David Madore's WebLog: 2025-10

Vous êtes sur le blog de David Madore, qui, comme le reste de ce site web, parle de tout et de n'importe quoi (surtout de n'importe quoi, en fait), des maths à la moto et ma vie quotidienne, en passant par les langues, la politique, la philo de comptoir, la géographie, et beaucoup de râleries sur le fait que les ordinateurs ne marchent pas, ainsi que d'occasionnels rappels du fait que je préfère les garçons, et des petites fictions volontairement fragmentaires que je publie sous le nom collectif de fragments littéraires gratuits. • Ce blog eut été bilingue à ses débuts (certaines entrées étaient en anglais, d'autres en français, et quelques unes traduites dans les deux langues) ; il est maintenant presque exclusivement en français, mais je ne m'interdis pas d'écrire en anglais à l'occasion. • Pour naviguer, sachez que les entrées sont listées par ordre chronologique inverse (i.e., la plus récente est en haut). Cette page-ci rassemble les entrées publiées en octobre 2025 : il y a aussi un tableau par mois à la fin de cette page, et un index de toutes les entrées. Certaines de mes entrées sont rangées dans une ou plusieurs « catégories » (indiqués à la fin de l'entrée elle-même), mais ce système de rangement n'est pas très cohérent. Le permalien de chaque entrée est dans la date, et il est aussi rappelé avant et après le texte de l'entrée elle-même.

You are on David Madore's blog which, like the rest of this web site, is about everything and anything (mostly anything, really), from math to motorcycling and my daily life, but also languages, politics, amateur(ish) philosophy, geography, lots of ranting about the fact that computers don't work, occasional reminders of the fact that I prefer men, and some voluntarily fragmentary fictions that I publish under the collective name of gratuitous literary fragments. • This blog used to be bilingual at its beginning (some entries were in English, others in French, and a few translated in both languages); it is now almost exclusively in French, but I'm not ruling out writing English blog entries in the future. • To navigate, note that the entries are listed in reverse chronological order (i.e., the most recent is on top). This page lists the entries published in October 2025: there is also a table of months at the end of this page, and an index of all entries. Some entries are classified into one or more “categories” (indicated at the end of the entry itself), but this organization isn't very coherent. The permalink of each entry is in its date, and it is also reproduced before and after the text of the entry itself.

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Entries published in October 2025 / Entrées publiées en octobre 2025:

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(vendredi)

Sur le fantasme du chef

J'ai récemment vu passer la dernière vague de l'enquête d'opinion Fractures françaises (menée par l'institut de sondage Ipsos), laquelle contient toutes sortes d'enseignements plus terrifiants les uns sur les autres sur les opinions et l'état d'esprit des Français (voici un fil Bluesky [visible sans compte Bluesky] qui résume les principales conclusions de l'enquête). Alors, certes, je suis le premier à rappeler que l'opinion publique est un phénomène quantique façonné autant par le sondage qui prétend la mesurer que par les gens qui la constituent, et qu'avec suffisamment d'astuce on peut faire dire n'importe quoi aux sondages, surtout que les barres d'erreur ne sont jamais données et le détail des réponses permises parfois pas clair. Mais si les résultats de ces questions sont à prendre avec des pincettes, il serait tout aussi fallacieux de prétendre qu'elles n'ont rien à nous apprendre.

Parmi les réponses il y en a une qui me semble particulièrement terrifiante : on demande aux répondants de se prononcer sur l'affirmation on a besoin d'un vrai chef en France pour remettre de l'ordre (pages 50–51 du PDF) : plus de 85% se déclarent d'accord avec cette affirmation (un chiffre massif qui n'est pas vraiment nouveau puisque de 2013 à maintenant il a oscillé entre 79% et 85%), et cette adhésion est majoritaire chez les sympathisants de tous les partis politiques (minimum chez les écolos[#] avec 57%, particulièrement paradoxale chez les prétendus insoumis avec 67%, et évidemment maximum chez le RN avec… 99%), et massive chez toutes les couches socio-professionnelles sondées.

[#] Il y a un certain nombre de choses que je n'aime pas chez les écolos (genre ça, dans une certaine mesure ça, et leur porosité avec des mouvements carrément crackpot genre antivax ou biodynamique). Mais quand même une chose que j'aime bien chez eux, c'est qu'au moins en interne ils n'ont pas l'air de vouloir à tout prix avoir un guide suprême.

Je ne crois pas avoir grand-chose d'intelligent à dire pour commenter (et oui, je suis bien conscient que les 85% de répondants qui approuvent cette affirmation n'ont certainement pas la même idée de ce qu'est un vrai chef ni de ce que signifie remettre de l'ordre, et qu'ils sont encore moins d'accord sur qui ce chef devrait être), et je ne prétends certainement pas raconter quoi que ce soit d'original ; mais je ne vais quand même pas me priver de signaler combien cette opinion, il nous faut un vrai chef (dont je n'affirme absolument pas qu'elle soit spécifiquement française), me semble à la fois glaçante et répugnante.

Le fantasme du chef[#2] et toutes ses déclinaisons (l'idée qu'il faut concentrer les pouvoirs entre les mains d'une seule personne pour l'efficacité, le mythe de l'homme providentiel qui va sauver l'État, l'utopie du dictateur bienveillant, le rêve d'une communion entre le leader et son peuple, l'illusion que le guide a toujours raison, le confort du commandant qui pense à notre place, le culte de Jupiter…) sont le lit de tous les despotismes et une des causes principales de l'érosion de l'état de droit. Car si le chef a toujours raison, s'il incarne la Nation, alors tout contre-pouvoir qui se mettrait en son chemin, par exemple un juge qui lui chercherait des noises ou une opposition parlementaire qui voudrait susciter le débat, est presque automatiquement un ennemi de la Nation : dans ces conditions, la séparation des pouvoirs n'a pas de sens, les poids et contrepoids n'existent pas. Au mieux, le chef (s'il est populaire) est le vecteur de la tyrannie de la majorité, au pire (s'il tient son pouvoir de la force) c'est un tyran, et la frontière entre les deux est d'ailleurs particulièrement poreuse (s'il n'y a pas de contre-pouvoir fort, qui va donc révoquer le chef si sa popularité cesse ? qui va l'empêcher de manipuler l'opinion et de truquer les élections pour se maintenir au pouvoir).

