David Madore's WebLog: 2012-10

Vous êtes sur le blog de David Madore, qui, comme le reste de ce site web, parle de tout et de n'importe quoi (surtout de n'importe quoi, en fait), des maths à la moto et ma vie quotidienne, en passant par les langues, la politique, la philo de comptoir, la géographie, et beaucoup de râleries sur le fait que les ordinateurs ne marchent pas, ainsi que d'occasionnels rappels du fait que je préfère les garçons, et des petites fictions volontairement fragmentaires que je publie sous le nom collectif de fragments littéraires gratuits. • Ce blog eut été bilingue à ses débuts (certaines entrées étaient en anglais, d'autres en français, et quelques unes traduites dans les deux langues) ; il est maintenant presque exclusivement en français, mais je ne m'interdis pas d'écrire en anglais à l'occasion. • Pour naviguer, sachez que les entrées sont listées par ordre chronologique inverse (i.e., la plus récente est en haut). Cette page-ci rassemble les entrées publiées en octobre 2012 : il y a aussi un tableau par mois à la fin de cette page, et un index de toutes les entrées. Certaines de mes entrées sont rangées dans une ou plusieurs « catégories » (indiqués à la fin de l'entrée elle-même), mais ce système de rangement n'est pas très cohérent. Le permalien de chaque entrée est dans la date, et il est aussi rappelé avant et après le texte de l'entrée elle-même.

You are on David Madore's blog which, like the rest of this web site, is about everything and anything (mostly anything, really), from math to motorcycling and my daily life, but also languages, politics, amateur(ish) philosophy, geography, lots of ranting about the fact that computers don't work, occasional reminders of the fact that I prefer men, and some voluntarily fragmentary fictions that I publish under the collective name of gratuitous literary fragments. • This blog used to be bilingual at its beginning (some entries were in English, others in French, and a few translated in both languages); it is now almost exclusively in French, but I'm not ruling out writing English blog entries in the future. • To navigate, note that the entries are listed in reverse chronological order (i.e., the most recent is on top). This page lists the entries published in October 2012: there is also a table of months at the end of this page, and an index of all entries. Some entries are classified into one or more “categories” (indicated at the end of the entry itself), but this organization isn't very coherent. The permalink of each entry is in its date, and it is also reproduced before and after the text of the entry itself.

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Entries published in October 2012 / Entrées publiées en octobre 2012:

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(samedi)

Petite devinette mathématique : un damier irrégulier

Carré divisé en 12×12 rectanglesÀ part mon choix lamentable de couleurs, qu'est-ce que l'image ci-contre a de (mathématiquement) remarquable ?

Les couleurs sont juste censées être une indication. La question porte sur la manière dont le carré est divisé en 12×12 rectangles.

Si on veut des valeurs plus précises, à cinq chiffres significatifs, les largeurs des colonnes en fraction du tout sont :

0.10367, 0.02778, 0.15922, 0.00744, 0.13889, 0.06300, 0.06300, 0.13889, 0.00744, 0.15922, 0.02778, 0.10367

et les hauteurs des lignes sont :

0.06699, 0.11603, 0.06699, 0.06699, 0.11603, 0.06699, 0.06699, 0.11603, 0.06699, 0.06699, 0.11603, 0.06699

Voici quelques faits supplémentaires (peut-être trompeurs, mais vrais) :

  • les nombres (dont des approchants sont) écrits ci-dessus sont tous algébriques (avec des degrés et hauteurs assez petites),
  • le motif d'ensemble est plus ou moins unique (il n'y a rien d'analogue en taille moins de 12×12 sauf en taille 10×10 si on autorise une certaine forme de dégénérescence, et il n'y a pas d'autre solution en 12×12 sauf si on autorise cette dégénérescence).

Je donnerai la solution — qui ne fait pas appel à des choses compliquées — en éditant ce post.

(Les gens qui ont déjà eu la réponse — et notamment les lecteurs de forum maths à l'ENS — n'ont pas le droit de participer ! ☺️)

La réponse () (je ne la cache pas, parce que c'est vraiment trop long) :

Chacune des diagonales du damier irrégulier a la même aire qu'elle aurait dans un damier 12×12 régulier : le rectangle (rouge) du coin en haut à gauche a une surface égale à (1/12)² = 1/144 du carré tout entier, les deux (orange) à sa droite et en-dessous ont, ensemble, une aire de 2/144 = 1/72 du carré entier, les trois rectangles adjacents ont une aire totale de 3/144 et ainsi de suite — n'importe quelle suite de n rectangles consécutivement arrangés en diagonale de bord en bord a une surface totale égale à n/144 du carré. (Ainsi, dans les nombres donnés ci-dessus, 0.10367×0.06699=(1/144), 0.02778×0.06699+0.10367×0.11603=(2/144), et ainsi de suite.) En particulier, avec mon choix de couleurs, chaque couleur couvre une surface égale de l'image (mais la propriété que j'énonce est plus forte).

Ce qui rend la chose remarquable, c'est qu'il n'y a pas moyen de faire ça (en écartant bien sûr le damier régulier) pour une taille moindre que 12×12 si on impose aux largeurs des colonnes et hauteurs des lignes d'être strictement positives (en taille 10×10 il y a une solution ou certaines lignes/colonnes sont réduites à 0). Et en 12×12 c'est, à symétrie près, la seule solution (autre que le damier régulier et les deux qui ont des lignes/colonnes réduites à 0).

Le problème peut aussi se poser avec des dés : on se demande si on peut construire deux dés à m faces, c'est-à-dire deux distributions de probabilités sur m entiers consécutifs (de 0 à m−1 ou de 1 à m, ça ne change rien) de manière que si on tire ces deux dés simultanément et qu'on considère leur somme, on obtienne bien la distribution de probabilité attendue pour la somme sur un tirage de deux dés à m faces non pipés. Pour m<10 la seule façon d'y arriver est d'avoir deux dés non pipés. Pour m=12, les deux distributions de probabilité données par les deux suites de 12 nombres ci-dessus définissent deux dés pipés dont la somme est non pipée.

