comme s'il cherchait à lire dans leur visage la clé d'un
mystère ancien.
Venons-en au fait, Messieurs, car la menace est terrible. Vous
avez combattu des ennemis terrifiants qui mettaient en danger la
reine, le royaume ou l'humanité tout entière… L'agent Bel
voulut protester mais l'homme ne lui en laissa pas le temps. Vous
et vos collègues avec combattu des ennemis terrifiants, mais aucun tel
que celui-ci.
Voyant que l'autre attendait une question, Ack demanda poliment :
Que compte-t-il faire ? Expliquez-nous donc.
Il ne veut pas seulement devenir maître du monde, ou de
l'univers tout entier, mais de tous les univers possibles.
Notre savant fou n'est pas un vulgaire biologiste qui menacerait de
dominer l'humanité, ni un chimiste prêt à faire sauter la Terre ; ni
même un physicien qui aurait découvert comment repolariser le vide et
transformer ainsi le cosmos en une mer de bébé-univers. Non, il est
bien plus dangereux que tout ça !
Venez-en au fait, je vous en prie. Que projette-t-il ?
Notre mathématicien s'apprête à modifier la logique
même du monde. Son pouvoir serait alors sans limites.
Vous voulez dire, si je comprends bien, demanda 006, cachant
avec peine son incrédulité, qu'il veut devenir une sorte de
dieu ?
Au moins un dieu, oui : un dieu absolument omnipotent. Je ne
parle pas seulement de voyager dans le temps, de vaincre la mort ou de
ce genre de choses. Bien plus que ça. Car le Dieu chrétien lui-même,
si on en croit Thomas d'Aquin, ne peut pas faire ce qui est
logiquement impossible — ea vero quæ
contradictionem implicant sub divina omnipotentia non continentur
(Somme théologique, première partie, question XXV).
Néanmoins, Descartes, dans sa
première Méditation…
Toutes passionnantes que sont ces considérations
théologiques, interrompit 007, elles ne sont pas ce qui nous
amène aujourd'hui. Est-il possible que notre savant fou atteigne son
but ?
Non, bien sûr : c'est logiquement impossible. Mais son but est
précisément d'y arriver bien que ce soit logiquement
impossible, puisqu'il cherche à s'affranchir de la logique. Après
une pause : Notre avis est que l'arme qu'il construit — la
Contradiction — amènera une destruction complète dans laquelle
périront non seulement l'univers et tout ce qu'il contient, mais aussi
l'idée de l'univers, les triangles équilatéraux et le nombre
42.
Si je comprends, vous dites que c'est impossible mais qu'il y a
tout de même un risque qu'il y parvienne. Comment va-t-il s'y
prendre ?
L'homme plaça sur la table devant lui un jeu de cartes, le coupa,
en retourna la première carte et la montra aux agents secrets : elle
représentait un vieil homme s'appuyant sur un bâton et tenant dans
l'autre main un objet qui pouvait être une lanterne ou un sablier ;
au-dessus de la carte, le chiffre IX. Le neuvième arcane majeur.
En 1873, expliqua-t-il, Charles Hermite — le
mathématicien — déposa un pli cacheté à l'Académie des sciences,
contenant un lemme essentiel pour atteindre la Contradiction. Ce pli
a été détruit sans être ouvert à la mort de Hermite, suivant des
instructions qu'il avait laissées dans son testament. Mais nous
savons aussi que, profondément troublé par le résultat qu'il avait
découvert, il l'avait communiqué à son élève Jules Tannery ; et que
celui-ci laissa à sa mort une copie de la démonstration au jeune
Albert Châtelet. La piste se perd alors.
Ce papier est ce que cherche notre savant ?
Ce papier est ce qu'il vous faut détruire, ainsi que toute
trace, tout souvenir, de ce lemme. Car réunir cette démonstration
avec les résultats que notre ennemi possède déjà, cela lui donnerait
la Contradiction. La logique du monde dépend de vous,
Messieurs !
Le durion, la mer, la boussole d'or, la trigo et l'Eee PC
Hier soir à une petite soirée, un ami avait apporté —
rapporté de Malaisie plus exactement — des bonbons
au durion. Ce fruit
à l'odeur très forte a l'air assez extraordinaire en ce qu'il y a des
gens qui en sont fous alors que d'autres trouvent que ça sent les
pieds, le vomi, le camembert cru à point avec des nuances d'ananas
et d'ail (sic), ou encore des excréments de porc, de
thérébenthine et d'oignons, le tout garni par une vieille
chaussette (re-sic !). En faire des bonbons peut rappeler le
sketch crunchy
frog des Monty Pythons, mais apparemment les Malais aiment
vraiment ça. Bon, mes amis étaient plutôt de l'avis des vieilles
chaussettes — moi je n'ai pas eu le courage de goûter, mais une
chose m'a vivement frappé, c'est que l'odeur des bonbons quand
quelqu'un en mangeait était exactement le parfum très
caractéristique d'un médicament (probablement un antibiotique) qu'on
m'avait donné un jour quand j'étais petit. (Une odeur si particulière
et si marquante que je m'en souviens plus de vingt ans après et
pendant longtemps elle a été associée dans mon esprit au médicament
« typique ».) Je trouve ça très mystérieux, parce que je ne peux pas
imaginer qu'on ait voulu parfumer un médicament pour enfants au
durion : c'était sans doute censé être un arôme de fraise (un autre
ami qui avait le même souvenir que moi disait qu'il se rappelait que
c'était un sirop ou bien une poudre rose vif). Pour un peu, je
lancerais un appel à témoins !
