À chaque fois qu'il y a une grosse chaleur en France, on entend la
même petite musique (venue essentiellement de ces partis politiques
qui se prétendent écologistes et qui sont de plus en
plus naturolâtres et/ou
technophobes) pour dénoncer la climatisation, accusée de tous les
maux : ce serait une forme d'égoïsme (on se rafraîchit en rejetant son
air chaud sur les autres à l'extérieur), une dépense énergétique
somptuaire, une mauvaise réponse au réchauffement climatique, ou je ne
sais quoi encore. Le but de ce billet est de répondre un peu à ces
reproches en rappelant un certain nombre de faits physiques ou
économiques de base.
Divulgation complète pour commencer (← comment on
dit full disclosure
en français ?) : le poussinet
et moi avons une pompe à chaleur (air/air) réversible, une Mitsubishi
MXZ-3F54VF, que nous avons fait poser avant de nous installer
dans notre nouvel appartement, et
qui nous sert à la fois de chauffage (presque exclusif) en hiver et de
clim en été. La pose de cette pompe à chaleur est d'ailleurs
essentiellement les seuls travaux que nous ayons fait en nous
installant dans cet appartement. Il s'agit d'un multi-split installé
professionnellement, l'unité extérieure étant posée sur notre loggia
et nous avons trois unités intérieures réglables séparément, une pour
chaque pièce où nous vivons (salon, chambre, bureau ; nous ne
chauffons pas spécialement la cuisine, ni la salle de bain sauf
parfois le temps de prendre une douche). Je parlerai plus bas de la
quantité d'énergie qu'elle consomme.
Mais la première chose que je veux souligner, c'est que le
désir de fraîcheur en été chez soi n'est pas en soi moins légitime que
le désir de chaleur en hiver : dès lors qu'on admet qu'il est
normal que les gens se chauffent quand il fait froid, ce qu'on fait
depuis des millénaires, il n'y a pas de raison de trouver inacceptable
qu'on se refroidisse quand il fait chaud, ce qu'on ne fait pas depuis
des millénaires pour la simple raison que la technologie des pompes à
chaleur n'était pas disponible. Or il y a quelque chose de curieux à
ce que, lors des canicules, on entende des voix moralisatrices
s'élever pour la clim, décriée comme égoïste et dispendieuse, alors
qu'il n'y en a pas lors des vagues de froid pour décrier tous les gens
qui se chauffent (i.e., essentiellement tout le monde).
On peut d'ailleurs argumenter qu'il est même plus légitime de
vouloir se rafraîchir en été : il n'y a pas de solution de repli
contre la chaleur équivalente à ce que sont s'habiller chaudement
(même à l'intérieur)
ou multiplier les couettes du lit
dans
le cas du froid. La chaleur excessive peut rapidement devenir une
menace pour la santé (le froid aussi bien sûr, mais il est vraiment
difficile de s'approcher de tels niveaux en intérieur, dans un pays
tempéré, même en l'absence de chauffage) ; or le réchauffement
climatique va rendre les températures dangereusement chaudes de plus
en plus fréquentes même dans un climat (autrefois) tempéré comme celui
de la France métropolitaine : la climatisation fait partie de
l'adaptation nécessaire à ce changement climatique, et il me semble
que c'est une forme de climatoscepticisme que de nier son utilité.
Les moralisateurs anti-clim font valoir qu'il existe d'autres
moyens de pallier les effets des chaleurs excessives : végétaliser les
villes, construire des bâtiments mieux isolés (à la fois contre le
chaud et contre le froid) ou conçus pour rayonner de nuit la chaleur
absorbée pendant la journée. Loin de moi l'idée de nier
l'intérêt de ces solutions : peut-être de toute façon que
l'avenir est aux habitations troglodytes et que nous devrons apprendre
à vivre en partie sous terre pour nous protéger des températures de
surface devenues invivables (déjà pendant la canicule de 2003 je
passais une bonne partie de mes journées au sous-sol). Je suis
parfaitement d'accord, aussi, pour conspuer les architectes qui
construisent des bâtiments tout en verre parce qu'ils trouvent ça joli
mais qui rendent la clim absolument indispensable ; mais c'est une
faute de logique que de confondre il est inacceptable que certains
bâtiments mal conçus rendent la clim (encore plus) indispensable
avec installer la clim est inacceptable
— l'un est une
injonction raisonnable adressée aux architectes, l'autre est une
injonction moralisatrice adressée aux résidents (qui n'ont pas
forcément choisi l'architecte). Accessoirement, même si on doit finir
par mettre la clim partout, il serait au moins judicieux, sinon
indispensable, d'aider son travail par des bâtiments conçus
pour minimiser l'énergie qu'elle doit dépenser, et pour conserver un
minimum le frais (ne serait-ce que pour le cas où la clim tombe en
panne ou lorsqu'une chaleur carrément excessive la rend
insuffisante).
