Vous êtes sur le blog de David Madore, qui, comme le
reste de ce site web, parle de tout et
de n'importe quoi (surtout de n'importe quoi, en fait),
des maths à
la moto et ma vie quotidienne, en passant
par les langues,
la politique,
la philo de comptoir, la géographie, et
beaucoup de râleries sur le fait que les ordinateurs ne marchent pas,
ainsi que d'occasionnels rappels du fait que
je préfère les garçons, et des
petites fictions volontairement fragmentaires que je publie sous le
nom collectif de fragments littéraires
gratuits. • Ce blog eut été bilingue à ses débuts (certaines
entrées étaient en anglais, d'autres en français, et quelques unes
traduites dans les deux langues) ; il est
maintenant presque exclusivement en
français, mais je ne m'interdis pas d'écrire en anglais à
l'occasion. • Pour naviguer, sachez que les entrées sont listées par
ordre chronologique inverse (i.e., la plus récente est en haut).
Cette page-ci rassemble les entrées publiées en
novembre 2020 : il y a aussi un tableau par
mois à la fin de cette page, et
un index de toutes les entrées.
Certaines de mes entrées sont rangées dans une ou plusieurs
« catégories » (indiqués à la fin de l'entrée elle-même), mais ce
système de rangement n'est pas très cohérent. Le permalien de chaque
entrée est dans la date, et il est aussi rappelé avant et après le
texte de l'entrée elle-même.
You are on David Madore's blog which, like the rest of this web
site, is about everything and
anything (mostly anything, really),
from math
to motorcycling and my daily life, but
also languages, politics,
amateur(ish) philosophy, geography, lots of
ranting about the fact that computers don't work, occasional reminders
of the fact that I prefer men, and
some voluntarily fragmentary fictions that I publish under the
collective name of gratuitous literary
fragments. • This blog used to be bilingual at its beginning
(some entries were in English, others in French, and a few translated
in both languages); it is now almost
exclusively in French, but I'm not ruling out writing English blog
entries in the future. • To navigate, note that the entries are listed
in reverse chronological order (i.e., the most recent is on top).
This page lists the entries published in
November 2020: there is also a table of months
at the end of this page, and
an index of all entries. Some
entries are classified into one or more “categories” (indicated at the
end of the entry itself), but this organization isn't very coherent.
The permalink of each entry is in its date, and it is also reproduced
before and after the text of the entry itself.
Puisque visiblement mes tentatives
pour parler d'autre chose que de covid n'intéressent pas
grand-monde, je remets une pièce dans la machine. Je voudrais dire un
mot sur les biais systématiques que commettent, selon moi, les
épidémiologistes dans leurs analyses, et le problème qu'il y a à
n'écouter qu'eux.
J'avais déjà évoqué ici une
comparaison entre épidémiologistes et économistes pour parler des
biais des uns et des autres, et de la manière dont la société a appris
avec les économistes, mais pas encore avec les épidémiologistes, à se
méfier au moins un minimum de ces biais et de ne pas prendre pour
argent comptant tout ce qu'ils disent. Mais je veux revenir un peu
sur l'orientation de ces biais : il y a bien sûr des économistes
plutôt biaisés à droite et d'autres plus biaisés à gauche, mais il y a
tout de même une tendance générale, et il y aussi une tendance
analogue chez les épidémiologistes : c'est cette tendance qui
m'intéresse ici, ainsi que ses origines.
Le problème qui se pose à la fois aux épidémiologistes et aux
économistes, c'est que les humains sont complexes, leurs réactions
sont complexes, et qu'on ne sait pas bien prévoir leurs comportements,
même en bloc (je suis désolé, ma théorie de
la psychohistoire
est encore en développement). Le problème, c'est donc que les modèles
sont très limités, et on doit s'en tenir à des choses très simple. Et
le problème dans le problème, c'est que ces modèles
simplistes entraînent non seulement des erreurs, mais des
erreurs systématiques. Et que ces erreurs systématiques vont
(sans que ce soit forcément volontaire) dans le sens de ce qui arrange
les tenants de la discipline, ce qui donne naissance à des biais
disciplinaires. Je vais m'expliquer.
L'état de l'art en épidémiologie, c'est à peine mieux que on a
une croissance exponentielle, on va donc extrapoler cette croissance
exponentielle. Très bien, mais toute croissance exponentielle
finit par s'arrêter, et toute la difficulté est de prédire quand. Et
ça, les épidémiologistes sont complètement incapables de le faire.
C'est normal : c'est terriblement compliqué !
