Je n'ai pas écrit dans ce blog depuis plus d'un mois. Le temps de raconter un peu pourquoi.
Sans conteste, je vais beaucoup mieux depuis que je ne suis plus prisonnier chez moi. Le traumatisme associé à ce confinement restera sans doute présent longtemps, il faudra certainement que je travaille dessus pour l'exorciser complètement : mais pour l'instant, je n'ai pas du tout envie d'y repenser, j'ai surtout envie de profiter du goût de la liberté retrouvée.
Mon cerveau analytique a toujours eu tendance, et je pense que les lecteurs réguliers de ce blog en ont bien conscience, à fonctionner par lubies passagères : un jour je me passionne pour un sujet (qu'il s'agisse des géodésiques dans les trous noirs de Kerr ou de de la logique du topos effectif), je me jette à fond dedans, j'y pense sans arrêt, éventuellement j'écris une entrée de blog pour consigner et retenir ce que j'ai appris, puis je m'en lasse aussi soudainement que je m'y étais intéressé. (C'est d'ailleurs un certain handicap, voire un handicap certain, pour faire de la recherche, qui demande plus de l'endurance que des efforts intenses et brefs ; ou du moins c'est un handicap contre une conception un peu étroite de la recherche, mais j'en ai déjà parlé.)
Le Covid-19 a suivi ce phénomène, encore plus fortement que mes lubies habituelles : en même temps que l'épidémie déferlait sur la France, puis s'estompait mystérieusement, je n'arrivais plus à penser qu'à l'épidémiologie, et maintenant je n'ai plus du tout envie d'y penser. (Heureusement, comme on le sait, j'ai quand même eu le temps de braindumper des choses sur ce blog : notamment ici et là pour celles qui ont le plus de chances de pouvoir avoir un intérêt durable.)
Il y aurait pourtant encore des choses à dire sur le sujet. Ne serait-ce que pour souligner qu'on est toujours dans une très grande ignorance : à part qu'il y a maintenant un peu plus de clarté sur les modes de transmission (les Japonais avaient raison : les conditions vraiment dangereuses sont à la conjonction des trois C : endroits clos mal ventilés, personnes serrées, et conversations à proximité ; il y a très peu de contaminations en extérieur ; et la contamination par les surfaces a aussi l'air assez anecdotique), on est toujours aussi ignorant sur à peu près tout le reste. Notamment, malgré ce que tout le monde pourra vous dire, on ne sait vraiment pas ce qui fait que l'épidémie semble s'être arrêtée en Europe après avoir fait finalement si peu de morts (eu égard à ce qui était initialement prévisible) : pourquoi la situation n'est-elle pas exactement la même après la fin du confinement qu'elle l'était à en mars quand il y avait à peu près le même nombre d'infectés ? (Rappelons que ce genre de phénomènes n'a pas d'inertie : le fait qu'on soit sur une pente croissante ou décroissante n'a pas de raison d'impliquer que cette tendance continue ; mathématiquement, on a affaire à des équations différentielles du premier ordre.) Est-ce le résultat de l'immunité acquise par les contaminations (s'il y a eu beaucoup plus d'asymptomatiques, et peut-être des gens naturellement immuns) ? est-ce à cause des changements de comportement de la population ? est-ce à cause du caractère saisonnier du virus (soit par son mode de transmission soit par l'effet de la vitamine D sur le système immunitaire) ? autre chose ? une combinaison de tout ça ? on ne sait pas — et à cause de ça, on ne peut toujours pas prédire s'il y aura une « seconde vague » ou pas. (Et ceux qui vous disent avec certitude qu'il se passera ceci ou cela ont tort quoi qu'ils disent : ils ont peut-être raison dans ce qu'ils prévoient mais ils ont tort dans leur certitude.) On ne sait même pas si le confinement a réellement servi à quoi que ce soit. (Si le simple fait de porter des masques dans les endroits intérieurs où il y a du monde suffit à avoir un nombre de reproduction <1, c'est un peu bête d'avoir mis le pays en quarantaine pendant deux mois.) Je me suis dit que j'allais écrire une entrée de blog sur ce sujet, pour détailler ce que je viens de dire dans ce paragraphe… mais en fait je n'arrive plus à m'y intéresser et ce serait même douloureux de le faire.
Parce que c'est ça, aussi, le problème de mesures extrêmes comme le confinement : à la fin, les gens n'en peuvent plus. Ce n'est pas juste que je n'ai plus envie de parler d'épidémiologie ou de Covid-19, je n'ai plus envie d'y penser, j'ai d'autant plus envie de retrouver ma vie « normale », quitte à faire semblant que cette maladie n'a jamais existé, que j'en ai été trop privé.