Maintenant, comment (p/t)rouve-t-on ça ? L'idée initiale est très séduisante : on considère le polynôme de degré m−1 dont les coefficients sont les largeurs des colonnes (soit a0 + a1·x + ⋯ + am−1·xm−1 où les ai sont les largeurs des colonnes) et celui dont les coefficients sont les hauteurs des lignes (b0 + b1·x + ⋯ + bm−1·xm−1) : en les multipliant, on obtient le polynôme (de degré 2m−2) dont les coefficients sont les aires des diagonales (le coefficient constant est a0·b0, c'est la surface du coin en haut à gauche, le suivant est a1·b0 + a0·b1, c'est la surface de la diagonale adjacente, et ainsi de suite). La contrainte demande donc que ce produit soit le même que le produit des deux polynômes représentant une distribution uniforme, autrement dit (1+x+x2+⋯+xm−1)/m (au carré, donc, pour le produit). La question qui se pose est donc d'écrire le polynôme (1+x+x2+⋯+xm−1)2, c'est-à-dire ((1−xm)/(1−x))2 (j'ai retiré le coefficient multiplicatif 1/m de normalisation globale, sachant qu'on peut toujours renormaliser) comme produit de deux polynômes de degré m−1 à coefficients positifs (voire strictement positifs).

Malheureusement, la suite est plus décevante. Le polynôme 1+x+x2+⋯+xm−1 se factorise dans ℝ[x] comme produit des (1 − 2·cos(2iπ/mx + x²) pour i allant de 1 à ⌊(m−1)/2⌋ ainsi que (1+x) lorsque m est pair. On va donc chercher à répartir les exposants (le total devant être 2) sur chacun de ces facteurs de manière à avoir le bon degré de part et d'autre, et n'avoir que des coefficients positifs (ou strictement positifs), et je ne vois pas de façon plus intelligente pour ça que d'essayer toutes les combinaisons possibles, typiquement par ordinateur. S'agissant de m=12, les facteurs de 1+x+x2+⋯+x11 sont (1−√3·x+x²), (1−x+x²), (1+x²), (1+x+x²), (1+√3·x+x²) et (1+x). Et le produit de

(1−√3·x+x²) × (1−x+x²) × (1+x²) × (1+x+x²)2 × (1+x) = 1 + 0.26795·x + 1.53590·x2 + 0.07180·x3 + 1.33975·x4 + 0.60770·x5 + 0.60770·x6 + 1.33975·x7 + 0.07180·x8 + 1.53590·x9 + 0.26795·x10 + x11

et de

(1−√3·x+x²) × (1−x+x²) × (1+x²) × (1+√3·x+x²)2 × (1+x) = 1 + 1.73205·x + x2 + x3 + 1.73205·x4 + x5 + x6 + 1.73205·x7 + x8 + x9 + 1.73205·x10 + x11

donne bien (1+x+x2+⋯+x11)2, les deux ayant des coefficients positifs ; en les renormalisant (pour que la somme des coefficients, c'est-à-dire la valeur en 1, soit 1), on obtient les deux suites de nombres annoncées.

On peut aussi faire varier m et chercher le nombre de manières dont le polynôme (1+x+x2+⋯+xm−1)2 s'écrit comme produit de deux polynômes unitaires de degré m−1 à coefficients positifs, ou strictement positifs : ceci revient à compter le nombre de façons dont on peut fabriquer un damier m×m à diagonales régulières (sans ou avec la contrainte de non-nullité des lignes et colonnes ; et en comptant une fois le damier régulier et deux fois chaque damier régulier à cause de la possibilité d'échanger lignes et colonnes). Ces suites sont majorées par 3m/2⌋ (qui est le nombre total de manières d'écrire le polynôme comme produit de deux polynômes unitaires à coefficients réels, sans autre contrainte). Je trouve :

m12345678 910111213141516 1718192021
pos.11111111 13175799 1315172537
s.pos.11111111 11135799 1311171933

La seconde suite est sans doute plus naturelle (parce que si on va autoriser des coefficients égaux à 0, autant supprimer la contrainte que le degré des polynômes soit exactement m−1 parce que ça correspond à demander la non-nullité du dernier coefficient). Je l'ai soumise à l'OEIS.

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(jeudi)

Les labyrinthes de petits théorèmes tordus, tous semblables (ici : Fourier)

Je donne cette année un cours d'Analyse en première année à l'école-qui-s'appelait-ENST. Je ne suis pas du tout analyste, mais j'en profite pour essayer de me cultiver un peu sur le sujet, et apprendre à mettre dans leur contexte les résultats somme toute assez basiques que je leur enseigne. Aujourd'hui j'ai fait cours sur les séries de Fourier, et comme je voulais essayer de mettre au clair les différents résultats relatifs à la convergence et à l'estimation de séries de Fourier, j'ai commencé à essayer de me faire une liste systématique, et je suis tombé sur ce que j'aime appeler un labyrinthe de petits théorèmes tordus, tous semblables (le terme est une référence geek célèbre).

Ce que je veux dire par là est qu'on a un phénomène mathématique sur lequel on montre une propriété, qui suggère quelques nouvelles questions, auxquelles on répond par de nouveaux théorèmes ou des contre-exemples, mais ceux-ci suggèrent encore des questions, et le processus ne converge pas (ou du moins, ne converge pas dans les limites de la patience ou de la mémoire dont je dispose), et à la fin je me retrouve avec une masse de théorèmes que je confonds et où je ne vois plus rien. C'est loin d'être le seul cas où ce me soit arrivé, mais les séries de Fourier sont un exemple assez frappant (et le fait qu'un M. Zygmund ait réussi à écrire deux tomes de 350 pages chacun sur le sujet sans réussir à faire le tour non pas de toutes les questions mais de toutes celles que je me pose naturellement, suggère qu'il y a vraiment un labyrinthe). Petit apercu (tout ceci étant dit pour les fonctions périodiques d'une variable réelle) :