(Noter que ce n'est pas idiot en soi, d'extrapoler une croissance
exponentielle. Une anecdote que j'aime bien — certainement apocryphe
car toutes les bonnes anecdotes le sont — au sujet d'Euler, veut que
Catherine II lui ait demandé comment prédire la météo, et qu'il ait
répondu prédisez pour demain le même temps qu'aujourd'hui : ce
n'est pas idiot, la Russie a un climat continental, et avec une
heuristique aussi triviale on doit avoir raison neuf fois sur dix. Et
avec les moyens de l'époque on pouvait sans doute difficilement faire
mieux. Euler était loin d'être un con. Mais le problème est que si
on applique cette heuristique de façon répétée un jour de beau temps,
on va prévoir des mois de beau temps, et finalement une terrible
sécheresse, or l'heuristique qui localement marche bien échoue
totalement quand on l'applique au long cours.)
Alors bien sûr, même les modèles
épidémiologiques les plus idiots prédisent quelque chose d'un peu
moins stupide qu'une exponentielle illimitée. Mais ils modélisent
tellement peu de phénomènes sociaux qu'ils prédisent un arrêt de cette
exponentielle dans des conditions essentiellement inatteignables, si
bien que si on les prend tels quels c'est en gros l'apocalypse. (Le
modèle SIR, pour une épidémie avec R₀=2.5, il
prédit que 89% de la population va être infectée ; et pour une
épidémie comme la rougeole avec R₀=15 il prédit que
99.99997% de la population sera infectée. Dans la comparaison
météorologique du paragraphe précédent, c'est essentiellement imaginer
que le temps ne cessera d'être beau qu'une fois que touts les sols
seront desséchés.)
Spécifiquement, il y a au moins deux sortes de phénomènes que les
épidémiologistes, de ce que j'en ai vu, ignorent systématiquement : en
gros, le fait que le nombre de reproduction n'est constant ni dans le
temps ni dans l'espace ou la société. À savoir :
On me dit, pour me changer les idées, de parler autre chose que de
la pandémie. Je vais donc essayer d'évoquer les (159) jours qui se
sont écoulés entre le et
le . C'est dire quelque
chose de la manière dont j'ai ressenti les périodes qui ont précédé et
suivi que je repense maintenant à ces cinq mois comme une période
presque rayonnante de bonheur alors
que j'ai perdu mon papa en plein
milieu. J'ai assurément appris quelque chose sur la valeur que
j'accorde à la liberté, en l'ayant perdue, puis regagnée, puis perdue
de nouveau : je me suis enivré, pendant cet intermède qui prend à
présent dans mon souvenir la coloration de ces rêves où l'on imagine
qu'on peut voler avant de revenir à la réalité, je me suis enivré des
vapeurs dégagées par son flambeau. Et j'ai aussi appris quelque chose
sur le bonheur en me rendant compte que je n'avais pas vraiment
compris sur le moment combien j'étais heureux : j'ai envie de remonter
le temps, pas seulement pour inhaler de nouveau ces vapeurs
enivrantes, mais aussi pour me dire à moi-même : cueille cet instant,
suce la moelle de la vie, retiens cette sensation pour quand le songe
sera fini, car cela ne sera que trop tôt. Voyons si je peux au moins
ressusciter pour ce blog la mémoire de ces jours baignés de
lumière.
Mon ivresse de liberté a pris différentes formes. Sans doute mon
intérêt renouvelé pour la recherche
de vues dégagées faisait-elle
partie de cette volonté de me dire que je pouvais aller où je voulais,
aussi loin que portât mon regard (contrastant avec la moquerie cruelle
de la laisse qui me retient maintenant à 1000m de là où j'habite).
Beaucoup de mes loisirs habituels (manger au restaurant, faire de la
muscu) ont été fermés pendant une partie de cette période, donc je me
suis concentré sur ce qui restait : l'exploration de ma région qui
m'est chère. J'ai fait beaucoup de promenades dans les bois avec le
poussinet (de la forêt de Fontainebleau à celle de Rambouillet en
passant par celles de l'Isle-Adam, de Ferrières et de Villefermoy) ;
nous avons visité des parcs et
jardins[#] que je n'avais pas
encore vus, nous avons fait des virées dans des endroits très mignons
notamment du côté du Vexin (la Roche-Guyon dans le Val d'Oise, les
Andelys et Lyons-la-Forêt dans l'Eure, mais aussi Bonneval en
Eure-et-Loir). Mais surtout, j'ai fait
travailler mon petit joujou rouge de
chez Honda. (Mise à jour : voir
aussi ce billet ultérieur sur le
Vexin, où je me suis beaucoup baladé.)