[#2] Je parle ici et dans le reste du billet de chef pour un pays entier. Mais on peut aussi s'interroger sur l'opportunité d'avoir un chef unique dans une structure différente, par exemple une entreprise ou une association ou une religion ou un groupe de travail ou que sais-je encore. Les entreprises aiment bien avoir un chef unique, parce qu'elles sont persuadées que ça apporte plus d'efficacité. Elles ont tort et elles sont connes. Pour une petite association, en revanche, ça peut avoir un sens. En fait, la règle générale (qui n'est pas parfaite et souffre certainement d'exceptions, mais s'avère néanmoins assez utile comme règle générale) pour savoir s'il est pertinent de donner à une structure un chef unique ayant quasiment tous les pouvoirs est la suivante : si c'est une corvée, s'il faut aller persuader les gens de se porter volontaires de le faire, alors il est probable qu'avoir un seul chef est une bonne idée (les gens qu'on va recruter sont des gens vraiment dévoués) ; si, en revanche, les candidats sont nombreux parce qu'il y a un vrai pouvoir associé à la fonction qui peut attirer les gens avides de pouvoir, alors ces candidats sont exactement les gens qu'il faut repousser, et ce que je dis plus bas pour un pays s'applique.

L'origine de ce fantasme[#3] est que nous avons envie de croire au chef qui n'a en tête que le bien collectif, peut-être un Cincinnatus à la vertu exemplaire, qui sauvera la République sans penser à son intérêt personnel (et qui retournera cultiver son jardin une fois son devoir accompli). Et bien sûr, que ce chef s'avère avoir la même idée que nous sur ce qu'est le bien collectif.

[#3] Enfin, une origine de ce fantasme. Il y en a bien sûr beaucoup. On pourrait aussi évoquer la théorie du grand homme (parce que oui, bizarrement, ce sont toujours des hommes) en Histoire. Même en fiction, nous avons du mal à envisager comme protagonistes autre chose que des individus (des courants, des idées, des classes sociales, des évolutions de la société en masse). Les historiens ont fini par dépasser cette vision de l'Histoire comme un catalogue des rois et de leurs faits d'armes (ou plus généralement, de grands personnages qui font des choses individuelles), mais cette présentation du récit continue à polluer notre imaginaire collectif. Même dans l'adaptation de Fondation d'Asimov, l'œuvre de science-fiction par excellence qui défend l'idée que ce qui importe dans l'histoire ce sont les masses et pas les individus (contre-théorie certes également simpliste, mais ce n'est pas le point), l'industrie du divertissement trouve le moyen de trahir absolument toutes ses idées et d'en faire une histoire d'héroïsme et d'individus qui font des trucs.

Mais dès qu'on se rend compte que tous ces groupes de gens qui veulent un chef veulent, en fait, autant de chefs différents (et que ce qu'ils veulent surtout, c'est ne pas avoir à discuter avec les autres groupes, à compromettre leurs idées avec d'autres, parce que le chef, leur chef, serait le chef de tout le monde), alors l'illusion s'effondre. Les 99% de sympathisants du RN qui réclament un vrai chef en France pour remettre de l'ordre ne seront sans doute plus trop d'accord avec cette affirmation s'ils commencent à imaginer le chef en question (et l'ordre en question) comme un autre que celui qu'ils fantasment.

L'idée abstraite d'un chef est souvent présentée comme quelque chose qui unifie la Nation, et le chiffre de 85% semble donner raison à cet a priori, mais dès qu'on met un nom précis, on se rend compte que c'est, au contraire, quelque chose qui divise. Dans la vraie vie, entre adultes responsables, pour guérir les divisions, il faut chercher les discussions et les compromis déplaisants, bref, tout le contraire de ce qu'un chef apporte. Au mieux le chef aliène ceux qui ne l'ont pas soutenu, au pire il déçoit même ses supporters (auxquels il a probablement fait des promesses intenables) et finit par se retrouver seul.

Et de fait, le désir des Français d'avoir un chef est particulièrement ironique et particulièrement stupide quand on voit la détestation qu'ils portent[#4] à leurs présidents de la République (l'actuel est autour de 20% d'opinions favorables, mais son prédécesseur avait fini à à peu près ce chiffre-là, et son prédécesseur à lui pas beaucoup plus haut non plus ; je ne retrouve plus de graphes synthétiques mais l'idée est là). Quand les gens veulent un chef mais que n'importe quel chef qu'on leur donne est détesté, c'est juste une sorte de caprice de gamin, en fait.

[#4] J'ai déjà dû l'écrire quelque part, mais l'érosion de la popularité de chacun est le signe que les Français ont un comportement profondément irrationnel et/ou n'ont aucun sens de la psychologie : qu'on aime ou qu'on n'aime pas tel ou tel président, je comprends, mais chacun d'entre eux a fait grosso modo ce qui était prévisible de lui au moment où il est arrivé au pouvoir, donc il n'y a aucune raison valable de changer d'opinion à son sujet au cours du temps. Par exemple, s'il y a des gens qui avaient plus de sympathie pour Emmanuel Macron au moment de son élection que maintenant, j'ai vraiment envie de de demander comment ils arrivaient à imaginer autre chose que ce qu'il a mené comme politique pendant ce temps (à part, certes, pour la pandémie, qui n'était pas prévisible, mais face à laquelle il a réagi de manière éminemment prévisible pour quelqu'un de son tempérament). Oui, bien sûr, les politiques font des promesses mensongères, mais tout le monde le sait et tout le monde le dit, et ce n'est quand même pas compliqué de voir au travers et de deviner ce qu'ils vont vraiment faire (ou en tout cas, si l'erreur est toujours dans le même sens, celui d'être déçu par rapport à ses attentes, ben il faut réajuster son mécanisme mental d'évaluation des attentes).

Le fantasme du chef n'est pas exclusivement français, c'est certain, et d'ailleurs il est très clair dans les soutiens de l'actuel président des États-Unis. Mais la France a une relation d'amour-haine très particulière à ses chefs, et le désir-de-chef est au moins en bonne partie un renvoi à des époques où la France (dans l'idée que s'en font les gens qui ont ce fantasme malsain) était grande et puissante (autre fantasme malsain) : Louis XIV et Napoléon en particulier, évidemment. Au sujet du second, je recommande d'ailleurs très vivement le bref livre de Lionel Jospin, Le Mal napoléonien : n'est pas tant un livre sur le personnage historique de Napoléon (même s'il en prend pour son grade !) que sur la bizarre fascination que les Français continuent à avoir pour ce type. Ceci dit, le modèle de chef qui est actuellement dans les têtes est sans doute plutôt proche de celui utilisé par Napoléon III (qui, comme le rappelle Marx dans un passage célèbre de son pamphlet consacré au personnage, était à son oncle ce que la farce est à la tragédie) : plus vraiment le souverain absolu qui fait la guerre à toute l'Europe et trouve sa légitimité dans Dieu ou ses victoires militaires, mais plutôt l'autocrate paternaliste, en apparence presque débonnaire, populiste qui s'appuie sur la confiance témoignée lors de plébiscites, et n'en profite pas moins pour écraser toute opposition et dont les proches s'en mettent plein les poches.