  • Si f est une fonction périodique L1 dont les coefficients de Fourier sont nuls, alors f=0. [Zygmund (I.6.2) ; Katznelson (I.2.7).] Plus généralement (par dualité), ceci vaut pour une mesure borélienne signée finie (coefficients de Fourier-Stieltjes) [Katznelson (I.7.1)] ou une distribution.
  • Les coefficients de Fourier définissent un isomorphisme entre l'espace de Hilbert des fonctions périodiques L2 et l'espace de Hilbert des suites ℓ2 (Parseval-Riesz). [Zygmund, (II.1.12) ; Katznelson (I.5.5).]
  • Si f est une fonction périodique L1, alors ses coefficients de Fourier tendent vers 0 (Riemann-Lebesgue). [Zygmund, (II.4.4) ; Katznelson (I.2.8).]
  • Si μ est une mesure borélienne signée finie sur le cercle, ses coefficients de Fourier-Stieltjes sont bornés (évident).
  • Si μ est une mesure borélienne signée finie sur le cercle, alors μ est sans atome si et seulement si ses coefficients de Fourier-Stieltjes tendent vers 0 en densité (i.e. pour tout ε>0 l'ensemble des coefficients de valeur absolue >ε est de densité nulle) (Wiener).
  • Si f est une fonction périodique dont les coefficients de Fourier sont ℓ1 (la série de Fourier de f converge absolument), alors f est continue.
  • Si f est une fonction périodique Lp pour 1≤p≤2 et q l'exposant conjugué à p, alors les coefficients de Fourier de f sont ℓq (Hausdorff-Young). [Zygmund, (XII.2.3.i) ; Katznelson (I.4.7) & (IV.2.1).] Ceci n'est pas vrai en général pour p>2.
  • Dualement : si 1≤p≤2 et q l'exposant conjugué à p, alors toute suite ℓp est la suite des coefficients de Fourier d'une fonction périodique Lq. [Zygmund, (XII.2.3.ii).] Ceci n'est pas vrai en général pour p>2.

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(dimanche)

Je gagne l'IOCCC sans le vouloir

Pour ceux qui ne connaîtraient pas, l'IOCCC, c'est le concours annuels des programmes C les plus illisibles possibles (et c'est tout un art).

Il se trouve qu'un des gagnants de cette année, Aaron Grothe a basé son programme (qui devrait être publié prochainement) sur un programme que j'avais fait il y a une bonne douzaine d'années, une implémentation du partage de secrets à la Shamir (utilisant la multiplication de Conway/Nim parce que je trouve ça très élégant). Apparemment les juges ont aimé cet aspect multiplication de Conway et aussi la manière un peu baroque dont le programme prend ses options, donc ils m'ont listé dans les gagnants.

Je dois certainement être un des premiers à gagner le concours du programme C le plus illisible possible en ayant cherché à faire le code le plus clair et le mieux commenté qui soit ! Voilà qui fera très bien sur mon CV !

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(mercredi)

Considérations intempestives sur l'indépendance de régions

Il y a un certain nombre de régions dans ce qu'on pourrait appeler le first world qui sont, à différents degrés, tentées par demander l'indépendance du pays dont elles font partie : je pense à l'Écosse (du Royaume-Uni), à la Catalogne (de l'Espagne), au Québec (du Canada), et éventuellement à la partie flamande de la Belgique même si la situation y est assez différente parce qu'il s'agirait plus d'un divorce que d'une indépendance ; on peut sans doute ajouter encore beaucoup d'autres exemples (le pays basque ?), mais je ne veux de toute façon parler qu'en généralités donc quelques exemples suffisent.

Il y a évidemment beaucoup à dire sur les raisons de ces revendications indépendantistes. Généralement elles sont culturelles (notamment linguistiques), mais il y a souvent aussi un aspect économique qui intervient, c'est-à-dire différentes variantes de l'argument nous payons plus en impôts pour <pays-ou-fédération> que nous n'en recevons en subventions, argument que je trouve vraiment très triste (en tant que vil gauchiste persuadé que les régions riches doivent payer pour les pauvres, à tous les niveaux). Mais bon, laissons ça de côté, je n'ai d'intérêts ni en Catalogne ni en Espagne, ni en Écosse ni en Angleterre, et si j'ai peut-être un attachement pour le Canada, ça affectera assez peu ma vie si le Québec s'en sépare (et je ne pense pas que cela se produise prochainement, d'ailleurs) : dans tous les cas, j'aurai juste à acheter de nouveaux atlas du monde et ce sera tout ce que ça me fera.

Ce qui est beaucoup moins évoqué, quand le sujet est discuté, ce sont les conséquences et modalités pratiques, et notamment juridiques, de l'indépendance. Je ne sais pas s'il y a un mode d'emploi officiel, une procédure standard, pour séparer un pays : les exemples sont assez rares, et à part le Soudan du Sud, le Timor oriental qui ne sont pas trop dans la situation des exemples que je discute (ni même le Kosovo et le Montenegro), plutôt anciens.

La Catalogne et l'Écosse sont actuellement dans l'Union européenne : il est plausible que, même si elles se séparent de l'Espagne et du Royaume-Uni, elles souhaitent rester dans l'UE. Cela n'a rien d'automatique, il faudrait demander à intégrer l'Union, prévoir un traité (et négocier le nombre de parlementaires, les voix au Conseil, etc.), et le faire signer et ratifier par tous les membres actuels. Ceci peut d'ailleurs donner un moyen de pression aux États dont ces régions feraient sécession même si, en fait, il est clair que l'intérêt au moins économique de toutes les parties impliquées est qu'elles rejoignent l'UE. Dans le cas de la Catalogne, la question est aussi compliquée par la monnaie : si elle devient indépendante, tant qu'elle n'intègre pas formellement l'eurozone, soit elle adopte officieusement l'Euro (comme le font, par exemple, le Monténégro ou Andorre) mais alors elle ne peut pas en créer et ses banques seront limitées par les réserves de sa banque centrale, ce qui n'est pas tenable pour une économie dynamique, soit elle crée sa propre monnaie ad interim, en essayant de la fixer contre l'Euro, ce qui posera de nouveau des problèmes de réserves en plus de nombreuses difficultés pratiques. Là aussi l'Espagne a sans doute un moyen de pression puissant même si, in fine, son intérêt économique est certainement que la Catalogne ait la même monnaie. D'ailleurs, si la Catalogne doit avoir sa propre monnaie, je n'ose imaginer le bordel bancaire qui en résulterait (les comptes sont convertis selon que les banques auraient leur siège à Barcelone ou ailleurs ?).