C'est un cliché un peu usé de présenter la moto comme un symbole de
liberté, mais je n'avais jamais autant ressenti un besoin de, comme on
dit en anglais, hit the road. J'ai parcouru
6200km[#2] pendant cette
période en me laissant, le plus souvent, simplement rouler où
m'envoyait mon inspiration. Il y a certainement que j'avais été
frustré, en 2019, de ne pas obtenir mon
permis à l'été mais seulement en
septembre et de, du coup, rater la possibilité de profiter des
beaux jours pour faire des balades. J'en avais fait autant que je
pouvais en septembre à
novembre 2019[#3], mais les
journées raccourcissant et la météo se gâtant avaient rapidement
limité mes perspectives, et ma moto ne servait bientôt que pour les
allers-retours au bureau (surtout quand une grève m'a empêché de
prendre les transports en commun) : je m'étais promis que dès que le
beau temps reviendrait je repartirais — et ma frustration de voir
l'essentiel du printemps[#4] me
passer sous le nez m'a donné encore plus envie de rattraper le temps
perdu.
[#2] J'ai d'ailleurs
sans doute
couru grosso
modo autant risque de me tuer à moto entre mai et octobre que le
Français moyen n'en avait de mourir de covid entre mars et mai.
Peut-être que ça dit quelque chose sur la valeur relative de la vie et
de la liberté de profiter de la vie ?
[#3] Je relis
régulièrement le journal que je tiens de ma vie, en regardant surtout
ce qui se passait il y a un an, il y a deux ans, il y a trois ans — et
c'est souvent l'occasion de me rendre compte de contrastes
surprenants. Il y a un an,
je déménageais
dans le
nouveau bâtiment de Télécom Paris à Palaiseau que je n'ai,
finalement, pas tellement eu l'occasion de fréquenter !, et que j'ai
maintenant plutôt envie de revoir. Il y a deux ans, je reprenais
péniblement la muscu et les leçons de moto (et la réalisation que ce
serait très long pour réussir mon plateau) après
une méchante tendinite à l'épaule.
Il y a trois ans, c'étaient des leçons de voiture que je prenais, et
j'avais là aussi l'impression que je n'arriverais jamais à décrocher
ce permis.
[#4] Si je vis un peu
moins mal ce second confinement que le premier, ce n'est pas seulement
parce que je me sens moins seul à le contester : c'est aussi entre
autres parce que les mois de novembre et décembre sont une période que
je déteste de toute façon, où j'ai l'impression ne ne jamais faire
grand-chose d'autre que d'attendre que les jours commencent enfin à
rallonger. Le fait qu'on me vole mes mois de novembre et décembre me
fait donc moins mal que quand c'est le printemps qui est parti en
fumée.
Bref, j'ai roulé !
Comment communiquer sous forme de mots ce que j'ai ressenti en
parcourant ainsi les routes de l'Île-de-France (ou en m'aventurant
parfois, timidement, juste un peu au-delà) ? Les souvenirs qui
restent dans ma mémoire sont autant
de cartes postales que je ne sais
pas traduire en français. J'ai toutes sortes d'informations
factuelles : des notes dans le journal où je documente ma propre vie,
des traces GPS (souvent doubles, d'ailleurs, parce que
j'ai celle enregistrée par la dashcam
que je
sais maintenant extraire de ses vidéos, et celle notée par mon
téléphone), des vidéos, même (mais de mauvaise qualité parce que cette
dashcam n'est pas terrible, et il me serait extrêmement malcommode d'y
accéder via l'accès Internet pas terrible que j'ai ici à Chambéry),
mais tout ça passe un peu à côté de la plaque. Raconter ce que j'ai
fait comme ça serait aussi ennuyeux que si je racontais mes rêves :
l'émerveillement du je pouvais voler ! c'était fabuleux ! ne
passe pas bien la barrière de la langue.
Je peux quand même bien évoquer quelques uns de ces moments
fugaces.
Ma première envie, lorsque nous avons été libérés mi-mai, a été
d'aller voir
les vaches
des Highlands qui
paissent dans
un pré entre Saint-Lambert-des-Bois et les ruines de l'abbaye de
Port-Royal-des-Champs (un endroit qui m'est très cher parce que chargé
de souvenirs de mon enfance ; et comme j'aime énormément les vaches
des Highlands, je leur rends régulièrement visite, sûr qu'elles
m'accueilleront avec l'indifférence bovine que j'attends
d'elles). Un peu plus tard, alors que l'engourdissement du confinement se
dissipait progressivement,
j'ai fait
une balade à travers la forêt de Rambouillet et ses endroits
incontournables dont je retiens surtout l'image ci-contre, cette rangée
de peupliers
ensoleillée à
Gambais (Yvelines), à laquelle les imperfections de l'optique de
mon téléphone ont donné un halo un peu onirique, et qui reste
maintenant gravée dans ma mémoire comme une figuration de ces jours
dorés. (Le peuplier, dans ses diverses espèces et variantes, est
probablement mon arbre préféré. Je ne saurais pas expliquer pourquoi,
mais je trouve leur présence particulièrement apaisante.)