Donc oui, il faut des bâtiments mieux conçus (et oui, il faut des
îlots de fraîcheur urbains, mais ça ne règle pas du tout le problème
des logements trop chauds, ça). Mais à moins de proposer de raser
tout le bâti de France pour le reconstruire aux normes les plus
récentes (ce qui, en-dehors du caractère irréaliste de la proposition,
générerait des quantités hallucinantes de CO₂ !), il faut bien
s'accommoder de ce qui existe. Oui, il faut aider à l'isolation des
bâtiments existants, mais elle n'est pas toujours possible, et les
habitants ne sont pas toujours ceux qui choisissent : la position
consistant à les culpabiliser parce qu'ils ont un domicile mal isolé
et/ou de leur dire de souffrir en silence (ou de trouver ailleurs où
habiter) s'il fait 45°C dehors ne me semble pas vraiment tenable.
Je suis aussi d'accord pour dénoncer la
climatisation excessive (notamment des lieux
publics), comme d'ailleurs le chauffage excessif qui est d'ailleurs
une cible plus sérieuse si on a l'économie d'énergie en tête : il me
semble qu'on a fait des progrès en la matière et que ça fait quelques
années que les centres commerciaux par exemple ne sont plus climatisés
à 20°C même au plus chaud de l'été. (Ce qui, même en négligeant le
gaspillage que ça constitue, n'est d'ailleurs même pas plaisant vu
qu'on est habillé pour la chaleur : le choc thermique lorsqu'on
franchit les portes est très désagréable, et passer devant une sortie
d'air froid à l'intérieur — forcément glacial s'il s'agit de maintenir
20° malgré les pertes — ne l'est pas moins.) Il y a certainement des
règles de bonne conduite à convenir pour la température intérieure à
maintenir en fonction de la température extérieure (et la fonction du
bâtiment) ; d'ailleurs je trouve un peu dommage que notre clim
domestique ne permette pas de régler une cible dépendante de la
température extérieure, même si je comprends que ce serait un peu
complexe à utiliser.
Il faut aussi dire qu'il y a clim et clim. Beaucoup de gens ont
sans doute encore en tête les clims monobloc mobiles avec un gros
tuyau qui sert à souffler l'air chaud, souvent coincé un peu n'importe
comment dans l'embrasure d'une fenêtre : ce type de clim ne peut
servir qu'en mode clim et pas en mode chauffage (ou alors si elles
peuvent elles sont rarement utilisées de la sorte pour les raisons que
je vais dire) : terriblement inefficaces en plus d'être bruyantes,
surtout quand l'installation est bricolée et rejette l'air chaud par
une fenêtre entrouverte par laquelle une bonne partie de la chaleur va
re-rentrer, on voit bien qu'en hiver personne ne voudrait garder une
fenêtre entrouverte, c'est tout aussi absurde en été mais comme le
frais est à ce prix on s'en accommode. Beaucoup de petits commerces
font ainsi, certains particuliers aussi ; et il ne faut pas se cacher
que si on décourage la pose de clims correctement installées,
les clims monoblocs bricolées fleuriront partout qui sont un
désastre énergétique.
Une clim bien posée, c'est un compresseur à l'extérieur, et des
tuyaux (passant par un trou correctement isolé dans le mur) pour
transférer un fluide caloporteur (qui peut être le même fluide
réfrigérant utilisé dans le compresseur, ou bien de l'eau dans les
grosses installations) vers les unités intérieures. La compresseur
peut être tout à fait silencieux (le nôtre est étiqueté à 46dBA en
mode clim, 50dBA en mode chauffage, en pratique c'est essentiellement
inaudible depuis l'intérieur ou depuis la rue), les unités intérieures
sont encore plus discrètes. Je vais revenir ci-dessous sur le souffle
d'air chaud. Mais sinon, le principal problème réside dans le choix
d'un endroit où poser l'unité extérieure : comme je l'ai écrit
ci-dessus, nous avons installé la nôtre sur une loggia ouverte, ce qui
la rend (presque) invisible depuis la rue, mais tout le monde n'a pas
la chance de pouvoir faire ainsi : il va falloir décider
collectivement si on préfère voir des compresseurs de clims posés en
façade apparente, ou que les gens utilisent des monoblocs à travers
des fenêtres entrouvertes (et/ou que le prix des logements où on ne
peut pas installer de clim s'effondre).