Il y a aussi la question de la dette. Il n'y a pas de règle à ce sujet : un État souverain peut très bien faire défaut sur sa dette (au moins la partie qu'il contrôle directement : il se peut, bien sûr, que certains de ses avoirs dans d'autres pays soient saisis), et si une province obtient son indépendance, elle peut refuser de prendre une part de la dette, comme le pays dont elle se sépare peut décider de renier la part per capita qui devrait lui échoir, estimant que c'est à cette province de la payer. On peut se demander, dans une telle hypothèse, quelle serait la réaction des jaloux gardiens de la dette (marchés financiers, agences de notation).

Et puis, il y a la question de la citoyenneté. À mon sens, le plus juste dans une situation de sécession serait de laisser à chaque résident de la région concernée le choix de la nationalité qu'il souhaite avoir ; mais je ne suis pas sûr que ce soit la procédure standard, si tant est qu'il y ait une procédure standard, et je peux imaginer que cela soulève beaucoup de difficultés pratiques (ceci dit, n'importe quelle autre option en soulèvera aussi). Si on donne juste la citoyenneté en fonction du lieu de résidence, cela causera des procédures judiciaires intéressantes. Après tout, un Espagnol qui vivrait en Catalogne, ne se sentirait pas du tout Catalan et serait privé de sa nationalité espagnole parce qu'il serait considéré comme Catalan, pourrait très bien essayer de faire valoir devant les cours de justice espagnoles qu'on l'a injustement privé de sa nationalité (qui peut être celle de ses ancêtres depuis fort longtemps) sur la base de son lieu de résidence sans qu'il ait été en tort. Et comme les Catalans et les Écossais sont aussi citoyens de l'Union européenne, dans l'hypothèse où la Catalogne et l'Écosse n'intégreraient pas immédiatement l'UE, la question se pose aussi de savoir s'ils resteraient citoyens de l'Union (l'article 20(1) du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne précise qu'est citoyen de l'Union toute personne ayant la nationalité d'un État membre mais ne dit pas explicitement que c'est la seule manière de l'avoir, et ne dit pas vraiment comment on la perd) : je suis sûr que la CJUE se ferait un plaisir de trancher à ce sujet.

Je serais curieux de savoir si ces questions sont évoquées dans les régions concernées. Je ne pense pas qu'il suffise de dire l'intendance suivra comme pour ce qui est de constituer des ambassades (tiens, d'ailleurs, il semble que le Soudan du Sud n'ait pas d'ambassade à Paris, dans l'UE il n'en a qu'à Bruxelles plus une mission à Londres ; tiens, à ce propos, est-ce que ceci serait l'ancienne ambassade de la RDA en France ?). Et si certaines de ces régions obtiennent leur indépendance (mais, à vrai dire, je pense que ça ne se produira pour aucune d'entre elles), il sera intéressant de voir quelles solutions seront adoptées (le plus plausible étant, s'agissant des régions dans l'UE, et si toutes les parties sont de bonnes volonté, de préparer un traité d'accession à l'Union avant l'indépendance de la région).

Mais passons à un sujet plus vert et velu : l'indépendance de l'Île-de-France.

La question peut prêter à rire, mais je pense qu'on aurait tort de ne pas l'envisager sérieusement, ne serait-ce que pour se demander pourquoi, au juste, elle prête plus à rire que l'indépendance de la Catalogne ou de l'Écosse. On pourra répondre que l'Île-de-France n'a pas une culture spécifique : d'une part, je ne suis pas du tout persuadé que ce soit vrai, et c'est un chouïa insultant de suggérer qu'il existe une culture écossaise ou catalane mais pas francilienne. Mais le fait est surtout que s'il n'y en a pas c'est parce que les régions adjacentes ont adopté cette culture (ou ont été forcées de l'adopter), au point que c'est devenu la culture française — mais le fait que les voisins aient adopté la culture qu'on avait signifie-t-il automatiquement qu'on doive les accepter ? à partir du moment où les Catalans auraient le droit de dire aux autres Espagnols en fait, je n'ai pas envie de vivre dans le même pays que vous, pourquoi les Franciliens n'auraient-ils pas ce droit ? Si on accepte l'argument économique, cela fait certainement sens : l'Île-de-France est (après les régions de Londres, Luxembourg, Buxelles, Hambourg et Bratislava) à peu près la sixième plus riche région de l'Union européenne d'après Eurostat (en PIB par habitant ajusté au pouvoir d'achat), elle représente à peu près 30% de l'économie de la France et pourrait très bien fonctionner comme État autonome, il n'y a aucun doute que si les arguments économiques sont recevables pour la Catalogne ils le sont au moins autant pour l'Île-de-France.

Bref, je déclare fondé le mouvement indépendantiste francilien, ou plutôt, je le déclarerai fondé si la Catalogne ou l'Écosse arrivent à obtenir leur indépendance dans de bonnes conditions et à rester dans l'UE. Pas seulement que je sois curieux de savoir où la France mettrait sa capitale (Bordeaux, peut-être, comme à chaque fois que les Allemands s'approchent de Paris ?), mais aussi qu'en bon antinationaliste enragé j'aime bien l'idée de détruire les états-nations et les remplacer par des machins sans aucune identité. Comme l'Île-de-France et l'Europe ? Ben pourquoi pas, oui.

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(dimanche)

Petit jeu chinois

[Théière avec caractères chinois]Hier j'ai mangé avec mes parents (mais sans mon poussinet) au restaurant chinois La Merveille des Ulis, autrement dit 旺德酒楼 (c'est ici). Ce n'est pas trop mauvais, d'ailleurs, dans le genre buffet à volonté assez varié.

