Cette entrée fait suite à la précédente où j'argumente que l'évaluation de la recherche, ou en tout cas la manière bureaucratique et déshumanisante dont cette évaluation est menée, est contre-productive aux buts qu'elle affiche elle-même. Il y a beaucoup de choses que j'aurais pu dire encore, sur le manque de moyens, sur les mécanismes d'attribution du peu de moyens qu'il y a, sur le manque de postes, sur les mécanismes de recrutement du peu de postes qu'il y a et la précarisation des jeunes chercheurs, sur la tenure track américaine, etc., mais je ne veux pas trop m'éterniser sur un sujet déjà pénible à évoquer, et il y a des gens qui le font mieux que moi, cf. par exemple ce fil Twitter sur la compétition et l'attrition ou celui-ci sur la précarisation. Mais il y a un commentaire qui a été posté sur l'entrée précédente qui appelle un certain nombre de réactions :
Il est aveuglant de clarté que vos pontifications grandiloquentes proviennent de vos propres lacunes: vous ne faites pas de recherche, n'en avez fait que peu et de qualité disons poliment: moyenne, et n'en ferez probablement plus.
Quoi d'étonnant alors que, sous couvert de nobles et grandioses principes généraux, vous soyez aussi opposé à toute évaluation de la recherche, dans un billet dont le ressort essentiel est l'invective?
— (Commentaire signé
Lucet daté )
C'est intéressant déjà parce que si on voulait illustrer le concept
d'attaque ad hominem (attaquer la personne qui
soutient une opinion plutôt qu'attaquer l'argumentaire qui la porte),
on pourrait difficilement faire mieux. (Il est d'ailleurs assez
pétillant d'ironie de m'accuser d'avoir recours à l'invective
dans un commentaire relevant de ce procédé ! OK, j'ai
qualifié les remarques d'Antoine Petit de trolls, mais c'était
justement pour ne pas accuser leur auteur de bêtise, et surtout, j'ai
pris le soin d'y répondre assez longuement sur le fond.) Je ne sais
d'ailleurs pas trop quoi faire de ce genre de commentaires :
normalement, la modération que je pratique vise plutôt à effacer ce
qui est hors sujet que les commentaires qui expriment un désaccord ou
même me font des reproches (cf. par exemple des choses qui ont été
écrites à propos de mon permis de conduire) ; heureusement, je suis
rarement confronté à ce genre de dilemmes parce que j'ai la chance
d'avoir des lecteurs qui, globalement, savent lire et écrire et
surtout, réfléchir. Mais là, j'ai publié pour m'en servir comme
exemple d'un certain nombre de choses que je veux dire.
Je ne sais rien sur l'auteur du commentaire en question, qui n'a pas eu l'élégance de me laisser un moyen de le contacter (fût-il lui-même anonyme), mais mon but ici n'est pas d'analyser la manière dont l'anonymat sur Internet favorise ou révèle la méchanceté. Il est tout à fait possible qu'il s'agisse d'un autre chercheur, peut-être d'un autre mathématicien, tant il est vrai que les chercheurs en général, et les matheux en particulier, ne sont pas toujours tendres envers les autres : même s'il faut certainement y voir pour bonne part une vérité incontournable sur la nature humaine, je pense que l'ambiance de compétition forcée dans la recherche plutôt que de coopération que je dénonce y est aussi pour beaucoup.
C'est sans doute une forme de syndrome de Stockholm qui fait que les chercheurs eux-mêmes viennent à s'emparer des moyens d'évaluation qui leur sont imposés, à les internaliser, et à se juger les uns les autres, ou à se juger eux-mêmes, selon ces moyens : grade académique, nombre de publications, récompenses et autres décorations, etc. Peut-être plus que l'évaluation externe, c'est cette internalisation de l'évaluation qui rend le procédé détestable et anxiogène. Ce qui ne veut pas dire que telle ou telle métrique est dénuée de signification statistique, mais nous devrions être scientifiquement assez perspicaces pour comprendre qu'une vérité statistique n'est que statistique et que la racine de toutes les injustices vient de l'application à des individus de vérités qui ne sont que statistiques.
