Le titre de ce billet est tiré de la légende d'une gravure (de Henri Meyer, reproduite ci-contre) du livre La Fin du monde (1894) de Camille Flammarion (la gravure se trouve page 115, chapitre IV de la première partie ; le livre est trouvable ici sur Gallica avec les illustrations, ou ici sur Wikisource pour ce qui est du texte reformaté en HTML). J'avoue platement ne pas avoir lu ce livre (quel manque insupportable à ma culture générale !), peut-être que je m'y mettrai un jour où je me sentirai d'humeur d'absorber de la science-fiction post-apocalyptique de la Belle Époque, mais en tout cas vous en avez un bref résumé sur Wikipédia. J'avais dû voir l'image en question reproduite dans un livre de physique que j'avais lu quand j'étais petit, dans la section qui parlait de la seconde loi de la thermodynamique et qui évoquait la mort thermique et/ou l'histoire de ce concept. (Pour résumer sans entrer dans les détails, le concept de mort thermique était très à la mode quand les lois de la thermodynamique ont été dégagées ; il est toujours d'actualité, l'Univers est bien promis à une mort thermique selon nos connaissances actuelles, mais celle-ci aura lieu dans beaucoup plus longtemps que ce qu'on imaginait à l'époque de Flammarion, et au niveau de la Terre ce n'est vraiment pas un problème : voir par ici.)
Toujours est-il que cette gravure et sa légende m'avaient beaucoup
frappé, par le style délicieusement suranné de cette époque où on
avait encore le droit d'utiliser la tournure race humaine
sans
que des biologistes grincheux ne
viennent vous reprocher que l'humanité n'est pas une race mais une
espèce, et aussi le droit d'utiliser des phrases aussi ampoulées que
celle qui accompagne la seconde gravure que j'ai reproduite
en-dessous : Surprise par le froid, la dernière famille humaine a
été touchée du doigt de la Mort, et bientôt ses ossements seront
ensevelis sous le suaire des glaces
éternelles.
[#] Cette autre
gravure (dont je ne sais pas qui est l'artiste) est aussi tirée d'un
ouvrage de Flammarion, cette fois c'est son Astronomie
populaire (1880 ; la planche se trouve dans page 101 du tome 1,
chapitre VII du livre I ; le livre est de
nouveau trouvable
sur Gallica ; il n'a pas l'air d'être en ligne sous un format
texte propre, mais il continue encore à
être réimprimé
sur des bouts d'arbres morts).
[#] Remarquez le cadavre du petit chien accompagnant ce dernier couple d'humains qui sont morts dans les bras l'un de l'autre, comme c'est touchant. Au fait, si quelqu'un a accès à Dall·E, je veux bien voir à quoi ressemble l'image qu'on obtient si on lui propose cette légende.
Bon, tout ça c'était juste pour dire que j'adore ces gravures, pas vraiment pour parler de Flammarion ni de la vision de la thermodynamique à la fin du XIXe siècle, mais ces livres sont sans doute très intéressants si on aime l'histoire des sciences et qu'on a un temps que je n'ai pas présentement pour les lire. (Je crois comprendre que l'Astronomie populaire a eu beaucoup d'influence sur son temps, dans la mesure où un livre de vulgarisation scientifique peut en avoir.) Si vous aimez la futurologie dans un style plus moderne mais dans la lignée des idées exposées par ces planches, je ne peux que recommander deux vidéos de l'extraordinaire chaîne Kurzgesagt : celle-ci sur l'avenir lointain, et celle-ci sur la mort de froid de la Terre sans le soleil. (Un peu plus ancien, mais au sujet de la mort thermique de l'Univers et du second principe de la thermodynamique, on peut toujours référencer la nouvelle classique de science-fiction The Last Question d'Isaac Asimov, trouvable ici en ligne probablement en débit du droit d'auteur.)
Bref.
J'ai froid.
Je m'étais plaint de l'hiver l'an dernier (mais avec une image d'illustration tirée de Game of Thrones, admettez que c'est beaucoup moins classe que Flammarion, même si elle reflète aussi très bien mon état d'esprit actuel), et décidément mon appréciation pour cette saison ne va pas en s'améliorant. Du coup je vais passer mon temps grelottant devant un clavier en infligeant à mes lecteurs mes rants incohérents sur le froid, l'énergie, et tous les sujets qui me passent par la tête.
Il fait froid en France en ce moment. Les gens qui habitent les pays où il fait vraiment froid sont priés de ne pas se moquer qu'on puisse appeler froides des températures de l'ordre de −1°C à −6°C, surtout si les pays en question ont encore de l'énergie pour se chauffer.