(Bon, a priori il existe la solution « duale » où,
au lieu que le compresseur soit à l'extérieur et que les unités
intérieures soient de simples échangeurs, le compresseur est à
l'intérieur et l'unité extérieure est un simple échangeur — il faut
forcément un ventilateur pour évacuer l'air chaud, quand même. Elles
sont sans doute plus adaptées lorsque l'espace en façade ne permet pas
d'accrocher un gros compresseur. Mais j'ignore quelle est la bonne
terminologie, ni quelle est leur existence sur le marché :
malheureusement, toute tentative pour se renseigner sur les pompes à
chaleur conduit à N réponses Google d'entreprises qui ne
cherchent pas à vous renseigner mais à vous démontrer que leur
camelote est la meilleure du monde.)
Mais le point crucial c'est surtout qu'une pompe à chaleur
est par essence réversible : elle peut servir à la fois pour le
chauffage ou pour le refroidissement, elle utilise une petite
quantité d'énergie pour déplacer une plus grosse quantité de chaleur
de l'intérieur vers l'extérieur ou vice versa. Je vais revenir sur
l'aspect thermodynamique ci-dessous, mais le caractère réversible est
essentiel. Il n'y a aucune différence conceptuelle théorique entre
une clim et un chauffage par pompe à chaleur : il y a des différences
d'ingénierie, mais dans la pratique, de nos jours, toute pompe à
chaleur sérieuse peut servir dans les deux sens (même si sa conception
peut chercher à privilégier l'un ou l'autre).
Or c'est un des éléments les plus importants de transition
énergétique que de remplacer les chauffages traditionnels
(électrique radiatif ou convectif, ou bien à combustible
fossile) par des pompes à chaleur. Rappelons le fait
thermodynamique basique suivant : un chauffage traditionnel, qui ne
fait que dissiper de l'énergie en chaleur, est efficace « seulement »
à 100% : chaque kW·h d'énergie qu'il consomme part bêtement en chaleur
(il est impossible de faire moins en vertu du premier principe de la
thermodynamique ; au pire, la chaleur pourrait s'enfuir de manière
indésirée, par exemple si le radiateur est installé à côté d'un trou
dans le mur, mais 100% de l'énergie dépensée finit forcément en
chaleur, donc 100% est la plus faible efficacité possible).
Une pompe à chaleur (utilisée en mode chauffage), en revanche, est
efficace à nettement plus que 100%, parce qu'elle utilise l'énergie
qu'elle consomme (qui va elle aussi finir en chaleur) pour prendre
aussi de la chaleur de l'air froid extérieur et la transférer vers
l'intérieur : on parle
de coefficient
de performance pour le rapport entre la puissance de chaleur émise
à l'intérieur (ou dans le cas d'une clim, retirée) et la puissance
(électrique) consommée (la différence étant prise à l'extérieur,
puisque l'énergie totale doit être conservée, toujours d'après le
premier principe de la thermodynamique). La nôtre, par exemple, a un
coefficient de performance de 5 (c'est-à-dire qu'elle est efficace à
500%) en mode chauffage dans ses conditions nominales ; en pratique,
comme je vais le dire plus bas, sur une longue période, d'après notre
consommation électrique, ça semble plus proche de 2 ou 2.5, je ne sais
pas bien, mais en tout cas c'est un gain important.
