David Madore's WebLog: 2013-05

Vous êtes sur le blog de David Madore, qui, comme le reste de ce site web, parle de tout et de n'importe quoi (surtout de n'importe quoi, en fait), des maths à la moto et ma vie quotidienne, en passant par les langues, la politique, la philo de comptoir, la géographie, et beaucoup de râleries sur le fait que les ordinateurs ne marchent pas, ainsi que d'occasionnels rappels du fait que je préfère les garçons, et des petites fictions volontairement fragmentaires que je publie sous le nom collectif de fragments littéraires gratuits. • Ce blog eut été bilingue à ses débuts (certaines entrées étaient en anglais, d'autres en français, et quelques unes traduites dans les deux langues) ; il est maintenant presque exclusivement en français, mais je ne m'interdis pas d'écrire en anglais à l'occasion. • Pour naviguer, sachez que les entrées sont listées par ordre chronologique inverse (i.e., la plus récente est en haut). Cette page-ci rassemble les entrées publiées en mai 2013 : il y a aussi un tableau par mois à la fin de cette page, et un index de toutes les entrées. Certaines de mes entrées sont rangées dans une ou plusieurs « catégories » (indiqués à la fin de l'entrée elle-même), mais ce système de rangement n'est pas très cohérent. Le permalien de chaque entrée est dans la date, et il est aussi rappelé avant et après le texte de l'entrée elle-même.

You are on David Madore's blog which, like the rest of this web site, is about everything and anything (mostly anything, really), from math to motorcycling and my daily life, but also languages, politics, amateur(ish) philosophy, geography, lots of ranting about the fact that computers don't work, occasional reminders of the fact that I prefer men, and some voluntarily fragmentary fictions that I publish under the collective name of gratuitous literary fragments. • This blog used to be bilingual at its beginning (some entries were in English, others in French, and a few translated in both languages); it is now almost exclusively in French, but I'm not ruling out writing English blog entries in the future. • To navigate, note that the entries are listed in reverse chronological order (i.e., the most recent is on top). This page lists the entries published in May 2013: there is also a table of months at the end of this page, and an index of all entries. Some entries are classified into one or more “categories” (indicated at the end of the entry itself), but this organization isn't very coherent. The permalink of each entry is in its date, and it is also reproduced before and after the text of the entry itself.

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Entries published in May 2013 / Entrées publiées en mai 2013:

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(dimanche)

J'apprends un petit peu de néerlandais

Je voyage très peu. Que ce soit une cause ou une conséquence de ce fait, je ne sais pas bien, mais c'est en tout cas certainement lié au principe (que je considère comme le minimum de respect à avoir pour tout endroit qui m'accueille, fût-ce brièvement) que je ne mets pas les pieds à un endroit sans avoir fait un effort raisonnable d'apprendre la langue locale. Un effort raisonnable, évidemment, ça ne veut pas dire que je me fixe comme but de la parler couramment, mais il est aussi hors de question de me contenter d'apprendre à baragouiner les mots pour dire bonjour, merci, au revoir et je ne parle pas klingon. Par exemple, en japonais[#], je sais dire ce kimono n'est pas bleu : on ne sait jamais, ça pourrait servir, des fois que le kimono serait rouge. Plus sérieusement, ce qui m'intéresse avec les langues, ce n'est pas tellement d'apprendre des longues listes de vocabulaire, mais d'avoir une idée basique sur la façon dont elle fonctionne, une idée de la logique et de la structure, bref, plutôt de la grammaire[#2] voire de la philologie ; mais aussi arriver à créer un petit compartiment de mon cerveau pour cette langue et pour sa « mélodie » propre. Disons qu'en général le niveau que je vise dans une langue — sans forcément l'atteindre — est à peu près celui qui me permettrait, si j'ai à ma disposition un texte bilingue, de retrouver quel mot de l'original va avec quel mot de la traduction, et de comprendre la structure du texte et de l'apprécier, même si je ne pourrais pas le comprendre sans aide. Je procède en utilisant en parallèle la méthode Assimil (j'en ai déjà parlé) pour assouplir mes neurones à la musique de la langue et tirer le meilleur parti de ma mémoire principalement auditive, et d'autre part des grammaires ou textes linguistiques pour satisfaire ma curiosité.