Je pourrais donner quantités d'exemples d'absurdités, mais je me
contenterai d'un seul, que je crois assez représentatif des jugements
hâtifs qu'on peut faire sur la base de tels indicateurs, et comme la
personne en question est décédée il n'est pas mal que quelqu'un parle
pour lui[#]. Il s'agit de
François Courtès, chercheur au CNRS en poste à Poitiers
(spécialisé en représentations des groupes réductifs et correspondance
de Langlands locale), qui continuait à fréquenter régulièrement
l'ENS, sa bibliothèque et sa cour « aux Ernests » entre
le moment où il y est entré comme élève (en 1988) et sa mort : il y
était connu sous le surnom de TMOY
et faisait partie du folklore local à divers
titres (en plus de sa passion pour le Rubik's cube). Même parmi ceux
qui trouvaient TMOY sympathique, et parmi certains
membres du département de maths de l'ENS pendant que j'y
étais, la rumeur courait qu'il ne faisait plus du tout de (recherche
en) maths, rumeur sans doute basée sur le fait qu'il était plus
souvent à Paris qu'à Poitiers (il ne faut pas faire les choses à
Poitiers
aimait-il plaisanter, mais je crois qu'il a sincèrement
eu du mal à s'ajuster à cette affectation où il n'avait pas d'attache)
et plus encore sur le fait que sa liste de publication, jusque vers
2006, se limitait au contenu de sa thèse (soutenue en 1996).
Pourtant, il suffisait de jeter un œil sur ce que François écrivait en
bibliothèque et en cour aux Ernests pour s'apercevoir qu'il
travaillait, il suffisait de lui poser des questions sur les groupes
réductifs pour se rendre compte qu'il réfléchissait sur le sujet (à
titre personnel, il m'a d'ailleurs prodigué des explications assez
éclairantes sur la notion de tore et de groupe quasi-déployé), et il
suffisait de discuter avec ses collègues poitevins pour apprendre que
sa présence dans la Vienne n'était pas fantomatique mais qu'il en a
aidé plus d'un en échangeant des idées avec eux. Si ses publications
ont connu un « trou » important et n'ont pas été très nombreuses même
après (ce qui ne signifie pas qu'elles n'étaient pas
significatives !), ce n'est ni la passion ni le travail ni les
compétences qui lui manquaient : simplement, François ne rentrait pas
bien dans le moule selon lequel on évalue les chercheurs, et sa
carrière a été coupée abruptement par un accident fatal en 2016,
laissant dans l'ombre ce qu'il pouvait avoir prévu de publier plus
tard. Comme il était modeste et compartimentait sa vie entre
différents groupes de connaissances, il n'était pas forcément facile
de se rendre compte de son travail : c'est lors de ses funérailles, en
discutant avec les membres du laboratoire de Poitiers qui étaient
venus y assister, que j'ai pu prendre conscience que ses idées
mathématiques avaient irrigué plus que les publications qu'il avait
signées. Il n'était pas une star et n'aspirait pas à en devenir une,
mais un chercheur honnête et sérieux plus intéressé par les maths que
par les jugements qu'on pouvait porter sur lui. (Je renvoie
à cette
petite nécrologie à son sujet ; Cédric Villani avait aussi
écrit un
petit hommage plutôt touchant.)
[#] Il est bien sûr
toujours délicat de parler pour un défunt : pour éviter tout
malentendu, qu'il soit bien clair que je parle de lui et pour
lui mais pas en son nom, et je ne prétends pas refléter ici d'autre
opinion que la mienne. Je ne peux même pas dire avoir
connu TMOY si bien que ça (qui eût pu le dire ? il était
très réservé), et nous avions parfois eu des engueulades monumentales
donc je ne partageais certainement pas son avis sur tout. Le hasard a
simplement fait que j'ai dîné avec lui peu de temps avant sa mort et
que j'étais un des rares anciens normaliens à pouvoir me déplacer pour
ses obsèques, et je crois avoir un peu mieux compris ce personnage
complexe à l'une et l'autre de ces occasions. Pour raconter une autre
petite anecdote à son sujet, j'avais dirigé une blague potache en
janvier 2006 en posant sur un des nouveaux amphithéâtres de
l'ENS (qui n'avait pas de nom, et je ne sais pas s'il en
a encore maintenant) une plaque amphithéâtre François Courtès
en l'honneur de ce personnage incontournable de la maison : la blague,
assurément un peu conne, n'avait pas beaucoup plu à l'intéressé et
encore moins aux services logistiques de l'ENS, donc la
plaque a disparu rapidement ; mais après la disparition
de TMOY, il a été décidé sur l'impulsion d'une amie
commune d'évoquer son souvenir par une petite plaque beaucoup plus
discrète posée à l'endroit où il avait l'habitude de travailler en
cour aux Ernests — pas un amphi mais un banc en rebord de fenêtre — et
nous espérons que ce rappel modeste convient mieux à la mémoire de
quelqu'un qui l'était (modeste).