(Il faudrait insérer ici une petite digression sur le fait que le
grand public est ignorant de la thermodynamique et que c'est une
catastrophe vu l'importance qu'a ce sujet pour comprendre les enjeux
du monde qui nous entoure et particulièrement de tout ce qui concerne
l'énergie et le changement climatique. Je renvoie
à ce passage
d'un vieux billet, et/ou
à ce
fil Twitter
(lisible ici
sur Threadreaderapp si vous n'avez pas de compte
sur TSNFKAT) qui est censé être encore plus accessible,
pour les explications de base concernant la thermodynamique, mais le
résumé ultra-rapide que je voudrais vraiment que tout le monde sache,
c'est que ① la chaleur est une forme d'énergie et on ne peut
ni créer ni détruire l'énergie, on ne peut que la déplacer ou la
convertir, et ② tout mouvement de chaleur s'accompagne d'un mouvement
d'une autre quantité, l'entropie
, qui peut être créée et
déplacée mais jamais détruite, et que plus la température d'un objet
est élevée plus la quantité d'énergie sous forme de chaleur
accompagnant une quantité donnée d'entropie transférée à cette objet
est importante. Donc, une pompe à
chaleur, utilisée en mode clim, elle veut retirer de la chaleur de la
pièce, ce qui implique de lui retirer de l'entropie, mais comme
l'entropie ne peut pas être détruite il va falloir l'envoyer dehors,
mais comme le dehors est plus chaud que le dedans, cette même quantité
d'entropie prise du dedans et envoyée dehors va demander d'envoyer une
plus grande quantité de chaleur dehors que ce qu'on a pris dedans, et
comme l'énergie doit aussi se conserver, la différence entre
l'énergie prise dedans et cette envoyée dehors doit venir de
l'électricité consommée par la clim. C'est la raison pour laquelle il
faut forcément travailler pour refroidir une pièce quand il fait plus
chaud dehors, et symétriquement, pour réchauffer une pièce quand il
fait plus froid dehors : on ne peut pas juste magiquement déplacer la
chaleur du froid vers le chaud en préservant l'énergie, il faut
forcément payer en travail à cause du second principe de la
thermodynamique. On peut rendre ça quantitatif : le coefficient de
performance idéal — c'est-à-dire impossible à dépasser selon
les règles de la thermodynamique — d'une pompe à chaleur est égal au
rapport Tint/|Text−Tint|
entre la température intérieure Tint mesurée en
kelvins, c'est-à-dire 273.15K de plus que la température en degrés
Celsius, et la différence
|Text−Tint| entre les
températures extérieures et intérieures. Mais bon, cette formule
donne des coefficients de performance idéaux qui dépassent 15 dans
presque toutes les conditions usuelles d'une pompe à chaleur, que ce
soit en clim ou en chauffage, et dans la vraie vie les rendements sont
bien moins bons. D'ailleurs, dans la vraie vie, je crois que la
majeure partie du travail de la clim, au moins en mode clim, est
d'évacuer non pas la chaleur de l'air mais la chaleur latente liée à
la condensation de l'eau, parce que quand on refroidit de l'air humide
une partie de la vapeur d'eau se condense et il faut évacuer
l'enthalpie de cette condensation.)
En tout état de cause, le chauffage est un des principaux
postes de consommation énergétique au moins domestique (pour
ce qui est de l'électricité, par exemple,
cf. mon billet précédent à ce
sujet, la France consomme en hiver environ 1.9 GW de plus pour
chaque degré de température en moins,
cf. ce
tweet ; la situation sur le gaz est évidemment analogue), et
surtout sur lequel on a les plus grandes possibilités
d'agir. Qu'il s'agisse de réduire les émissions de CO₂ (pour
lesquelles évidemment il faut surtout réduire le chauffage au gaz ou,
pire, au fioul) ou d'économiser l'énergie pour d'autres raisons,
l'installation de pompes à chaleur est quelque chose d'éminemment
souhaitables vu qu'elles permettent de gagner un facteur important (au
moins 2, et peut-être jusqu'à 5 dans de bonnes conditions) sur la
consommation d'énergie pour une chaleur produite égale.
Le fait que ces pompes à chaleur utiles pour économiser
l'énergie de chauffage puissent également servir comme clims est un
bonus qui au minimum constitue une façon d'inciter les gens à
en installer, voire peut être considéré comme une adaptation au
changement climatique.
