Encore un de ces billets de blog que je n'ai pas vraiment envie d'écrire (parce que ça remue beaucoup de frustration) et, du coup, je traîne des pieds. Mais à force d'expliquer sans arrêt la même chose, il faut bien que je consente à l'écrire quelque part de façon un peu rédigée et complète, pour pouvoir y faire référence.
Ce que je veux argumenter ici, donc, c'est qu'on n'a pas de preuve
certaine que les confinements ont un effet sur l'épidémie. Alors
avant d'aller plus loin il faut bien que je souligne que quand
j'écris il n'est pas prouvé que les confinements marchent
, ce
n'est pas il est prouvé que les confinements ne marchent pas
,
ce n'est même pas je pense qu'ils ne marchent pas
(pour que ce
soit clair, je suis maintenant tout à fait convaincu que les dommages
psychologiques, sociaux, politiques et économiques sont très largement
supérieurs aux bénéfices de leurs effets épidémiologiques, mais ce
n'est pas pareil que de dire que ces bénéfices sont nuls). Les gens
qui ne comprennent pas la différence entre il n'est pas prouvé
que X est vrai
et il est prouvé que X
n'est pas vrai
peuvent lire cette
vieille entrée de ce blog. Bon, normalement tout le monde devrait
savoir ça, mais je sais que ce que je dit a déjà été déformé et
caricaturé par le passé.
La raison pour laquelle je prends le soin d'expliquer ça, c'est que
je commence à en avoir marre d'entendre dire comme une
évidence que le (premier et/ou deuxième) confinement français
a très bien marché
(et donc : qu'il faut recommencer). Ce qui
est vrai, c'est que l'épidémie a beaucoup
régressé pendant le confinement : ce n'est pas
pareil que de dire qu'elle a régressé à cause du
confinement. Et je suis particulièrement désolé de voir des esprits
scientifiques, qui devraient pourtant bien savoir que la corrélation
n'est pas causalité, sauter sur l'inférence, et, quand on leur signale
le problème, s'en tirer avec des arguments embarrassés selon lesquels,
bon, en général, la corrélation n'est pas causalité, mais là c'est
quand même bien évident que le mécanisme est le bon. Est-ce évident,
justement ? C'est surtout ce point que je veux explorer. Car si
énormément de publications scientifiques ont été consacrées à
démontrer ou à quantifier la corrélation entre confinements
et régression épidémique, je n'ai pas connaissance de tentatives pour
justifier (plus sérieusement que c'est évident, parce que je n'ai
pas d'autre idée, ou parce que les autres idées me semblent
tarabiscotées
) que cette corrélation est une causalité
(ou mieux, pour déterminer quelle part de la corrélation est
due à une causalité directe, et quelle part est due à des apparences
de causalité par exemple provenant de causes communes
confondantes).
Quoi qu'on pense du coût social des confinements, c'est au moins un
point épistémologique majeur que de rappeler que, comme j'aime bien
dire, la corrélation est peut-être corrélée à la causalité, mais
elle ne l'implique pas
. C'est un point qu'on traite très bien
dans les essais thérapeutiques au niveau individuel mais qu'on semble
avoir complètement perdu de vue s'agissant d'une mesure collective
comme les confinements. Alors, certes, la preuve sera difficile, mais
ce n'est pas une raison pour ne même pas essayer (et je vais revenir
sur des pistes possibles dans ce sens).
L'étape zéro avant même de commencer à discuter la
question de savoir si les confinements marchent
, c'est de
définir les termes.
