Je l'ai mentionné il y a quelque
temps, nous avons eu il y a un deux semaines à l'ENS un
séminaire du mathématicien John McKay sur un phénomène
paranormal mathématique appelé le Monstrous Moonshine
: même si ce n'est pas ma
spécialité, je voudrais dire un mot de ce qui tourne autour. (En
fait, je viens de finir la lecture d'un petit livre de vulgarisation
sur le sujet, Symmetry and the Monster de Mark Ronan, qui
n'est pas mal du tout — même si c'est très insatisfaisant pour
un mathématicien de lire des livres de vulgarisation adressés au grand
public vu qu'on veut toujours en savoir plus.)
Il y a un débat récurrent autour de la question de savoir si les
mathématiques sont découvertes ou inventées : même si la réponse n'a
pas à être complètement d'un côté ou de l'autre, je pense que la
plupart des mathématiciens eux-mêmes sont d'avis qu'elles sont
découvertes, et assurément la théorie des groupes finis est un des
domaines où la réponse découvertes
s'impose le plus
naturellement. Après une tentative (sans doute assez lamentable) pour
expliquer à ma mère ce qu'est le Monstre, elle a commenté : les
mathématiciens sont vraiment doués pour inventer des choses
complètement farfelues
— mais à mes yeux c'est une
mésinterprétation complète de la réalité : personne n'a
inventé le Monstre, il a été découvert par des gens
qui ont été stupéfiés de le voir s'imposer à eux de cette façon. (Un
des termes qui revient parfois dans la description du sentiment qu'ils
ont eu en le découvrant est qu'il y avait something
out there
; je ne saurais pas rendre ça en français, mais
je trouve que c'est très fort.)
Il y a certainement quelque chose dans certaines branches des mathématiques, et notamment dans la théorie des groupes finis qui rappelle la fascination que les hommes ont pu avoir pour des pseudo-sciences comme la numérologie ou l'astrologie : je pense que c'est ça qui peut donner à des gens (y compris certains mathématiciens de branches plus éloignées, d'ailleurs !) l'impression qu'il s'agit de mathématiques un peu suspectes, où l'on étudie les propriétés magiques des nombres tels que 196883 ou 244823040. Je crois que des matheux un peu joueurs comme Conway s'en amusent beaucoup, en fait. La différence, c'est que les douze signes du zodiaque sont le résultat du hasard de configurations d'étoiles interprétées par les yeux d'astronomes anciens et qui auraient très bien pu être autrement alors que la table des caractères de M24 est quelque chose qui s'imposerait de la même façon à tous extra-terrestres ayant la curiosité de s'intéresser aux façons de réordonner des objets.