Bref. On m'invite pour deux jours aux Pays-Bas (à Leiden), pour évoquer un travail mathématique. Je n'aurai sans doute pas l'occasion d'articuler un mot de néerlandais (sauf peut-être au début de mon exposé pour remercier les organisateurs), mais peu importe : j'ai acheté l'Assimil néerlandais, et j'en suis actuellement à la 13e leçon[#3].

Forcément, si je connais déjà l'anglais et l'allemand, le néerlandais (que certains ont décrit comme la langue que des marins allemands et anglais saouls se sont mis à parler ensemble après un trop long temps passé en mer) devrait être plus facile que, oh, disons, l'arabe. D'autant plus qu'à peu près tous les produits alimentaires vendus en France ont un double étiquetage en français et en flamand pour pouvoir être vendus en Belgique, et que je suis du genre qui lit ce genre de choses. Toujours est-il que, pour ce qui est du néerlandais écrit, je comprends spontanément des choses très faciles, comme l'extrait suivant de la page d'accueil de nl.wikipedia.org aujourd'hui :

18 mei – Emmelie de Forest wint namens Denemarken het 58e Eurovisiesongfestival met het nummer Only Teardrops. Nederland eindigt negende met Anouk, België is twaalfde met Roberto Bellarosa.

18 mei – De Franse president François Hollande ondertekent de wet op het homohuwelijk. Mensen van hetzelfde geslacht kunnen in Frankrijk vanaf eind mei met elkaar trouwen.

[Traduction littérale : 18 mai — Emmelie de Forest gagne au nom du Danemark le 58e festival de chanson de l'Eurovision avec le numéro Only Teardrops. Les Pays-Bas finissent neuvièmes avec Anouk, la Belgique est douzième avec Roberto Bellarosa. | 18 mai — Le président français François Hollande signe la loi sur le mariage homo. Les personnes de même sexe peuvent se marier ensemble en France à partir de fin mai.]

Le deuxième paragraphe serait un peu difficile si je ne savais pas de quoi il parlait, parce que le mot wet (qui s'avère signifier loi) n'est pas transparent pour le germanophone ou pour l'anglophone (si quelqu'un peut m'en donner l'étymologie, d'ailleurs, je suis preneur), pas plus que la parenté entre huwelijk (le mariage) et l'allemand Ehe ; mais le reste est assez évident quand on connaît l'allemand. (À ce propos, pour ceux qui lisent l'allemand, je renvoie à ce document qui est très intéressant. Et en moins sérieux, pour ceux qui comprennent l'allemand parlé, ce comique raconte de façon amusante l'effet que fait aux allemands l'accent néerlandais.)

Il n'y a pas que le vocabulaire néerlandais qui est parallèle à l'allemand : les structures grammaticales sont aussi très proches (l'emploi de nombreuses prépositions, les verbes à particules séparables ou inséparables, la formation des passés et participes, la place des verbes dans les principales et subordonnées, la négation par nicht/kein en allemand et niet/geen en néerlandais, etc.). Cela aide énormément, et il est assez clair que le statut du néerlandais comme une langue à part plutôt que comme une variante du bas-allemand est surtout une question de convention. Globalement, le néerlandais a l'air un peu plus facile (il a fusionné deux des genres de l'allemand en un genre commun[#4] et il a à peu près supprimé les cas), sauf peut-être pour ce qui est de sa prononciation ou de son orthographe, qui ont l'air moins systématiques[#5].