Le mot confinement
, évidemment : le problème, et je l'ai
déjà signalé, est qu'il désigne tout et n'importe quoi entre une
simple fermeture des restaurants et l'emprisonnement de toute la
population. Pire encore, non seulement la mesure est à géométrie
variable, mais quand on dit qu'on fait un confinement, on fait tout un
tas de mesures en même temps qui interagissent de façon compliquée
entre elles, et il n'est pas clair si le mot confinement
regroupe celle-ci, ou celle-là, ou la conjonction de toutes. J'ai
régulièrement vu avancé l'argument qu'on devrait confiner la France
parce que la Norvège s'en était mieux tirée que la Suède en confinant
plus tôt — le problème est que si on appelle confinement
ce
qu'a fait la Norvège au sommet de ses mesures, alors la France est
confinée depuis des mois. Pour moi, le mot confinement
devrait
être restreint dans son emploi aux mesures de confinement des
individus à domicile (pour les autres mesures on parlera par exemple
de fermeture des commerces, de fermeture des écoles, d'incitation au
télétravail, etc.), et comme
le confinement volontaire est peu
polémique (ce qui ne veut pas dire qu'il soit forcément efficace, mais
au moins ses coûts sont nettement plus modérés), je me concentre
surtout sur les confinements autoritaires, c'est-à-dire les
restrictions de mouvement ou de fréquentation des individus, assortis
d'une répression pénale (amende, peines de prison…) et/ou d'une
surveillance policière, et, dans le cas de la France et d'une poignée
d'autres pays, d'une petite touche de bureaucratie kafkaïenne (les
auto-attestations). Mais certains de mes arguments pourront
s'appliquer à d'autres mesures, ce n'est pas tellement mon propos ici
d'évoquer leur coût que de discuter de la difficulté à prouver leur
efficacité (difficulté qui doit cependant, évidemment, se mesurer à
l'aune des dommages causés par la mesure : c'est moins grave
d'interdire les matchs de foot et de se rendre compte que ça ne sert à
rien que de mettre des dizaines de millions de personnes en prison
pendant des mois pour rien). En tout état de cause, c'est à celui
qui formule un argument en faveur d'une mesure de définir très
précisément le périmètre de la mesure visée par son argument, ce
n'est pas à moi de le faire.
Mais l'incertitude porte aussi sur le mot marcher
, et ce, à
plusieurs niveaux. Le but est certainement de faire régresser
l'épidémie, donc c'est à cette jauge-là qu'il faut
définir marcher
; il y a éventuellement une ambiguïté sur le
thermomètre utilisé (tests positifs ? personnes effectivement
malades ? passages aux urgences ? entrées à l'hôpital ? admissions en
réanimation ? décès ?), mais ce n'est pas le plus important (le choix
du thermomètre deviendrait bien plus crucial si on discutait de
protections différenciées des personnes vulnérables, par
exemple ; mais ce n'est pas ce que j'évoque ici). Ce qui est plus
important, en revanche, c'est de se demander sur quel périmètre
géographique et surtout temporel on évalue la réussite de la mesure :
car l'hypothèse naturelle est qu'un confinement ne fait que repousser
le problème dans le temps, et pourrait très bien l'aggraver à l'avenir
plus qu'il ne l'améliore dans le présent, ce qui peut néanmoins se
défendre comme mesure transitoire (le temps de mettre en place quelque
chose), mais comme je l'ai déjà
souligné ce n'est plus vraiment l'argumentaire utilisé par les
confinementistes. Toutefois, ce n'est pas vraiment de ces questions
que je veux parler ici.
Il y a une autre ambiguïté à signaler sur le mot marcher
,
c'est quel mécanisme d'action on reconnaît comme justifié. Quand on
dit qu'un médicament est efficace, on veut généralement dire qu'il
est plus efficace qu'un placebo : l'homéopathie, par
exemple, ne marche pas
, c'est-à-dire qu'elle n'est pas plus
efficace qu'un placebo. Pourtant, les placebos ont vraiment un effet,
donc ce n'est pas strictement correct de dire que l'homéopathie n'a
pas d'effet : il peut y avoir non seulement corrélation mais même
causalité entre le fait qu'un patient prenne un médicament
homéopathique et que sa santé s'améliore. Il est tout à fait possible
(et même, à mes yeux, passablement probable) que les confinements
aient, de la même façon, un effet placebo collectif (je vais revenir
sur ses mécanismes possibles) : ce n'est pas pareil que de dire qu'ils
ne marchent pas, mais cela soulève la question de savoir si on doit
considérer que cela fait partie de la définition du
mot marcher
. Là encore, la charge devrait être sur ceux qui
défendent les confinements d'expliquer précisément ce qu'ils
en attendent.
Et bien sûr, il y aurait encore un débat à avoir, même s'il était
prouvé que les confinements sont suffisants pour causer tel
ou tel effet, pour savoir s'ils sont également nécessaires.
Là aussi, je ne fais que le signaler au passage, ce n'est pas mon
propos ici, mais cela fait partie de la longue série des analyses
auxquelles les confinementistes auraient dû se livrer pendant l'année
qu'ils ont eu pour essayer de justifier leurs méthodes, et dont ils se
sont dispensés parce que regardez la courbe ! ça descend, c'est
donc que ça marche !
. Passons.
Corrélation n'est pas causalité : ce n'est pas parce que la courbe
épidémique régresse quand on déclenche un confinement qu'elle
régresse parce qu'on a déclenché un confinement.