J'ai de nouveau vu la mer, mardi,
mais cette fois-ci c'était la Manche (à
Calais, par
ici).
⁂
Comme je n'ai pas trouvé
mauvais le film qui
en a été récemment tiré, j'ai entamé la lecture
de la
trilogie His Dark Materials de Philip
Pullman qui, bien que destinée aux adolescents, a de quoi intéresser
les adultes. « Localement » je trouve ça bien écrit et maîtrisé, mais
j'ai tendance à penser (sans être encore arrivé jusqu'au bout pour
juger vraiment) que l'auteur accumule vraiment trop de péripéties et
de rebondissements dans tous les sens qui ajoutent au nœud de
l'intrigue de façon artificielle.
⁂
Quelqu'un a
corrigé tout récemment une erreur (de signe dans une formule) que
j'avais
introduite (bien évidemment involontairement !) dans la Wikipédia
de langue française il y a trois ans. Si j'étais un de ces
journalistes français qui se font un sport de taper sur Wikipédia à
tout propos (surtout quand ils ne comprennent rien à ses principes),
je me moquerais de cette encyclopédie qui met trois ans à vérifier une
formule qu'on trouve dans n'importe quel précis de trigonométrie
sphérique ; comme il se trouve, j'ai plutôt envie de me cacher sous le
tapis.
⁂
J'ai passé mon Eee PC
sous Debian parce que j'avais besoin de faire un peu plus de
configuration que ce que la Xandros (pour laquelle je n'ai pas accès
aux dépôts) me permettait — notamment recompiler mes propres
noyaux (or la seule
version que je puisse faire marcher du driver wifi a
une API incompatible avec ce que certains programmes de
la Xandros supposaient). Depuis, plein de petits détails me posent
des problèmes (le Wifi décide parfois aléatoirement de ne plus
fonctionner, et il n'aime vraiment pas les mises en veille, le
touchpad se met parfois sans aucune raison visible à avoir une
sensibilité extrêmement mal réglée, le gestionnaire réseau me
redemande des clés que je lui ai déjà données, ce genre de choses) :
je pense que j'arriverai à les résoudre à terme, mais ça prendra
beaucoup de temps. Je déconseille donc fortement la manœuvre
(peut-être que j'aurais dû préférer Ubuntu à Debian, en tout cas
vraiment la Debian testing mérite son nom).
Pour ce qui est de mon idée de mettre Wikipédia sur une
clé USB, j'ai résolu que la bonne façon de faire était de
construire
un SquashFS
à partir des dumps
statiques : en éliminant les pages de discussion, les pages
utilisateur, etc., et en utilisant
la compression LZMA
(une des raisons pour lesquelles j'ai dû recompiler un noyau sur mon
Eee), on descend ainsi à 6.1Go pour la Wikipédia de langue anglaise et
2.0Go pour celle de langue française… malheureusement un chouïa
trop pour les mettre ensemble sur une clé de 8Go (qui ne font pas 8Go
mais plutôt de l'ordre de 8 milliards d'octets soit 7.5Go), mais je
pourrai mettre l'anglaise sur une clé et la française sur le
disque.
It's not about magic, in fact. It's not at all about magic.
He let go of the jade figurine and went on to fidget with a thick,
leather-bound volume that I recognized as a blackletter King James
bible. I watched his fingers with some fascination, perhaps giving
them more attention than I did to his words. Not at all about
magic. I briefly wondered whether he was referring to the book in
his hands.
You see, he went on, it's about Good and Evil. Good and
Evil are the hallmark of fantasy, not magic. Magic is dispensable.
And even insofar as it is not, it is implied by the Manichaean
doctrine, which is what this is all about. Whether in the guise of
Aslan versus the White Queen or Gandalf versus Sauron, we are
witnessing the eon-old fight of Ahura Mazdā and Aŋra
Mainiuu, the embodiments of Light and Darkness.
Not all fantasy works are so blatantly dualistic, I
objected, and not all dualistic fiction is fantasy.
They are! It is. No matter how they disguise the premise or
jiggle with it, it remains a premise. There is no such thing as Good
and Evil in the world about us—the real world—the one we
live in. There are cowards and fanatics, weak-minded people, and
there are those who have ideals—and who might disagree about
ideals. There are human failings and there are human virtues, but
there is no obvious line between the two, and certainly no such thing
as a good man or an evil one. No matter what Christianity would have
you believe, or various debased forms of Humanism. Good and Evil are
not in the world, they are in how we see it, and that is also
where magic lies.
Would you describe Oliver Twist as fantasy, then?
How about Les Misérables?
I might, but you're barking up the wrong tree there, dear.
Moralism or social criticism are not at all the same as dualism.
First, there is a world of difference between portraying Good and Evil
locked in the ritual war that is the prime motive of the
fantasy-world, and using said fantasy-world as a metaphor because
you're trying to make a point that pertains to the real
world. Id est, it's not because the author
adheres to the view of some characters as good and
others evil that they actually are so. Second, it's
not because the categories are distinct that authors are forbidden to
borrow from both. And so they do. To illustrate this…
But I wasn't really listening any more. As I dreamily stared at
the painting of Saint George, the drone of Alwin's words seemed to
fade in the distance.