Avant de parler du sujet de ce billet, je commence par une longue
digression pour revenir sur la question des données météo (ouvertes)
dont j'ai parlé récemment (si ceci
ne vous intéresse pas, sautez
directement après le
symbole ‘♠’ ci-dessous). Comme je le dit dans une mise à jour
(écrite il y a quelques jours) que j'ai ajoutée à la fin du bilet que
je viens de lier, la meilleure source de données météo ouvertes de
stations météorologiques individuelles que j'ai trouvée jusqu'à
présent est celle distribuée par
le European Climate
Assessment & Dataset (ECAD) : en allant
dans l'onglet Daily data
, on trouve des données
météorologiques à fréquence quotidienne pour toutes sortes de
variables et toutes sortes de stations météo en Europe. Voilà qui est
très bien, et exactement le genre de choses que je voulais.
Mais pas exactement non plus.
Parce qu'il y a une chose qui demeure curieuse : pour la France, on
y trouve seulement une poignée de stations, dont la plus proche de
Paris est la station d'Orly
(ici,
techniquement sur la commune d'Athis-Mons, mais on dit Orly
parce que c'est celle de l'aéroport de ce nom). Or la
station météo de référence pour Paris (peut-être pas la seule, mais
sans doute la plus ancienne), c'est celle située dans le parc
Montsouris
(ici).
Pas que je tienne spécialement à avoir les données ici plutôt que là,
mais la station de Paris-Montsouris a des relevés qui remontent au
moins à 1900, alors que celle d'Orly n'en a que depuis 1947, et comme
je voudrais avoir une série aussi longue que possible et aussi
homogène que possible, je veux celle de Montsouris. Et puis je
voudrais comprendre ce qui se passe : je trouvais bizarre que
l'ECAD ait accès aux données d'Orly mais pas de
Paris-Montsouris et encore plus bizarre parce que (comme je le disais
aussi dans l'addendum à la fin de cette
même entrée) on trouve en téléchargement
depuis cette
page Meteo-Paris.com de vieux fichiers de données qui
manifestement viennent de l'ECAD et qui sont pour la
station de Paris-Montsouris (mais ils ne vont que jusqu'à fin
septembre 2008). Quelle est cette diablerie ?
J'ai donc écrit à l'équipe du KNMI qui gère l'ECAD
pour leur demander des explications, et ils m'ont répondu que Météo
France ne leur communiquait initialement les données que pour un
nombre restreint de stations (dont celle de Paris-Montsouris), et que
les fichiers trouvables chez Meteo-Paris.com datent de cette époque,
mais qu'ils (Météo France) ont ensuite beaucoup augmenté ce nombre de
stations transmises, et en « contrepartie » ont explicitement demandé
que seul une poignée de ces stations soient marquées
comme téléchargeables
, c'est-à-dire pour lesquelles on peut
télécharger les données quotidiennes, et ce petit ensemble n'inclut
pas celle de Paris-Montsouris. Bref, l'ECAD les a, mais
on n'y a plus accès. (Et du coup, je me retrouve avec les données de
Paris-Montsouris seulement jusqu'à 2008, et celles d'Orly depuis 1947,
ce qui n'est pas mal, mais ça ne fait quand même pas une série longue
et complète.)
Tout ceci n'a aucun sens. D'abord, il est à la fois absurde, mesquin et contraire à leur mission d'information pour Météo France de restreindre l'accès à des données d'observation collectées avec l'argent du contribuable français. (En plus, c'est particulièrement mesquin de ne pas avoir mis la station de Paris-Montsouris dans la liste des stations téléchargeables alors qu'elle l'était auparavant.) Je ne sais pas pourquoi ils font ça (peut-être espèrent-ils vendre les données ? mais qui voudrait acheter des vieux relevés météo ?), je ne sais pas qui est le connard qui a pris cette décision, mais je constate qu'en Allemagne, (quasiment) toutes les stations météo sont marquées comme téléchargeables. Mais en fait, rien ne tient vraiment debout dans cette histoire, parce que plein de gens semblent quand même avoir accès à ces données de Paris-Montsouris et qui les diffusent (sous des formats peu exploitables) : Infoclimat.fr, par exemple, ou Meteociel.fr ou même un compte Twitter pour cette foutue station : d'où ces gens tirent-ils ces données, à la fin, si elles ne sont pas diffusées publiquement par Météo France ? Quelles sont leurs sources ? Quels sont leurs réseaux ? Je n'y compris rien.
