David Madore's WebLog: 2023-09

Vous êtes sur le blog de David Madore, qui, comme le reste de ce site web, parle de tout et de n'importe quoi (surtout de n'importe quoi, en fait), des maths à la moto et ma vie quotidienne, en passant par les langues, la politique, la philo de comptoir, la géographie, et beaucoup de râleries sur le fait que les ordinateurs ne marchent pas, ainsi que d'occasionnels rappels du fait que je préfère les garçons, et des petites fictions volontairement fragmentaires que je publie sous le nom collectif de fragments littéraires gratuits. • Ce blog eut été bilingue à ses débuts (certaines entrées étaient en anglais, d'autres en français, et quelques unes traduites dans les deux langues) ; il est maintenant presque exclusivement en français, mais je ne m'interdis pas d'écrire en anglais à l'occasion. • Pour naviguer, sachez que les entrées sont listées par ordre chronologique inverse (i.e., la plus récente est en haut). Cette page-ci rassemble les entrées publiées en septembre 2023 : il y a aussi un tableau par mois à la fin de cette page, et un index de toutes les entrées. Certaines de mes entrées sont rangées dans une ou plusieurs « catégories » (indiqués à la fin de l'entrée elle-même), mais ce système de rangement n'est pas très cohérent. Le permalien de chaque entrée est dans la date, et il est aussi rappelé avant et après le texte de l'entrée elle-même.

You are on David Madore's blog which, like the rest of this web site, is about everything and anything (mostly anything, really), from math to motorcycling and my daily life, but also languages, politics, amateur(ish) philosophy, geography, lots of ranting about the fact that computers don't work, occasional reminders of the fact that I prefer men, and some voluntarily fragmentary fictions that I publish under the collective name of gratuitous literary fragments. • This blog used to be bilingual at its beginning (some entries were in English, others in French, and a few translated in both languages); it is now almost exclusively in French, but I'm not ruling out writing English blog entries in the future. • To navigate, note that the entries are listed in reverse chronological order (i.e., the most recent is on top). This page lists the entries published in September 2023: there is also a table of months at the end of this page, and an index of all entries. Some entries are classified into one or more “categories” (indicated at the end of the entry itself), but this organization isn't very coherent. The permalink of each entry is in its date, and it is also reproduced before and after the text of the entry itself.

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Entries published in September 2023 / Entrées publiées en septembre 2023:

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(jeudi)

Célébrité et destruction : disparition d'un arbre

Je fais une pause dans l'écriture d'un billet sur la notion d'oracle en calculabilité (dont le précédent, déjà long, était destiné à n'être que l'introduction, et qui est en train de se transformer en roman ; ajout () : c'est ici) pour m'efforcer à écrire quelque chose de court sur un sujet qui m'attriste. Il s'agit d'une version un peu plus longue de ce court fil Twitter.

Je viens d'apprendre que le Sycamore Gap Tree, un célèbre érable (Acer pseudoplatanus), vieux d'environ 300 ans, situé en Angleterre, juste à côté du mur d'Hadrien, et connu pour sa position particulièrement photogénique (on le voit notamment apparaître dans le film Robin Hood, Prince of Thieves dans une scène entre Kevin Costner et Morgan Freeman), a été coupé en un acte de vandalisme. (La police a arrêté un ado soupçonné d'être responsable de l'arboricide.)

Ajout () : lien vers un bref article de la BBC sur les mémoires associées à cet arbre.

Alors c'est sûr qu'écologiquement, ce n'est pas très important : il y a quelque chose comme 3 mille milliards d'arbres sur la planète, un de plus ou de moins la planète elle s'en fout. Et il y a assurément plein de choses plus graves qui se déroulent sur la Terre en ce moment, à toutes sortes de niveaux, que la mort d'un arbre, fût-il vieux de 300 ans. Mais ce qui me désole, c'est que ça révèle sur nous, et sur l'aspect destructeur de la célébrité.

Sur la raison pour laquelle la mort de cet arbre particulier m'attriste, je pense que je l'ai déjà expliquée dans le billet sur la mort d'Elizabeth II il y a presque exactement un an, et je me permets de m'auto-citer :

Quelque chose qui est là, silencieusement, et qui finalement devient le témoin de ce qui se passe autour : quand on admire un vieil arbre on aime se dire que cet arbre a pu connaître Napoléon, ou Louis XIV ou que sais-je encore. (Le plus vieil arbre de Paris, un Robinia pseudoacacia qui est d'ailleurs un des plus anciens et pour ainsi dire l'ancêtre de tous les robiniers faux-acacia de France ou peut-être d'Europe puisqu'il a été importé par le jardinier Jean Robin auquel le nom du genre rend hommage, a été planté en 1601, et il a donc connu Henri IV. Je pense qu'on peut sans difficulté qualifier cet arbre de monument, et certainement beaucoup de gens seront inconsolables s'il meurt. Dans le même genre, je pense aussi à l'émotion qui a été ressentie quand l'aubépine de Glastonbury a été vandalisée, qui est censée avoir été plantée à l'origine par Joseph d'Arimathie même s'il faut prendre l'identité de cet arbre avec des pincettes, parce que la vraie, si tant est que c'était la vraie, a été brûlée sous Cromwell. Dans la fiction, je peux aussi mentionner l'arbre de Gondor.) Bref, ce que je cherche à dire avec tout ça, c'est qu'on attend d'un monument, et certainement d'un monument vivant comme un arbre, qu'il soit témoin muet du monde autour de lui, même si être témoin se limite à ce qu'on puisse s'émouvoir en se disant que cet arbre a connu tel ou tel personnage ou tel ou tel événement.

Mais voilà, le problème avec les monuments célèbres (en prenant le mot monument ici dans un sens extrêmement vaste : cet arbre en était un, comme l'est la Joconde ou comme l'était la reine Elizabeth II), c'est qu'il y a toujours des gens qui veulent les détruire.

Pour aucune autre raison que le fait qu'ils sont célèbres, et que c'est une sorte de titre de gloire que d'avoir détruit quelque chose de célèbre, on en parlera dans le monde entier (même si on n'est pas nommé, on sait in imo pectore, qu'on est le responsable).

Ainsi Hérostrate qui a détruit le temple d'Artémis à Éphèse dans le but d'être celui qui a détruit le temple d'Artémis à Éphèse. (Je ne sais pas du tout si cette histoire est vraie, mais ce n'est pas le point : si elle ne l'est pas, c'est un mécanisme qui, lui, est bien réel, et il est clair que le Sycamore Gap Tree a été détruit pour détruire le Sycamore Gap Tree, pas parce qu'il gênait le passage ou parce qu'on voulait construire quelque chose, ou je ne sais quelle raison indépendante de son identité comme arbre célèbre.)