(C'est du
même ordre que on a donné au patient de l'hydroxychloroquine,
et il a guéri
: ça me désole particulièrement que des gens aient
été capables de voir dès le début que les « preuves » de Didier Raoult
n'en étaient pas, et n'arrivent pas à démontrer le même esprit
critique s'agissant des confinements. Évidemment, maintenant on a
mieux que juste ce n'est pas prouvé
contre la chloroquine, on a
des preuves que son efficacité est, au mieux, très faible, et
inférieure à ses risques dans les circonstances usuelles
d'administration ; mais dès le début il y avait lieu de se montrer
sceptique, et certains n'ont pas manqué de le faire. Bien que Didier
Raoult fût une sommité médicale, soit dit en passant, et bien qu'il y
eût un mécanisme d'action plausible (l'hydroxychloroquine est un
ionophore connu pour transporter le Zn²⁺ dans le cytoplasme où il a
une action inhibitrice sur l'ARN-réplicase ; ceci est à
mettre en parallèle avec : le confinement est connu pour limiter la
mobilité et ceci devrait inhiber la reproduction du virus) : on a
exigé des preuves, et ces preuves ne sont pas venues parce que la
chose à prouver n'était pas vraie.)
Ce n'est pas parce que la courbe épidémique régresse quand on déclenche un confinement qu'elle régresse parce qu'on a déclenché un confinement, disais-je. Même si ça se produit de façon reproductible, ça ne prouve toujours rien : le fait que ça se répète montre certes que ce n'est pas le hasard qui joue, et ce n'est pas ce que je prétends. Il y a d'autres explications possibles, qu'on peut plus ou moins regrouper sous le chapeau : au lieu que le confinement cause la régression épidémique, il se peut très bien que le confinement et la régression épidémique soient deux conséquences d'une cause commune. Ou, pour prendre l'analyse en termes de corrélations, qu'il y ait une variable confondante.
Normalement je devrais m'en tenir là : si on me dit que les
confinements marchent-la-preuve-voyez-la-courbe, ou, de façon plus
sophistiquée, voyez telle analyse montrant une excellente corrélation,
je peux me contenter de dire ce n'est pas une preuve : la
corrélation n'implique pas la causalité
et éventuellement
d'ajouter c'est à vous de démontrer qu'il n'y a pas une cause
commune
. Le fait de ne pas arriver à imaginer de telle cause
commune n'est pas une excuse. (Bien sûr, ça ne vous interdit pas
de croire que le mécanisme causal prima facie
évident, le confinement cause la régression épidémique
est le
bon : encore une fois, je ne dis pas qu'il est faux, je dis
qu'il n'est pas prouvé, ou au minimum, que son ampleur n'est
pas connue.) Mais je conviens que ce ne serait pas très correct de ma
part de m'arrêter là, donc il faut au moins que je montre quelques
exemples de raisons de penser que l'existence de causes communes (aux
confinements et à la régression épidémique) est crédible.
Le point crucial, c'est que les confinements ne sont pas déclenchés au hasard (et heureusement !), ni dans l'espace, ni dans le temps. Les confinements ont, donc, des causes : ces causes sont à chercher dans le déroulement de l'épidémie elle-même, mais aussi dans l'opinion publique (qui peut les réclamer, et dont l'action des pouvoirs publics est plus ou moins l'émanation). Or l'état de l'épidémie et la situation de l'opinion sont précisément le genre de choses qu'on doit soupçonner d'avoir un effet des plus importants sur l'évolutione future de l'épidémie. Il n'est donc pas du tout déraisonnable d'imaginer une cause commune au confinement et à un reflux épidémique.
Ce n'est pas pour rien qu'on exige, dans les essais thérapeutiques, de travailler de façon randomisée, c'est-à-dire que le groupe de contrôle et le groupe de traitement soient choisis aléatoirement et pas en fonction, par exemple, de la gravité des symptômes (et ensuite qu'ils soient traités à l'identique) : si on a tendance à exclure les cas les plus graves du traitement, on aura l'impression que le médicament traité est d'autant plus efficace — ou bien si déclenche le traitement à un certain stade des symptômes alors qu'on cadence différemment les observations dans le groupe de contrôle, on aura des biais du même genre. C'est la raison pour laquelle il est si difficile de tirer des conclusions d'études observationnelles (c'est-à-dire dans lesquelles on a simplement des informations sur des traitements qui ont été appliqués et sur les résultats, sans savoir comment ont été décidés les traitements), et, si on veut le faire au moins en partie, il faut se livrer à une traque sans pitié des variables confondantes.