Voici des chiffres à la louche concernant notre appartement (~90m²
dans un immeuble des années 1990 donc pas trop mal isolé) : notre
consommation électrique annuelle est d'environ 8500 kW·h par an
moyennée sur l'année (soit environ 1000 W en continu). De ces
8500 kW·h, il y a environ 5400 kW·h de consommation hors pompe à
chaleur (éclairage, ordinateurs, électroménager… mais surtout l'eau
chaude[#]), 2500 kW·h de
chauffage par pompe à chaleur, et grand maximum 600 kW·h de
climatisation. (Tous ces chiffres sont vraiment à la louche, il n'y a
pas d'année typique. La consommation de la pompe à chaleur est
mesurée par un sous-compteur.) Combien est-ce qu'on gagne en ayant
une pompe à chaleur ? Je le sais approximativement parce que nous
avons été obligés de la déposer lors d'un ravalement de façade début
2022, donc nous sommes passés au chauffage électrique conventionnel
pendant cette période, et on peut donc se faire une idée du rapport de
consommation, c'est-à-dire le coefficient de performance en conditions
réelles de notre pompe à chaleur : j'estime que si nous n'avions pas
de pompe à chaleur, nous consommerions 5500 kW·h en chauffage (tout
électrique) dans les mêmes conditions (au lieu de 2500 kW·h, i.e., le
coefficient de performance est un peu supérieur à 2, ce qui est certes
moins bon que le 5 nominal, mais ce n'est pas très étonnant).
[#] En été, l'essentiel
de notre consommation électrique est celle du chauffe-eau (ceci se
voit notamment au fait que nous consommons nettement plus en heures
creuses qu'en heures pleines : notre chauffe-eau ne se déclenche qu'en
heures creuses). Là aussi il y aurait évidemment intérêt à avoir une
pompe à chaleur pour chauffer l'eau, mais celles-ci sont immensément
compliquées et combinent les complexités de la plomberie à celles
intrinsèques à une pompe à chaleur.
C'est-à-dire que cette pompe à chaleur (sans effort particulier de
sobriété énergétique par ailleurs) nous fait économiser de l'ordre de
3000 kW·h par an sur le chauffage, dont nous redépensons au maximum
600 kW·h (environ le cinquième) en clim. Ou, si on préfère penser en
termes de puissance, on a remplacé tous les convecteurs électriques de
l'appartement (qui faisaient 1000 W ou 2000 W chacun) par une
unique pompe à chaleur de 1400 W. Clairement on y gagne.
Et je pense que ces chiffres à la louche seront assez
typiques : par rapport à un chauffage électrique traditionnel, une
pompe à chaleur devrait faire gagner un facteur plus que 2 sur la
consommation en chauffage, et s'en servir en clim ne reprend qu'une
petite part de ce gain. Qu'on pense au niveau individuel (sur le
montant de la facture d'électricité) ou au niveau collectif (sur la
consommation énergétique du pays), le gain est
clair : énergétiquement parlant, il y a tout intérêt à
favoriser l'installation de pompes à chaleur, même si elles doivent
servir de clim en été.
Une clim, en fait, ne consomme pas énormément (simplement parce que
les différences de températures à combattre sont rarement énormes, en
France métropolitaine, alors qu'en mode chauffage c'est une autre
paire de manches : reprendre les chiffres
de ce billet, notamment le graphe
de la température moyenne, et comparer à une température typiquement
désirable en intérieur). À peu près au moment où j'ai commencé à
taper ce billet, il faisait 30°C dehors (ce qui est quand même assez
rare à Paris), 24°C à l'intérieur, notre clim rejetait de l'air à 18°C
dedans, à 36°C dehors, et elle consommait 340 W d'électricité pour ça
(alors que nominalement elle peut monter jusqu'à 1320 W) : c'est en
gros comme une ampoule halogène traditionnelle, ce n'est pas tellement
plus de la gabegie énergétique que d'utiliser une telle ampoule. Je
ne sais pas quelle est sa performance à ce moment précis, mais elle ne
devait guère envoyer plus de 1200 W de chaleur dehors (je vais revenir
sur ce point).
En outre, même dans la mesure où les clims consomment de l'énergie,
elles le font surtout en été, où l'énergie a tendance à être plus
abondante parce qu'il y a du solaire (et parce que, côté consommation,
questions de chauffage mises à part, l'activité économique est
moindre).
Même si les pics de chaleur doivent devenir plus nombreux et plus
intenses à l'avenir à cause du réchauffement climatique, il y a
énormément de marge, en tout cas dans un pays comme la France, avant
que la clim s'approche du type de niveau de consommation que le
chauffage peut atteindre : clairement on gagne à installer des pompes
à chaleur, même si elles doivent aussi servir de clim.