En vrai, je ne sais pas bien estimer combien la vague de froid actuelle là où j'habite est inhabituelle. J'ai bien essayé de faire un peu joujou avec des données (voir ce fil Twitter), mais c'est compliqué à exploiter tant elles sont bruitées.
Bon, s'agissant des données météo, le premier problème est de les obtenir : je fais un petit point sur la situation à ce sujet.
(Digression sur les données météo.)
J'avais raconté ici et au début
de ce billet-là que Météo France,
comme un dragon juché sur son trésor, garde secrètes(!) les données
météo de la France, pour pouvoir les vendre(!!) à un prix complètement
exorbitant(!!!), genre
200 000€/an pour l'accès annuel aux données climatologiques de
base
, ce qui
est un
véritable scandale. (J'avais imaginé qu'il suffirait de faire une
demande d'accès aux documents administratifs pour les forcer à les
communiquer, parce que Météo France est un établissement public à
caractère administratif, et que le principe général est celui de la
gratuité ; mais j'ai ensuite découvert qu'ils
ont une
exception taillée sur mesure pour percevoir des redevances,
exception qui n'est d'ailleurs elle-même peut-être pas conforme à la
Loi, mais je n'ai pas les compétences légales ni les moyens juridiques
pour la contester devant les juridictions administratives, donc mon
espoir d'obtenir ces données s'arrête là. Ce qui ne m'empêche pas de
trouver complètement délirant de garder secrète la température
qu'il fait à Paris, et secondairement de m'interroger sur la
manière dont des sites
comme Infoclimat.fr
ou Meteociel.fr
les obtiennent quand même : je me demande comment ces sites amateurs
ont les moyens de payer 200 000€/an.)
Ajout () : Je découvre
quand
même au
hasard d'un fil Twitter (qui référence
notamment cette réponse du Premier ministre à la Cour des comptes
dans le cadre d'un référé sur la valorisation des données de
l'IGN, de Météo-France et du CEREMA)
que le gouvernement avait pris la décision de généraliser la
gratuité de la réutilisation des données notamment […] à Météo France
au plus tard en 2022
, mais je n'ai pas plus d'information,
notamment sur le caractère maintenant effectif de
cette décision
, ni sa valeur juridique. Toujours est-il que
les choses ne sont peut-être pas complètement au point mort, et que
peut-être un jour Météo-France devra révéler ses secrets.
Alors les données météo qui sont quand même publiques (et avec
lesquelles j'ai pu faire joujou) sont de deux natures. D'abord, il y
a une toute petite poignée de stations météo dont Météo
France consent quand même à diffuser les données, dont celle
d'Athis-Mons (aéroport d'Orly), mais pas celle de Paris (parc
Montsouris) : on peut les
trouver ici avec une fréquence horaire dans un format assez
pourri ; ou
bien ici [choisir blend
, France,
Orly et ne pas choisir d'élément] via l'ECA&D avec une
fréquence journalière dans un format nettement plus utilisable. Il y
a aussi une vieille version des données exportées vers
l'ECA&D au moment où Météo France autorisait
l'exportation des données de la station de Paris Montsouris qui
restent trouvables en
ligne : températures
minimales depuis 1900
/ températures
maximales depuis 1900
/ précipitations
depuis 1886 — mais ça s'arrête en septembre 2008. (Quelques autres
variables restent disponibles pour la station Paris Montsouris
directement sur le site de l'ECA&D, mais ce ne
sont pas les plus intéressantes : c'est probablement un oubli.)