Mais qui dit proximité dit aussi risque de confusion, soit qu'il y ait de faux amis (ou des différences subtiles de sens), soit qu'on ait tendance à transposer spontanément un mot sans qu'il existe de l'autre côté, soit, encore qu'on recopie bêtement le mot en oubliant que la phonétique/grammaire n'est pas la même. Pour ce qui est des faux amis, sans même parler de wie qui veut dire qui en néerlandais alors que le mot allemand identique signifie comment, j'ai déjà remarqué par exemple qu'en néerlandais jawel veut dire si (c'est-à-dire oui-en-réponse-à-une-question-négative) alors qu'en allemand jawohl est simplement emphatique ; klaar en néerlandais signifie prêt, fini, alors qu'en allemand klar signifie clair ; even en néerlandais signifie brièvement alors que eben en allemand signifie il y a un instant ; et la limite entre les verbes néerlandais mogen (avoir la permission / aimer) et durven (oser) est différente de celle entre les verbes allemands mögen (se pouvoir / aimer) et dürfen (avoir la permission / oser). J'aimerais trouver une liste de faux amis courants, ça m'aiderait beaucoup.

Ceci dit, en fait, au niveau complètement débutant où j'en suis, ce qui me perturbe plus, c'est que mon cerveau avait déjà créé une petite case pour une langue germanique que je connais un tout petit peu, qui n'est pas l'allemand, qui a deux genres grammaticaux (un neutre plus ou moins associé à la lettre ‘t’ et un non-neutre), et dont la prononciation est plus irrégulière que l'allemand, mais où notamment la lettre ‘u’ se prononce souvent à peu près [ʉ], et c'est le suédois. Entre autres, j'ai régulièrement envie d'utiliser le pronom suédois de la seconde presonne du singulier du (qui s'écrit pareil qu'en allemand, mais qui se prononce plutôt /dʉː/, à peu près comme le même mot se lirait en néerlandais), alors qu'en néerlandais c'est je[#6].

[#] Je ne suis jamais allé au Japon, mais je n'ai pas dit que je ne cherchais à apprendre un minimum que des langues des pays où je mets les pieds.

[#2] Quand j'apprenais l'allemand au lycée, je faisais des efforts très réduits pour le vocabulaire, si bien que j'ai toujours une capacité d'expression assez pourrie, par contre je prenais un plaisir infini à enchaîner les propositions et les constructions alambiquées (quoi, vous avez remarqué que j'aime faire des phrases longues et lourdes ?) et à demander à mes professeurs dans quel ordre il faut mettre les mots à la fin de Leute, denen hätte geholfen werden sollen (=Leute, denen man hätte helfen sollen). Et ce n'est rien à côté de ce que mes profs de latin ont dû souffrir avec mes questions. (Par contre, mes profs de russe, moins, parce que le russe se prête moins aux enculages de mouches grammaticales : la réponse est presque toujours c'est comme ça, ce n'est pas logique, et c'est tout.)

[#3] Sur 100 (je crois que c'est une constante de la méthode Assimil que d'avoir 100 leçons) : on peut donc mesurer son progrès comme un pourcentage vers un hypothétique niveau j'ai-tout-fini (où ils vous encouragent à recommencer à zéro en cherchant à retenir plus activement), qui doit correspondre déjà à un niveau de maîtrise non ridicule pour la plupart des langues. Mais je ne compte pas aller jusque là pour le néerlandais. Je me suis arrêté à 13% pour le suédois, 13% aussi pour le japonais, quelque chose du même genre pour le hongrois, et 42% pour l'arabe (ce qui, soit dit en passant, veut dire que je parle considérablement mieux suédois qu'arabe, évidemment…).

[#4] Le genre commun voulant donc dire masculin-ou-féminin, par opposition au neutre. Mais comme un de mes amis me l'a fait remarquer, le terme évidemment correct pour désigner masculin-ou-féminin, le non-neutre, dans les langues qui ont cette distinction, ce devrait être le utre, puisque neutre, étymologiquement, c'est ne+utre, c'est-à-dire ni l'un ni l'autre (du latin uter, l'un ou l'autre).