C'est assez inévitable, en fait : si une chose quelconque est suffisamment célèbre pour que des millions de personnes en aient entendu parler, il suffit qu'il y ait 0.01% de ces gens qui aient envie de la détruire (pour la célébrité qu'elles en tireraient, pour le défi, par je ne sais quelle sensation de jalousie ou de n'importe quoi), et ça fait des centaines de personnes qui veulent détruire cette chose. Certainement il y en a bien plus qui veulent la protéger, mais il est plus difficile de protéger que de détruire. On ne va pas organiser des tours de garde pour défendre chaque chose qui est menacée par sa propre célébrité (peut-être qu'on devrait ?).

On peut mettre une vitre pare-balle autour de la Joconde. On peut accorder une protection policière à n'importe quelle personne célèbre[#] et/ou cacher son emplacement. Un monument fait de pierre ou de fer n'est pas trop facile à détruire. Mais un arbre ? Un arbre est sans défense. Au mieux on peut cacher son emplacement, mais ces choses finissent toujours par se savoir, et on ne peut pas transporter l'arbre ailleurs (alors qu'une personne on peut).

[#] Et à mon avis, la société a le devoir de le faire, peu importe ce qu'on pense de cette célébrité et de sa raison, précisément pour la raison expliquée dans ce billet : être trop célèbre est forcément dangereux, même si on est célèbre comme quelqu'un de particulièrement bon ou vertueux, on a des chances énormes (au moins relativement au reste de la population) de finir assassiné par un dérangé, un fanatique, ou un quelconque amateur de célébrité (qui pourra d'ailleurs, à son tour, etc. — comme Lee Harvey Oswald).

C'est la raison pour laquelle n'importe quel arbre célèbre, par exemple s'il est particulièrement vieux (ce qui donne aux vandales une motivation de plus pour le détruire) est forcément menacé, par exemple tous ceux de cette liste ou de celle-ci sont menacés par leur seule présence sur cette liste. Par exemple, l'épicéa doré Kiidk'yaas (sacré pour les Haïdas) a été coupé pour faire un message politique ; l'aubépine de Glastonbury a été plusieurs fois vandalisée ; l'emplacement du pin Mathusalem en Californie (vieux de presque 5000 ans, et un des candidats à l'arbre le plus vieux du monde selon la manière dont on définit les choses) a été gardée secrète pendant des années, mais elle a fuité en ligne il y a quelques années et j'en conclus qu'il n'en a probablement plus pour longtemps avant que quelqu'un ne décide de le brûler ; et l'épicéa Old Tjikko (vieux de plus de 9000 ans si on compte par son système racinaire) est surtout protégé par son emplacement au milieu de nulle part mais il est quand même peut-être question d'ériger une barrière autour.

Je recommande la (courte) vidéo The Broccoli Tree: A Parable (ou ce texte qui dit en gros la même chose) qui parle précisément de ce sujet : un arbre qui est devenu célèbre sur Instagram, et qui a été probablement coupé par un vandale précisément pour cette raison :

But the saddest thing of all, however
You absolutely cannot un-saw a tree.

Je ne sais pas s'il y a une morale à tout ça, à part qu'il suffit de 0.01% de gros cons (et il est clair qu'il y a largement plus que 0.01% de gros cons dans le monde) pour que la célébrité soit dangereuse et destructrice. C'est particulièrement vrai pour un arbre (ou n'importe quel élément de paysage qu'on ne peut pas facilement protéger, déplacer ou réparer), mais ce que ça dit surtout c'est quelque chose sur nous, pas sur les arbres.

Bon, au moins, le côté positif de la célébrité, c'est qu'il subsiste plein de photos.

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(vendredi)

Vulgarisation sur la notion d'oracle en informatique théorique

Méta : Ce billet est un rejeton d'un autre que j'ai commencé à rédiger sur un sujet technique (à savoir : les oracles en calculabilité au sens de Kihara) : en écrivant ce dernier je me suis dit que j'allais commencer par une introduction générale essentiellement grand public à la notion d'oracle (qu'est-ce que c'est que ce truc et pourquoi on les étudie ?). Mais finalement, comme cette introduction générale devenait un peu longue, et surtout comme elle ne vise en fait pas du tout le même public (ce qui suit ne se veut pas technique, le billet dont il est détaché présuppose des connaissances en calculabilité), et aussi parce qu'il y a toujours un risque que je ne finisse pas ce que je commence, je choisis de la publier séparément, plutôt que risquer de rebuter les lecteurs de l'un ou de l'autre. Du coup, je développe aussi un peu plus largement que ce qui était initialement prévu, au risque de rendre ce billet un peu bancal parce que j'ai repris plusieurs fois certains passages en changeant mon approche (notamment à force d'insérer des explications plus détaillées de choses que j'avais évoquées ailleurs, j'ai créé un certain nombre de redites : je pense qu'elles ne sont pas graves et j'ai la flemme de les traquer).

Quand (si !) je publierai l'autre billet, j'ajouterai un lien ici et réciproquement, pour qu'on puisse les lire successivement comme c'était initialement prévu. • Ajout : c'est ici.

À cause du fait que j'essaie de viser un public très large, je ne vais pas donner de définitions mathématiques précises (si j'utilise un terme technique comme exponentiel, on peut se contenter d'une idée très approximative de ce que c'est) ; mais du coup, il faut que prévienne que je vais dire des choses qui seront parfois techniquement incorrectes (même quand j'oublie de prendre les précautions oratoires du type très grossièrement, approximativement parlant, etc.). J'espère ne rien avoir dit de violemment faux, quand même, mais tout est à prendre avec les pincettes de rigueur : il s'agit juste de donner une toute petite idée du type de questions qu'on peut se poser dans quelques parties de l'informatique théorique et d'un outil intéressant (la notion d'oracle) pour y répondre et poser d'autres questions, pas de rentrer dans le moindre détail technique (pour ça, il y aura le deuxième volet, indépendant de celui-ci).

Pour les lecteurs qui ont la patience d'aller jusqu'au bout, il y a une petite énigme de logique(?) à la fin ; en fait, elle ne nécessite pas d'avoir lu ce qui précède, donc on peut la lire directement. (Bon, je ne sais pas si elle est intéressante, et je ne sais pas non plus à quel point elle est difficile. Je ne suis même pas complètement convaincu qu'elle ait un rapport avec le sujet, même si le contexte où je l'ai lue a clairement un rapport.)