D'autre part, il y a les données de
la réanalyse ERA5
. Là ce ne sont pas des
données d'observation directe mais des données issues de modèles qui
tentent de réanalyser la météo de toute la Terre à partir de
l'ensemble des observations disponibles, pour produire un jeu de
données cohérent sur l'ensemble de la planète, avec une résolution de
0.25° en latitude et en longitude, je ne sais pas combien de couches
en altitude, 1h en temps, je ne sais combien de variables, et ce,
depuis 1950 (ou 1959, ou 1978, je n'ai pas tout compris). En un
certain sens, c'est mieux que des données d'observation,
parce que la réanalyse va éliminer les données aberrantes, va
permettre de faire des moyennes sur des grandes surfaces (toute la
France métropolitaine, par exemple). Mais l'ensemble de la réanalyse
doit faire quelques milliers de milliards de points de données
(~1 million de points à la surface de la Terre, fois ~600 000 heures,
fois je ne sais combien de couches et de variables), donc on ne peut
évidemment pas tout télécharger. Cependant, ces données sont quand
même disponibles via
le Copernicus
Climate Data Store (merci l'Union européenne !) : celui-ci
propose différents moyens d'exporter des bouts de taille plus gérable
de ces donnés de la réanalyse ERA5, notamment
une toolbox CDS
qui permet (sur inscription gratuite) de faire tourner des programmes
Python sur leurs machines ayant accès aux
données ERA5 et en exporter ce qu'on veut. Sauf
que, bon, c'est du Python, un langage qui n'est pas ma tasse de thé et
qui est insupportablement verbeux et lourdingue, donc malgré la
disponibilité de divers programmes d'exemples et d'une doc visiblement
très très sérieuse (chapeau aux gens qui ont mis ça en place !
contrairement à Météo France, l'Union européenne a un vrai sens du
service public), je n'ai pas encore réussi à faire des choses
comme calculer une moyenne sur la France métropolitaine de la
température et d'autres variables météo moyennées sur la journée, et
exporter les données sous format texte
qui sont pourtant
certainement du domaine de ce qu'on peut faire avec cette boîte à
outils. (Les gens qui prétendent que le Python c'est facile : voici
venu votre moment de briller. Il faudra certainement
utiliser cette
fonction et s'inspirer
de ce
code déjà écrit.)
Bon, heureusement, il y a des gens qui calculent déjà certaines
données extraites de la réanalyse ERA5 et qu'on
peut télécharger directement (sans passer par la toolbox Python). Par
exemple, j'ai trouvé
le KNMI
Climate Change Atlas, qui fournit des
moyennes mensuelles pour toutes sortes de variables et à
toutes sortes de niveaux géographiques (dont des moyennes par pays),
j'avais utilisé ça pour produire
les graphes
de ce fil Twitter avec des températures moyennées sur trois mois
(saison météorologique). J'ai aussi
trouvé ce jeu de données, qui contient les moyennes de
quelques variables par pays ou région européenne, à une résolution
horaire, journalière ou mensuelle (pour la température, on prendra le
fichier era-nuts-t2m.zip
du jeu de données, et
dedans era-nuts-t2m-nuts0-hourly-singleindex.csv
contient
les températures moyennes des pays européens à une résolution
temporelle horaire depuis 1980).
Ajout () : J'ai fini par trouver qu'on pouvait extraire la température moyenne quotidienne en France (depuis 1950 et tirée de la réanalyse ERA5) de façon pas trop compliquée du le KNMI Climate Explorer : voir ce fil Twitter (ici sur ThreadReaderApp) pour la marche à suivre précise.
Donc au final j'ai quand même plein de choses, mais je n'ai rien qui dise, par exemple, quelle était la température moyenne de la France hier si je veux savoir ça.
(Fin de la digression sur les données météo.)
Après, ce n'est pas tout d'avoir des données, encore faut-il en
faire quelque chose. J'espérais avoir assez facilement la réponse à
la question quel est le jour de l'année le plus froid en France en
moyenne
, mais ce n'est pas si clair que ça : même en moyennant sur
toute la France métropolitaine, sur toute la journée et sur toutes les
années de 1980 à 2021, le
signal reste
très bruité. Si j'ajoute une moyenne sur 7 jours glissants, ça
commence à avoir plus d'allure, mais il reste des petites oscillations
bizarres. J'ai quand même l'impression que le jour le plus froid en
France en moyenne est le 15 janvier, avec 3.50°C (de moyenne sur la
France métropolitaine, sur la journée, sur les années 1980–2021, et
sur 7 jours glissants centrés), et le plus chaud est le 23 juillet
avec 20.08°C. Mais franchement, toute la période du 9 décembre au
21 février, en gros, est quasiment à la même température de
4.0°C±0.5°C sauf une micro-bosse d'environ 0.5°C de hauteur centrée
sur le solstice d'hiver à laquelle j'ai du mal à attribuer une autre
signification qu'une simple fluctuation aléatoire dans les données
(mais bon, si quelqu'un veut expliquer pourquoi la température moyenne
du 21 décembre en France est plutôt de 5.0°C alors que le 12 décembre
c'est 4.2°C, qu'il s'amuse).
Toujours est-il que j'ai froid.