Bon, mais si le problème de la clim n'est ni le droit intrinsèque
de contrôler un peu la température qu'il fait chez soi, ni la
consommation d'énergie associée, ni la gêne visuelle ou auditive, quel
est-il ?
Il y a le problème de l'effet de serre causé par les fluides
réfrigérants (en principe ce fluide circule en circuit fermé et ne
doit pas s'échapper, et devrait être recyclé à la fin ;
inévitablement, il peut y avoir des fuites ou des accidents, et je
doute que le recyclage soit bien fait). Notre clim, par exemple,
utilise
du difluorométhane
(R-32
), qui a un potentiel d'effet de serre environ
700 fois supérieur au CO₂ (moyenné sur 100 ans) : comme il y en a
1.4 kg dans l'appareil, ça représente en gros l'équivalent de 1 tonne
de CO₂ émis, à amortir sur la durée de vie de l'appareil (j'espère
bien que celle-ci se compte en dizaines d'années !) : ce n'est pas du
tout négligeable, mais ce n'est pas totalement monstrueux non plus
(rien qu'avec l'électricité très largement décarbonée de la France,
les ~2400 kW·h/an que nous économisons avec cette pompe à chaleur
représentent ~150 kg de CO₂, donc amortissent l'effet de serre du
fluide si la clim dure au moins 7 ans même s'il n'est pas recyclé à la
fin et j'espère bien qu'il le sera ; si le chauffage remplacé était au
gaz il n'y aurait même pas photo). Je crois que le problème de ces
fluides réfrigérants se pose surtout pour les clims de voiture, qui
sont bien plus malmenées, et bien moins souvent recyclées, que les
clims domestiques. Mais ce problème est en tout cas en voie d'être
réglé à mesure qu'on autorise des gaz qui n'ont pas ce problème de
potentiel important d'effet de serre (bon, ils en ont d'autres, comme
celui d'être inflammables ou irritants, mais les quantités ne sont pas
grosses donc ce n'est pas forcément si grave ; les réfrigérants comme
le R-32 ont eux-mêmes été introduits après qu'on avait interdit
d'autres fluides, CFC
, comme
le dichlorodifluoromhéthane
(R-12
), qui détruisaient la couche d'ozone ; un jour on va
bien finir par trouver un truc qui n'ait aucun inconvénient).
Bref.
Le reproche qui fait le plus sens, c'est celui de
l'émission locale de chaleur (j'insiste sur
le local
: globalement, la chaleur produite directement par les
activités humaines est complètement négligeable devant le forçage
radiatif — « effet de serre » — que ces activités engendrent, et même
au sein de la chaleur directement produite par les activités humaines,
la clim est une partie minuscule). Il est vrai que la climatisation
peut empirer les problèmes d'îlots de chaleur urbains.
Néanmoins, je pense que l'image mentale qu'on se fait de ce
problème (réel) est déformée par deux fausses représentations. La
première est celle des clims monobloc mobiles installées en vitesse
(tuyau juste glissé dans l'embrasure d'une fenêtre) dont j'ai parlé
plus haut : forcément, ces unités doivent lutter en permanence contre
l'entrée d'air chaud qui accompagne la non isolation de leur sortie,
elles émettent une quantité d'air chaud énorme dans un cycle futile,
et c'est très désagréable quand on passe dehors : la solution, selon
moi, n'est pas d'interdire les clims mais de favoriser les clims bien
posées.
La seconde fausse représentation concerne le chaud émis par la
clim. Je pense qu'elle vient d'une mauvaise compréhension de la
thermodynamique, et spécifiquement de l'ignorance du premier
principe : on a tendance à penser (ou au moins à se figurer
inconsciemment) que la sortie d'air chaud de la clim est de la chaleur
qu'elle rejette dans l'environnement. Mais bien sûr ce n'est pas le
cas : la clim produit aussi du froid de l'autre côté, et ce
froid finir forcément aussi par percoler dans l'environnement
local (si le bâtiment climatisé était parfaitement isolé, le
froid ne diffuserait pas, mais il n'y aurait pas besoin de clim
puisque, justement, la température ne monterait pas : le fait qu'on
ait besoin d'une clim est bien le signe que le chaud rentre, ou, ce
qui signifie exactement la même chose, le froid sort). Évidemment si
on se place juste devant la sortie d'air chaud de la clim, on
reçoit la chaleur de celle-ci, mais dès qu'on considère un
environnement un tout petit peu plus large, le bâtiment climatisé
« rayonne du froid », si j'ose dire, justement parce qu'il est
climatisé. La différence entre chaleur sortant de la sortie d'air
chaud de la clim et le froid sortant du bâtiment climatisé, c'est le
travail fourni par la clim : c'est ce que dit le premier principe de
la thermodynamique — on ne peut ni créer ni détruire l'énergie, juste
la déplacer ou la convertir.