Le petit jeu auquel je me suis livré, donc, c'est d'arriver à reconnaître les caractères du nom chinois du restaurant, à partir de la photographie que j'ai prise de la théière, sachant que je ne parle pas un mot de chinois. La difficulté est, notamment, d'arriver à trouver la clé des caractères et de compter correctement les traits, alors que c'est complètement chinois pour moi, mais c'est rigolo de se livrer à ce petit jeu de piste. Où il y a des pièges : le caractère (jiǔ, la liqueur), qui apparaît ici, est considéré avoir pour clé son élément de droite (le vin), alors que le caractère (sǎ, arroser), qui lui ressemble à un trait près a pour clé l'élément de gauche (l'eau) ; remarquez que la confusion entre les deux doit frapper un certain nombre de Chinois parce que la recherche dans Google de 酒楼 (les deux derniers caractères de la théière), qui est manifestement une des façons de désigner un restaurant, donne encore un nombre assez élevé de réponses si on remplace le premier caractère par celui qui lui ressemble beaucoup.

Enfin bref, ceci me permet de savoir que le nom de mon restaurant est quelque chose comme wonder restaurant : les deux premiers caractères (wàng, qui désigne la prospérité, et dé, qui désigne la vertu mais sert apparemment surtout dans des transcriptions phonétiques) forment une transcription phonétique du mot anglais wonder, la merveille. C'est un peu ironique qu'un mot (merveille) utilisé parce que dans la tête des Français il fait chinois (et c'est vrai qu'il doit y avoir pas mal de restaurants chinois qui ont ce mot dans le nom, au moins dans sa version française), soit rendu en chinois comme la transcription d'un mot anglais ! (Il y a pourtant un bon mot chinois pour dire ça, si j'en crois les dictionnaires : 奇迹, et la magie de Google images permet de savoir que ce dernier évoque des choses un peu différentes de le wonder transcrit, et j'aime l'apparition du durion pour celui-ci.)

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(dimanche)

Le RAID n'est pas parfait

Il n'y a pas que mon poussinet qui a des tracas : les disques durs de mon PC ont eu une vapeur bizarre aujourd'hui : deux d'entre eux (sur quatre) se sont mis à rapporter des erreurs en pagaille. J'ai de fortes raisons de soupçonner (ne serait-ce que parce que la coïncidence que deux disques meurent exactement au même moment est un peu trop dingue, encore que ça pourrait être un problème d'alim, un choc ou une surtension, ou je ne sais quoi) qu'il s'agissait surtout d'une vapeur du chipset/contrôleur, toujours est-il qu'après reboot les disques durs en question semblent de nouveau se porter bien ; l'un d'entre eux a effectivement consigné des erreurs dans le SMART, mais elles ne riment à rien (les secteurs indiqués sont parfaitement lisibles, les erreurs elles-mêmes sont bizarres, et aucun secteur n'est indiqué réalloué), l'autre disque n'a rien enregistré du tout. Bref, je ne sais pas ce qui s'est passé.

Mais ça a quand même causé un certain désagrément à mes tableaux RAID. Comme je l'ai déjà expliqué, je fais du RAID 1, 6 ou 5 selon le niveau de redondance voulu (respectivement 3, 2 ou 1 disques de redondance sur 4). Le RAID6 a bien réagi : il a simplement marqué les deux disques comme défectueux et a continué à marcher sur les deux restants. Le RAID1 a fait quelque chose d'un peu bizarre : il a viré les deux disques censément défectueux, mais comme il est hyper-redondant, en fait, les deux disques virés formaient eux aussi un tableau cohérent, ça a dû embrouiller l'autodétection des tableaux, et au reboot suivant je me suis retrouvé avec deux tableaux RAID1 chacun dégradés à 2 disques sur 4, ce qui m'a causé une certaine confusion. Le RAID5, évidemment, n'a pas résisté à la mort de 2 disques sur 4 : mais le fait est qu'ils n'étaient pas vraiment morts, simplement ils avaient cessé de réagir, et les écritures avaient continué sur les 2 autres disques, du coup l'état du tableau était un peu bizarre ; heureusement, mdadm a une option --force qui permet de reconstruire le tableau bien que les membres prétendent être dans des états différents, j'ai pu faire ça et tout revérifier derrière, et il n'y avait rien eu de grave (bon, le fait est aussi que je m'en foutais un peu, c'était mon /tmp — oui, même mon /tmp est en RAID5 — mais c'était intéressant de voir ce qui se passerait).

Bref, j'intitule cette entrée le RAID n'est pas parfait, mais en fait il a plutôt bien rempli sa mission de protéger mes données contre, euh, contre une non-panne de disque dur ; en revanche, il y a eu un peu de confusion dans toute l'histoire, et j'ai quand même eu un peu peur.

Je ne sais pas si ça vaut la peine de changer les disques durs : d'un côté, tout semble indiquer que c'est le contrôleur qui a déconné et un test de surface ne retourne aucune erreur ; de l'autre j'ai tendance à prêcher l'attitude si on a la moindre bizarrerie sur un disque dur, on le change illico et sans se poser de question. Peut-être que je peux changer celui des deux qui a vraiment enregistré des erreurs dans le SMART, mais c'est un peu con, c'est le plus neuf des deux (en fait, c'est le Seagate de 2To qui apparaît dans cette histoire).

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(dimanche)

Peut-on se protéger de la gastro ?

Mon poussinet a attrapé ce qui est vraisemblablement un norovirus, il a passé entre vendredi et samedi (où il était chez ses parents, à Arras) la fort mauvaise nuit qu'on peut imaginer ; maintenant il va bien, au moins au niveau de l'estomac, mais comme ce virus est très hautement contagieux, et le reste au moins quelques jours (si ce n'est quelques semaines) après la fin des symptômes, comme il me refile facilement ses maladies, et comme je suis limite émétophobe[#], nous nous sommes demandés comment éviter que j'attrape la même chose. Je dors pour quelques jours chez mes parents à Orsay[#2] mais comme nous nous avons quand même passé la journée ensemble aujourd'hui, et que de toute façon je ne voudrai pas trop longtemps rester exilé loin de mon poussinet, il faut prendre d'autres mesures : ne serait-ce que nous laver les mains beaucoup plus soigneusement que normalement, et faire attention à tout ce qu'on touche.