Sur le concept du confinement optionnel (et pourquoi il est raisonnable)
Voici encore une entrée dans ce blog que je n'avais pas envie
d'écrire, mais je me sens obligé de le faire pour expliquer une idée
qui est tournée en ridicule presque à chaque fois que je l'évoque par
des gens qui ne prennent manifestement pas la peine d'y réfléchir
sérieusement. Je veux donc expliciter un peu cette idée, donner
quelques arguments en sa faveur, et réfuter les critiques les plus
évidentes. Si vous voulez, je vais enfin expliquer dans les grandes
lignes ce que je ferais, moi, si j'étais au pouvoir (d'un pays de type
européen) pour réagir à la pandémie.
Précision terminologique (ajout
ultérieur) : je ne sais pas pourquoi, en écrivant cette entrée, j'ai
utilisé le mot optionnel à la place du mot volontaire
qui était pourtant plus naturel ici. Maintenant que le texte est
écrit et publié, je ne vais pas faire de remplacement général, mais à
l'avenir j'utiliserai plutôt le terme confinement volontaire
qui se comprend, je pense, un peu mieux (ou en tout cas, je considère
les deux comme synonymes).
L'idée en question est celle du confinement
optionnel pour lutter contre une pandémie, en l'occurrence
celle de covid-19, c'est-à-dire, grossièrement parlant, au lieu
d'imposer un confinement extrêmement
brutal à tous par la répression, de fournir à chaque personne des
moyens de se protéger au niveau qu'elle considérera approprié pour son
état de santé, son degré d'aversion au risque, et son besoin de
liberté ou d'interactions sociales. Je vais détailler un peu ce que
j'ai en tête, mais c'est au moins le principe général.
Cette idée n'est pas censée être une panacée ou un remède miracle à
la pandémie. Un tel moyen n'existe pas, et ceux qui y croient (qu'il
s'agisse d'un vaccin, de masques, de confinements répétés, de
protocoles de suivi des contacts, de la potion magique du professeur
Raoult, d'une inaction complète, ou de n'importe quoi de ce genre)
sont des idiots : il y a juste des outils qui marchent plus ou moins
mal. L'idée que je propose ne prétend être qu'un tel outil, et même
un mauvais outil, mais dans le spectre entre d'un côté
l'emprisonnement[#] de dizaines
de millions de personnes sans jugement ni date de libération et de
l'autre la négation pure et simple de l'épidémie, je prétends que cet
outil est le moins mauvais (combiné à d'autres mesures auquel
il ne s'oppose pas).
Ajout () : Je devrais sans
doute mentionner que, longtemps après la publication du présent
billet, plusieurs membres du conseil scientifique covid réuni par le
gouvernement français, dont son président, ont publié (il y a quelques
semaines) une tribune dans The Lancet
intitulée Immune
evasion means we need a new COVID-19 social contract, qui
recouvre très largement les idées exposées ci-dessous en appelant à
une protection différenciée des personnes vulnérables par un
confinement volontaire de leur part. Je cite notamment quelques
extraits avec lesquels je suis totalement
d'accord : Populations have so far been relatively
complacent, but their doubts and distrust are visible in protest
movements in several countries. The impact of general confinement on
entire economies has been devastating, with worse still to come in
levels of unemployment and national debt. Social and health
(including mental health) consequences are also colossal, in
particular for the younger generations, despite them being at low risk
in terms of morbidity and mortality
from SARS-CoV-2 infection.
Et aussi : Crucially, the new approach should be
based on a social contract that is clear and transparent, rooted in
available data, and applied with precision to its range of
generational targets. Under this social contract, younger generations
could accept the constraint of prevention measures (eg, masks,
physical distancing) on the condition that the older and more
vulnerable groups adopt not only these measures, but also more
specific steps (eg, voluntary self-isolation according to
vulnerability criteria) to reduce their risk of infection. Measures
to encourage adherence of vulnerable groups to specific measures must
be promoted consistently and enforced fairly. Implementation of such
an approach must be done sensitively and in conjunction with the
deployment of vaccination across the various population targets,
including all generations of society. Using stop-start general
confinement as the main response to the COVID-19 pandemic is no longer
feasible. Though attractive to many scientists, and a default measure
for political leaders fearing legal liability for slow or indecisive
national responses, its use must be revisited, only to be used as a
last resort.