Autrement dit, oui les clims émettent bien de la chaleur, mais la
chaleur qu'elles émettent (à moins de considérer un environnement
extrêmement local, l'environnement immédiat de la sortie d'air de la
clim), ce n'est pas la chaleur libérée en sortie d'air chaud, c'est la
consommation énergétique de la clim, et j'ai expliqué assez longuement
qu'elle n'est pas énorme. Dans mon exemple numérique ci-dessus, si ma
clim consomme 300 W électrique, et envoie disons 1200 W de chaleur à
l'extérieur dont 900 W ont été pris à l'intérieur, le bilan net sur le
pâté de maison est de 300 W, pas de 1200 W : c'est de l'ordre de
grandeur d'une ampoule halogène traditionnelle, pas d'un four, et
l'effet est en gros le même qu'un voisin qui allume une telle ampoule
— pas nul, mais pas démesuré non plus.
Concernant les sorties d'air chaud, bien sûr qu'il vaudrait mieux
les situer à des endroits où la chaleur va se dissiper le mieux
possible, par exemple j'imagine sur les toits des immeubles. Raison
pour laquelle il vaut mieux prévoir des immeubles avec clim dès la
conception, mais bon, il faut bien faire avec le bâti existant (encore
une fois, on ne va pas tout raser, ni réserver la clim à ceux qui
peuvent se payer un logement neuf). Au demeurant, je ne vois pas
pourquoi les sorties d'air seraient plus un problème en chaud (lorsque
la pompe à chaleur sert à refroidir) qu'en froid (lorsque la pompe à
chaleur sert à chauffer), et j'ai rarement entendu des plaintes au
sujet des sorties d'air froid des pompes à chaleur (ce qui me conforte
dans l'idée que ce sont surtout les monoblocs mobiles utilisés en clim
de fortune qui sont problématiques).
C'est bien sûr encore mieux si on peut avoir des canalisation d'eau
chaude ou froide servant à déplacer la chaleur en grandes quantités
en-dehors des villes,
et il
y a ça dans une certaine mesure à Paris, mais pour toutes sortes
de raisons pratiques le raccordement à ces réseaux des domiciles
individuels, pour ne pas parler de ceux qui existent déjà, est très
problématique, et encore une fois je pense que ce n'est pas tenable de
dire aux gens de souffrir en silence s'il fait 45°C dehors sous
prétexte que le raccord de leur domicile au réseau de froid n'est pas
réalisable.
Au demeurant, la clim me semble surtout importante la nuit : il
n'est pas agréable de supporter des températures élevées pendant la
journée, mais il est encore plus important de pouvoir dormir dans un
environnement raisonnablement frais (et d'emmagasiner un peu de frais
pour la journée qui va suivre) lorsque les températures minimales sont
elles-mêmes élevées : dans ces conditions, rejeter de l'air chaud
dehors (la nuit, donc) n'est pas si grave.
Pour conclure, je pense qu'il est à la fois indéniable et
inévitable que la climatisation fera à l'avenir partie des équipements
considérés comme essentiels à la salubrité d'un logement, au même
titre que l'électricité, l'eau courante ou un accès à Internet : on
peut s'en lamenter mais elle constitue une adaptation indispensable
face au changement climatique en même temps qu'un moyen de réduire
notre consommation énergétique, et concernant ses nuisances il sera
plus productif de chercher à définir des conditions permettant de les
minimiser (modes d'installation collective, règles de bonne conduite
sur la pose, la sortie d'air chaud, la température de consigne, les
heures d'utilisation, etc.) plutôt que de vouloir culpabiliser ou
interdire, ce qui ne fera que multiplier les installations sauvages
qui auront tous les inconvénients en pire et ne permettront même pas
de réaliser les gains en chauffage.