Mais l'autre côté de cette relation d'amour-haine, c'est que la France est aussi célèbre pour avoir guillotiné un roi et en avoir chassé au moins deux autres. Parce que le chef a aussi cette fonction, c'est de devenir le bouc émissaire si les choses vont mal : ça évite au pays de se poser des questions sur les responsabilités plus profondes, y compris la sienne : c'est tellement commode de donner tous les pouvoirs à une personne, pour pouvoir ensuite tout mettre sur le dos d'une seule personne. On ne guillotine plus les gens, mais cette conception complètement pathologique de la relation au chef continue avec Charles de Gaulle, qui fait écrire au pays en 1958 une constitution de merde pour pouvoir être chef dans une sorte d'union mystique avec le pays (appuyée sur nombreux referenda conçus comme des plébiscites), et qui se fait lourdement contester dix ans plus tard (à tel point qu'il a brièvement fui en Allemagne) : le chef comme figure expiatoire est le revers de la médaille du chef en communion avec le peuple qu'il guide. L'impopularité des présidents français peut s'interpréter de cette façon : ils servent à être le point focal de la détestation de tous les espoirs irrationnels qu'ils ont suscités et ensuite déçus.

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(mardi)

Quelques remarques sur les régimes parlementaires

Bon alors juste quand je décide d'essayer d'écrire plus de billets sur des petites conneries sans intérêt, l'actualité politique française vient m'emmerder avec des Sujets Graves. Rassurez-vous, on ne m'a pas nommé Premier ministre (même si au rythme où vont les choses, je ne saurais être parfaitement rassuré… mais j'ai calculé qu'Emmanuel Macron pourrait nommer chaque électeur français Premier ministre pendant environ une seconde jusqu'à la fin de son mandat, et je suis peut-être ouvert à l'idée de faire le boulot pendant une seconde).

☞ Critique récurrente du parlementarisme

Mais plus sérieusement, je vois beaucoup circuler l'idée que voilà, l'instabilité des gouvernements, c'est l'effet du parlementarisme. (Idée utilisée comme critique du parlementarisme, sans doute avec en filigrane l'idée qu'un régime présidentiel avec un Chef Fort[#], c'est beaucoup mieux… cf. un certain grand pays outre-Alantique où les choses se passent merveilleusement bien dans une harmonie politique dont les deux maîtres mots sont tempérance et compétence.) On montre du doigt la IVe République française comme exemple pour illustrer la valse des ministères ; ou bien on montre du doigt la Belgique pour montrer que former des coalitions parlementaires est compliqué et peut prendre un temps considérable. N'est-ce pas le signe que le parlementarisme, ça ne marche pas ?

[#] Le fantasme du Chef est l'idée la plus détestable et dangereuse de toute la politique, mais elle est particulièrement étrange dans la France de ces dernières décennies quand on voit la manière dont les Français aiment détester les présidents qu'ils élisent : qui peut penser une seule seconde que ce serait une bonne idée de mettre plein de pouvoirs entre les mains d'une personne quand on voit les scores de popularité qu'ont toutes les personnes qui sont passées par cette fonction ? C'est fascinant.

☞ Difficile majorité absolue

Indiscutablement, dans un pays dont l'électorat est divisé en en gros trois tendances politiques grosso modo égales et en désaccord[#2] sur tout, imaginer un régime à la fois démocratique et stable est intrinsèquement compliqué, parce que c'est un fait indéniable qu'il serait difficile d'écrire un programme de gouvernement qu'au moins 50% des Français seraient prêts à soutenir. Le remède généralement admis à ce mal est d'utiliser un mode de scrutin qui, au moins à un certain niveau, n'exige pas une majorité absolue mais seulement relative pour gouverner. (Par exemple, on peut imaginer élire un Grand Chef et lui donner en gros tous les pouvoirs pendant une mandature. Je suis évidemment extrêmement hostile à ça, mais c'est pour illustrer l'idée.) Mon propos dans ce billet est d'expliquer qu'on peut très bien faire quelque chose de ce genre dans le cadre d'un régime parlementaire, et, surtout, qu'il n'y a aucune fatalité à ce que le régime parlementaire ait pour corollaire l'instabilité gouvernementale ou la difficulté à construire des coalitions.

[#2] J'ai déjà dû le dire, mais je suis toujours fasciné par la tendance de chacune de ces trois tendances à prétendre que les deux autres sont alliées et/ou à peu près interchangeables (la gauche prétend régulièrement que la droite libérale et l'extrême-droite se soutiennent mutuellement si bien que l'extrême-droite est en fait déjà au pouvoir ; la droite libérale prétend que les extrêmes se rejoignent ; et l'extrême-droite parle encore d'UMPS ou formules de ce genre pour tout ce qui n'est pas l'extrême-droite). Ce qui revient à ce que chacune revendique ne représenter qu'environ un tiers de l'électorat contre un bloc d'environ deux tiers… donc n'avoir guère de légitimité à gouverner. Pour scier la branche sur laquelle ils sont assis, tous ces gens sont très forts.

C'est même assez facile, en fait. Je voudrais pouvoir prétendre que je vais démontrer mon talent de rédacteur de constitutions, mais il n'y a même pas besoin de talent particulier, parce que la solution est déjà connue. L'idée essentielle (que je vais quand même détailler un peu) est déjà utilisée dans divers régimes parlementaires, c'est celle de la motion de censure constructive : on ne peut renverser un gouvernement qu'en proposant un autre gouvernement pour prendre sa place. (Et s'il n'y a pas de gouvernement du tout, ou qu'il démissionne ? Je vais discuter cette situation aussi.)