De toute façon, si je comprends bien le droit d'accès aux documents administratifs (et que j'ai raison de penser que Météo France, pour l'accès aux documents administratifs est assimilé à une administration), ils ont l'obligation de communiquer ces données à qui en fait la demande (et gratuitement ; et il y a même une exigence renforcée en matière de données environnementales dont l'état de l'atmosphère fait partie), donc ne pas permettre à l'ECAD de rediffuser ces données qu'ils (Météo France) doit légalement fournir à qui les demande est simplement absurde.
J'ai vraiment envie de foutre des baffes à des gens chez Météo France, là.
Mais faute de baffes, je vais leur envoyer une demande d'accès aux
données, dont
voici un brouillon que vous êtes encouragés à relire avant que je
l'envoie, surtout si vous avez des connaissances juridiques. (Je
pense notamment au long paragraphe qui dit en creux vous êtes des
sales connards de ne pas avoir autorisé l'ECAD à
republier ces données, alors je vais vous emmerder en vous les
demandant tous les six mois jusqu'à ce que vous changiez de politique
à ce sujet
, mais j'essaie de le dire de façon un peu plus
conciliante que ce que je pense très fort : je ne sais pas si c'est
optimal pour maximiser la probabilité que j'obtienne ce que je veux.)
Il faut aussi voir s'ils peuvent m'empêcher de les rediffuser ensuite,
mais manifestement ils ne sont même pas très cohérents dans leur désir
de non-rediffusion vu qu'il y a ce compte sur Twitter (lié ci-dessus)
qui les obtient je ne sais comment et les diffuse en temps réel.
Mise à jour
() : Pour la suite de cette histoire, je
recopie un bout d'une entrée
ultérieure à laquelle je renvoie pour plus de
précisions : J'avais imaginé qu'il suffirait de faire une demande
d'accès aux documents administratifs pour les forcer à les
communiquer, parce que Météo France est un établissement public à
caractère administratif, et que le principe général est celui de la
gratuité ; mais j'ai ensuite découvert qu'ils
ont une
exception taillée sur mesure pour percevoir des redevances,
exception qui n'est d'ailleurs elle-même peut-être pas conforme à la
Loi, mais je n'ai pas les compétences légales ni les moyens juridiques
pour la contester devant les juridictions administratives, donc mon
espoir d'obtenir ces données s'arrête là. Ce qui ne m'empêche pas de
trouver complètement délirant de garder secrète la température
qu'il fait à Paris, et secondairement de m'interroger sur la
manière dont des sites
comme Infoclimat.fr
ou Meteociel.fr
les obtiennent quand même : je me demande comment ces sites amateurs
ont les moyens de payer 200 000€/an.
Bref.
Bref, c'est en fouillant pour trouver ces données météo, et notamment du côté du KNMI que j'ai découvert l'existence de ce gadget fabuleux qu'est le Climate Explorer and Climate Change Atlas, qui est un site interactif permettant de calculer des cartes et des graphes (ou d'extraire des données) pour représenter le changement climatique (soit à partir d'observations soit à partir de modèles) : voir ce fil Twitter et celui-ci, mais aussi la suite de cette entrée, pour quelques exemples de ce qu'il permet de faire.
(Les cartes et graphes des tweets que je viens de lier, ainsi que ceux ci-dessous, sont tirés du modèle ERA5 du European Centre for Medium-Range Weather Forecasts, qui est une réanalyse du climat passé, c'est-à-dire qu'on fait tourner des modèles sur les observations réelles pour obtenir quelque chose de cohérent à l'échelle de la Terre entière, avec une résolution de quelque chose comme 30km en surface et 1h dans le temps, en l'occurrence depuis 1950 ou 1959 ou 1978 je n'ai pas bien compris ce qui change à ces dates. En un certain sens, c'est mieux que des observations locales, parce qu'on peut demander des valeurs n'importe où, et ce sera beaucoup moins bruité ; en revanche, c'est plus limité dans le temps, ce qui explique que je veux quand même me battre pour obtenir mes relevés à Paris-Montsouris.)