Le concept d'oracle dont il est question ici est vient de l'informatique théorique (le terme oracle apparaît dans la thèse d'Alan Turing en 1938). Je voudrais essayer d'expliquer de façon très informelle, très vague aussi malheureusement (mais, j'espère, du coup, assez grand public) ce dont il est question.

Une partie de l'informatique théorique (l'algorithmique) s'intéresse, de façon positive, à trouver des moyens de résoudre des problèmes (mathématiquement bien définis), c'est-à-dire à concevoir des algorithmes qui les résolvent : un algorithme est un programme, un plan d'opération susceptible d'être mené dans un ordinateur — mais aussi en principe par un humain particulièrement patient — qui effectue une tâche calculatoire donnée. Par exemple, la manière dont on apprend à faire des additions et des multiplications à l'école primaire sont des algorithmes, même si ce ne sont pas forcément les plus intéressants, ils ont le mérite de nous rappeler qu'un algorithme ne tourne pas forcément sur un ordinateur, on peut aussi l'exécuter à la main (ce sera juste quelques milliards de fois plus lent…) ; d'ailleurs, le mot algorithme fait référence au mathématicien persan (écrivant en langue arabe) Muḥammad ibn Mūsá al-H̱wārizmī parce qu'il a décrit toutes sortes de méthodes systématiques pour résoudre des problèmes mathématiques, qu'on peut donc légitimement qualifier d'algorithmes, et c'était plus de 1000 ans avant l'invention des ordinateurs.

(Petite digression sur le terme algorithme : il semble qu'un mélange entre l'incompréhension des journalistes face à tout ce qui est technique et l'approximation des termes utilisés dans le contexte de l'intelligence artificielle ait fait dévier le sens du mot, dans l'image qu'en a le grand public, vers une sorte de synonyme de système opaque auquel on ne comprend rien. Certainement beaucoup de programmes utilisés dans l'ingénierie informatique moderne (notamment tout ce qui relève de l'IA) comportent énormément d'heuristiques et de méthodes mal comprises, parfois même mal comprises de leurs programmeurs ou concepteurs, et dont la réponse est parfois fausse ou mal spécifiée. Mais le sens d'algorithme en algorithmique désigne au contraire un plan bien défini et bien compris qui arrive à un résultat bien spécifié.)

Mais d'autres parties de l'informatique théorique s'intéressent non pas à concevoir des algorithmes efficaces pour résoudre tel ou tel problème, mais à se pencher sur la notion même d'algorithme et les limites théoriques du concept : que peut-on faire avec un ordinateur ?

Spécifiquement, on s'intéresse alors plutôt à des résultats négatifs : plutôt que résoudre tel ou tel problème c'est-à-dire concevoir un algorithme qui le résout, on s'attache à montrer que tel ou tel problème est difficile (long et coûteux) voire impossible à résoudre par un algorithme, ou au moins, à étudier cette difficulté, à la classifier et à la jauger. Je reste délibérément vague sur ce qu'un problème peut recouvrir ici et ce que difficile veut dire, mais je peux délimiter ici trois grands domaines où ce que je veux dire s'applique, et j'en profite pour parler un peu plus longuement de chacun des trois, en gros du plus théorique vers le plus appliqué (il n'est pas nécessaire de lire tout ce que j'écris sur chacun ci-dessous pour passer à la suite, mais je cherche à donner un minimum de contexte) :

  • La théorie de la calculabilité est la branche de l'informatique théorique (possiblement la plus proche des mathématiques pures, et notamment de la logique) qui étudie ce qu'on peut faire algorithmiquement avec des ressources illimitées, c'est-à-dire, en disposant d'un temps illimité et d'une mémoire illimitée. (Le mot illimité signifie ici fini mais arbitrairement grand, sans limite a priori : c'est-à-dire que les algorithmes en question doivent s'arrêter un jour en disant j'ai terminé, mais ils ont le droit de prendre autant de temps qu'ils veulent, tant que ce temps est fini ; idem pour la mémoire : ils ont le droit de stocker toutes les données qu'ils veulent tant que cet espace utilisé reste fini à tout moment. C'est donc la forme la plus abstraite et théorique de la question que peut-on faire avec un ordinateur ? qui est étudiée ici, et elle déborde sur des questions du type comment peut-on imaginer des types de machines fondamentalement et théoriquement plus puissantes qu'un ordinateur même si elles ne sont pas réalisables en pratique ? — mentionnons par exemple que même un ordinateur quantique, qui si on réussissait à en construire serait pour certains types de problèmes incroyablement plus efficace qu'un ordinateur tel que nous disposons actuellement, ne représente pas un saut qualitatif tel qu'il peut intéresser la calculabilité : pour la calculabilité, un ordinateur quantique, un ordinateur classique, un système d'engrenages mécaniques ou encore un humain extrêmement patient et systématique muni d'un stylo et d'un papier et exécutant mécaniquement des opérations prédéfinies valent exactement la même chose.)

    La calculabilité est un peu la mère de l'informatique, parce que c'est au travers de la recherche d'une formalisation de ce qu'est un algorithme, et ce qu'un algorithme peut faire, qu'Alonzo Church et son étudiant Alan Turing sont arrivés au concept de calculabilité ; la définition précise d'algorithme à laquelle Turing est arrivé, la machine de Turing, est considéré comme une préfiguration théorique de ce qu'est un ordinateur.

    Un des thèmes majeurs de la calculabilité, donc, c'est de montrer que, pour des raisons théoriques, certains types de problèmes (mathématiquement bien posés) ne sont pas résolubles algorithmiquement : même avec un temps illimité(-mais-fini) à votre disposition, et autant de mémoire, vous ne pourrez pas écrire un algorithme qui répond à coup sûr à certaines questions qui admettent pourtant une réponse bien définie.