[#] Digression : Je suis fatigué des
personnes
qui essaient
de m'expliquer que le confinement n'est pas un emprisonnement
parce que les vraies prisons sont bien pires. Oui, dans les vraies
prisons, toutes sortes de brimades et d'humiliations viennent
s'ajouter à la peine de privation de liberté, mais il
n'empêche que c'est cette dernière qui constitue la définition de la
prison. (Trésor de la Langue Française,
entrée prison : B. P. méton. État d'un individu privé
de liberté 1. Peine privative de liberté.) Une prison dorée reste
une prison ! Ce refus de voir le confinement comme un emprisonnement
est d'autant plus absurde quand il vient de personnes dont je crois
qu'elles défendent l'avis (que je partage certainement !) que les
conditions épouvantables dans les prisons françaises sont intolérables
et qu'il faut se rapprocher du modèle idéal où la prison n'est
que une peine de privation de liberté. (Déjà celle-ci me semble
maintenant inhumaine.) Si on pense que la privation de liberté est
une sanction suffisante et que c'est ainsi que la prison idéale
devrait être, on ne peut pas ensuite prétendre que le confinement
n'est pas un emprisonnement au prétexte qu'il n'y est pas associé
l'ensemble des mauvaises conditions qu'on observe dans les prisons
réelles. Donc, oui, le confinement est une prison sans dureté
additionnelle, et par ailleurs très mal surveillée (mais il n'y a pas
forcément lieu de s'en réjouir : c'est source d'insécurité juridique
et d'arbitraire policier ; et il y a aussi l'une injustice
supplémentaire que les classes aisées sont emprisonnés dans des
cellules bien plus agréables que les moins favorisés), mais c'est
toujours une prison, et si vous ne le comprenez pas je peux vous
décrire mes cauchemars à ce sujet. (Fin de la digression.)
Les deux grandes objections auxquelles il faudra que je réponde
sont d'une part l'argument se confiner n'est pas une décision
individuelle, on met aussi en jeu la santé des autres (bon, sous
cette forme c'est tellement vague qu'on ne peut pas vraiment y
répondre, mais j'essaierai de donner quelques éléments de réponse à ce
que je crois être l'interprétation la plus intelligente de cet
argument) et d'autre part la comparaison au Code de la
route, est-ce que tu défendrais l'idée qu'il n'y ait pas de
limitation de vitesse sur les routes et que chacun adapte sa vitesse à
sa propre aversion au risque ?. Il y a aussi la ritournelle
du ça n'a pas marché dans les EHPAD sur laquelle il
faut dire un mot. Stay tuned pour les
réponses à ça, donc.
Mais je commence par présenter un peu la thèse. Il y a d'énormes
problèmes avec le confinement généralisé : le plus important, et que
j'ai plusieurs fois évoqué, est qu'il ne fait que repousser les
problèmes, à un coût totalement exorbitant, mais ce n'est pas
tellement de ça que je veux parler ici ; je pense plutôt aux deux
suivants :
la covid présente des différences de
dangerosité gigantesques, et raisonnablement prévisibles
(selon l'âge notamment) entre personnes, or décréter un confinement
généralisé (uniforme sur toute la population) ignore complètement
cette différence et refuse purement et simplement de la mettre à
profit avec une protection différenciée pour baisser le taux
de létalité : cela peut se défendre dans le cadre d'une stratégie où
on supprimerait complètement l'épidémie, mais si tel était le but en
Europe, c'est un échec monstrueux (je pense que ça ne pouvait pas
marcher sur ce continent qui n'est ni une île comme la
Nouvelle-Zélande ni — pas encore tout à fait — une dictature comme la
Chine) ;
le confinement présente des différences d'acceptabilité
gigantesques d'une personne à l'autre, entre certains qui trouvent que
c'est un changement de vie bienvenu (ou une occasion de faire du pain)
et d'autres pour lesquels il peut être le déclencheur d'un suicide, et
de nouveau, le confinement généralisé ignore complètement cette
différence.
Toute mesure de lutte contre le covid qui ignorerait la donnée
de ces deux disparités extrêmes dans la population, celle de
dangerosité de la maladie et celle d'acceptabilité du confinement, est
une aberration. Enfin, un autre problème sérieux avec le
confinement généralisé est qu'il repose sur la répression (policière —
particulièrement marquée en France même par rapport à d'autres pays
européens qui se sont à peu près contentés de fermer certains
commerces). Or la gestion de la santé publique par la répression,
ça ne marche pas, s'il y a bien une chose qu'on devrait retenir
de l'épidémie du SIDA c'est qu'on ne convainc les
gens de se protéger qu'en les convainquant et pas en essayant de les
forcer ou de les culpabiliser.