Bon, maintenant, l'autre problème, c'est que toutes les choses que j'ai mis de côté pendant le confinement, soit parce que je n'avais pas la possibilité de les faire, soit parce que j'avais pas la force psychologique de les faire, me sont retombées dessus quand cette possibilité et cette force psychologique me sont revenues. (J'avais complètement arrêté de lire mes mails professionnels, par exemple, et ça a été particulièrement pénible à rattraper. Surtout quand j'ai découvert que ladite boîte mail était envahie d'engueulades, via une mailing-list de chercheurs en crypto et sécurité informatique dont je ne savais même pas que je faisais partie, au sujet de l'application StopCovid. Je ne vais pas parler de celle-ci, mais si ça vous intéresse je vous recommande de suivre Gaëtan Leurent sur Twitter, c'est un ami, par ailleurs connu pour son travail sur la cryptanalyse des fonctions de hachage.)
J'ai dû, par exemple, prévoir des examens pour trois cours que je
donnais à Télécom Paris (théorie des langages
, courbes
algébriques
et théorie des jeux
), sous forme
de QCM individuels parce que c'est la seule forme qui
marche plus ou moins si on ne peut pas surveiller, mais ça prend un
temps invraisemblable à préparer, ce genre de choses.
Par ailleurs, j'ai toujours un appartement à vendre (il a fallu le vider et le nettoyer un peu ; nous avions fait venir un peintre pour un petit rafraîchissement et tout a été mis en pause pendant le confinement), ce qui prend aussi beaucoup de temps et occasionne beaucoup de stress. J'ai notamment découvert que si on met une annonce immobilière sur Le Bon Coin, on est immédiatement harcelé par les agences qui vous assurent pouvoir vendre votre bien, mais assez peu de particuliers ; et que, par contre, si on confie le bien à une agence, ben elle ne fait plus grand-chose. Bref.
Et le temps qu'il me restait, j'avais surtout envie de profiter de
la liberté. Et pour ça, j'ai
fait pas
mal de balades en forêt avec mon poussinet.
Et pas
mal de balades à moto de mon côté (un peu plus de 2000km entre le
12 mai et le 21 juin, ce n'est pas énorme, mais vu que j'avais roulé
que 3000km depuis que je l'avais
achetée jusqu'au confinement, ça représente un certain changement
de rythme). Avec d'autant plus de plaisir que, il y a un an,
j'avais raté le permis, du coup je
n'avais pas pu faire les balades que j'espérais pendant les quelques
mois où c'est le plus agréable. Samedi dernier, notamment, je suis
allé à la Roche-Guyon (qui
était vraiment
bondé de motards), et j'ai ensuite suivi la vallée de l'Epte
jusque vers
le point
triple Île-de-France, Normandie,
Hauts-de-France ; et dimanche dernier j'ai entraîné
un (tout) petit groupe recruté
sur motards-idf.fr
sur un circuit autour de la forêt de Rambouillet et des plus beaux
coins que je connais dans la banlieue sud-ouest (cf. la carte
ci-contre : Buc → Versailles → Rennemoulin → Chavenay → Beynes →
Mareil-le-Guyon → Montfort-l'Amaury → Grosrouvre → Gambais →
Saint-Léger-en-Yvelines → Le Perray-en-Yvelines →
Vieille-Église-en-Yvelines → Saint-Benoît → Auffargis → vaux de Cernay
→ La Celle-les-Bordes → Bullion → Val-Saint-Germain →
Saint-Maurice-Montcouronne → Courson-Monteloup → Briis-sous-Forges →
les Molières → Choisel → Dampierre-en-Yvelines ; j'avais ensuite prévu
→ Saint-Lambert-des-Bois → Milon-la-Chapelle → Courcelles-sur-Yvette →
Villiers-le-Bâcle → Buc, mais on a un peu changé parce qu'il s'est mis
à pleuvoir ; je suis très content de cet itinéraire, et je le
recommande).
Bref, tout ceci explique que je n'ai rien écrit sur ce blog pendant tout ce temps. Même s'il me reste encore un certain nombre de choses à faire ou à finir de faire (et que je compte faire encore plein de balades), je pense avoir un peu plus de temps au cours des prochaines semaines, donc je vais reprendre progressivement, probablement pour ne plus parler de Covid-19 sauf si j'arrive à me faire violence pour écrire encore un peu sur le sujet.