[#5] Et moins standardisée, pour ce qui est de la prononciation : autant il existe un standard à peu près clair de la prononciation de l'allemand (sans exclure de nombreuses variations géographiques, bien sûr, mais une sorte d'équivalent de la Received Pronunciation anglaise), autant le néerlandais a l'air de ne pas admettre de prééminence d'un accent sur les autres. Le ‘r’, par exemple, peut se prononcer « à l'espagnole » (comme une battue alvéolaire), « à la française » (comme une uvulaire) ou « à l'anglaise » (comme une spirante alvéolaire), et ce n'est pas la seule lettre qui varie ainsi (le ‘g’/‘ch’, le ‘w’, le ‘v’ et le ‘z’ admettent aussi des variations géographiques) ; les règles d'assimilation ont aussi l'air de varier d'un endroit à l'autre (j'entends dire que certains néerlandophones ne font même pas de distinction phonémique entre sourdes et sonores). D'ailleurs, même la grammaire semble moins « standardisée » que celle de l'allemand.

[#6] Ccomme l'anglais you, dont le nominatif correct est d'ailleurs ye, le néerlandais a repris un pronom pluriel comme pronom singulier pour la seconde personne du pluriel ; sauf que le néerlandais a aussi un pronom de politesse u, et il a aussi un pronom pluriel, jullie, construit sur le modèle de y'all ou you guys utilisé dans cette fonction dans certains coins des États-Unis ; comme en plus le pronom singulier d'origine, gij, l'analogue du thou anglais, a l'air de continuer à exister dans certaines régions néerlandophones, tout ça fait beaucoup de pronoms de la seconde personne pour une seule langue !

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(jeudi)

Déprimante sécurité informatique

[La réflexion qui suit est sans doute assez décousue et mal écrite, parce que j'écris comme les idées me viennent, sans prendre le temps de les structurer correctement, et je n'ai pas envie de me relire. C'est même tellement en vrac que les paragraphes qui suivent peuvent sans doute se lire dans à peu près n'importe quel ordre.]

Hier a été révélé un trou de sécurité assez grave dans le noyau Linux (détails ici, ici et  ; et pour une explication très détaillée). Et ce n'est pas comme si c'était rare : des vulnérabilités de cette nature sont annoncées environ tous les deux ou trois mois (estimation au doigt mouillé, je n'ai pas fait de stats précises). À chaque fois je perds des heures à recompiler, ou au moins réinstaller, des noyaux pour toute une flopée de machines que j'administre (déjà pour mes DreamPlugs c'est douloureux, et pour mon téléphone j'ai jeté l'éponge).

C'est tout de même ennuyeux : ça veut dire, par exemple, que toute personne ayant un téléphone Android et n'ayant pas reçu une mise à jour depuis hier, est à la merci d'une application malicieuse qu'il installerait ou aurait déjà installée. (Bon, le côté positif, c'est que ceux qui ont un téléphone Android verrouillé peuvent en profiter pour le déverrouiller, i.e., devenir root dessus.)

Pour éclaircir les choses pour le lecteur profane, précisons que la plupart des systèmes informatiques actuels distinguent essentiellement trois niveaux de confiance :

  1. les administrateurs (root en jargon Unix), qui ont un accès complet à la machine,
  2. tout ce qui tourne sur le système mais qui n'est pas administrateur (les utilisateurs non-privilégiés), et qui a donc un accès limité à certaines ressources,
  3. et tout ce qui n'est pas censé avoir accès au système (i.e., le reste du monde).