Bref. On peut tenir compte de la première donnée (la
différenciation du risque selon l'âge) en évoquant le confinement
uniquement des personnes âgées ou à risque : c'est une idée qui flotte
dans l'air (et qui a été catégoriquement rejetée par le gouvernement
français, ce qui signifie, je suppose, qu'ils finiront par s'y
résoudre), que je trouve moins mauvaise qu'un confinement généralisé
(moins mauvaise au sens où il vaut mieux faire du mal à un
quart de la population qu'à tout le monde), mais elle continue à
ignorer la deuxième donnée et le principe qu'on ne devrait pas
chercher à faire de la santé publique par la répression. Elle ignore
le fait que même des personnes âgées pour lesquelles la maladie est
très dangereuse
peuvent préférer
prendre le risque que de se laisser emprisonner.
L'idée que je défends ici, donc, c'est plutôt de fournir des
moyens sérieux pour que les personnes qui souhaitent se
confiner puissent le faire (et idéalement à un degré qu'elles
choisiraient, pas forcément du tout-ou-rien), sans obliger personne.
Il faut que je réponde à plein d'objections, mais d'abord il faut
peut-être préciser ce que pourraient être par exemple
ces moyens sérieux.
Petite note technique sur la différence entre seuil d'immunité grégaire et taux d'attaque final
Je veux écrire ici une petite note sur un point que je
pense avoir mal expliqué par le
passé, et autour duquel il existe une certaine confusion. Il
s'agit du rapport entre le seuil d'immunité grégaire d'une
part et le taux d'attaque final d'une épidémie d'autre part :
quelle est la différence entre ces deux concepts, que penser de
l'écart, ou overshoot entre ces deux quantités,
et laquelle est la plus pertinente en pratique. Il faudra bien
distinguer le cas du modèle théorique SIR et le cas d'une
épidémie réelle (et pour faire la transition de l'un à l'autre,
j'évoquerai rapidement un modèle SIR « en deux
phases »).
Le seuil d'immunité grégaire
(ou …collective, peut-être un meilleur terme parce qu'il évoque
moins l'image déplaisante d'un troupeau, mais comme j'ai commencé
avec grégaire je préfère maintenant rester dessus) est la
proportion d'immuns qu'il faut atteindre dans la population pour que
le nombre de reproduction effectif de l'épidémie devienne <1.
Autrement dit :
soit on considère une épidémie naissante, c'est-à-dire qu'il n'y a
que très peu d'infectés, mais pour laquelle un certain nombre
d'individus sont préalablement immunisés (par exemple par un vaccin) :
alors le seuil d'immunité grégaire est le nombre d'immunisés
nécessaires pour que l'épidémie ne démarre pas (son nombre de
reproduction est <1 donc le petit nombre d'infectés disparaît
simplement) ;
soit on considère une épidémie déjà en cours, et dans ce
cas le fait qu'on atteigne le seuil d'immunité grégaire se voit au
fait que le nombre d'infectés commence à décroître,
c'est-à-dire qu'il y en a de moins en moins (le nombre de reproduction
est <1 donc ce nombre diminue progressivement).
Par contraste, le taux d'attaque final (qui n'a de
sens qu'en considérant le cours d'une épidémie particulière) est la
proportion d'individus qui seront atteints par l'épidémie pendant
toute sa durée.
Même si on suppose que l'immunité est parfaitement stérilisante et
dure indéfiniment (ce que je ferai pour simplifier, ce n'est pas le
propos ici de discuter de ces questions), ces deux quantités sont
différentes : la raison est simple, c'est que même une fois que le
seuil d'immunité grégaire est atteint, le nombre d'infectés commence
certes à diminuer, mais il n'est pas nul pour autant, donc il y a de
l'inertie : ce nombre d'infectés en infecte un plus petit nombre, qui
en infecte à son tour un encore plus petit nombre, et ainsi de suite,
mais la somme de tout ça n'est pas nulle.
La différence entre ces deux quantités s'appelle
l'overshoot de l'épidémie : i.e., l'overshoot est
la proportion qu'elle attaque en plus du seuil d'immunité
grégaire.
Dans le cas du modèle théorique
(ultra-simpliste) SIR, on peut calculer explicitement ces
deux quantités. Je l'ai fait dans
l'entrée que j'ai écrite à ce
sujet, mais je n'ai pas été clair parce que je n'avais pas la bonne
terminologie (j'ai parlé de modèle extrêmement simpliste pour
une description qui calcule, en fait, le seuil d'immunité grégaire, ce
qui a pu augmenter la confusion), je redis donc les choses un peu
autrement : en notant κ le nombre basique de reproduction
(lettre que je préfère à R parce que le R
de SIR a un sens différent), c'est-à-dire le
nombre de reproduction pour une population immunologiquement (et
sociologiquement) naïve :
le seuil d'immunité grégaire rherd dans le
modèle SIR se calcule à partir du nombre basique de
reproduction κ par la formule rherd =
1 − 1/κ (la démonstration est facile : lorsqu'une
proportion s des individus est susceptible, le nombre de
reproduction effectif tombe de κ
à κ·s simplement parce que chaque contact
possiblement infectieux a cette probabilité de donner effectivement
une infection, du coup pour avoir κ·s = 1 on
doit avoir s = 1/κ et cela correspond à la
proportion complémentaire r = 1 − 1/κ d'immuns
au final) ;
le taux d'attaque final r∞ dans le
modèle SIR se calcule à partir du nombre basique de
reproduction κ par la formule r∞ = 1
+ W(−κ·exp(−κ))/κ où W désigne
la fonction
transcendante W de Lambert (j'ai déjà démontré cette formule
dans mon entrée passée sur le
sujet).