Tout ceci m'a amené à me poser la question suivante (j'en viens enfin au sujet de cette entrée) :
♠
La France et les pays voisins connaissent actuellement une sécheresse exceptionnelle en même temps qu'une série de canicules. J'entends beaucoup de gens dire que « c'est » le changement climatique, qu'« un cap » a été franchi (ou « un point de non-retour »). Mais est-ce vraiment le cas ? Autrement dit, cette sécheresse 2022 et plus généralement le caractère exceptionnel de cette année doit-elle se concevoir comme une étape de plus dans un changement climatique, ou comme une anomalie, ou comme une combinaison des deux ? D'ailleurs, est-ce vraiment une année si exceptionnelle ? J'ai voulu essayer d'y voir plus clair : je ne prétends pas avoir réussi, mais j'ai au moins fait joujou avec des graphiques.
Ce qui est sûr (et peut-être justement ce qui est dramatique, comme
dans l'histoire —
largement inventée — de la grenouille qu'on fait bouillir
progressivement) c'est que le changement climatique est quelque
chose de graduel. Malgré l'existence de points de bascule
où
le changement s'accélère si certains mécanismes de rétroaction
positive se mettent en route, il n'y a pas de discontinuité à
prévoir : il reste un phénomène graduel. (Enfin, graduel à l'échelle
de quelques années ou décennies, entendons-nous bien : à l'échelle
géologique, ça reste inimaginablement
rapide, j'avais déjà évoqué le fait
que le changement actuel est entre dix et cent fois plus rapide que
celui déjà très soudain qui s'est opéré à la frontière
paléocène-éocène.) Il peut y avoir accélération, mais il est évident
qu'il ne peut pas y avoir eu un changement climatique important entre
2021 et 2022. En même temps, tous ces phénomènes sont extrêmement
bruités : le climat, c'est une tendance à long terme à laquelle
s'additionnent des variations météo aléatoires extrêmement importantes
au niveau de l'heure, de la journée et de la saison, ce qui rend la
lecture de la tendance à long terme très difficile : il faut faire des
statistiques sur des intervalles très longs, et ce n'est pas toujours
possible (d'autant que le phénomène peut lui-même changer dans
l'intervalle).
Évidemment, un changement à long terme peut avoir rendu seulement improbable un événement qui était quasi-impossible, et probable un événement qui était improbable. (Toutefois, ces probabilités évolueront tout de même graduellement.) En outre, la distribution de n'importe quelle variable météo n'évolue pas forcément comme une simple translation : le changement à long terme peut concevablement aussi affecter la distribution, c'est-à-dire augmenter la variance ou la forme de la queue de la distribution, c'est ce que j'avais essayé de dire dans mon billet sur les événements extrêmes sans pour autant arriver à y voir clair (ni à m'exprimer clairement).
Mais on peut malgré tout essayer de séparer une tendance à long terme, dont l'expression la plus simple est une régression linéaire dans le temps sur un intervalle assez long, et des écarts par rapport à cette tendance (et se demander si l'écart 2022 est particulièrement remarquable). C'est ce que j'ai tenté de faire ci-dessous.
Rappelons en tout cas que si l'impact du changement climatique sur la température est indiscutable (et se traduit par une augmentation presque partout sur la Terre, pas à la même vitesse partout, mais l'Europe est, après l'Arctique, un des endroits qui se réchauffe le plus vite), celui sur les précipitations (et autres aspects du cycle de l'eau, comme la sécheresse) est plus complexe. J'avais mentionné dans mon entrée sur les événements extrêmes (lien précédent) le rapport du projet DRIAS pour la France métropolitaine (bâti au-dessus des modélisations du GIEC pour le monde) qui conclut pour la France à plus de pluies en hiver et plus de sécheresse en été, mais avec une incertitude considérable sur tous ces phénomènes (beaucoup plus que sur les températures), si bien qu'on ne peut même pas vraiment conclure si le total de précipitation sur l'année sera augmenté ou diminué (le modèle est plutôt favorable à une augmentation du total, mais les marges d'erreur sont énormes) ; et ces évolutions ne doivent, selon ce modèle, être vraiment sensibles qu'à l'horizon fin de siècle (voir notamment pages 60–63 du rapport). Bon, ça c'est pour les modèles : maintenant, qu'en est-il des observations ?
Pour essayer de préciser un peu les choses, et espérer à séparer tendance à long terme et anomalie de l'année, j'ai calculé les cinq graphes suivants (cliquer sur chacun pour le zoomer), qui représentent cinq variables météorologiques importantes moyennées de janvier à juillet, et que je vais à présent commenter et expliquer :