Je veux ici apporter quelques embryons de réponse, mais surtout
beaucoup d'interrogations, sur la question suivante : dans quelle
mesure et pourquoi le réchauffement climatique est-il responsable
d'événements extrêmes (canicules, sécheresses, pluies très fortes,
vents violents, etc., et même, éventuellement, épisodes de froid
intense) ? C'est une question très importante, qu'il faut arriver à
communiquer correctement au public, et je trouve que ce n'est pas du
tout bien fait, à tel point que même en disposant d'une — ahem
— culture générale que j'espère
correcte en thermodynamique, planétologie et météorologie, je ne
trouve vraiment pas la réponse très claire.
Le problème quand on parle de réchauffement climatique de 1°C, 2°C,
3°C, 4°C par rapport à la période pré-industrielle, c'est qu'il s'agit
de températures globales moyennes (moyennées sur l'ensemble de la
surface de la Terre et sur une période assez longue). Il est
tentant de se dire que si les températures augmentent de 2°C en
moyenne, les pics de chaleur augmenteront aussi de 2°C, et comme
zéroième approximation ce n'est pas stupide ; mais le fait est que
même si on soustrait 1.5°C (ce qui est une borne supérieur du niveau
actuel de réchauffement, au moment où j'écris, par rapport aux niveaux
pré-industriels) aux records de chaleur récents, ils continuent à
paraître extrêmement exceptionnels en comparaison aux données
historiques. Ceci est le résultat de possiblement trois effets
différents :
- le changement climatique n'est pas uniforme dans
l'espace : certaines régions du globe se réchauffement moins que
d'autres (très sommairement, les terres émergées se réchauffent plus
que les océans, l'hémisphère nord plus que l'hémisphère sud, et
l'Europe et l'Amérique plus que l'Afrique et l'Asie du Sud-Est) ;
- le changement climatique n'est pas uniforme dans l'année
(très sommairement, les températures minimales ont tendance à
augmenter plus que les températures maximales, ce qui devrait au
contraire avoir tendance à faire que les extrêmes augmentent moins que
la moyenne, mais cette tendance n'est pas forcément vraie
partout) ;
- le changement climatique n'est pas uniforme en
probabilité, au sens où il n'effectue pas une simple translation
de la distribution de probabilité des températures à une date et un
lieu donnés, mais augmente peut-être aussi leur variance.
Concernant le dernier point, il n'y a aucune
contradiction a priori à ce que les extrêmes de froid
deviennent de plus en plus froids en même temps que les extrêmes de
chaud deviennent de plus en plus chauds dans le cadre d'une
augmentation générale de la moyenne ; cela pourrait être vrai de façon
systématique, ou à certains endroits (par exemple, en Europe, si le
gulf stream diminue en intensité et que le climat européen devait être
moins tempéré par l'influence océanique, on pourrait très bien
imaginer que, dans un contexte de réchauffement climatique global,
Paris se retrouve avec un climat proche de Winnipeg qui est, après
tout, à peu près à la même latitude) ; néanmoins, à ce que je
comprends, ce n'est pas le cas, les extrêmes de froid devraient
devenir moins extrêmes à peu près partout sur la planète.
Les informations sur tous ces points sont assez difficiles à
trouver, surtout s'il s'agit de donner des ordres de grandeur
chiffrés, et notamment une séparation des trois effets que je viens de
lister. Les modèles climatiques sont très bons pour des moyennes,
mais pas très bons pour prévoir des phénomènes localisés dans
l'espace, et encore moins les événements rares ; ils sont tellement
coûteux en puissance de calcul qu'on ne peut pas les faire tourner un
nombre considérable de fois (avec des petites perturbations initiales)
pour obtenir une distribution raisonnable de probabilités.
Cette vidéo de Sabine Hossenfelder (dont j'ai déjà dû
dire du bien un certain nombre de fois) explique assez bien les enjeux
de la question et la difficulté à attribuer au changement climatique
la responsabilité des événements externes précis, donc il faut au
moins que je la mentionne au passage.
Par ailleurs, même une fois des informations calculées par les
modèles, il reste encore la question pas du tout évidente de comment
les présenter (surtout s'il s'agit de tenir compte à la fois du lieu,
de la période de l'année, de l'horizon temporel, du scénario de
réchauffement climatique envisagé, et de la borne de probabilité
considérée : il n'est pas évident de rassembler en un seul graphique
des informations comme à Paris, entre juin et août, sur la période
2040–2070, dans un scénario d'émissions standardisé conduisant à un
réchauffement global de 4°C, les températures maximales typiques sur
un intervalle de 10 ans vont augmenter de x°C avec un
intervalle de confiance à 95% de y°C
— il y a un peu
trop de paramètres à rassembler).