Le bilan d'électricité de la France s'est un peu amélioré depuis le redémarrage vendredi de quatre réacteurs nucléaires (Cruas-2, Cattenom-4, Bugey-3 et Dampierre-3), totalisant 4GW éminemment bienvenus. On attend prochainement pour ces jours-ci les redémarrages de Tricastin-1 (annoncé pour ce soir à 23h), Gravelines-3 (jeudi soir) et Dampierre-2 (annoncé pour lundi prochain, mais susceptible d'être retardé), et si tout va bien, encore deux autres fin décembre (Saint-Alban-2 et Flamanville-1) et deux début janvier (Gravelines-4 et Civeaux-1), donc si les températures ne baissent pas plus, et s'il n'y a pas d'incident exceptionnel, il y a de bonnes chances qu'on échappe aux coupures tournantes au moins pour le moment (à la fin de l'hiver le problème sera de savoir s'il reste assez d'eau dans les barrages). Vous pouvez suivre l'activité des centrales nucléaires sur le site Nuclear monitor (et je rappelle qu'on peut consulter des graphes de la consommation électrique de la France et de ses différents modes de production ainsi que des importations sur le site Eco2Mix de RTE).
En mettant ensemble les données de température moyenne horaire et de consommation électrique de la France à la même fréquence, j'ai produit ce graphe à la forme distinctement anguleuse qui suggère qu'en-dessous de 15°C environ, chaque degré de moins « coûte » environ 2GW de consommation de plus (donc grosso modo, deux tranches de centrale nucléaire).
Mais indépendamment des problèmes de pénurie (enfin, pas
complètement indépendamment), le poussinet a changé il y a quelques
mois l'abonnement électrique de notre appartement pour passer à la
formule Tempo
: il s'agit d'une formule flexible, dont les
jours sont étiquetés bleus (électricité vraiment pas chère :
0.1272€/(kW·h) en heures pleines), blancs (électricité toujours pas
très chère : 0.1653€/(kW·h) en heures pleines), ou rouges (électricité
extrêmement chère : 0.5486€/(kW·h) en heures pleines), avec 22 jours
rouges[#2] dans l'année (entre
le 1er novembre et le 31 mars, uniquement du lundi au vendredi, la
couleur étant annoncée la veille ; pour l'instant, nous en sommes au
troisième cet hiver). Du coup, même si nous avons une pompe à chaleur
très efficace comme chauffage principal, nous avons décidé pendant ces
jours rouges de la couper en heures pleines (6h–22h) et de nous
chauffer avec
des poêles à
pétrole, qui brûlent un kérosène spécialement raffiné (et qui
coûte très cher à entre 1.75€/L et 2.75€/L, soit 0.18€/(kW·h) à
0.28€/(kW·h), mais c'est quand même moins cher au kW·h que
l'électricité en heures pleines rouges Tempo tant que le coefficient
de performance de la pompe à chaleur reste inférieur à 3 ou 2 : c'est
limite si on cible la même température, mais, forcément, nous
chauffons aussi moins).
[#2] Le Club Contexte attire votre attention sur le fait qu'il ne faut pas confondre les jours rouges sur l'échelle bleu/blanc/rouge de la formule Tempo (qui ne concernent que celle-ci, et qui sont forcément au nombre de 22 dans l'année, déterminés la veille d'après les prévisions météo par une formule compliquée mais publique), et les jours rouges sur l'échelle vert/orange/rouge des alertes Écowatt mise en place par RTE pour avertir du risque de coupures (pour l'instant, Écowatt est toujours resté au vert, ce qui me surprend d'ailleurs un peu). La couleur Écowatt dépend de la disponibilité de la production, contrairement à la couleur Tempo qui ne dépend que de la température prévue (et des jours rouges déjà consommés, et de choses comme ça).
Nous avons acheté deux poêles à pétrole : d'abord un modèle à mèche basique de 2kW qui pourra servir même en cas de coupure de courant, puis (comme le poussinet avait envie de faire joujou) un modèle électronique à brûleur de 3kW thermostaté, qui, lui, a aussi besoin d'un petit peu d'électricité pour fonctionner. Au niveau puissance, ils suffisent largement pour nous chauffer, mais ce n'est pas qu'une question de puissance : avec seulement deux points de chauffage on ne maintient pas une température très uniforme dans trois pièces dont une grande (du coup, nous fermons complètement une des chambres pendant la journée). Aussi, ça sent un peu mauvais quand on les allume ou les éteint. En plus, le poussinet a très peur des émissions dans la pièce de CO₂[#3] et surtout de CO (monoxyde de carbone), et malgré un détecteur de chaque (en plus de ceux intégrés dans les radiateurs eux-mêmes) il tient a aérer bien grand pendant 1min ou 2min toutes les heures, ce qui, par le temps qu'il fait, n'est pas très plaisant (et ça met un peu en défaut le concept même de chauffage de remplacer l'air chaud par de l'air froid… mais il prétend que ce n'est pas grave parce que l'inertie thermique est dans les murs). Personnellement je suis plus inquiet des risques d'incendie, mais les poêles ont l'air d'avoir quand même pas mal de sécurités de ce côté-là (par exemple pour ne pas provoquer d'incendie si on les renverse accidentellement).