Je ne veux pas m'appesantir, parce que je me méfie des autocritiques, sur mon cas personnel, qui est différent de celui que je viens d'évoquer (il n'y a pas deux chercheurs ayant la même approche de leur discipline) même s'il s'en rapproche sans doute par certains points. Mais puisque je suis visé par le commentaire que j'ai cité, il faut peut-être que je dise quand même quelque chose de mes idiosyncrasies, qui ne surprendront sans doute pas les lecteurs réguliers de ce blog : le fait que j'aie du mal à finir ce que je commence, par exemple, est difficile à nier, et mes cartons sont autant pleins de résultats mathématiques partiels, manquant de contexte, ou difficiles à motiver, que d'entrées de blog inachevées, mais il faut noter que je peux revenir parfois très longtemps plus tard sur ce que j'ai laissé de côté ; je m'éparpille : le fait que je m'intéresse à tout et n'importe quoi est aussi vrai au sein des mathématiques et pose véritablement problème dans un système qui encourage plutôt[#2] à la spécialisation et même à l'hyper-spécialisation ; et il est certainement vrai que je suis plus doué pour attaquer une question ciblée, ou en contraire pour en poser, que pour aborder un problème général avec ténacité et opiniâtreté ; comme il est vrai que j'ai tendance à redécouvrir des choses déjà connues (par malchance, bien sûr, mais cette malchance est certainement amplifiée mon éclectisme et la manière dont je sélectionne les problèmes ; j'avais raconté un cas ici). Enfin, sur un plan plus pratique, il y a l'aspect que je déteste voyager.
[#2] Comment est-on censé constituer et réunir un jury d'habilitation, notamment, quand on travaille dans trop de directions différentes, par exemple, ce n'est pas clair.
On peut bien sûr me dire (et c'est ce que ferait certainement
le Luc
de mon commentaire) tout ça, c'est ton problème,
c'est à toi de d'adapter au monde et pas le contraire : si tu ne sais
pas faire avec les contraintes, c'est que tu es un mauvais
chercheur
; mais j'ai pourtant dans l'idée que la recherche en
général bénéficie surtout d'une multitude d'approches (des gens qui se
spécialisent dans un micro-domaine et des gens qui papillonnent ; des
gens qui cherchent des questions et des gens qui cherchent à les
résoudre ; des gens qui résolvent des problèmes et des gens qui les
synthétisent ; des gens qui regardent les choses de
façon top-down et d'autres de
façon bottom-up ; et ainsi de suite).
Pour évoquer ne serait-ce qu'un seul cas
concret, ce papier (qui
rentre dans la catégorie sur le feu depuis longtemps
) résulte
d'une
question sur le nombre chromatique du diagramme de Voronoï de réseaux
euclidiens (née elle-même
d'une tentative de vulgarisation)
que j'ai soumise à des spécialistes de géométrie combinatoire et
apparemment personne n'avait jamais considéré cette problématique :
nous avons pu y travailler ensemble, et je pense que c'est bien parce
que j'avais un regard extérieur et « éclectique » que la collaboration
a été féconde : au-delà de la question elle-même, ce point de vue a
été l'occasion de faire un lien assez inattendu
avec un
résultat de Serre sur le minimum du caractère de la représentation
adjointe d'un groupe de Lie compact (et de demander à Serre de
m'expliquer ce résultat et l'autorisation d'en publier la preuve !,
comme quoi j'aurai au moins servi à ce qu'elle soit écrite quelque
part) ; et la question (et notre papier) soulève elle-même d'autres
problèmes intéressants justement par leur éclectisme :
- Peut-on donner une valeur précise (en fonction de d) du nombre chromatique maximal du diagramme de Voronoï d'un réseau euclidien dans ℝd ? (Cf. le théorème 4.4 de notre texte et la discussion autour.)
- Le problème suivant est-il décidable ? Donné un groupe abélien libre de type fini (enfin, ℤd, quoi), et un ensemble fini symétrique d'éléments non nuls qui l'engendre, calculer le nombre chromatique du graphe de Cayley de ce groupe pour cet ensemble de générateurs. Notamment (ce qui impliquerait une réponse positive à la décidabilité) : le nombre chromatique est-il forcément atteint pour un coloriage périodique ? (Cf. aussi cette question.)
- Si Λ⊆ℝ24 désigne le réseau de Leech, identifié à son dual {x∈ℝ24 : ∀v∈Λ(v·x∈ℤ)}, et si f désigne la fonction (Λ-périodique) qui est la transformée de Fourier de la première couche Λ₂ := {v∈Λ : ‖v‖²=4} de Λ (de cardinal 196 560) de Λ, c'est-à-dire f(x) := ∑v∈Λ₂ (exp(2iπv·x)), quel est le minimum de f, et où est-il atteint (je suppose en un trou de Λ) ? (Le maximum, bien sûr, vaut 196 560 et est atteint en 0.)