Il y a donc, en simplifiant, deux barrières à maintenir : la première interdit aux utilisateurs non-privilégiés d'acquérir le privilège d'administrateur, et quand il y a un trou dans cette barrière le jargon Unix parle de local root exploit ; la seconde interdit au monde extérieur d'entrer dans le système ; parfois un trou permet de passer à travers les deux barrières simultanément, et on parle de remote root exploit (heureusement, c'est très rare). C'est évidemment très simplifié, parce qu'il y aussi des barrières entre les différents utilisateurs non-privilégiés. Le trou que je prends comme exemple est un local root exploit, i.e., un trou dans la première barrière : toute personne ayant un accès à un système Linux peut en prendre un contrôle complet. Par exemple, une application sur un téléphone Android opère comme un utilisateur non-privilégié (il y en a un par application, essentiellement), et comme Android utilise le noyau Linux et que cette vulnérabilité concerne toutes les versions depuis fort longtemps, toutes les architectures, et quasiment toutes les circonstances, ces applications peuvent passer administrateur. Bon, heureusement, on espère que l'immense majorité des applications ne sont pas malicieuses (et notamment celles qu'on utilise depuis longtemps n'ont certainement pas été écrites pour déclencher du code malveillant le jour où un trou de sécurité serait découvert), néanmoins il est certain qu'il y en a. Par ailleurs, cela signifie que si une application, sur un système Linux quelconque, à défaut d'être malveillante, est elle-même vulnérable à autre chose (i.e., qu'il y a un trou dans la deuxième barrière, ce qui est possible pour à peu près n'importe quoi qui communique avec l'extérieur, soit beaucoup de choses), toute la sécurité est perdue.

Je prends surtout l'exemple des téléphones Android, parce que pour beaucoup d'autres systèmes Linux, notamment tout système sur lequel il n'y a qu'un seul compte utilisateur, la barrière entre utilisateur et administrateur ne sert pas à grand-chose : dès que le navigateur web est vulnérable, de toute façon le plus grave est déjà acquis.

Certes, le fait qu'il y ait un trou n'est pas la fin du monde : une vulnérabilité, ça se corrige, le correctif est déjà paru, il suffit de l'appliquer (en plus, pour ce trou particulier, il est possible sur certains systèmes d'appliquer un correctif « à chaud », une rustine sur le trou, comme montré par le deuxième lien tout en tête de cette entrée).

Sauf que : les fabricants de téléphone ne sont généralement pas très pressés d'appliquer des correctifs de sécurité. Ils ne le font que lentement, et, bien sûr, que pour leur tout derniers modèles : HTC, Motorola et toute la bande n'ont qu'un intérêt très faible à s'occuper de la sécurité de leurs clients d'il y a deux ou trois ans. Je pense que les pouvoirs publics devraient imposer à toute personne qui vend un téléphone mobile (ou équivalent : tablette ou autre) qui ne soit pas complètement ouvert de fournir des mises à jour de sécurité pour tous les problèmes portés à sa connaissance et pour une durée clairement annoncée lors de l'achat de l'appareil, et qui ne pourrait pas être inférieure à cinq ans. Ou alors ils doivent fournir toutes les informations nécessaires pour que l'homme de l'art (la communauté, donc) puisse corriger lui-même les trous de sécurité. Parce que actuellement, recompiler un noyau Linux pour son téléphone (sans même parler du reste d'Android), c'est extrêmement difficile : les sources de Linux sont peut-être disponibles, mais pas la configuration exacte que le fabricant a utilisée, sans parler des patchs propriétaires et drivers binaires.

Le problème des trous de sécurité, aussi, c'est que ceux qui les exploitent sont malins : le plus souvent, ils ne l'utilisent pas directement contre le système dont ils exploitent un trou. Par exemple, quand j'attire l'attention de ma maman sur l'importance de mettre à jour tous les logiciels sur son Mac (notamment le lecteur Flash, dont on découvre un trou de sécurité, lui, quasiment toutes les semaines), elle me dit qu'elle n'a rien de vraiment important dessus : ce qui est sans doute vrai, mais ce qui intéresse les black hats payés par la mafia russe ou chinoise ce n'est pas d'avoir accès aux photos de chat sur le Mac de ma maman, c'est de se servir de ce Mac comme un relai ou membre d'un botnet pour, dans le meilleur des cas, envoyer du spam pour du Viagra, et dans le pire des cas, monter des attaques denial-of-service (c'est-à-dire qu'on ne cherche pas à pénétrer la cible, on cherche à la submerger de requêtes) contre, par exemple, l'architecture centrale d'Internet.