☞ Régimes parlementaires et présidentiels

Mais revenons un cran en arrière. J'ai déjà dit (dans le billet que je viens de lier) que les rédacteurs de constitutions font preuve de fort peu d'originalité[#3] : en gros, quasiment tous les régimes politiques démocratiques du monde s'organisent en deux types. Le type présidentiel (modèles : les États-Unis d'Amérique et divers pays d'Amérique du Sud qui ont plus ou moins copié leur exemple), où le pouvoir exécutif est confié à un chef d'État élu (qui va déléguer une partie de ses pouvoirs à un gouvernement), le pouvoir législatif à un parlement élu, et aucun des deux ni le pouvoir judiciaire n'a vraiment de suprématie sur l'autre, ils sont censés agir chacun comme poids et contrepoids (checks and balances) les uns contre les autres. L'autre est le type parlementaire (modèles : le Royaume-Uni, l'Allemagne et en fait la majorité des pays d'Europe), qui conçoit l'exécutif comme émanant du législatif (lequel a donc une forme de prééminence), c'est-à-dire que le gouvernement est responsable devant le parlement et révocable par lui ; quant au chef d'État, il est souvent largement symbolique et sans pouvoir fort (le monarque du Royaume-Uni, le président allemand), typiquement limité à des pouvoirs de représentation ou peut-être de facilitation de la recherche d'une majorité parlementaire ou encore d'arbitre des institutions.

[#3] Si vous voulez un exemple d'originalité et que vous n'aimez pas les constitutions françaises du Directoire et du Consulat (ce que je peux comprendre !), regardez du côté des constitutions d'Athènes, de Sparte, de Rome, ou, pour sortir des poncifs du genre, de la confédération iroquoise : c'est très intéressant. Je ne dis pas que ce soit bien, mais c'est intéressant, et ça montre que plein d'idées sur les modèles politiques peuvent être revues.

La France de la Ve République est un peu à cheval entre ces deux types : le gouvernement est responsable devant le parlement, mais en même temps il y a un chef d'État qui a des vrais pouvoirs, parce que Charles de Gaulle ne voulait pas se limiter à jouer la partition des présidents de Jules Grévy à René Coty. La France a, au cours de ses N constitutions (N grand), joué avec toutes sortes de combinaisons possibles entre l'exécutif et le législatif : je ne vous refais pas le résumé du billet déjà lié. Mais la Ve République est parfois qualifiée de semi-présidentielle pour cette raison. Si le président a une majorité à l'Assemblée nationale, cette dernière joue le rôle de chambre d'enregistrement et le régime fonctionne en pratique comme un régime présidentiel car le gouvernement émane des décisions du président ; s'il a une majorité contre lui, on est en cohabitation, le Premier ministre est le personnage fort, et le régime fonctionne en pratique comme un régime parlementaire car le gouvernement émane de la majorité du parlement ; et s'il n'y a pas de majorité du tout… ben ça fonctionne mal parce que cette Constitution de merde n'est pas du tout prévue pour ce cas de figure. (Et parce que des grocervos avaient cru trouver un mode de scrutin qui assurerait toujours une majorité[#4] à l'Assemblée.) D'où des reproches variés sur le fait qu'elle est trop présidentielle (et qu'il faudrait la parlementariser) ou au contraire qu'elle est trop parlementaire (et qu'il faudrait la présidentialiser).

[#4] Et en fait, parce que les partis politiques français n'ont aucune culture de la formation de coalitions, ils ne savent même pas essayer. Justement parce qu'ils pensaient être à l'abri de cette éventualité.

☞ Discussion du cas parlementaire

Les lecteurs habitués de mon blog savent que j'ai une répulsion particulière pour le pouvoir et ceux qui veulent l'exercer, et notamment pour tout régime qui prétendrait mettre plein de pouvoirs entre les mains d'une seule personne. (Maintenant, je conviens aussi que la Constitution du Directoire, qui se donnait précisément comme objectif d'éviter ça, n'a pas été un franc succès[#5], et a conduit d'ailleurs exactement au régime qu'elle voulait empêcher.) J'ai donc tendance à préférer les régimes parlementaires en ce qu'il me semble moins dangereux de confier plein de pouvoirs à un groupe qu'à une seule personne : je ne prétends certainement pas que ce soit une solution magique au problème de la personnalisation du pouvoir (et si j'avais une solution magique, je m'empresserais de l'écrire ici). Mais on peut au moins réfuter certaines idées fausses à leur sujet.

[#5] On peut quand même la défendre en disant que l'idée d'un chef d'état polycéphale, dont le primus inter pares tourne fréquemment, ne marche pas si mal en Suisse, dont la Constitution actuelle est en bonne partie héritière de celle de la France du Directoire. Ceci étant, je m'écarte un peu du sujet, parce que ni la Suisse actuelle ni la France du Directoire ne sont facilement classifiables en parlementaire ou présidentiel.

Je définis le régime parlementaire comme signifiant que l'exécutif émane du parlement et est responsable devant lui. Mais dire ça ne sigifie pas forcément que le gouvernement dispose à tout moment d'une majorité absolue et tombe dès que ce n'est plus le cas : c'est sûr que si on va imposer cette contrainte, les gouvernements seront difficiles à constituer et forcément instables.

Mais cette contrainte est totalement idiote : si on se donne comme idéal (certainement souhaitable) que le parlement représente l'ensemble des électeurs et agisse en son nom, c'est une contrainte incroyablement forte (et certainement irréalisable en France à l'heure actuelle) que d'imaginer que le gouvernement dispose à tout moment d'une majorité absolue de l'électorat le soutenant. Ce qu'on peut demander de façon plus réaliste, c'est qu'il n'existe pas une majorité absolue qui préfère autre chose. Vérifier cette contrainte sur l'ensemble de l'électorat est un peu compliqué[#6], mais au parlement c'est déjà plus réaliste.

[#6] On peut certainement imaginer dans un régime politique d'avoir referendums révocatoires constructifs : la possibilité pour l'électorat de révoquer tel ou tel chef avant la fin de son mandat à condition qu'une majorité absolue sorte des urnes non seulement pour mettre fin au mandat du chef mais aussi pour le nom de la personne qui lui succédera. Honnêtement, si on disait aux Français vous pouvez mettre fin au mandat d'Emmanuel Macron, mais seulement en trouvant une majorité absolue pour un nom pour le remplacer, je doute qu'il ait beaucoup d'inquiétude à se faire sur son maintien à son poste.

☞ Une proposition

Ce que je propose[#7], donc, c'est d'abandonner l'idée qu'un gouvernement soit forcément majoritaire, et soutenu par une coalition majoritaire. D'abandonner aussi les petits tripatouillages dans le système électoral censés garantir l'existence d'une majorité au parlement (et qui marchent assez mal) : donc, pensez plutôt un scrutin de type proportionnel[#8]. Et en contrepartie, de faciliter la stabilité des gouvernements minoritaires, selon le principe : le gouvernement reste en fonction tant que le parlement ne constitue pas une majorité absolue pour un gouvernement différent (et même si cette majorité est éphémère, le gouvernement restera en place jusqu'à ce qu'une majorité absolue se dégage en faveur d'un autre gouvernement).