- Sous quelle condition les valeurs critiques d'un caractère irréductible d'un groupe de Lie réel compact sont-elles toutes rationnelles ? Peut-on donner une démonstration uniforme et non calculatoire du fait que c'est vrai pour le caractère de la représentation adjointe ?
(N'hésitez pas à me contacter si vous connaissez une réponse — ou si vous trouvez un de ces problèmes intéressant et que vous voulez en discuter !)
Une des raisons pour lesquelles l'éclectisme pose problème, c'est que je ne connais pas forcément les personnes à aborder dans tous les domaines qui m'intéressent, et que je ne sais pas forcément bien débroussailler les questions (la collaboration dont je viens de parler a fonctionné parce que je connais bien Mathieu Dutour-Sikirić, mais c'est un peu un accident). C'est à ce titre que je pense qu'il y aurait énormément à tirer des technologies nouvelles pour créer des réseaux sociaux dédiés à la coopération scientifique (et mathématique en particulier) en dépassant le modèle unique « on se rencontre dans une conférence » (qui a son intérêt, je ne le nie pas, mais n'est pas le seul possible). J'estime que le site MathOverflow est extrêmement précieux dans ce sens, mais qu'il y a beaucoup d'autres choses encore faisables.
Parlant de MathOverflow (qui a un intérêt non seulement pour répondre à des questions, mais aussi pour se faire, par la négative, une idée de si une question est déjà bien connue, ou facile), j'ai posé pas mal de questions et apporté pas mal de réponses sur ce site, qui sont assez représentatives de la variété de mes centres d'intérêt[#3]. Est-ce une activité de recherche ? Je ne sais pas, mais c'est au moins une activité qui (comme, par exemple, le fait d'écrire des rapports sur des publications ou sur des thèses) rend service à d'autres services et qui n'est pas du tout « évaluée » positivement. (Pour que ce soit bien clair, je ne propose certainement pas d'utiliser le score sur MathOverflow dans les évaluations des matheux (l'idée me semble digne qu'on en rie, mais je me rappelle avoir vu quelqu'un proposer ça sérieusement), pas plus que je ne propose d'utiliser n'importe quel autre mécanisme d'évaluation donné : ce score est amusant en tant qu'imaginary Internet points à collectionner, mais il ne signifie rien ; en revanche, il ne faut pas trop s'imaginer que les autres bibliométriques valent tellement mieux que lui, et un monde dans lequel on reprocherait aux chercheurs en maths de ne pas avoir fait assez de contributions sur MathOverflow serait à peine plus absurde que le monde dans lequel l'évaluation est faite telle qu'elle est faite aujourd'hui.)
[#3] Mais si on
croit Luc
et que je ne fais plus de recherche, c'est sans doute
une façon sophistiquée de faire semblant, n'est-ce pas ? Et même pas
particulièrement maligne puisque personne ne va en tenir compte dans
mes évaluations. <U+1F644 FACE WITH ROLLING EYES>
Mais j'en viens à un autre aspect du commentaire de Luc
qui
mérite une certaine attention, c'est la culpabilisation : je ne sais
pas dans quelle mesure son commentaire était « seulement » une attaque
ad hominem sur ce que j'écrivais ou doit aussi se comprendre comme un
reproche, mais il y a clairement l'idée que non seulement je ne ferais
plus de recherche mais, de plus, je le cacherais. Et c'est là
révélateur d'un aspect du système d'évaluation des chercheurs qui
mérite qu'on s'y attarde.
Comme je l'expliquais dans l'entrée précédente, les tire-au-flanc
sont extrêmement rares ; ce qui existe, en revanche, ce sont les gens
qui, à un point ou un autre de leur carrière, ont perdu le goût ou
l'inspiration pour la recherche, ou bien pour leur domaine (et un des
problèmes que je n'ai pas discuté est que, sans parler d'éclectisme
comme le mien, changer de domaine alors qu'on est affecté à une équipe
dans un laboratoire, etc., n'est pas facile). Cela n'a rien de
déshonorant : il est normal que nos goûts et nos approches évoluent au
cours de notre vie, et dans un métier où la motivation joue un rôle
aussi sensible, il est normal qu'il y ait des hésitations et des
crises de conscience. Ce qui est vraiment problématique, c'est de
présenter ça comme quelque chose de déshonorant, de culpabiliser ces
personnes, de les présenter comme des sortes de tares (avec des termes
pseudo-euphémistiques comme par exemple non-publiant
: j'ai
pourtant donné ci-dessus l'exemple d'un chercheur non-publiant pendant
dix ans qui n'avait pas du tout arrêté la recherche, et qui se rendait
utile à d'autres), et, par voie de ricochet, les inciter à se cacher,
à faire des publications bidon pour faire croire qu'ils font quand
même de la recherche, bref, une approche dont tout le monde sort
perdant.