Tout ceci est fort déprimant parce que la sécurité informatique est un sujet sur lequel l'utilisateur lambda n'est pas renseigné, et on ne peut donc pas s'attendre à ce qu'il ait des réactions sensées — le plus souvent, cela reste au niveau du quasi-rituel, comme faire tourner des antivirus. Et surtout, il faut bien l'avouer : nous (nous humains, collectivement) ne savons pas programmer : en théorie il est parfaitement possible de faire du code qui ne comporte aucun trou de sécurité, mais nous ne savons pas (il y a des gens qui prétendent savoir écrire du code sans aucun trou de sécurité, et qui ont sans doute raison, mais bizarrement ils n'écrivent jamais quelque chose d'aussi complexe qu'un navigateur web). Du coup, on se retrouve devant cette boucle infinie : trouver un trou, se précipiter pour le boucher, attendre le suivant, répéter à l'infini. Et celui qui a trouvé un trou sans prévenir les autres (le black hat), il a un pouvoir potentiellement immense. Or le trou qui me sert de prétexte pour écrire cette entrée, il semble que certains le connaissaient depuis deux ou trois ans et le gardaient pour eux (et il est probable que l'auteur de l'exploit en ait un bon nombre d'autres comme ça sous le coude).

La moindre des choses, je trouve, ce serait d'essayer de faire une estimation du nombre de trous de sécurité de cet ordre qui existent actuellement dans Linux. Je pense qu'on doit pouvoir y arriver avec des statistiques assez élémentaires : en regardant l'âge de chaque bout de code au moment où un trou est découvert dedans, on doit pouvoir estimer le temps moyen qu'un trou survit avant d'être détecté et corrigé — et on pourra alors estimer le nombre typique de trous par ligne de code, et donc le nombre de trous total dans Linux (il faudra sans doute faire des stats un peu plus fines parce que toutes les lignes de code ne sont pas équivalentes, mais toujours est-il que c'est possible, et ce serait un travail intéressant à refiler à un étudiant ou stagiaire, je devrais y réfléchir).

Y a-t-il une lueur d'espoir ? Il me semble en effet que la meilleure — ou plutôt la moins mauvaise — réponse que nous ayons pour l'instant trouvé aux trous de sécurité, ce sont les mécanismes de cloisonnement (sandboxing) en tous genres : c'est-à-dire tout ce qui permet d'ajouter de nouvelles barrières de sécurité, et notamment de donner le moins de permissions possibles aux programmes auxquels on n'a pas la plus grande confiance, ou dont ils n'ont pas besoin (par exemple, le trou dont je parle initialement repose sur l'utilisation de l'appel système exotique sys_perf_event_open() : et il y a beaucoup à dire sur le fait qu'on ne devrait pas donner à quelque programme ou utilisateur que ce soit le droit de faire un appel système sortant des appels Unix traditionnels sans une bonne raison). Malheureusement, les mécanismes de cloisonnement souffrent de beaucoup de problèmes d'utilisabilité : mettre en place une machine virtuelle est encore lourd et pénible (quand le BIOS de votre portable ne vous l'interdit pas tout simplement), et pour ce qui est de cloisonnements moins lourds, même si ce genre d'outil a l'air extrêmement utile et prometteur, ça reste encore très difficile et mal supporté de faire quelque chose d'aussi simple que lancer un processus sous-privilégié sous Linux.

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(lundi)

Les 18 voyelles cardinales

Je me passionne pour la phonétique un peu de la même manière que pour la typographie : apprendre à reconnaître précisément les sons que l'on entend ou que l'on prononce soi-même, c'est un peu comme apprendre à remarquer les caractéristiques des caractères écrits que l'on croise, c'est apprendre à développer son sens de l'observation sur quelque chose qu'on a facilement tendance à ignorer. (Cela peut devenir obsédant, d'ailleurs : comme Donald Knuth le faisait remarquer, I can't go to a restaurant and order food because I keep looking at the fonts on the menu — et je ne peux plus m'empêcher de faire toutes sortes d'observations sur la manière dont les gens parlent.) Et aussi bien pour apprendre à reconnaître les polices de caractères que pour identifier ou reproduire les propriétés phonétiques des sons du langage, il faut « faire ses gammes », c'est-à-dire, s'efforcer de se familiariser avec des points de référence standards : en typographie, les polices les plus courantes (Times, Helvetica, Palatino, Futura, Univers, Optima, etc.), et en phonétique, les sons de l'alphabet phonétique. Ici je vais parler un peu de 18 sons de référence appelés les voyelles cardinales.