[#7] Le verbe proposer doit se comprendre ici comme une proposition intellectuelle. Ce n'est pas comme si on avait la moindre chance en pratique de modifier cette Constitution de merde, et si ça devait se faire on ne demanderait pas mon avis. (Je veux juste signaler que j'en suis conscient : le verbe proposer ne doit pas être compris comme suggérant le contraire.)

[#8] Je ne dis pas qu'il doit forcément être strictement proportionnel (déjà, il y a plein de variations autour de ce mode de scrutin). À titre d'exemple, si on trouve qu'avoir trop de partis rend le parlement inefficace on peut imaginer soustraire, disons, 5% aux scores de toutes les listes avant de faire la répartition à la proportionnelle (donc une liste qui fait moins de 5% n'a pas de sièges, mais si quatre partis font 10%, 20%, 30% et 40%, ils obtiennent respectivement 5/80 ≈ 6%, 15/80 ≈ 19%, 25/80 ≈ 31% et 35/80 ≈ 44% des sièges), ce qui revient en quelque sorte à donner une prime de 5% à la fusion. On peut aussi inventer toutes sortes de systèmes d'attribution des sièges au sein des listes pour assurer que les élus aient quand même une sorte de « circonscription » même dans un scrutin proportionnel. (Le système allemand fait ça, mais a ses propres défauts. Mais cf. par exemple ici pour une idée simple.) Je ne développe pas parce que ce n'est pas l'idée. Je veux juste dire que je préconise un scrutin au moins grosso modo proportionnel, pas du tout ce qu'on a en France. (Enfin, en ce moment, l'Assemblée nationale française correspond à peu près à ce que donnerait uns scrutin proportionnel, et il faut s'en réjouir au lieu de s'en lamenter.)

Deux situations, donc :

  1. le cas normal : si un gouvernement existe déjà depuis le début de la législature, le parlement ne peut le renverser que par le vote d'une motion de censure constructive, c'est-à-dire en choisissant un nouveau gouvernement (ou au moins, un nouveau chef de gouvernement, qui nommera ensuite le reste du gouvernement) ;
  2. en début de législature, ou si le gouvernement a démissionné, ou si le chef du gouvernement est décédé : le parlement élit le nouveau chef du gouvernement, selon un mode de scrutin qui garantit un résultat en temps borné (et il nomme ensuite les autres ministres).

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(vendredi)

Sur les noms des éléments chimiques

Méta : Les billets de mon blog ont tendance à devenir vraiment trop longs parce que je parle de sujets graves et que j'ai tendance à dumper mon cerveau dessus… or c'est un peu usant (mes billets se finissent généralement au point où le sujet me sort par les trous de nez), et ça me pousse à écrire de moins en moins de billets ici, pendant que j'écris toutes sortes de petites conneries sans intérêt sur Bluesky. Pour essayer de renverser un peu la tendance, je vais m'efforcer d'écrire quelques petites conneries ici aussi.

Parlons donc d'un truc absolument sans intérêt, et sur lequel je n'ai pas de compétence particulière : les noms des éléments chimiques. Comme ça ça ne devrait pas être trop long. (Voix du narrateur : …s'imaginait-il naïvement.)

Un truc que j'ai appris récemment (via cette vidéo[#]), c'est qu'en chinois, chaque élément chimique (chaque élément de la table périodique) a un nom qui consiste en un unique idéogramme[#2], et (par conséquent) une unique syllabe[#3] (généralement une approximation de la première syllabe du nom anglais).

[#] En fait, rétrospectivement je me rappelle qu'un copain sinisant me l'avait déjà dit en passant il y a très longtemps, mais ça m'avait semblé tellement incroyable que j'avais dû penser ce n'est pas possible, j'ai mal compris, et puis ça m'était sorti de la tête.

[#2] Comme il y a toujours un grocervo pour me signaler qu'on « doit »(?) dire sinogramme, je reproduis un argument que j'ai déjà exposé : il n'y a pas plus d'inventer le terme de sinogrammes qu'on n'a besoin de qualifier les hieroglyphes égyptiens d'égyptogrammes ou les lettres de l'alphabet grec d'hellénogrammes. L'argument vraiment complètement con donné par la Wikipédia en français est le suivant : Les caractères chinois ne sont pas tous des idéogrammes, contrairement à ce que suppose la désignation populaire. Tous ne visent pas nécessairement à évoquer une idée. Il existe aussi des pictogrammes, qui représentent directement un objet ou une scène, et des idéophonogrammes, où le choix de la composition inclut la phonétique. Passant sur le style tellement Wikipédia-en-français-esque de désignation populaire, c'est vraiment une vision ridiculement étriquée de ce qu'est une idée que de prétendre qu'un objet n'est pas une idée (et c'est ouvrir la porte à un ergotage complètement stupide sur la différence entre représenter une pipe ou représenter l'idée d'une pipe), ou bien prétendre qu'on perd la notion d'idée quand on y introduit une composante phonétique. Mais en l'occurrence, de toute façon, le débat n'a pas lieu : les caractères chinois représentant les éléments chimiques sont assez incontestablement des idéogrammes.

[#3] Pour la complétude de ce billet, voici la liste des 103 (premiers, i.e., jusqu'au lawrencium), avec pour chacun l'idéogramme et la prononciation utilisés en Chine continentale en mandarin standard (dans sa transcription en pīnyīn) et le nom anglais de l'élément :