    L'exemple archétypal à ce sujet est le problème de l'arrêt : très grossièrement, ce problème demande justement, donné un algorithme, i.e., une suite d'instructions à exécuter (qui peut, bien sûr, contenir des boucles, du type répéter les instructions suivantes tant qu'une certaine condition n'est pas vérifiée), et des valeurs à fournir en entrée à cet algorithme, si l'algorithme en question finit (i.e., si le calcul aboutit à un résultat). Le théorème majeur de Turing, qui est à la base de la théorie de la calculabilité (et donc, dans un certain sens, de l'informatique ; mais à l'origine il s'y intéressait pour des raisons liées à la logique mathématique et spécifiquement au théorème de Gödel), c'est qu'aucun algorithme ne peut résoudre le problème de l'arrêt : autrement dit, aucun algorithme ne peut dire à coup sûr si un autre algorithme s'arrête au bout d'un temps fini. (La seule façon de savoir est de l'exécuter, ce qu'on peut faire, mais quand on l'exécute, tant qu'il n'est pas fini, on n'est jamais sûr si le programme finira par terminer plus tard.) La raison de cette impossibilité est d'ailleurs étonnamment bête une fois qu'on a fait le travail de formalisation pour rendre rigoureuse la théorie : en gros, si un algorithme existait qui puisse dire à coup sûr si un algorithme donné s'arrête, on pourrait faire un algorithme qui l'interroge et fait le contraire de ce qu'il a prédit, ce qui le met en défaut. (C'est ce qu'on appelle un argument diagonal de Cantor.)

    La calculabilité ne se contente pas, en fait, de définir des problèmes résolubles ou non résolubles algorithmiquement, et de le montrer : il y a des problèmes plus ou moins impossibles à résoudre, et l'étude des degrés d'impossibilité (par exemple les degrés de Turing dont je dirai un mot plus bas, et que je définirai précisément dans le volet technique de ce billet) est un sujet de recherche qui court depuis Turing, mais l'outil de base pour ne serait-ce que formuler ce genre de questions est la notion d'oracle que je vais chercher à introduire ici.

  • La théorie de la complexité [algorithmique], cherche à être plus fine que la calculabilité : alors que la calculabilité donne aux algorithmes l'accès à des ressources (temps, mémoire) illimitées-mais-finies, la complexité s'intéresse à des problèmes résolubles par un algorithme, mais cherche à mesurer combien de temps ou de mémoire (ou parfois d'autres ressources) un algorithme devra utiliser, en fonction de la taille du problème qu'on leur pose, lorsque cette taille devient très grande. (Par exemple, combien d'étapes faut-il pour multiplier deux nombres de 100 chiffres ? de 1000 chiffres ? de 10 000 chiffres ? Avec l'algorithme qu'on apprend à l'école primaire, la réponse est en gros 10 000, 1 000 000 et 100 000 000 respectivement, parce qu'il faut multiplier chaque chiffre du multiplicande par chaque chiffre du multiplicateur avant d'ajouter tout ça : en complexité on appelle ça un algorithme quadratique. En fait, on peut faire beaucoup plus efficacement, et d'ailleurs au moins un algorithme de multiplication plus efficace sur les grands nombres que l'algorithme appris à l'école primaire peut vraiment servir à la main — enfin, pourrait servir à la main si on était dans un monde où nous n'avions pas un ordinateur en permanence avec nous.)

    La complexité est donc une discipline un peu plus applicable au monde réel que la calculabilité : alors que la calculabilité va nous donner des réponses du type vous ne pouvez pas résoudre ce problème avec un ordinateur, quel que soit le temps que vous soyez prêt à attendre ou oui vous pouvez, mais je n'ai aucune idée du temps nécessaire parce que ce n'est pas mon sujet, la complexité va chercher à voir plus précisément dans la deuxième catégorie entre des problèmes théoriquement-résolubles-mais-absolument-pas-en-pratique (un peu comme si vous cherchiez à multiplier à la main deux nombres de 1 000 000 000 000 chiffres… oui, en principe c'est possible) et des problèmes un peu plus abordables en pratique. (La complexité va aussi faire la différence entre différents types d'ordinateurs qui, pour la calculabilité sont équivalents, par exemple un ordinateur quantique permet plus de choses du point de vue de la complexité parce qu'il peut en quelque sorte mener plein de calculs en parallèle ; alors qu'en calculabilité il ne change rien du tout par rapport à un ordinateur classique.)

    Néanmoins, la complexité reste une discipline assez théorique parce qu'elle se penche sur le temps (ou la mémoire, ou une autre ressource) utilisés asymptotiquement : ici, asymptotiquement veut dire quand la taille de l'entrée de notre problème (i.e. l'instance précise) devient extrêmement grande (tend vers l'infini). C'est-à-dire que le but de la complexité n'est pas de savoir si vous allez prendre exactement tel ou tel temps pour multiplier deux grands entiers (disons) mais comment ce temps grandit quand les entiers deviennent très grands (est-ce que doubler la taille des nombres double le temps qu'il faut pour faire la multiplication ? plus ? moins ?). Tout simplement parce que c'est un peu plus abordable comme type de question (et que c'est déjà utile dans la pratique).

    La complexité définit toutes sortes de catégories de problèmes en fonction de la difficulté à les résoudre, mesurée sous la forme des ressources qu'on accepte d'allouer à un algorithme qui les résout. (Par exemple, de façon approximative, un problème est dit EXPTIME ou EXPSPACE s'il existe un algorithme qui le résout et dont le temps d'exécution ou respectivement la mémoire utilisée croît au plus exponentiellement dans la taille de la donnée ; on peut faire énormément de choses avec un temps ou une mémoire exponentielle, donc énormément de problèmes sont dans ces classes, qui ne sont pas d'un grand intérêt pratique, mais c'est quand même plus restrictif que les problèmes tout simplement calculables en ressource illimitées que j'ai évoqués plus haut.)

    Deux classes particulièrement importantes en calculabilité sont les classes P et NP. La classe P est très grossièrement celle des problèmes faciles (un peu plus précisément, ce sont ceux qui sont résolubles par un algorithme qui utilise un temps au plus polynomial dans la taille de l'entrée : linéaire, quadratique, cubique, quelque chose comme ça, mais exponentiel n'est pas permis) ; la classe NP est plus subtile : très grossièrement, ce sont les problèmes faciles à vérifier (mais pas forcément faciles à résoudre ; c'est-à-dire que si vous avez la réponse, la vérification qu'elle est correcte se fait essentiellement selon la classe P, mais par contre, si vous ne connaissez pas la réponse, il est possible qu'elle soit très difficile à trouver ; j'insiste sur le fait que mes explications sont très grossières et que je passe sur plein de subtilités théoriques).