Voici néanmoins trois sources qu'on m'a signalées et qui offrent au
moins une vue d'ensemble sur ce à quoi on peut s'attendre :
- Le chapitre 11 (
Weather and Climate Extreme
Events in a Changing Climate
)
de la partie WG I
(Climate Change 2021: The Physical Science
Basis) du sixième rapport d'évaluation
du GIEC. (Oui, la
nomenclature est
compliquée, donc pour que vous ne vous perdiez pas dans ce système
merdique, voici
le lien direct vers le chapitre dont je parle.) Oui, ce seul
chapitre fait 254 pages, mais on peut au moins lire le résumé,
l'introduction et la FAQ, et les lignes des régions
auxquelles on est intéressé dans les grandes tables à la fin.
- Concernant la France métropolitaine spécifiquement, le
rapport Nouvelles projections climatiques de
référence DRIAS 2020 pour la métropole du
projet DRIAS
(les futurs du climat).
(Lien
direct vers le rapport.) Ce rapport fait 98 pages, mais on peut au
moins lire les deux pages de synthèse, p. 68–69.
- Le site web de
l'organisation Berkeley Earth
a aussi des données intéressantes, mais c'est un peu le bordel pour
s'y retrouver.
Je n'ai pas réussi à retrouver la source précise
du graphique
de ce
tweet qui affirme que sur les dernières ~40 années, la température
moyenne en surface des terres a augmenté de 0.27°C/décennie, comparée
à seulement 0.11°C/décennie pour les océans. En comptant que les
océans constituent 70% de la surface, cela représenterait un facteur
de 1.7 de démultiplication entre l'élévation de la température moyenne
globale et celle de la surface des terres.
Je retire de ces sources les ordres de grandeur et idées
suivantes :
- Il faut s'attendre à un facteur de démultiplication d'environ 1.7
entre le réchauffement climatique moyen et le maximum annuel moyen en
l'Europe occidentale, c'est-à-dire que chaque degré de réchauffement
de la moyenne globale se traduit par 1.7 degrés de réchauffement du
maximum annuel moyen en Europe occidentale. [Source : figure 11.3 du
rapport du GIEC cité ci-dessus.] Mais je n'arrive
pas vraiment à trouver une valeur cohérente pour la démultiplication
sur la température moyenne (i.e., combien chaque degré de
réchauffement de la moyenne globale se traduit en réchauffement sur la
moyenne de l'Europe occidentale) : les valeurs indiquées dans le
rapport DRIAS (de +3.9°C en France à l'horizon 2100
pour un scénario représentant +3.7°C de moyenne globale, valeurs
trouvées p.68&72 du rapport cité ci-dessus) suggèrent un facteur
assez proche de 1, mais je trouve ailleurs des choses assez
incohérentes avec un tel chiffre, donc peut-être que j'ai mal
compris.
- L'augmentation des températures minimales annuelles
moyenne en Europe occidentale devrait elle-aussi augmenter plus que la
moyenne globale, et même encore plus que les températures maximales,
avec un facteur de démultiplication de peut-être 2.5 [source : figure
11.A.1 du rapport du GIEC cité ci-dessus]. Ceci me
laisse donc encore plus confus quant au phénomène sur la moyenne
annuelle (mais peut-être que les saisons intermédiaires se réchauffent
beaucoup moins ?).
- Les épisodes de canicule devraient devenir plus fréquents, mais il
n'est pas clair pour moi (d'après les sources que j'ai trouvées) si
cette fréquence augmentée devrait être plus importante que celle
prédite par l'augmentation de la température maximale annuelle moyenne
ou s'il y a une véritable augmentation de
fréquence intrinsèque des événements rares. Quoi qu'il en
soit, les épisodes de froid intense devraient devenir plus rares, donc
s'il y a augmentation de la variance, elle ne semble pas devoir
compenser l'augmentation de la moyenne.
- La quantité de précipitation annuelle totale ne doit pas changer
de façon considérable en Europe occidentale (pour la France on prévoit
plutôt une légère hausse, mais avec une grande incertitude), mais sa
répartition au cours de l'année doit évoluer : d'avantage de pluies en
hiver et moins de pluies en été. Là aussi, ces évolutions doivent
s'accompagner d'évolution des extrêmes, avec des épisodes plus
fréquents de pluies très intenses et aussi des épisodes plus fréquents
de sécheresse estivale.
- Les effets du changement climatique sur les vents, y compris sur
les événements extrêmes en la matière, ne sont pas clairs du
tout.
Tout ça n'est pas terriblement clair ! Mais ce qui est encore plus
confus, pour moi, c'est la raison pour laquelle un
réchauffement climatique global entraînerait plus d'événements
extrêmes, ou une augmentation de la variance (dispersion par rapport à
la moyenne) en plus de la simple augmentation de la moyenne.