La phonétique étant une discipline tout en nuances, ce n'est pas aussi facile qu'on pourrait le croire de définir sans ambiguïté ce qu'est une voyelle et une consonne[#]. Il y a tout de même une distinction concrète entre les unes et les autres, c'est que les consonnes sont assez bien séparées les unes des autres (il y a un ensemble assez discret de possibilités) tandis que les voyelles forment un espace continu. Toujours est-il que je voudrais parler ici un peu des voyelles.

Dimensions de l'espace des voyelles

La première question évidente est de déterminer la dimension de cet espace des voyelles, c'est-à-dire le nombre de caractéristiques indépendantes qu'elles peuvent avoir, un peu comme on détermine que l'espace des couleurs est de dimension 3. La réponse pour les voyelles est en plus de la longueur et de la hauteur, encore 2 ou 3 dimensions, voire un petit peu plus — l'incertitude vient du fait que certaines dimensions sont plus « étroites » en ce sens qu'elles permettent moins de variation, ou encore ne seront pas vraiment comptées dans la caractéristique de la voyelle.

Les deux dimensions complètement évidentes, et que j'écarte immédiatement, ce sont la longueur de la voyelle (ou quantité de celle-ci, c'est-à-dire le temps qu'elle dure) et sa hauteur (c'est-à-dire la note sur laquelle elle est prononcée) : ces paramètres sont importantes dans certaines langues qui peuvent contraster voyelles brèves et longues, et/ou donner un sens aux tons (hauteurs ou variations de hauteur). Ce qui reste quand on abstrait ses deux dimensions, donc ce qui m'intéresse principalement, s'appelle la qualité de la voyelle.

i y e ø ɛ œ a ɶ ɑ ɒ ʌ ɔ ɤ o ɯ u ɨ ʉ

Les deux dimensions essentielles de la qualité des voyelles sont l'ouverture et l'avancement de celles-ci. Pour se faire une première idée de ces dimensions, disons que l'ouverture de la voyelle est ce qui distingue les mots français fi, fée et fait (à supposer que ces deux derniers soient distincts) ou encore fou et faux, voire folle si on omet la consonne finale de ce dernier : dans chacune de ces deux séries (fi/fée/fait d'une part et fou/faux/fo[lle] de l'autre), l'ouverture est croissante, c'est-à-dire qu'on a successivement une voyelle fermée, mi-fermée et mi-ouverte ; pour ce qui est de l'avancement, on contrastera fut et fou ou feu et faux ou encore [coi]ffeu[r] et fo[lle] : dans chacune de ces séries, on passe d'une voyelle antérieure/centralisée à une voyelle postérieure.

Sur le diagramme standard servant à positionner les voyelles, et que votre navigateur doit afficher à droite s'il supporte le SVG, et qu'on trouve sur Wikipédia sinon, l'ouverture est figurée verticalement (la ligne horizontale du haut correspondant aux voyelles fermées, la deuxième aux mi-fermées, la troisième aux mi-ouvertes, la quatrième aux ouvertes), et l'avancement est figuré horizontalement, avec à gauche les voyelles antérieures et à droite les postérieures.

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(mercredi)

Dix ans !

Comme certains n'ont pas manqué de me le rappeler, ça fait dix ans que je tiens ce blog (la seule partie de ce site web qui soit vraiment vivante), dix ans pendant lesquels j'ai écrit 2136 entrées (celle-ci est la 2137e), à un rythme qui a cependant varié au cours du temps :

[Graphe de la taille de mon blog en fonction du temps]
(En abscisse, le temps en années fractionnaires, en ordonnée la taille du blog : en rouge le nombre d'entrées, échelle de gauche, et en vert le nombre de kilo-octets, échelle de droite.)