Ce qu'on lit sur le norovirus est un peu surprenant : il n'a pas d'enveloppe protectrice, et il est constitué d'ARN, « du coup » il est passablement résistant au savon (parce qu'il n'y a pas de lipides à dissoudre) et à l'alcool ; j'avoue ne pas comprendre, parce que j'aurais pensé que l'absence d'enveloppe protectrice rendrait le virus plus fragile, et que par ailleurs l'ARN était plutôt facilement détruit (en tout cas, beaucoup plus fragile que l'ADN). L'eau de Javel, semble-t-il, détruit assez efficacement le norovirus, mais on ne peut pas en mettre sur tout.

Ajout () : Cette page est assez précise (en tout cas plus que tout ce que j'ai trouvé par ailleurs) quant aux détails sur les modes de transmission et les bonnes mesures à prendre pour s'en protéger.

Bon, on saura dans quelques jours si nos tentatives prophylactiques auront été couronnées de succès.

Je vais aussi éviter soigneusement le fromage pendant un certain temps, parce qu'il n'y a rien de plus pénible à vomir. Et je vais éviter de manger des choses que j'aime beaucoup, parce que ça peut vous en dégoûter à tout jamais (mon poussinet, par exemple, ne peut plus manger des Croissants de Lune depuis qu'il a eu un épisode de vomissements dont ces biscuits n'étaient en rien responsables mais où ils ont été, disons, impliqués malgré eux).

[#] Certainement pas au point que cela m'obsède, ou même que j'y pense en temps normal, mais quand j'attrape la gastro — ce qui m'arrive peut-être une fois tous les deux ans, c'est beaucoup trop à mon goût — la crainte de vomir est à peu près aussi insupportable que la douleur elle-même, et si ça m'arrive effectivement ça provoque beaucoup de pleurs. Métoclopramide, métopimazine ou dompéridone sont des sauveurs, malheureusement le temps d'avoir une ordonnance médicale et de récupérer le médicament, ce n'est généralement plus trop la peine (et stocker pour la prochaine fois se heurte au problème des dates limites d'utilisation) ; enfin, au moins il existe maintenant une formulation de la métopimazine en vente libre (Vogalib®), mais ce n'est pas le plus efficace. Pour ce qui est des autres symptômes que nausée et vomissements, ils m'incommodent beaucoup moins : s'agissant de la déshydratation, notamment, il y a la magie des mélanges sucre+sel.

[#2] Mais mardi matin je donne un cours à 8h30 : je crois que je préférerai quand même prendre le risque de coucher chez nous, à 5′ à pied de l'École, plutôt que me farcir une heure de trajet en RER.

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(samedi)

Ce qu'on écrit — en maths — et ce qu'on pense

L'autre jour, dans le cadre de mon cours d'Analyse à Télécom, j'énonce un résultat sur le changement de variable dans les intégrales multiples. Quelque chose comme ceci : si φ:UV est un C¹-difféomorphisme entre des ouverts de ℝn, et si f est une fonction mesurable sur V, alors l'intégrale sur V de f est égale à (et converge dans les mêmes cas que) l'intégrale sur U de (fφ)×|J| où J désigne le déterminant de la différentielle de φ. L'ennui d'un tel énoncé, c'est qu'il est peut-être mathématiquement impeccable, mais ce n'est pas la manière dont on pense à un changement de variable, ça ne montre pas la manière dont on mène en pratique le calcul, parce qu'avec un tel énoncé on ne sait pas où écrire les φ et les J.

La manière dont on fait les choses en pratique, c'est qu'on écrit les variables y1,…,yn sur V en fonction de celles x1,…,xn sur U, on calcule les différentielles dyi, on exprime l'« élément de volume » sur V dy1∧⋯∧dyn en fonction de celui dx1∧⋯∧dxn sur U (le rapport étant justement J), et on remplace simplement ça dans l'intégrale. Par exemple, pour passer des coordonnées cartésiennes aux coordonnées polaires dans une intégrale double, j'écris x = r·cos(θ) et y = r·sin(θ), donc dx∧dy = (cos(θ)·drr·sin(θ)·dθ) ∧ (sin(θ)·dr + r·cos(θ)·dθ) = r·dr∧dθ et je sais tout de suite où et comment placer le facteur r sans me tromper.

Mais expliquer ça, c'est autrement plus difficile qu'énoncer un théorème bien propre. Comme mes élèves ne savent pas ce que c'est qu'une forme différentielle (même sur ℝn), on ne peut pas vraiment expliquer quel sens aurait cet élément de volume dy1∧⋯∧dyn, ni les subtilités sur l'orientation (autrement qu'en dimension 1) : on écrit juste dy1⋯dyn pour l'élément d'intégration, mais du coup on n'explique pas vraiment le mystère (et on n'oriente pas les intégrales).

Bref, j'ai essayé de donner une idée de ce qui se passait, mais je ne sais pas si j'ai réussi à faire passer quoi que ce soit. C'est malheureusement assez fréquent, en maths, qu'on soit tiraillé, pour la pédagogique, entre donner un énoncé rigoureux auquel se rattraper, ou donner une explication utile pour le calcul ou pour l'intuition, avec parfois un peu de mal à faire le lien entre les deux.

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(jeudi)

Tout le savoir du monde n'est pas encore sur Internet (ou : les statues du musée d'Orsay)

Nous sommes de plus en plus habitués à avoir tout le savoir du monde à notre portée : qu'on veuille savoir les propriétés d'une substance chimique bizarre ou les dates d'un personnage très médiocrement célèbre, Wikipédia aura la réponse ; qu'on cherche des informations scientifiques plus détaillées, on trouvera cachés sur des sites russes une quantité phénoménale de livres diffusés contre la loi (après avoir vérifié sur Google books le livre qu'on cherche vraiment) ; qu'on cherche à savoir ce qu'il y a à presque n'importe quel endroit intéressant de la planète, Google maps ou Google street view seront passés par là ; qu'on cherche à reconnaître une image ou une musique, on se tourne vers Google images, Shazam (OK, c'est pas vraiment Internet) ou Musipedia ; tout cela était inimaginable il n'y a même pas quinze ans. Mais il y a encore des questions pour lesquelles Internet n'est pas trop au point. Bien sûr il y a celles pour lesquelles on aura du mal à trouver la réponse où qu'on cherche (même si ce ne sont pas forcément des questions difficiles a priori) : par exemple des questions comme quel temps faisait-il à Paris le 15 mars 1966 ? (date choisie au pif, peut-être que pour certaines ce sera plus facile, mais en général, répondre à une question pareille demandera un effort assez énorme ; mais je ne désespère pas qu'un jour on commence à constituer une immense base de données de la météo passée partout dans le monde). Ou même des questions dont la réponse est certainement dans des livres mais n'a pas été encore reprise sur Internet. J'allais citer les déclinaisons du vieux slavon comme exemple du genre de choses absolument indispensable qu'Internet ne connaît pas trop, mais en fait il a progressé ; ce n'est pas grave, on doit encore pouvoir trouver d'autres exemples.