Je pose notamment la question suivante : le climat de l'éocène
inférieur, période pendant laquelle les températures moyennes étaient
de 10°C à 14°C supérieures[#]
aux valeurs actuelles était-il sujet à des événements particulièrement
extrêmes ? (Y avait-il des dômes de chaleur qui se formaient montant
l'air à 60°C? Des températures dépassant les 45°C au thermomètre
humide[#2] et tuant tous les
animaux ?) Je ne crois pas qu'on ne ait pas la réponse à cette
question (les événements de ce genre ne laissent pas de trace
particulièrement exploitable). En fait, on ne comprend pas bien le
climat de cette période (qui semble avoir été caractérisé par un
réchauffement plus important aux pôles qu'à l'équateur, donc un écart
de températures moins important entre les deux, et si je comprends
bien on ne sait pas vraiment pourquoi, ou en tout cas pas expliqué le
niveau observé).
Mais ce qui est sûr, c'est que le rythme actuel
d'augmentation des températures est supérieur à tout ce qu'on a
détecté[#3] dans les données
géologiques. Peut-être que ce n'est pas tant l'amplitude du
réchauffement qui compte que son rythme (= sa dérivée temporelle) ?
Là je peux nettement plus facilement imaginer des explications, par
exemple différents sous-systèmes climatiques qui mettent plus ou moins
de temps à s'équilibrer et, tant que cet équilibre n'a pas eu lieu,
donnent lieu à des fluctuations un peu aléatoires pouvant causer des
événements extrêmes.
Je crois comprendre, notamment, qu'une raison du dérèglement que
nous observons notamment en Europe est lié à une faiblesse du
jet-stream[#4] qui, du coup, se
met à onduler, ce qui favorise soit la montée d'air du Sahara soit la
descente d'air polaire (donc des épisodes inhabituellement chauds
comme des épisodes inhabituellement froids — donc une plus grande
variance des températures — quelle que soit la saison). Mais de
nouveau, ceci soulève la question de si cette faiblesse du jet-stream
est liée à l'amplitude de la hausse des températures, ou à sa vitesse,
si c'est quelque chose qui se produit forcément quand la Terre est
plus chaude (comment était le jet-stream à l'éocène ?) ou si c'est un
régime transitoire quand la Terre se réchauffe.
[Ajout : ici
une explication possible proposée par un planétologue néanmoins
non spécialiste de la Terre : l'affaiblissement du jet-stream pourrait
être dû au fait que les pôles se réchauffent plus vite que l'équateur,
ce qui diminue le gradient de température en latitude.]
Toujours est-il que je voudrais bien des explications plus claires.
Il va peut-être falloir que je fouille moi-même dans les archives
météo et dans les données DRIAS pour trouver au
moins une réponse à la question de si la variance des températures
augmente, et si oui de combien, et je ne crois pas que je trouverai de
source claire sur la raison pour laquelle le réchauffement entraîne
plus de variabilité, ni encore moins sur la météo de l'éocène.
PS : Je ne suis toujours pas décidé quant à savoir
s'il vaut mieux parler de réchauffement climatique
ou
de changement climatique
. J'ai longtemps préféré changement
climatique
parce que cela rappelle qu'il ne s'agit
pas que d'un réchauffement, mais c'était en partie parce que
je pensais qu'il pouvait aussi conduire à des froids plus
extrêmes (malgré une augmentation moyenne) : apparemment, ce n'est pas
vraiment au programme, et comme par ailleurs changement
climatique
semble avoir été en partie récupéré par des gens
voulant faire croire qu'il est d'origine naturelle et pas
anthropogène, il vaut peut-être mieux l'éviter. On peut aussi parler
de dérèglement climatique
, mais je n'aime pas énormément, parce
que cela suggère une machine qui s'est déréglée toute seule.