    Un exemple de problème NP très simple à décrire est le suivant : je vous donne un tas de nombres (entiers positifs, disons) et un nombre-cible, et votre but est d'exprimer le nombre-cible comme somme de certains des nombres donnés. (C'est une variante très simple des « chiffres et les lettres » où on n'a le droit qu'à l'addition ! Ou bien imaginez que ce sont des pièces de monnaie dans un système monétaire bizarre, et vous voulez réussir à payer exactement un certain montant cible en ayant dans votre poche des pièces de certains montants donnés. Par exemple, si je vous donne les nombres 1, 3, 8, 17, 32, 51, 82, 127, 216, 329, 611, 956 et 1849, et que je vous demande de faire la somme 2146 avec, ce n'est pas évident d'y arriver sauf à tester énormément de combinaisons ; par contre, vérifier que 1 + 8 + 32 + 82 + 127 + 329 + 611 + 956 = 2146 est un calcul facile.)

    Parmi les classes que j'ai pas-vraiment-définies-mais-un-peu-évoquées, on a P ⊆ NP ⊆ EXPTIME, le symbole ‘⊆’ signifiant ici est inclus dans, c'est-à-dire que tout problème P (facile à résoudre) est en particulier NP (facile à vérifier), et que tout problème NP est lui-même, en particulier, EXPTIME (résoluble en temps exponentiel). (Ce dernier est à son tour inclus dans EXPSPACE mais peu importe.) On sait par ailleurs montrer qu'il existe des problèmes qui sont dans EXPTIME mais qui ne sont pas dans P (et on sait en décrire explicitement), autrement dit, des problèmes résolubles en temps exponentiels mais pas faciles pour autant (pas résolubles en temps polynomial) : ce n'est pas très surprenant, parce qu'une exponentielle grandit vraiment très vite, donc il n'est pas surprenant que certains problèmes puissent se résoudre en un temps exponentiel mais pas en un temps beaucoup plus limité, mais encore fallait-il le prouver (ce n'est pas très difficile, mais ce n'est pas complètement évident non plus). Bref, si voit P ⊆ NP ⊆ EXPTIME comme trois boîtes imbriquées, la plus à gauche est effectivement strictement plus petite que la plus à droite. Mais la question se pose de savoir comment est celle du milieu. En fait, on ne sait pas la situer ni par rapport à celle de gauche ni par rapport à celle de droite.

    Spécifiquement, une question centrale de la théorie de la complexité est de savoir si P=NP (en gros, est-ce que tout problème facile à vérifier est, en fait, facile à résoudre ?). On pense très fortement que la réponse est non (i.e., qu'il existe des problèmes qui sont dans NP et qui ne sont pas dans P ; on en a même plein de candidats, d'ailleurs celui que j'ai donné plus haut en est un), mais on ne sait pas le prouver (l'enjeu, ici, est de prouver rigoureusement qu'un problème est difficile au sens où il ne peut pas exister d'algorithme qui le résout facilement). Cette question PNP est même mise à prix à 1 000 000 $ (et attire régulièrement des « solutions » incorrectes de toutes parts).

    Pour en savoir plus sur la situation en complexité, cet article récent de vulgarisation (costaud !) dans le magazine Quanta, quoique long, n'est pas mauvais pour donner un aperçu, et expliquer un peu mieux que ce que je l'ai fait ce que c'est que cette histoire de PNP, ce qu'on sait dire à son sujet et quelle est la difficulté. Ce n'est pas vraiment mon propos ici d'en dire plus ici.

  • La cryptographie (enfin, peut-être que je devrais plutôt dire cryptologie ici) est l'étude scientifique de la sécurité de l'information : il s'agit de développer des techniques de chiffrement (comment transformer un message en un chiffré qui ne puisse être déchiffré qu'en ayant accès à une clé) ou ayant trait à d'autres questions de sécurité de l'information (signature électronique, authenticité, non-répudiation, partage de secrets, ce genre de choses). Mais plus précisément, ici, au sein de la cryptographie, j'ai à l'esprit la cryptographie à clés publiques (voir ce billet récent pour une explication de ce que ça signifie ; ce n'est pas très important ici).

    Une différence importante entre la calculabilité/complexité et la cryptographie est qu'en cryptographie il y a un adversaire (par exemple, s'agissant d'un chiffrement, l'adversaire est un attaquant hypothétique qui essaie d'obtenir des informations sur le message sans avoir la clé de déchiffrement, ou peut-être sur la clé en ayant connaissance du message et du chiffré, ou des variantes autour de ces questions). En calculabilité ou en complexité on s'intéresse à la difficulté de problèmes parce que ça mettra une borne sur ce que nous pourrons faire. En cryptographie, on s'intéresse à la difficulté plutôt parce que ça peut représenter un travail pour l'attaquant (donc la difficulté est souhaitable !). Spécifiquement, on voudrait concevoir des méthodes de chiffrement qui soient faciles à utiliser (c'est-à-dire, peu coûteuses algorithmiquement) quand on connaît la clé, mais extrêmement difficiles à casser, c'est-à-dire pour l'attaquant qui ne connaît pas la clé, et si possible, on voudrait prouver cette difficulté, ou au moins avoir des raisons un peu plus tangibles que je ne sais pas faire, donc c'est sans doute compliqué.

Bref, dans ces trois domaines (et il y en a sans doute d'autres dont j'ignore tout ou qui ne me viennent pas à l'esprit), pour des raisons un peu différentes et avec des notions de problème et de difficulté différentes, on peut chercher à montrer qu'un certain problème est difficile (voire, s'agissant de la calculabilité, impossible, mais je vais ranger ça sous l'étiquette vague difficile), ou étudier sa difficulté.

Bon, mais comment montre-t-on qu'un problème est difficile ?

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(jeudi)

Quelques remarques sur la climatisation

À chaque fois qu'il y a une grosse chaleur en France, on entend la même petite musique (venue essentiellement de ces partis politiques qui se prétendent écologistes et qui sont de plus en plus naturolâtres et/ou technophobes) pour dénoncer la climatisation, accusée de tous les maux : ce serait une forme d'égoïsme (on se rafraîchit en rejetant son air chaud sur les autres à l'extérieur), une dépense énergétique somptuaire, une mauvaise réponse au réchauffement climatique, ou je ne sais quoi encore. Le but de ce billet est de répondre un peu à ces reproches en rappelant un certain nombre de faits physiques ou économiques de base.