Pourtant, la mission d'un chercheur, sans même parler d'un enseignant-chercheur, est plus large que la seule production de résultats scientifiques nouveaux. Ce n'est pas moi qui le dit, c'est l'article L411-1 du code de la Recherche (tant qu'il n'a pas encore été réécrit pour introduire le nouveau monde darwinien tant attendu) :
Les personnels de la recherche concourent à une mission d'intérêt national. Cette mission comprend :
- Le développement des connaissances ;
- Leur transfert et leur application dans les entreprises, et dans tous les domaines contribuant au progrès de la société ;
- La diffusion de l'information et de la culture scientifique et technique dans toute la population, et notamment parmi les jeunes ;
- La participation à la formation initiale et à la formation continue ;
- L'administration de la recherche ;
- L'expertise scientifique.
Un chercheur qui ne produit plus de connaissances peut néanmoins remplir utilement les missions énumérées aux autres items de cette liste : valorisation et diffusion du savoir, vulgarisation, enseignement, administration (j'ajouterais, même s'il n'est pas explicitement listé ici on peut néanmoins le penser impliqué, le travail de documentation, synthèse et bibliographie à destination d'autres chercheurs plus actifs dans la production de connaissances). Si au lieu de chercher à culpabiliser ces non-produisants ou autres non-publiants et les mener parfois à « faire semblant » on les accompagnait plus sereinement à reconsidérer leurs intérêts, à arrêter soit temporairement soit définitivement la recherche actives, et à contribuer à d'autres choses, la société aurait beaucoup plus à en tirer : des articles Wikipédia de meilleure qualité si on reconnaissait enfin sérieusement que l'écriture sur Wikipédia est une mission de service public essentielle, par exemple, ou un dépassement du principe de Peter si on choisissait les administrateurs de la recherche parmi les chercheurs qui ont vraiment envie de se lancer dedans. Quant aux enseignants-chercheurs, dont les missions sont encore plus nombreuses, la tentation est grande de les redéployer vers l'enseignement à plein temps, mais c'est oublier, justement, que les autres missions que je viens d'énumérer sont aussi les leurs, pas juste l'enseignement, et qu'il y a un problème avec le fait que l'enseignement soit considéré comme le fourre-tout en la matière (le problème, pour commencer, étant que l'enseignement est trop souvent (a) considéré comme une corvée comparativement à la recherche, et (b) moins bien « évalué », notamment pour le passage dans le corps des professeurs, que la recherche, alors qu'il s'agit exactement autant l'une que l'autre des missions centrales du métier ; mais j'ai trop de choses à dire à ce sujet pour pouvoir y rentrer maintenant).
Bref, la situation dans laquelle des chercheurs ou enseignants-chercheurs se sentent coupables et cachent le fait qu'ils ne produisent plus de nouveaux résultats ou ne publient plus, doit en général être considérée comme une faillite de ce système, de ses mécanismes d'évaluation et de son absence d'accompagnements adaptés, et pas des personnes en question.
Bon, finalement, le commentaire agressif dont je suis parti s'est
révélé intéressant pour illustrer un certain nombre de points. Ce
n'est pas tout ce qu'il y aurait à dire : d'autres réponses ont été
faites par d'autres personnes dans les commentaires ; et il y aurait
encore beaucoup de points à discuter (par exemple, faut-il s'opposer à
toute forme d'évaluation ou peut-on en trouver qui soit adaptée au
mode de fonctionnement de la recherche ? à ce sujet, j'ai tendance à
dire que la charge est du côté de celui qui propose un mode
d'évaluation, et que si on n'en trouve pas du tout, n'en avoir aucune
n'est pas franchement un désastre), mais je commence à fatiguer
vraiment, là. Quant au fait que ma recherche passée est de
qualité moyenne
, je encore suis assez compétent en maths pour
savoir que seuls 50% des chercheurs peuvent faire partie des 50% les
meilleurs, et je n'ai pas l'obsession de l'excellence qui anime les
néodarwiniens ; mais si mon contradicteur mange l'hypothèse de Riemann
au petit déjeuner, ou veut simplement nous montrer des exemples de
résultats excellents, de lui-même ou d'autrui, qu'il n'hésite pas à
les partager, je suis toujours preneur de choses à apprendre.