Il faut que je précise que j'ai un faible particulier pour les
films qui reconstituent le Zeitgeist d'une époque récente ou
retracent l'histoire d'une période telle que vue à travers les yeux de
personnages auxquels on s'attache. En fait, ce sont les films qui
m'arrachent le plus facilement des
larmes[#] alors que les drames
sentimentaux n'y parviennent généralement pas. J'ai tenté de faire
quelque chose de semblable
dans un
ou deux de mes fragments littéraires gratuits, mais
sans grand succès je le crains.
Par
exemple, La
meglio gioventù (Nos meilleures années) fait
partie de mes films préférés, bien
que je n'aie pas spécialement connaissance de la façon dont l'Italie a
vécu les années en question ; et dans un genre un peu différent, je
pourrais
citer C.R.A.Z.Y. (qui se
concentre tout de même plus sur la vie de la famille que sur
l'atmosphère de l'époque). S'il pouvait être aussi réussi
que Nos meilleures années, un film qui retracerait,
disons, les trente ou quarante dernières années en France (notamment
les années Mitterrand, pour lesquelles j'ai un
souvenir attendri) ferait
certainement un film que j'adorerais (surtout s'il y avait en bonus un
personnage auquel je m'identifierais particulièrement, comme un garçon
homo[#2] d'à peu près mon
âge).
Tout ça pour dire que je partais particulièrement bon public
pour Nés en
68, qui colle à la description que je viens de faire dans
la seconde partie de la phrase précédente. Vu que j'ai bien aimé mais
que je n'en ressors pas non plus complètement emballé, il faut croire
que ce n'est pas aussi réussi que Nos meilleures années.
Les principaux reproches que je pourrais lui faire sont d'abord qu'il
y a des longueurs ou des scènes vraiment trop appuyées, ensuite que
certains événements sont plaqués sur l'histoire des personnages de
façon tellement artificielle que ça ne passe pas (ou alors c'est
plutôt censé être un clin d'œil, comme les images du World Trade
Center en flammes qui apparaissent sur un écran de télé que personne
ne regarde). Et Lætitia Casta, même si elle ne s'en sort pas trop mal
dans le rôle le plus important du film (et arrive presque à faire
croire qu'elle a cinquante ans), est tout de même un peu casse-nerfs à
mon goût.
Nés en 68[#3],
donc, trace le parcours d'un petit groupe de personnages, dont
essentiellement trois qui sont au départ des sorbonnards gauchistes,
et leurs enfants, sur une période de quarante ans (mais en se
concentrant tout de même sur l'intervalle de 1968 à 1999). À travers
eux, les événements qui ont marqué la France pendant cette période,
tels que vus et commentés par des ex-hippies (je pense qu'on ne doit
guère avoir de chance d'aimer ce film si on n'est pas au moins un peu
gauchiste dans l'âme) : la loi Veil, l'élection de Mitterrand, les
années Sida, le passage de Le Pen au second tour, et ça se finit avec
les déclarations de l'actuel président de la République au sujet de
l'héritage de mai '68. Avec comme thèmes importants : la vision
hippie de l'amour libre et de la communauté, le militantisme politique
et la désillusion, et l'activisme gay (un des personnages milite à Act
Up). Si on est branché par ça, alors je recommande.
(Hum, je viens de remarquer qu'Olivier Ducastel et Jacques
Martineau — les metteurs en scène — sont aussi ceux qui
ont fait Drôle de
Félix, Ma
vraie vie à Rouen
et Crustacés et
Coquillages — j'ai d'ailleurs beaucoup aimé ce
dernier, moins les deux d'avant. Donc le fait qu'il y ait au moins un
personnage homo était assez prévisible.)
Ah, et j'ai bien aimé la BO,
aussi.
Si ça vous intéresse mais que vous n'avez pas la patience de passer
au cinéma les 173 minutes que dure le film, il semble qu'il sortira
sur Arte en octobre (en deux moitiés, au total un peu plus long que
celui qui est actuellement en salles). Je peux aussi faire un lien
vers
la bande-annonce.
[#] Je ne parle même pas
spécialement des passages tristes : ce sont plutôt des larmes de
nostalgie, des larmes issues de la pensée moi aussi, j'ai vécu
ça
, que des larmes de tristesse. Par exemple,
si Good bye, Lenin! m'a
ému au point de me faire pleurer, c'est que la chute du mur de Berlin
est quelque chose qui m'a énormément marqué quand j'étais petit, le
sentiment de vivre en direct un moment historique (la demi-génération
d'avant retiendrait sans doute le pied d'Armstrong posé sur la Lune,
la demi-génération d'après les attentats du 11 septembre 2001).
[#2] Si le garçon en
question est joué par un acteur extrêmement mignon (en l'occurrence
Théo Frilet, c'est lui qu'on voit sur
l'affiche
du film, et j'avoue que ça a pu m'inciter à le voir), ce n'est pas
plus mal non plus.
[#3] Le titre est
mensonger, d'ailleurs : les personnages de la seconde génération sont,
si j'ai bien suivi, nés en quelque chose comme '69 (Ludmilla et
Christophe), '71 (Boris, celui qui est joué par Théo Frilet), et '80
(Joseph).