  1. 氢 (qīng): hydrogen
  2. 氦 (hài): helium
  3. 锂 (lǐ): lithium
  4. 铍 (pí): beryllium
  5. 硼 (péng): boron
  6. 碳 (tàn): carbon
  7. 氮 (dàn): nitrogen
  8. 氧 (yǎng): oxygen
  9. 氟 (fú): fluorine
  10. 氖 (nǎi): neon
  11. 钠 (nà): sodium
  12. 镁 (měi): magnesium
  13. 铝 (lǚ): aluminum
  14. 硅 (guī): silicon
  15. 磷 (lín): phosphorus
  16. 硫 (liú): sulfur
  17. 氯 (lǜ): chlorine
  18. 氩 (yà): argon
  19. 钾 (jiǎ): potassium
  20. 钙 (gài): calcium
  21. 钪 (kàng): scandium
  22. 钛 (tài): titanium
  23. 钒 (fán): vanadium
  24. 铬 (gè): chromium
  25. 锰 (měng): manganese
  26. 铁 (tiě): iron
  27. 钴 (gǔ): cobalt
  28. 镍 (niè): nickel
  29. 铜 (tóng): copper
  30. 锌 (xīn): zinc
  31. 镓 (jiā): gallium
  32. 锗 (zhě): germanium
  33. 砷 (shēn): arsenic
  34. 硒 (xī): selenium
  35. 溴 (xiù): bromine
  36. 氪 (kè): krypton
  37. 铷 (rú): rubidium
  38. 锶 (sī): strontium
  39. 钇 (yǐ): yttrium
  40. 锆 (gào): zirconium
  41. 铌 (ní): niobium
  42. 钼 (mù): molybdenum
  43. 锝 (dé): technetium
  44. 钌 (liǎo): ruthenium
  45. 铑 (lǎo): rhodium
  46. 钯 (bǎ): palladium
  47. 银 (yín): silver
  48. 镉 (gé): cadmium
  49. 铟 (yīn): indium
  50. 锡 (xí): tin
  51. 锑 (tī): antimony
  52. 碲 (dì): tellurium
  53. 碘 (diǎn): iodine
  54. 氙 (xiān): xenon
  55. 铯 (sè): cesium
  56. 钡 (bèi): barium
  57. 镧 (lán): lanthanum
  58. 铈 (shì): cerium
  59. 镨 (pǔ): praseodymium
  60. 钕 (nǚ): neodymium
  61. 钷 (pǒ): promethium
  62. 钐 (shān): samarium
  63. 铕 (yǒu): europium
  64. 钆 (gá): gadolinium
  65. 铽 (tè): terbium
  66. 镝 (dī): dysprosium
  67. 钬 (huǒ): holmium
  68. 铒 (ěr): erbium
  69. 铥 (diū): thulium
  70. 镱 (yì): ytterbium
  71. 镥 (lǔ): lutetium
  72. 铪 (hā): hafnium
  73. 钽 (tǎn): tantalum
  74. 钨 (wū): tungsten
  75. 铼 (lái): rhenium
  76. 锇 (é): osmium
  77. 铱 (yī): iridium
  78. 铂 (bó): platinum
  79. 金 (jīn): gold
  80. 汞 (gǒng): mercury
  81. 铊 (tā): thallium
  82. 铅 (qiān): lead
  83. 铋 (bì): bismuth
  84. 钋 (pō): polonium
  85. 砹 (ài): astatine
  86. 氡 (dōng): radon
  87. 钫 (fāng): francium
  88. 镭 (léi): radium
  89. 锕 (ā): actinium
  90. 钍 (tǔ): thorium
  91. 镤 (pú): protoactinium
  92. 铀 (yóu): uranium
  93. 镎 (ná): neptunium
  94. 钚 (bù): plutonium
  95. 镅 (méi): americium
  96. 锔 (jú): curium
  97. 锫 (péi): berkelium
  98. 锎 (kāi): californium
  99. 锿 (āi): einsteinium
  100. 镄 (fèi): fermium
  101. 钔 (mén): mendelevium
  102. 锘 (nuò): nobelium
  103. 铹 (láo): lawrencium

C'est complètement dingue quand on pense que plein de mots chinois extrêmement courants sont formés de deux caractères. La notion de mot en chinois est fort épineuse (voyez cette autre vidéo pour des explications) ; mais de façon hyper simplifiée (et sous réserve que j'aie bien compris), comme les évolutions phonétiques du chinois ont créé un nombre assez important d'homonymes[#4], le chinois tend à préférer les mots dissyllabiques, quitte même à ajouter un caractère final qui ne veut pas dire grand-chose (comme 子 (zǐ) : historiquement enfant mais ça semble assez vide de sens maintenant) pour lever l'ambiguïté. Donc même un mot aussi courant que 房子 (fángzi), maison, fait deux syllabes, ce qui rend d'autant plus hallucinant d'avoir une seule syllabe[#5] pour désigner chacun du prométhéum, holmium, thulium et lutécium. C'est un peu contraire au principe général (cf. les codes de Huffman) qui demande que les noms courants tendant à être plus courts que les noms rares.

[#4] Le nombre de syllabes en chinois mandarin standard n'est pas énorme, pas tellement parce que le nombre de phonèmes est petit, mais parce que la phonotactique est extrêmement contraignante. Je renvoie à cette vidéo (plus éventuellement sa suite sur le dénombrement des phonèmes) et aussi celle-ci plus détaillée sur le dénombrement et la combinatoire des syllabes chinoises.

[#5] Avec évidemment plein d'homonymes. Au sein même de la chimie, la syllabe qui nomme le lutécium peut aussi lire le caractère , qui désigne, si je comprends bien, un sel ou un halogène. Super.

Il serait fort logique d'ajouter un caractère comme 素 (sù) (en gros, simple, élément) après chacun des caractères des éléments chimiques pour former un mot dissyllabique qui risquerait moins de causer ambiguïté, mais apparemment ce n'est pas ce qui se fait. Comme je ne parle pas chinois, je ne sais pas comment les gens s'en sortent en pratique, mais je soupçonne que les cours de chimie doivent être assez difficiles à suivre[#6].

[#6] Vous pouvez me rétorquer qu'en français, en chimie, les éléments sont souvent désignés par leur sigle standardisé à deux lettres (non seulement à l'écrit, mais même à l'oral) : NaCl (prononcé ène-a-cé-èle) plutôt que chlorure de sodium, parce que c'est plus court à dire. N'empêche que ça fait quand même typiquement deux syllabes par éléments.

Évidemment ceci soulève toutes sortes d'autres questions que je n'ai pas eu le temps de fouiller (j'ai dit que je cherchais à faire un billet pas trop long, hein !) : comment ça se passe dans d'autres variétés de chinois, à quelle époque ces noms et caractère ont été inventés, comment et par qui. Et aussi, comment fonctionne la nomenclature chimique en chinois de façon plus générale[#7]. Et s'il y a d'autres langues[#8] qui, comme le chinois, ont décidé de créer des noms locaux pour tous les éléments chimiques, même les plus rares.