Bref. Quelqu'un a posé la question d'identifier les trois statues qui ornent la façade nord de la gare qui est maintenant le musée d'Orsay (bon, sa question partait de la photo, mais identifier qu'il s'agit du musée d'Orsay, ça c'était facile), et j'ai pris ça un peu pour un défi. Wikipédia en français donnait une information partiellement fausse (et sans source), selon laquelle ces statues représentent les villes de Bordeaux, Orléans et Nantes, et cette information a été recopiée un nombre assez important de fois ; mais ceci ne dit ni le nom du sculpteur ni quelle statue représente quelle ville, et par ailleurs, il y avait une certaine confusion possible quant à la façade concernée. J'avoue que, pour ma part, je n'ai pas réussi à trouver : j'ai eu confirmation via un document sur des travaux de rénovation que les statues de la façade nord représentaient bien des villes, mais pas plus. Un de mes amis, cependant, a été plus fort que moi : les statues représentent en fait Bordeaux, Toulouse et Nantes comme cette page l'atteste, et celle-ci décrit un peu les symboles de chaque statue ; et cette page nous apprend qu'elles sont l'œuvre respectivement de Jean-Baptiste Hugues, Laurent-Honoré Marqueste (confirmation ici) et Jean-Antoine Injalbert (ces sculpteurs à trois noms dont la France de l'art nouveau semble avoir eu le secret). On a pu corriger Wikipédia en conséquence (et noter les références, dont la moitié dont d'ailleurs été immédiatement virées mais s'agissant de Wikipédia en français je ne suis pas étonné).

Ouf, le savoir est bien sur Internet, finalement, mais il est difficile à trouver. Bon, alors voici un défi semblable pour mes lecteurs : à la façade de l'Hôtel de Ville de Lyon, place des Terreaux, il y a deux statues dans le style antique qui surplombent la balustrade (de part et d'autre du bas-relief représentant Henri IV à cheval — ça c'est facile à trouver — mais plus haut que lui) : qui sont ces personnages (Jupiter et Minerve ?), et qui en est le sculpteur ? (C'est peut-être très facile, en fait : tout ce que je peux dire c'est que lors de mon dernier passage à Lyon je n'ai pas trouvé en cinq minutes avec mon téléphone mobile.)

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(mardi)

Quand le referendum est-il opportun ?

On entend régulièrement, dans la vie politique française, des appels à ce que telle ou telle question soit portée à referendum. C'est une manœuvre rhétorique assez habile, parce qu'elle donne l'apparence d'une grande impartialité (du genre : « laissons le Peuple Souverain® décider »), en fait on sait très bien que l'appel ne sera pas entendu, et du coup on peut laisser comprendre que le parlement ne fait pas ce que le peuple voudrait (ou plutôt, généralement : fait ce que le peuple ne voudrait pas).

Depuis la réforme constitutionnelle de juillet 2008, on devrait pouvoir faire à ces appels la réponse suivante : Vous n'avez qu'à tenter d'organiser un referendum d'initiative populaire (puisque la Constitution le permet maintenant). Je soupçonne d'ailleurs vaguement que cette possibilité a été inscrite dans la Constitution pour permettre de faire ce genre de réponse à des gens qui appellent à l'adoption de telle ou telle mesure. En réalité, les conditions limitant le referendum d'initiative populaire sont tellement extraordinairement draconiennes (un nombre de signatures exorbitant à recueillir en un temps très court plus l'approbation d'un nombre non négligeable de parlementaires élus, un nombre de domaines très limité, et diverses autres restrictions) et son effet est absolument nul (il suffit que le parlement examine la question, il peut tout à fait la rejeter, et cela enterre le referendum), et de toute façon ces dispositions de la Constitution sont actuellement inopérantes puisque le parlement n'a jamais voté la loi organique nécessaire à leur application, si bien que là, même si je suis très très loin d'être un zélateur du referendum (comme je vais le dire), je trouve qu'on se moque un peu du monde. Et en tout cas, on ne peut vraiment pas dire tentez un referendum d'initiative populaire, cela serait de trop mauvaise foi même pour l'homme politique lambda. Bref.

En ce moment, il y a deux sujets sur lesquels on entend des appels à consulter le Peuple Souverain®, c'est l'ouverture du mariage aux couples de même sexe, et le pacte budgétaire européen (ratification du traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire signé à Bruxelles le 2 mars 2012). Dans les deux cas, ceux qui appellent à un referendum voudraient que le Peuple Souverain® refusât la mesure en question : ils veulent un referendum pour faire campagne pour le non. Dans les deux cas, ils estiment que le Peuple Souverain® pencherait effectivement en leur faveur (voterait non). Et dans les deux cas, je pense qu'ils ont raison d'estimre cela : je pense qu'un referendum sur l'un ou l'autre sujet donnerait effectivement une victoire, courte mais probable, au non. (Et dans les deux cas, je ne serais pas d'accord avec le Peuple Souverain®, puisque moi-même je voterais oui, mais ce n'est pas du tout ce dont je veux parler.)

J'ai déjà expliqué par le passé ce que je pensais du Peuple Souverain® et de cette espèce de mysticisme qui l'entoure, et que je ne suis pas trop fan de laisser le Peuple Souverain® (aka : quarante-six millions de veaux) décider tout et n'importe quoi. Mais à la limite, ce n'est pas ça le problème non plus.