[#] Ce
graphique des températures historiques tout au long du
phanérozoïque est extrêmement précieux pour se faire une idée
(attention à bien lire l'échelle de temps, qui change quatre
fois !). ⁂ Digression :
Je fais
remarquer ici qu'il ne faut pas prétendre qu'avec +6°C la Terre
devient inhabitable : elle a été encore nettement plus chaude
que ça, et de toute évidence elle était habitée (et pour les gens
qui comme
moi ont du mal avec les noms de ces périodes géologiques, je
rappelle que l'éocène inférieur, c'est entre −56 et −47 millions
d'années : il n'y avait plus de dinosaures non-aviaires depuis plus de
10 millions d'années, beaucoup d'ordres de mammifères actuels sont
apparus vers ce moment-là, et les continents
avaient pas
loin de leur forme actuelle ; donc ce n'est pas comme si je
comparais avec les températures probablement encore plus élevées du
cambrien, il y a 500 millions d'années, où il n'y avait même pas de
vie en surface, uniquement dans les océans, et assurément rien qui
ressemble à un mammifère). Et plus globalement parlant, nous vivons
dans un intervalle interglaciaire — l'holocène — d'une période
glaciaire — essentiellement, le pleistocène : c'est ce qui explique
qu'une bonne partie de l'histoire de la Terre au long du phanérozoïque
a connu des températures plus élevées. Tout ceci n'est pas une façon
de dire que le changement climatique actuel n'est pas catastrophique,
mais il ne menace pas la vie animale sur Terre, il nous
menace nous : si une grande majorité des espèces animales est
menacée d'extinction (mais il en restera toujours assez adaptées pour
se diversifier de nouveau comme après les extinctions de masse
précédentes), et si les humains pourraient probablement survivre d'une
manière ou d'une autre quelque part au climat de l'éocène ou à quelque
chose qui y ressemble, en revanche, notre civilisation qui soutient
8 milliards d'entre nous grâce à une agriculture à haut rendement
extrêmement optimisée, clairement, ne le peut pas. Et je pense qu'il
ne faut pas escamoter ces points quand on communique au grand public,
parce que sinon il y aura un petit malin qui lira
l'article éocène
sur Wikipédia, et qui dira ha ha, les
scientifiques nous mentent, la Terre a été bien plus chaude par le
passé [← ceci est vrai], le réchauffement climatique n'est donc pas un
problème ou n'est pas d'origine anthropogène [← ceci est
faux]
.
[#2] Digression :
La température
de thermomètre mouillé (ou de thermomètre humide
ou
juste température humide
) est la température à laquelle on peut
refroidir l'air par évaporation d'eau liquide, jusqu'à porter l'air à
saturation en vapeur d'eau, la chaleur latente d'évaporation de l'eau
était prise à l'enthalpie l'air. (C'est-à-dire qu'on introduit dans
l'air une quantité infinitésimale d'eau liquide à température de
l'air, on la laisse s'évaporer, et on recommence de façon isobare
jusqu'à ce que l'air soit saturé d'eau. Concrètement, c'est la
température que mesure un thermomètre qui est entouré d'une gaze
humide qui assure que l'air autour de lui est saturé d'humidité. Il y
a des différences subtiles entre petites variations autour de cette
notion, qualifiées de façon incohérente de température
thermodynamique de thermomètre humide
ou température
adiabatique de thermomètre humide
ou d'autres variations avec des
mots comme pseudo-adiabatique
ou pseudo-potentiel
.)
Elle est au moins aussi importante que la vraie température (i.e., la
température sèche) pour déterminer si des conditions météorologiques
sont supportables ; notamment, une température humide supérieure ou de
l'ordre de 35°C est mortelle pour l'homme même correctement hydraté,
car la transpiration ne permet plus de refroidir suffisamment le
corps. Il ne faut pas la confondre avec le point de rosée, lui aussi
exprimé en degrés, et qui est la température à laquelle il faut
refroidir l'air de façon isobare pour saturer l'eau qui est dedans :
le point de rosée ne mesure, finalement, que l'humidité absolue.
Cf. ce
fil Twitter (ainsi
que ce
chapitre d'un livre de météorologie qui y est cité) pour le
rapport entre ces deux notions.
[#3] À la frontière
paléocène-éocène, il y a environ 56 millions d'années a eu lieu
un événement
de réchauffement très rapide suite à une émission massive
de CO₂ dans l'atmosphère, provoquant une augmentation des températures
globales de quelque chose comme 5° à 8°C (c'est énorme). Cet
événement (à ne pas confondre avec l'augmentation puis baisse beaucoup
plus graduelle des températures lors de l'éocène lui-même) est parfois
évoqué comme modèle de l'épisode anthropogène actuel. Mais même cet
événement très rapide à l'échelle géologique a duré tout de même
quelque chose comme 20 000 à 50 000 ans, donc on parle d'un rythme
d'augmentation des températures entre 10 et 100 fois
plus lent que ce que nous observons actuellement.
(Évidemment, ça n'interdit pas d'écrire une histoire de
science-fiction dans laquelle une autre espèce intelligente avant nous
aurait développé une civilisation à ce moment-là, brûlé plein
d'énergie fossiles, et se serait éteinte sans laisser de
trace. Cette vidéo est pertinente à ce sujet.)
[#4] Aveu : je n'arrête
pas de confondre le jet-stream et le gulf stream (enfin, ce n'est pas
que je confonds mentalement, ça n'a guère de rapport, l'un est un
courant d'air et l'autre un courant d'eau, mais je n'arrête pas de
faire des lapsus dans un sens ou dans l'autre), et le fait que les
deux soient très importants pour le climat européen n'aide évidemment
pas.