[#7] Pour la chimie organique, la réponse est plus ou moins ici : manifestement, toute la terminologie systématique IUPAC (utilisée dans toutes(?) les autres langues du monde) a été calquée en chinois, mais avec des caractères chinois ad hoc. Par exemple, le nom systématique de l'acide citrique, soit acide 3-carboxy-3-hydroxypentanedioïque, s'écrit en chinois 3-羧基-3-羟基戊二酸 et se prononce, je crois, sān wèi suōjī sān wèi qiǎngjī wù èr suān : les différentes parties calquent les parties du nom international, dans le même ordre (sauf qu'acide est à la fin, évidemment, comme en anglais), mais tout est fabriqué à partir de termes chinois. ❧ Mais maintenant je me demande ce que le chinois fait pour les noms des médicaments : je vois par exemple sur Wikipédia que l'érythromycine se dit en chinois 红霉素 (hóngméisù) (ah ben là ils ont bien voulu utiliser , tiens), les caractères signifiant quelque chose comme rouge-bactérie-élément, le rouge correspondant clairement au préfixe d'origine grecque erythro-. Mais ils invent un nom chinois pour absolument chaque nouveau médicament qu'on met sur le marché ? Ah ben non, le lanréotide s'appelle 兰瑞肽 (lánruìtài), et cette fois-ci les deux premiers caractères, qui signifient quelque chose comme orchidée-propice, sont juste une transcription du début de la dénomination commune internationale, et le troisième semble être la manière dont le chinois rend les noms en -tide. J'arrête d'investiguer avant de tomber dans un labyrinthe de questions dont je resterai à jamais prisonnier.

[#8] Adapter le nom international semble le plus évident, mais… que fait-on dans les langues des signes ? Comment signe-t-on le lutécium en langue des signes française, par exemple ? D'ailleurs, comment signe-t-on l'acide 3-carboxy-3-hydroxypentanedioïque ? Que de questions !

Bon, mais en fait, mon but n'était pas de parler du chinois.

Parce que vous voyez, cette idée à la con de donner des noms aux éléments chimiques même ultra rares et qui ne servent à rien, il n'y a pas que le chinois qui l'ait.

Vous avez entendu parler du tennesse[#9] et de l'oganesson ? Vous avez déjà entendu ces mots ? Probablement pas. Ce sont les noms des éléments chimiques de numéros atomiques 117 et 118 : ils n'existent pas dans la nature, on a juste réussi à en synthétiser un ou deux isotopes en laboratoire (le tennesse-293, le tennesse-294 et l'oganesson-294), et ils se désintègrent en quelques dizaines de millisecondes pour le tennesse-293 et -294, en une fraction de milliseconde pour l'oganesson-294. (Il est plausible qu'il y ait des isotopes à durée de vie plus longues de l'un ou l'autre avec plus de neutrons, je vais y revenir, mais en tout cas ça a peu de chances d'être bien long.) Quoi qu'il en soit, il n'en existe probablement pas un seul atome dans tout le système solaire au moment où je suis en train d'écrire ceci.

[#9] Moi si on me parle du tennesse, je comprends tennis, donc c'est sans doute le même genre d'ambiguïté à la con qu'en chinois.

Tout ça est complètement ridicule.

Pas ridicule de synthétiser ces trucs, entendons-nous bien. Ça c'est une expérience scientifique qui a peut-être de la valeur, je ne peux pas juger. En tout cas je ne la critique pas. Mais de leur donner un nom comme un élément chimique : un nom arbitraire, qui n'a aucune histoire et aucune connexion avec les propriétés de l'élément, et qui constitue un truc gratuitement pénible à mémoriser si on décide de s'en servir.

C'est ridicule en chinois : on a créé en 2017 deux idéogrammes, et , prononcés respectivement tián et ào (et comme évidemment personne ne connaît ces idéogrammes, puisque ce sont des néographismes, Wikipédia doit indiquer leur prononciation en pīnyīn au-dessus — que personne ne doit comprendre non plus, parce que ce n'est pas plus fréquent de parler te tennesse et d'oganesson en chinois qu'en français). Mais c'est exactement aussi ridicule en français, en anglais, ou en papou. Ces machins ne méritent pas de nom. On peut très bien les appeler l'élément 117 et l'élément 118, parce que c'est ce qu'ils sont, et c'est exactement ce qu'on veut savoir d'eux, le nombre de protons (enfin, plutôt, on veut le nombre de nucléons, mais je vais y revenir).

Les théoriciens des particules avaient, il y a longtemps, la fantaisie de donner un nouveau nom à chaque fois qu'ils trouvaient un nouveau baryon. Enrico Fermi s'en serait plaint : si j'étais capable de retenir les noms de toutes ces particules, je serais devenu botaniste (la citation est possiblement apocryphe). Maintenant, quand on trouve une nouvelle résonance mésonique, on lui donne un code systématique comme f₀(2470) (le numéro est pour dire qu'elle se situe autour de 2470MeV), on ne lui donne pas un petit nom douillet comme globilobutulon, qui embêterait le pauvre Monsieur Fermi à retenir.

Il serait de même temps d'arrêter ce délire de donner des noms aux « éléments » chimiques qui, en vrai, n'existent pas chimiquement (je vais donner plus bas des critères précisant ce que j'appelle exister chimiquement).

Il y a un système qui n'est pas trop mal si on veut vraiment donner des noms, c'est de fabriquer le nom de façon systématique à partir du numéro atomique : le tennesse est ununseptium parce que c'est l'élément 117 et l'oganesson est ununoctium parce que c'est le 118. Des noms parfaitement sensés, mais je ne sais pas quelles andouilles ont décidé qu'ils ne pouvaient servir que comme noms temporaires et qu'une fois que l'élément est confirmé il doit recevoir un nom trivial (c'est-à-dire celui qui est complètement arbitraire, ridicule et impossible à retenir).

Je veux dire, ce n'est pas comme la botanique (pour revenir à la citation peut-être-de-Fermi) : en biologie, il n'y a pas de moyen systématique de nommer les espèces, donc on est obligé d'inventer des noms quand on découvre des espèces ; et quand on le fait, on peut au mois essayer que le nom évoque un peu les propriétés de l'espèce. En chimie, c'est le contraire[#10] : il y a un nom systématique évident, c'est le numéro atomique (éventuellement converti en un mot comme ununoctium), et il n'y a aucune propriété sur laquelle on pourrait baser un nom, parce que ces éléments existent tellement peu qu'on ne peut pas observer quoi que ce soit à leur sujet, en tout cas rien sur le plan chimique, donc le nom est juste complètement arbitraire et sert simplement à faire plaisir à l'ego de l'équipe[#11] qui l'a découvert.