En nous chauffant de la sorte nous avons réussi à ne consommer que 8kW·h pendant les 16h d'heures pleines chacun des deux jours rouges passés pour l'instant (donc 500W de puissance moyenne, ce qui doit correspondre à l'éclairage, les ordinateurs, la régulation du poêle électronique, et quelques bricoles supplémentaires). Je suis un peu déçu, je pensais qu'on consommerait moins que ça.
[#3] À ce sujet, j'ai
fait le calcul suivant pour nous rassurer : la combustion du kérosène
émet 43MJ/kg
(d'après cette
page Wikipédia), c'est approximativement du dodécane C₁₂H₂₆ donc
sa masse molaire est de 170g/mol et il émet 12mol de CO₂ pour 1mol
brûlée, ce qui nous donne donc 600kJ d'enthalpie libérée dans l'air
par combustion pour 1mol de CO₂ ; la chaleur spécifique à pression
constante de l'air est de 29J/mol/K, donc si on chauffe de 25K
environ, il faut environ 730J pour réchauffer 1mol d'air. Le rapport
entre ces deux nombres, (29J/mol/K × 25K)/(43MJ/kg × 170g/mol / 12),
vaut 1200×10−6, ce qui est donc, si j'ai bien compté, le
nombre de moles de CO₂ émises par le poêle à pétrole pour réchauffer
1 mole d'air : c'est-à-dire 1200ppm qui s'ajoutent aux 500ppm déjà
présents dans l'air extérieur. Donc en faisant l'hypothèse que la
chaleur et le CO₂ partent et voyagent ensemble, le taux de CO₂ dans
l'air devrait monter au plus à 1700ppm(v) (enfin, ppm en fraction
molaire mais c'est quasi la même chose qu'en volume). Évidemment, le
CO₂ et la chaleur ne sont pas obligés de rester ensemble, mais on peut
estimer que, même sans aérer spécialement, le CO₂ restera moins dans
l'appartement que la chaleur (les murs retiennent la chaleur, pas le
CO₂). Bon, par ailleurs, il y a une différence que je
n'ai pas
bien comprise entre pouvoir calorique supérieur
et pouvoir calorique inférieur
, selon la manière dont on compte
l'enthalpie d'évaporation de l'eau produite par la réaction, donc
peut-être qu'il faut retirer environ 10% à mon 43MJ/kg, auquel cas on
passerait plutôt à 1800ppm(v), mais en tout cas on semble loin des
concentrations dangereuses de CO₂ (même si là aussi on trouve tout et
son contraire). Le gadget chinois de merde pour mesurer le CO₂ que
j'ai fluctue de façon franchement assez incohérente, mais je ne l'ai
jamais vu dépasser 1100ppm (en ce moment il dit 510, mais la moyenne
est plutôt autour de 650).
Très bien, mais n'empêche que j'ai froid.
Quand nous avions initialement discuté de quoi faire pendant les
jours Tempo rouges, j'avais haussé les épaules en disant bah, on ne
chauffera simplement pas ces jours-là (enfin, on ne chauffera que la
nuit, en heures creuses) : l'appartement est censé être
raisonnablement bien isolé, les voisins doivent chauffer un peu, et ce
n'est pas en 16 heures que la température va baisser tant que ça
.
Mais en fait, la température chute vertigineusement vite au début, et
beaucoup plus lentement ensuite. (J'ai un peu tendance à modéliser ça
mentalement comme une décharge de chaleur vers l'extérieur à environ
0°C, auquel cas on mettrait 5% de temps en plus pour descendre de 19°C
à 18°C que pour passer de 20°C à 19°C et ainsi de suite, — mais en
fait ce modèle semble assez faux : maintenir 17°C semble beaucoup plus
que (20−0)/(17−0) fois plus facile que maintenir 20°C. Probablement
parce qu'une bonne partie des échanges se fait avec les parties
communes de l'immeuble et les appartements des voisins qui sont à
nettement plus que 0°C. Il serait intéressant d'arrêter complètement
de chauffer, de regarder la décroissance de la température, et de
faire une transformée de Laplace inverse. Mais j'ai l'impression au
doigt mouillé que ça tombe vertigineusement vite au début et que
descend très lentement quand on est autour de 17°C.) Mais 17°C à
l'intérieur, pour moi, c'est déjà insupportablement froid.