J'ai tracé ces deux courbes ci-contre en fonction du nombre de
reproduction κ : en rouge le seuil d'immunité grégaire, et
en bleu le taux d'attaque final. Rappelons en outre, pour ce qui est
du comportement asymptotique que [encore une fois, tout ça je l'ai
déjà dit, mais avec une terminologie qui n'était pas claire] :
si le nombre basique de reproduction κ est juste un peu
au-delà de 1, disons 1 + h avec h>0 petit,
alors le seuil d'immunité grégaire rherd
vaut h − h² + O(h³) tandis que le
taux d'attaque final r∞ vaut 2·h −
(8/3)·h² + O(h³), donc en gros le
double (ce qui se conçoit grosso modo par le fait que les deux
périodes de l'épidémie sont alors symétriques, celle où elle est
croissante jusqu'au seuil d'immunité grégaire, et celle
d'overshoot où elle est décroissante jusqu'à
tendre vers son taux d'attaque final),
si le nombre basique de reproduction κ est grand, alors
le seuil d'immunité grégaire rherd vaut 1 −
1/κ (il n'y a rien à simplifier) tandis que le taux
d'attaque final r∞ vaut 1 − exp(−κ)
− κ·exp(−2κ) +
O(κ²·exp(−3κ)), qui devient vite extrêmement
proche de 1.
Hello lockdown my old friend, I've come to talk with you again…
Je ne résiste pas à commencer ce billet
en parodiant
Marx :
Les épidémiologistes font remarquer que, dans une pandémie, les
confinements se produisent deux fois. Ils ont oublié d'ajouter : la
première fois comme tragédie, la seconde comme farce.
La France (comme le Royaume-Uni et quelques autres pays européens)
est entrée dans le volet « farce » de cette lamentable histoire, avec
un nouveau confinement dont plus
personne n'est capable d'expliquer à quoi il est censé servir. Le
premier avait au moins pour le défendre qu'on pouvait espérer profiter
d'une pause forcée de l'épidémie pour mettre au point de nouveaux
protocoles prophylactiques ou thérapeutiques pour lutter contre elle,
déployer de nouvelles ressources, etc. Mais cette fois il n'y a
aucune perspective particulière que les choses soient meilleures à la
fin du deuxième confinement qu'à la fin du premier dont il ne fait
qu'illustrer l'absurdité, et la seule perspective que proposent les
confinementistes est d'en avoir un troisième, puis un quatrième, et
ainsi de suite jusqu'à ce qu'arrive un vaccin providentiel. La farce
atteint des niveaux de grotesque tels qu'on en vient
à interdire
la vente de chaussettes dans les supermarchés (pas pour des
raisons de santé publique mais pour éviter une concurrence déloyale
avec des commerces qui ont été obligés de fermer pour des raisons de
santé publique — c'est
une fuite
en avant) : je pense que ce gouvernement n'a plus aucune
crédibilité à force de ne savoir jouer que la carte de la
répression.
Il me semble constater que l'adhésion collective à la politique du
confinement (à la fois celle qui s'exprime sur son principe dans
l'opinion, et celle qu'on observe sur le terrain) a énormément diminué
par rapport à mars, ce qui me donne quelque espoir pour la suite, mais
le présent reste bien sombre.
Bien sûr, cette vague épidémique finira par passer, confinement ou
pas confinement. Les défenseurs de la mesure pourront de toute façon
avoir raison : si elle passe avec peu de dégâts, ils pourront se
vanter c'est parce que nos mesures ont été efficaces !, et si
elle est très meurtrière, ils pourront expliquer c'est parce que
nos mesures n'ont pas été bien respectées !. (Je pense que c'est
leur plan — pas forcément explicitement assumé comme tel, mais plutôt
intériorisé sous la forme prenons des mesures, pour montrer que
nous agissons, et la suite ne sera plus notre problème ; ce ne
serait pas la première fois qu'on prendrait en France des mesures sans
se donner ensuite le moyen de les faire respecter, pour le bénéfice de
la gesticulation politique, et sans se soucier de l'arbitraire
juridique que cette situation engendre, parce que bien sûr ceux qui
seront condamnés pour non-respect du confinement ce ne sont pas la
classe de privilégiés qui décident de ce genre de choses.)