Divulgation complète pour commencer (← comment on dit full disclosure en français ?) : le poussinet et moi avons une pompe à chaleur (air/air) réversible, une Mitsubishi MXZ-3F54VF, que nous avons fait poser avant de nous installer dans notre nouvel appartement, et qui nous sert à la fois de chauffage (presque exclusif) en hiver et de clim en été. La pose de cette pompe à chaleur est d'ailleurs essentiellement les seuls travaux que nous ayons fait en nous installant dans cet appartement. Il s'agit d'un multi-split installé professionnellement, l'unité extérieure étant posée sur notre loggia et nous avons trois unités intérieures réglables séparément, une pour chaque pièce où nous vivons (salon, chambre, bureau ; nous ne chauffons pas spécialement la cuisine, ni la salle de bain sauf parfois le temps de prendre une douche). Je parlerai plus bas de la quantité d'énergie qu'elle consomme.

Mais la première chose que je veux souligner, c'est que le désir de fraîcheur en été chez soi n'est pas en soi moins légitime que le désir de chaleur en hiver : dès lors qu'on admet qu'il est normal que les gens se chauffent quand il fait froid, ce qu'on fait depuis des millénaires, il n'y a pas de raison de trouver inacceptable qu'on se refroidisse quand il fait chaud, ce qu'on ne fait pas depuis des millénaires pour la simple raison que la technologie des pompes à chaleur n'était pas disponible. Or il y a quelque chose de curieux à ce que, lors des canicules, on entende des voix moralisatrices s'élever pour la clim, décriée comme égoïste et dispendieuse, alors qu'il n'y en a pas lors des vagues de froid pour décrier tous les gens qui se chauffent (i.e., essentiellement tout le monde).

On peut d'ailleurs argumenter qu'il est même plus légitime de vouloir se rafraîchir en été : il n'y a pas de solution de repli contre la chaleur équivalente à ce que sont s'habiller chaudement (même à l'intérieur) ou multiplier les couettes du lit dans le cas du froid. La chaleur excessive peut rapidement devenir une menace pour la santé (le froid aussi bien sûr, mais il est vraiment difficile de s'approcher de tels niveaux en intérieur, dans un pays tempéré, même en l'absence de chauffage) ; or le réchauffement climatique va rendre les températures dangereusement chaudes de plus en plus fréquentes même dans un climat (autrefois) tempéré comme celui de la France métropolitaine : la climatisation fait partie de l'adaptation nécessaire à ce changement climatique, et il me semble que c'est une forme de climatoscepticisme que de nier son utilité.

Les moralisateurs anti-clim font valoir qu'il existe d'autres moyens de pallier les effets des chaleurs excessives : végétaliser les villes, construire des bâtiments mieux isolés (à la fois contre le chaud et contre le froid) ou conçus pour rayonner de nuit la chaleur absorbée pendant la journée. Loin de moi l'idée de nier l'intérêt de ces solutions : peut-être de toute façon que l'avenir est aux habitations troglodytes et que nous devrons apprendre à vivre en partie sous terre pour nous protéger des températures de surface devenues invivables (déjà pendant la canicule de 2003 je passais une bonne partie de mes journées au sous-sol). Je suis parfaitement d'accord, aussi, pour conspuer les architectes qui construisent des bâtiments tout en verre parce qu'ils trouvent ça joli mais qui rendent la clim absolument indispensable ; mais c'est une faute de logique que de confondre il est inacceptable que certains bâtiments mal conçus rendent la clim (encore plus) indispensable avec installer la clim est inacceptable — l'un est une injonction raisonnable adressée aux architectes, l'autre est une injonction moralisatrice adressée aux résidents (qui n'ont pas forcément choisi l'architecte). Accessoirement, même si on doit finir par mettre la clim partout, il serait au moins judicieux, sinon indispensable, d'aider son travail par des bâtiments conçus pour minimiser l'énergie qu'elle doit dépenser, et pour conserver un minimum le frais (ne serait-ce que pour le cas où la clim tombe en panne ou lorsqu'une chaleur carrément excessive la rend insuffisante).

Donc oui, il faut des bâtiments mieux conçus (et oui, il faut des îlots de fraîcheur urbains, mais ça ne règle pas du tout le problème des logements trop chauds, ça). Mais à moins de proposer de raser tout le bâti de France pour le reconstruire aux normes les plus récentes (ce qui, en-dehors du caractère irréaliste de la proposition, générerait des quantités hallucinantes de CO₂ !), il faut bien s'accommoder de ce qui existe. Oui, il faut aider à l'isolation des bâtiments existants, mais elle n'est pas toujours possible, et les habitants ne sont pas toujours ceux qui choisissent : la position consistant à les culpabiliser parce qu'ils ont un domicile mal isolé et/ou de leur dire de souffrir en silence (ou de trouver ailleurs où habiter) s'il fait 45°C dehors ne me semble pas vraiment tenable.

Je suis aussi d'accord pour dénoncer la climatisation excessive (notamment des lieux publics), comme d'ailleurs le chauffage excessif qui est d'ailleurs une cible plus sérieuse si on a l'économie d'énergie en tête : il me semble qu'on a fait des progrès en la matière et que ça fait quelques années que les centres commerciaux par exemple ne sont plus climatisés à 20°C même au plus chaud de l'été. (Ce qui, même en négligeant le gaspillage que ça constitue, n'est d'ailleurs même pas plaisant vu qu'on est habillé pour la chaleur : le choc thermique lorsqu'on franchit les portes est très désagréable, et passer devant une sortie d'air froid à l'intérieur — forcément glacial s'il s'agit de maintenir 20° malgré les pertes — ne l'est pas moins.) Il y a certainement des règles de bonne conduite à convenir pour la température intérieure à maintenir en fonction de la température extérieure (et la fonction du bâtiment) ; d'ailleurs je trouve un peu dommage que notre clim domestique ne permette pas de régler une cible dépendante de la température extérieure, même si je comprends que ce serait un peu complexe à utiliser.

Il faut aussi dire qu'il y a clim et clim. Beaucoup de gens ont sans doute encore en tête les clims monobloc mobiles avec un gros tuyau qui sert à souffler l'air chaud, souvent coincé un peu n'importe comment dans l'embrasure d'une fenêtre : ce type de clim ne peut servir qu'en mode clim et pas en mode chauffage (ou alors si elles peuvent elles sont rarement utilisées de la sorte pour les raisons que je vais dire) : terriblement inefficaces en plus d'être bruyantes, surtout quand l'installation est bricolée et rejette l'air chaud par une fenêtre entrouverte par laquelle une bonne partie de la chaleur va re-rentrer, on voit bien qu'en hiver personne ne voudrait garder une fenêtre entrouverte, c'est tout aussi absurde en été mais comme le frais est à ce prix on s'en accommode. Beaucoup de petits commerces font ainsi, certains particuliers aussi ; et il ne faut pas se cacher que si on décourage la pose de clims correctement installées, les clims monoblocs bricolées fleuriront partout qui sont un désastre énergétique.