Le problème, en fait, est que je suis terriblement frileux. Il y a sans doute un aspect de ça qui est que j'ai les mains très fines, et j'imagine que ça explique au moins en partie la vitesse à laquelle elles refroidissent. Je ne souffre pas de la maladie de Raynaud, il n'y a pas, par exemple, de décoloration visible, mais il n'empêche que dès que j'ai un peu froid (et même 17°C ça compte), mes mains deviennent très rapidement glaciales au toucher, et j'ai le plus grand mal à les réchauffer ensuite. (Pour faire de la moto — ce que je ne fais d'ailleurs pas par le froid actuel — j'utilise la combinaison gants chauffants et poignées chauffantes pour rester confortable. Mais pour écrire à la main ou taper sur un clavier, c'est un peu compliqué de porter des gants.) Sur le reste du corps non plus je ne suis pas très gras, mais là c'est plus facile de porter des vêtements chauds que sur les mains.
Mais je soupçonne que ça va un peu au-delà de je suis
frileux
. D'ailleurs, je ne suis pas juste frileux, je crains le
chaud presque autant que je crains le froid. La nuit, je suis capable
de passer avec un rapidité confondante du mode « j'ai trop froid » au
mode « j'ai trop chaud » ou vice versa, parfois plusieurs fois pendant
la nuit : je n'ai pas trouvé d'autre bonne solution pour être à l'aise
que d'empiler trois ou quatre couettes/couvertures, chacune pas très
épaisse, mais de sorte que je puisse facilement, en les repoussant
vers mes pieds ou en les tirant à moi, ajuster le degré de protection
thermique que j'ai sur moi. Peut-être le thermostat interne de mon
corps est trop sensible ? Je sais que quand je prends ma température
avec le thermomètre auriculaire que j'ai, quand je ne suis pas malade
je trouve presque toujours 36.8°C à ±0.1° près (ce qui est d'ailleurs
remarquable de reproductibilité à la fois pour ma température
corporelle et pour l'appareil de mesure lui-même), alors que quand le
poussinet prend la sienne, ça peut varier de beaucoup plus que ça.
C'est peut-être juste une différence de forme de conduit auditif qui
fait que sa mesure est moins bonne, mais c'est peut-être vrai aussi
que mon corps est particulièrement sensible à la moindre variation de
température. Il m'arrive quand même de me refroidir globalement, par
exemple parce que je perds le fil du temps alors que je suis en slip :
je m'en rends compte alors qu'il est trop tard, et je me sens alors
vraiment mal, j'ai des frissons, j'ai l'impression de mourir de froid,
et une fois ou deux j'ai pris ma température dans cet état et trouvé
un glacial(!) 36.5°C. Bref, j'ai l'impression que le moindre petit
écart de température m'incommode au plus haut point. Est-ce juste que
je suis douillet ou ai-je vraiment une particularité physiologique qui
me rend spécialement sensible aux variations de température ?
Je n'en sais rien, mais je sais que nous ne sommes pas encore en
hiver astronomique et j'ai déjà hâte que le printemps revienne (et
avec lui les cerisiers en fleur). Je finis donc, en contrepoint aux
gravures de Flammarion avec lesquelles j'ai commencé ce billet, par
ces vers de Baudelaire (Les Fleurs du mal, Tableaux
parisiens
, Paysage) que j'avais complètement oubliés
mais qui m'ont été rappelés par le fait que la bâche protégeant les
travaux de démolition de
mon ancien
bureau cite les quatre premiers des alexandrins que voici, et que
je trouve terriblement appropriés :
Je verrai les printemps, les étés, les automnes ;
Et quand viendra l'hiver aux neiges monotones,
Je fermerai partout portières et volets
Pour bâtir dans la nuit mes féeriques palais.
[…]
L'Émeute, tempêtant vainement à ma vitre,
Ne fera pas lever mon front de mon pupitre ;
Car je serai plongé dans cette volupté
D'évoquer le Printemps avec ma volonté,
De tirer un soleil de mon cœur, et de faire
De mes pensers brûlants une tiède atmosphère.