[#10] Il y a un autre cas que je pourrais évoquer, c'est l'astronomie. On a heureusement arrêté de donner des noms aux étoiles et galaxies : on les nomme juste par un numéro de catalogue. Par contre, je crois qu'on continue à en donner (en épuisant tous les panthéons mythologiques possibles) à n'importe quel caillou de merde qu'on trouve en train de tourner dans le système solaire. Pourtant, le caillou, il n'a aucune propriété à part d'être un caillou de merde en train de tourner autour d'une planète ou du soleil. Il serait temps de comprendre que les noms mémorables sont une ressource rare contrairement aux entiers naturels qui n'en sont pas et de donner aux cailloux de merde des noms systématiques, c'est-à-dire juste des numéros. Arrêtez de prétendre qu'on a trouvé une 1729e lune à Jupiter : ce ne sont pas des lunes, ce sont des cailloux de merde, on sait que Jupiter a un nombre essentiellement infini de cailloux de merde qui tournent autour puisqu'il a des anneaux, alors donnez-leur juste des numéros. Franchement, Thelxinoé et Valétudo, c'est d'un grotesque ! (Oui, oui, ce sont vraiment des noms de cailloux de merde qui tournent autour de Jupiter.)

[#11] Et/ou de la personne en l'honneur de qui il est nommé. Là j'ai un autre problème, en fait : il ne faut pas nommer des choses après des gens. Ne serait-ce que parce que c'est ouvrir le risque de découvrir d'horribles choses sur cette personne et d'être super embarrassés de devoir renommer le truc (ou de ne pas pouvoir, comme cette pauvre bestiole qui a reçu le nom d'Anophthalmus hitleri en l'honneur de vous-voyez-qui). Il n'y a pas de criminel de guerre honoré dans la table périodique, que je sache, mais il y a au moins le type qui a poussé Staline sur la course à l'arme nucléaire (c'est lui qui a fait cette observation célèbre que les Américains avaient soudainement cessé de publier sur la physique nucléaire et a déduit de ce silence — comme dans une histoire de Sherlock Holmes où le fait qu'un chien n'aboie pas est significatif — qu'un programme secret avait sans doute été lancé), qu'on peut sans doute trouver contestable.

Mon problème essentiel avec ces noms, ce n'est pas juste qu'ils sont impossibles à retenir : c'est aussi que ces éléments n'ont pas de propriétés chimiques puisqu'il n'en existe pas assez, ou pas assez longtemps, pour faire de la chimie.

Voici quelques critères que je propose pour pouvoir dire qu'un élément existe vraiment, chimiquement :

  • Le strict minimum : au moins un isotope connu doit avoir une demi-vie supérieure à 15min. Pourquoi 15min ? Parce que c'est la demi-vie du neutron (qui est, si on veut, un isotope radioactif du nilium, l'élément chimique de numéro atomique 0). Le neutron est la particule ayant la demi-vie la plus longue (finie, ou en tout cas plus courte que celle éventuelle du proton), et on ne lui donne pas de nom chimique, donc il marque la séparation entre la physique nucléaire ou des particules et la chimie.
  • On doit avoir réussi à en rassembler (i.e., à en synthétiser) au moins 22µg. Pourquoi 22µg précisément ? Parce que c'est la masse de Planck, qui marque la séparation entre la physique microscopique et la physique macroscopique. (Oui, c'est une limite un peu arbitraire, mais elle est quand même raisonnable.)
  • On doit avoir réussi à mesurer expérimentalement son point de fusion ou d'ébullition à pression ambiante, ou bien à en fabriquer au moins 22µg d'un composé chimique. Ces critères sont le strict minimum pour considérer qu'on commence à faire de la physique ou de la chimie sur cet élément.

Je ne sais pas quel est le dernier élément qui passe ces trois tests (ni, d'ailleurs, quel est le premier qui ne les passe pas), mais je suis sûr que l'oganesson ne vérifie aucun des trois. Je ne prétends pas que mes critères soient parfaits (le second doit certainement impliquer le premier dans la pratique), mais on voit un peu le genre de choses qui me fait dire que l'uranium est un vrai élément chimique et que le tennesse n'en est pas un.

Mais mon problème n'est pas juste là. C'est qu'en fait ces trucs, s'ils n'existent pas chimiquement, existent du point de vue de la physique nucléaire (enfin, leurs noyaux, quoi), et on doit les considérer de ce point de vue-là.

Or du point de vue de la physique nucléaire, la quantité la plus importante, ce n'est pas le nombre de protons dans le noyau, c'est le nombre total de nucléons (protons+neutrons) : pour les interactions fortes (dans le noyau), le proton et le neutron sont en gros deux états (deux isospins) d'une même particule, le nucléon. Donc il faut changer le point de vue : on n'a pas des isotopes de tel ou tel élément (nombre de protons fixé, nombre de neutrons variable), mais on a des formes d'isospin d'un noyau de tel ou tel nombre de nucléons (nombre de nucléons fixé, répartition entre protons et neutrons variable, sachant qu'il y en aura en gros une qui sera optimalement stable pour la désintégration β⁺/β⁻). En gros il faut regarder les tables de cette page et surtout les antidiagonales sur ces tables. Déjà sur des éléments qui « existent vraiment » chimiquement, c'est abusif de parler des chaînes de désintégration du thorium, du neptunium, de l'uranium et de l'actinium — ce sont les chaînes des nucléides 232, 237, 238 et 235 (et en fait, 4n, 4n+1, 4n+2 et 4n+3 puisque le nombre de nucléons change par un multiple de 4 lors des désintégrations α). Mais pour les éléments qui n'ont aucune chimie, le nombre de protons est une distraction.

Donc cette histoire de donner des noms aux éléments en fonction du nombre Z de protons induit une sorte de distortion scientifique (au moins potentielle) : il y a une course à fabriquer les nucléides avec le Z le plus élevé possible, puisque c'est ça qui vous donne une place dans le tableau périodique et un nom qui va avec, donc la célébrité, alors que ce qui compte surtout dans ce domaine est le nombre A=Z+N total de nucléons (ou peut-même surtout le nombre N de neutrons). La course à Z diminue l'incitation à fabriquer des noyaux avec plus de neutrons. Or de ce que je comprends, les éléments hyper-lourds synthétisés manquent de neutrons par rapport à l'optimum de stabilité pour la désintégration β⁺/β⁻ : ça semble bien plus intéressant (et aussi plus difficile…) d'arriver à synthétiser du flérovium-298 (114 protons, 184 neutrons), qui pourraient probablement passer le premier de mes trois critères, que des noyaux à Z très élevé, qui ne le passent certainement pas. C'est ainsi que cette manie idiote de donner des noms aux éléments qui ne devraient pas en avoir est peut-être bien en train de fausser un peu un enjeu scientifique en encourageant la course aux protons plutôt que la course aux neutrons.

Merde, même quand je choisis un sujet complètement sans intérêt et sur lequel je n'ai absolument rien à dire, j'arrive quand même à en écrire des pages. Je me fatigue.

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