Une clim bien posée, c'est un compresseur à l'extérieur, et des tuyaux (passant par un trou correctement isolé dans le mur) pour transférer un fluide caloporteur (qui peut être le même fluide réfrigérant utilisé dans le compresseur, ou bien de l'eau dans les grosses installations) vers les unités intérieures. La compresseur peut être tout à fait silencieux (le nôtre est étiqueté à 46dBA en mode clim, 50dBA en mode chauffage, en pratique c'est essentiellement inaudible depuis l'intérieur ou depuis la rue), les unités intérieures sont encore plus discrètes. Je vais revenir ci-dessous sur le souffle d'air chaud. Mais sinon, le principal problème réside dans le choix d'un endroit où poser l'unité extérieure : comme je l'ai écrit ci-dessus, nous avons installé la nôtre sur une loggia ouverte, ce qui la rend (presque) invisible depuis la rue, mais tout le monde n'a pas la chance de pouvoir faire ainsi : il va falloir décider collectivement si on préfère voir des compresseurs de clims posés en façade apparente, ou que les gens utilisent des monoblocs à travers des fenêtres entrouvertes (et/ou que le prix des logements où on ne peut pas installer de clim s'effondre).

(Bon, a priori il existe la solution « duale » où, au lieu que le compresseur soit à l'extérieur et que les unités intérieures soient de simples échangeurs, le compresseur est à l'intérieur et l'unité extérieure est un simple échangeur — il faut forcément un ventilateur pour évacuer l'air chaud, quand même. Elles sont sans doute plus adaptées lorsque l'espace en façade ne permet pas d'accrocher un gros compresseur. Mais j'ignore quelle est la bonne terminologie, ni quelle est leur existence sur le marché : malheureusement, toute tentative pour se renseigner sur les pompes à chaleur conduit à N réponses Google d'entreprises qui ne cherchent pas à vous renseigner mais à vous démontrer que leur camelote est la meilleure du monde.)

Mais le point crucial c'est surtout qu'une pompe à chaleur est par essence réversible : elle peut servir à la fois pour le chauffage ou pour le refroidissement, elle utilise une petite quantité d'énergie pour déplacer une plus grosse quantité de chaleur de l'intérieur vers l'extérieur ou vice versa. Je vais revenir sur l'aspect thermodynamique ci-dessous, mais le caractère réversible est essentiel. Il n'y a aucune différence conceptuelle théorique entre une clim et un chauffage par pompe à chaleur : il y a des différences d'ingénierie, mais dans la pratique, de nos jours, toute pompe à chaleur sérieuse peut servir dans les deux sens (même si sa conception peut chercher à privilégier l'un ou l'autre).

Or c'est un des éléments les plus importants de transition énergétique que de remplacer les chauffages traditionnels (électrique radiatif ou convectif, ou bien à combustible fossile) par des pompes à chaleur. Rappelons le fait thermodynamique basique suivant : un chauffage traditionnel, qui ne fait que dissiper de l'énergie en chaleur, est efficace « seulement » à 100% : chaque kW·h d'énergie qu'il consomme part bêtement en chaleur (il est impossible de faire moins en vertu du premier principe de la thermodynamique ; au pire, la chaleur pourrait s'enfuir de manière indésirée, par exemple si le radiateur est installé à côté d'un trou dans le mur, mais 100% de l'énergie dépensée finit forcément en chaleur, donc 100% est la plus faible efficacité possible). Une pompe à chaleur (utilisée en mode chauffage), en revanche, est efficace à nettement plus que 100%, parce qu'elle utilise l'énergie qu'elle consomme (qui va elle aussi finir en chaleur) pour prendre aussi de la chaleur de l'air froid extérieur et la transférer vers l'intérieur : on parle de coefficient de performance pour le rapport entre la puissance de chaleur émise à l'intérieur (ou dans le cas d'une clim, retirée) et la puissance (électrique) consommée (la différence étant prise à l'extérieur, puisque l'énergie totale doit être conservée, toujours d'après le premier principe de la thermodynamique). La nôtre, par exemple, a un coefficient de performance de 5 (c'est-à-dire qu'elle est efficace à 500%) en mode chauffage dans ses conditions nominales ; en pratique, comme je vais le dire plus bas, sur une longue période, d'après notre consommation électrique, ça semble plus proche de 2 ou 2.5, je ne sais pas bien, mais en tout cas c'est un gain important.

(Il faudrait insérer ici une petite digression sur le fait que le grand public est ignorant de la thermodynamique et que c'est une catastrophe vu l'importance qu'a ce sujet pour comprendre les enjeux du monde qui nous entoure et particulièrement de tout ce qui concerne l'énergie et le changement climatique. Je renvoie à ce passage d'un vieux billet, et/ou à ce fil Twitter (lisible ici sur Threadreaderapp si vous n'avez pas de compte sur TSNFKAT) qui est censé être encore plus accessible, pour les explications de base concernant la thermodynamique, mais le résumé ultra-rapide que je voudrais vraiment que tout le monde sache, c'est que ① la chaleur est une forme d'énergie et on ne peut ni créer ni détruire l'énergie, on ne peut que la déplacer ou la convertir, et ② tout mouvement de chaleur s'accompagne d'un mouvement d'une autre quantité, l'entropie, qui peut être créée et déplacée mais jamais détruite, et que plus la température d'un objet est élevée plus la quantité d'énergie sous forme de chaleur accompagnant une quantité donnée d'entropie transférée à cette objet est importante. Donc, une pompe à chaleur, utilisée en mode clim, elle veut retirer de la chaleur de la pièce, ce qui implique de lui retirer de l'entropie, mais comme l'entropie ne peut pas être détruite il va falloir l'envoyer dehors, mais comme le dehors est plus chaud que le dedans, cette même quantité d'entropie prise du dedans et envoyée dehors va demander d'envoyer une plus grande quantité de chaleur dehors que ce qu'on a pris dedans, et comme l'énergie doit aussi se conserver, la différence entre l'énergie prise dedans et cette envoyée dehors doit venir de l'électricité consommée par la clim. C'est la raison pour laquelle il faut forcément travailler pour refroidir une pièce quand il fait plus chaud dehors, et symétriquement, pour réchauffer une pièce quand il fait plus froid dehors : on ne peut pas juste magiquement déplacer la chaleur du froid vers le chaud en préservant l'énergie, il faut forcément payer en travail à cause du second principe de la thermodynamique. On peut rendre ça quantitatif : le coefficient de performance idéal — c'est-à-dire impossible à dépasser selon les règles de la thermodynamique — d'une pompe à chaleur est égal au rapport Tint/|TextTint| entre la température intérieure Tint mesurée en kelvins, c'est-à-dire 273.15K de plus que la température en degrés Celsius, et la différence |TextTint| entre les températures extérieures et intérieures. Mais bon, cette formule donne des coefficients de performance idéaux qui dépassent 15 dans presque toutes les conditions usuelles d'une pompe à chaleur, que ce soit en clim ou en chauffage, et dans la vraie vie les rendements sont bien moins bons. D'ailleurs, dans la vraie vie, je crois que la majeure partie du travail de la clim, au moins en mode clim, est d'évacuer non pas la chaleur de l'air mais la chaleur latente liée à la condensation de l'eau, parce que quand on refroidit de l'air humide une partie de la vapeur d'eau se condense et il faut évacuer l'enthalpie de cette condensation.)