[Moi posant en mars 2004 pour le calendrier des pédéblogueurs français]Je ne vais pas redire ce qu'a déjà écrit Matoo, lequel a commencé son blog juste quelques semaines avant moi et qui me grille donc la politesse de raconter ce que ça faisait de commencer un pédéblog en 2003 et quels confrères nous lisions alors. De cette époque il ne reste que beaucoup de liens cassés, car Internet n'a pas de mémoire et les URL ne sont pas pérennes, même pas celle de la photo[#] pour laquelle je posai en mars 2004 (mon blog était encore hébergé à l'ENS) pour le calendrier des (jeunes et fous) pédéblogueurs français, et que je reproduis ci-contre ; du coup, je ne peux même pas aller regarder lesquels des autres garçons ayant posé pour ce calendrier tiennent encore un carnet.

Il semble que je parle moins de moi et plus de trucs chiants (bref, en rapport à la photo, il semble que le focus se soit redirigé du garçon sur le bureau vers le tableau derrière lui). Ceci explique sans doute ce qui se voit nettement sur le graphique ci-dessus en comparant l'allure des deux courbes (en rouge nombre d'entrées en fonction du temps, en vert nombre de kilo-octets en fonction du temps), à savoir que j'écris moins mais plus long. Tout le contraire de tous ces gens qui sont passés à Twitter[#2].

Dans un sens, je regrette le début de ce blog où je racontais mes lamentations de pédé frustré. C'était peut-être moins sophistiqué que la vulgarisation scientifique à laquelle je me livre maintenant, mais c'était aussi plus personnel, plus spontané (et puis, je dois avouer que je me trouve mignon, sur la photo de calendrier). Je ne regrette certainement pas ma déprime, bien sûr, mais peut-être parce que ma vie sociale était quand même plus diversifiée : je n'avais pas de poussinet, je n'avais peut-être pas les bons amis qui se sont stabilisés depuis, mais j'avais sans doute plus de copains occasionnels, notamment parmi les garçons homos, et d'opportunités de faire des rencontres nouvelles.

Techniquement, j'ai toujours tenu à utiliser un moteur écrit par moi-même (l'actuel est en Java, après un machin en C qui avait remplacé une première tentative en XSLT). Il faut encore que je réécrive le moteur de commentaires pour l'intégrer avec le blog lui-même (actuellement il est complètement indépendant), mais j'avoue n'être pas terriblement pressé de casser les choses qui marchent. Ce dont je suis surtout content c'est des évolutions du HTML qui, il y a dix ans, semblait un peu coincé sans savoir où il allait, et qui maintenant a l'air d'avoir au moins un avenir intéressant.

Quoi qu'il en soit, souhaitez-moi de bloguer encore au moins dix nouvelles années ! [Mise à jour () : c'est fait !]

[#] Je voudrais bien refaire des photos dans le même genre, dix ans (et un peu de muscu) plus tard. Si vous connaissez des photographes doués et patients avec les modèles qui ont l'air crispés dès qu'on essaie de les prendre en photo (pour la photo du calendrier le nombre de poses a été tellement long que j'ai failli mourir de froid dans le lycée non chauffé de Nogent-sur-Marne), je suis preneur. Parce qu'une chose n'a pas changé depuis 2003, c'est mon obsession à trouver des images de moi qui me plaisent (ce qui est très difficile).

[#2] Je n'ai jamais trouvé Twitter intéressant [ajout  : j'y ai quand même succombé], pas seulement parce qu'il faut faire court, mais aussi parce que je trouve la relation message→réponse beaucoup trop confuse, et je n'aime pas le mécanisme des hashtags. À la limite je serais plus intéressé par Google+, et d'ailleurs je me demande souvent si ce serait considéré comme poli ou normal d'y mettre de façon automatique un lien vers chaque nouvelle entrée que j'écris ici.

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