Je suis hors de moi de colère. Contre les épidémiologistes qui
voient le monde par le petit bout de la lorgnette de leur discipline
et qui, pétris de l'hubris de sauver des vies pour ce qui relève de
leur champ d'action, conseillent à la société des remèdes de cheval
dont ils ne se soucient pas de savoir quels sont les coûts ni les
conséquences ailleurs en termes de vies brisées, de suicides, de
troubles psychologiques, de casse sociale, de destruction des libertés
publiques, et — oui, il faut quand même l'évoquer — d'impact
économique. Contre les gouvernements qui n'écoutent qu'un seul son de
cloche, qui n'ont comme seul mode de pensée que la répression, qui ne
savent que répéter leurs erreurs passées comme des shadoks espérant
que ça va finir par marcher, et dont l'impréparation n'a cette fois
plus aucune excuse. Contre les catastrophistes sanitaires, qui
agitent les pires chiffres surgis de nulle part (400 000 morts ! pas
un pays du monde, confinement ou pas confinement, ne s'approche de ce
taux de mortalité, mais peu importe : il faut laisser croire qu'il n'y
a que deux possibilités, tout le monde en prison ou ne rien faire du
tout et laisser les cadavres s'entasser) pour forcer l'adhésion à la
doxa confinementiste. Contre la différence de traitement qui fait
qu'on ne voit que les victimes de la maladie et pas celles de la
brutalité du « remède ». Contre l'impossibilité de dégager n'importe
quelle idée alternative (par exemple autour de la protection
différenciée et/ou optionnelle des personnes âgées ou fragiles : on se
contente de dire que ce n'est pas possible, ça ne suffirait
pas, ça n'a pas marché dans les EHPAD, comme
s'il était moins coûteux de confiner tout le monde de force que de
fournir la possibilité à ceux qui le souhaitent de le faire
individuellement, comme si ce n'était pas une idée à essayer avant de
passer aux méthodes plus brutales). Ou même simplement de remettre en
question les règles les plus absurdement violentes du confinement à la
française (la limite de 1km du domicile, en premier : quel fondement
scientifique à une contrainte aussi mesquine et humiliante, bien plus
sévère que ce qui se fait ailleurs en Europe ? soit dit en
passant, signez
cette pétition).
Je devrais écrire des choses plus détaillées et plus raisonnées.
Par exemple expliquer pourquoi le chiffre de 400 000 morts est
irréaliste (en tout cas si on parle simplement de ne pas faire de
confinement et pas supprimer toutes les mesures qu'on a déjà
mises en place), pourquoi il n'est là que pour faire peur, et
aussi et d'où il sort[#]. Ou
discuter un peu d'approches alternatives au confinement généralisé et
qui soient probablement meilleures que ne rien faire de plus que ce
qu'on a déjà fait (même si cette dernière option me semble
elle-même déjà bien meilleure que le confinement), par
exemple fournir des moyens sérieux à ceux qui souhaitent s'isoler
selon le niveau de risque qu'ils souhaitent eux-mêmes
accepter.
[#] À savoir,
probablement
de cette
opinion de Fontanet et Cauchemez. (Ce n'est d'ailleurs
qu'un commentaire invité par les rédacteurs de la revue, et
pas une publication scientifique au sens usuel : our
Comments aim to address topical issues […] or offer a short,
authorative opinion on a scientific area — citation tirée
d'un autre
journal du même éditeur, mais ayant sans doute la même politique).
Mais même cette opinion évoque l'immunité
grégaire inconditionnelle,
c'est-à-dire si on supprimait toutes les mesures déjà mises en
place, et même sous ces conditions, son calcul est est
incroyablement biaisé et pessimiste à toutes sortes de niveau, et même
avec ce pessimisme, 400 000 morts est bien en haut de la fourchette
qu'ils donnent. Bref, on a pris le non-article le plus biaisé et
pessimiste possible, on a mal interprété sa prémisse, et on a pris
quasiment la borne la plus pessimiste même là-dedans. Il faudrait
vraiment se demander si la politique se base sur les pires cas
possibles ou sur le plus plausible : parce que si on cherche le pire
cas, il faut aussi le faire quand on parle des conséquences du
confinement.
Mais je suis fatigué d'expliquer les choses. Je n'en peux plus de
me battre contre la connerie. Je vais plutôt parler un peu de moi et
de comment je traverse cette farce grotesque, en espérant que ce soit
un peu cathartique.