Le truc, c'est que pour beaucoup de questions, il y a des gens qui sont très excités pour ou contre, et une grande majorité de gens qui ont un avis beaucoup plus mou. Cet article (qui me semble bien pensé, et d'ailleurs beaucoup plus intelligent que la plupart des choses qu'on trouve sur le site en question) explique assez bien les choses : il se trouve que si on fait des sondages sur le mariage des couples de même sexe, une majorité assez nette de Français est pour ; mais ils sont « pour » au sens où ils sont prêts à faire l'effort de donner leur avis à un sondeur qui les a appelés pour le leur demander, ça ne veut absolument pas dire qu'ils sont suffisamment motivés sur la question pour aller prendre leurs petits petons potelés un dimanche et aller jusqu'au bureau de vote mettre dans l'urne un bulletin pour permettre aux homos de convoler — parce que, dans le fond, ils s'en foutent. À part, bien sûr, ceux qui sont vraiment mobilisés sur la question, et ceux-là, ils représentent une population très différente : pas du tout clair que les homos et leurs famille (ceux qui auraient assez envie de voter oui pour se bouger vraiment) fassent le poids contre ceux qui sont motivés pour voter non. Bref, le résultat serait certainement une grosse abstention, et un résultat au mieux très incertain. Et sans doute pareil pour le pacte budgétaire : personne n'a envie de se bouger pour aller voter en faveur d'un traité qu'on considérera au mieux comme un moindre mal. En vérité, le même genre d'effet peut se produire pour à peu près n'importe quelle question.

Pour avoir un referendum sain, il faudrait trois conditions toutes plus irréalistes les unes que les autres : (1) avoir un débat public serein sur la question, où les arguments soient véritablement entendus, et qui parvienne à intéresser les électeurs, (2) que ces électeurs se mobilisent largement, même si leur avis est peu tranché (ou peut-être que le vote soit obligatoire, mais je ne suis pas sûr que ce soit très bon pour autant), et (3) que le gouvernement ne prenne pas franchement position lui-même et souhaite véritablement savoir, en toute neutralité, quel est l'avis des électeurs (autant dire qu'on croit au Père Noël, à la Mère Noël, et à toute la petite famille Noël, là).

Et à vrai dire, quand je regarde les referendums qui ont eu lieu en France depuis la fin de la seconde guerre mondiale (ou depuis la IIIe République, ça revient au même puisqu'il n'y en a pas eu entre 1871 et 1944), je ne vois rien de vraiment indispensable, et je ne vois pas non plus de preuve d'une grande sagesse du Peuple Souverain®. Lequel a par exemple manqué deux occasions (mai 1946 et avril 1969) de se débarrasser du Sénat, parce que des questions politiques annexes ont parasité le débat, il a choisi un régime politique à la con (dont on ne sait pas bien s'il est présidentiel ou parlementaire) pour faire plaisir à Mongénéral, il a tergiversé sur les questions européennes et il a montré qu'il ne voulait pas se remuer si la question ne l'intéressait pas vraiment (je pense au referendum de septembre 2000). Bref, je suis peu convaincu.

La Suisse est régulièrement montrée en exemple, en France, comme l'archétype du pays dont la démocratie fonctionne à merveille (insérez ici la citation attendue d'Orson Welles), notamment à cause du bon usage du referendum (appelé « votations »). Qu'on me permette d'être sceptique. (Et ce, sans même procéder au largage de trolls évidents sur les jolis alpages : le temps qu'il aura fallu pour que les femmes aient les mêmes droits politiques que les hommes, la part de l'extrême-droite dans l'électorat, et, oh, vous avez vu le joli minaret, là ?)

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(lundi)

Comment être un client efficace

Je vais faire mes courses trois ou quatre fois par semaine au Carrefour Market (autrefois Champion) du centre commercial Italie 2. En principe je devrais pouvoir m'arranger pour les faire quand il y a le moins de monde (quitte à retourner au bureau après), mais je ne sais pas bien pourquoi, je me retrouve régulièrement à les faire au pire moment possible, soit vers 19h30, notamment le lundi. (En fait, je ne sais pas si c'est le pire moment possible, à vrai dire le nombre de clients aux caisses est bizarrement peu prévisible à certains moments, mais c'est sûr que c'est plutôt un mauvais choix.)

Il y a des gens qui s'énervent de l'inefficacité du personnel aux caisses. (Enfin, je ne sais pas s'il y a vraiment des gens qui s'en énervent, parce que je ne lis pas dans leurs pensées, mais je vais partir du principe que les cons existent.) C'est profondément injuste, d'autant qu'il s'agit d'un métier terriblement ingrat, certainement atrocement stressant surtout aux heures d'affluence, et que j'imagine très mal payé. Et en fait, même quand la queue est impressionnante à voir, ce n'est pas si pénible de la prendre, parce que ça dure moins longtemps qu'il semble. Passons.

Mais plutôt que de me plaindre de la personne à la caisse ou de la personne devant moi, j'essaie de me livrer au petit jeu consistant à être le client le plus efficace possible. Essentiellement, il s'agit de minimiser le temps où l'avancement de la file est bloqué par moi, i.e., le temps où on m'attend. J'essaie donc de :

  • disposer mes courses sur le tapis roulant de manière à pouvoir les ranger dans mon sac de manière compacte et efficace, sans perdre de temps (i.e., aussi rapidement que le caissier va les scanner) ;
  • tenir mon sac de manière qu'il soit visible que je l'ai déjà payé, pour éviter qu'on perde du temps à me poser la question, et de même, poser ma carte de fidélité (celle qui ne sert vraiment à rien), et d'éventuels titres repas, avec mes achats ;
  • finir de ranger mes courses à une seule main, en sortant ma carte bancaire de l'autre, de façon à devancer la question du moyen de paiement ;
  • taper mon code le plus rapidement possible, retirer ma carte dès que le lecteur m'y autorise ;
  • et surtout, prendre mon sac et partir immédiatement quand on me donne mon ticket, sans prendre le temps de ranger celui-ci dans mon portefeuille (je le prends dans la main et je le range un peu plus loin, là où je ne bloque pas la queue).

L'idée est de faire perdre le moins de temps possible au client dernière moi ; d'un autre côté, je m'inquiète que l'impression d'être trop pressé soit, finalement, plus stressante pour le caissier, qui ne peut pas profiter de ma lenteur pour souffler.

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