En tout état de cause, le chauffage est un des principaux postes de consommation énergétique au moins domestique (pour ce qui est de l'électricité, par exemple, cf. mon billet précédent à ce sujet, la France consomme en hiver environ 1.9 GW de plus pour chaque degré de température en moins, cf. ce tweet ; la situation sur le gaz est évidemment analogue), et surtout sur lequel on a les plus grandes possibilités d'agir. Qu'il s'agisse de réduire les émissions de CO₂ (pour lesquelles évidemment il faut surtout réduire le chauffage au gaz ou, pire, au fioul) ou d'économiser l'énergie pour d'autres raisons, l'installation de pompes à chaleur est quelque chose d'éminemment souhaitables vu qu'elles permettent de gagner un facteur important (au moins 2, et peut-être jusqu'à 5 dans de bonnes conditions) sur la consommation d'énergie pour une chaleur produite égale.

Le fait que ces pompes à chaleur utiles pour économiser l'énergie de chauffage puissent également servir comme clims est un bonus qui au minimum constitue une façon d'inciter les gens à en installer, voire peut être considéré comme une adaptation au changement climatique.

Voici des chiffres à la louche concernant notre appartement (~90m² dans un immeuble des années 1990 donc pas trop mal isolé) : notre consommation électrique annuelle est d'environ 8500 kW·h par an moyennée sur l'année (soit environ 1000 W en continu). De ces 8500 kW·h, il y a environ 5400 kW·h de consommation hors pompe à chaleur (éclairage, ordinateurs, électroménager… mais surtout l'eau chaude[#]), 2500 kW·h de chauffage par pompe à chaleur, et grand maximum 600 kW·h de climatisation. (Tous ces chiffres sont vraiment à la louche, il n'y a pas d'année typique. La consommation de la pompe à chaleur est mesurée par un sous-compteur.) Combien est-ce qu'on gagne en ayant une pompe à chaleur ? Je le sais approximativement parce que nous avons été obligés de la déposer lors d'un ravalement de façade début 2022, donc nous sommes passés au chauffage électrique conventionnel pendant cette période, et on peut donc se faire une idée du rapport de consommation, c'est-à-dire le coefficient de performance en conditions réelles de notre pompe à chaleur : j'estime que si nous n'avions pas de pompe à chaleur, nous consommerions 5500 kW·h en chauffage (tout électrique) dans les mêmes conditions (au lieu de 2500 kW·h, i.e., le coefficient de performance est un peu supérieur à 2, ce qui est certes moins bon que le 5 nominal, mais ce n'est pas très étonnant).

[#] En été, l'essentiel de notre consommation électrique est celle du chauffe-eau (ceci se voit notamment au fait que nous consommons nettement plus en heures creuses qu'en heures pleines : notre chauffe-eau ne se déclenche qu'en heures creuses). Là aussi il y aurait évidemment intérêt à avoir une pompe à chaleur pour chauffer l'eau, mais celles-ci sont immensément compliquées et combinent les complexités de la plomberie à celles intrinsèques à une pompe à chaleur.

C'est-à-dire que cette pompe à chaleur (sans effort particulier de sobriété énergétique par ailleurs) nous fait économiser de l'ordre de 3000 kW·h par an sur le chauffage, dont nous redépensons au maximum 600 kW·h (environ le cinquième) en clim. Ou, si on préfère penser en termes de puissance, on a remplacé tous les convecteurs électriques de l'appartement (qui faisaient 1000 W ou 2000 W chacun) par une unique pompe à chaleur de 1400 W. Clairement on y gagne.

Et je pense que ces chiffres à la louche seront assez typiques : par rapport à un chauffage électrique traditionnel, une pompe à chaleur devrait faire gagner un facteur plus que 2 sur la consommation en chauffage, et s'en servir en clim ne reprend qu'une petite part de ce gain. Qu'on pense au niveau individuel (sur le montant de la facture d'électricité) ou au niveau collectif (sur la consommation énergétique du pays), le gain est clair : énergétiquement parlant, il y a tout intérêt à favoriser l'installation de pompes à chaleur, même si elles doivent servir de clim en été.

Une clim, en fait, ne consomme pas énormément (simplement parce que les différences de températures à combattre sont rarement énormes, en France métropolitaine, alors qu'en mode chauffage c'est une autre paire de manches : reprendre les chiffres de ce billet, notamment le graphe de la température moyenne, et comparer à une température typiquement désirable en intérieur). À peu près au moment où j'ai commencé à taper ce billet, il faisait 30°C dehors (ce qui est quand même assez rare à Paris), 24°C à l'intérieur, notre clim rejetait de l'air à 18°C dedans, à 36°C dehors, et elle consommait 340 W d'électricité pour ça (alors que nominalement elle peut monter jusqu'à 1320 W) : c'est en gros comme une ampoule halogène traditionnelle, ce n'est pas tellement plus de la gabegie énergétique que d'utiliser une telle ampoule. Je ne sais pas quelle est sa performance à ce moment précis, mais elle ne devait guère envoyer plus de 1200 W de chaleur dehors (je vais revenir sur ce point).

En outre, même dans la mesure où les clims consomment de l'énergie, elles le font surtout en été, où l'énergie a tendance à être plus abondante parce qu'il y a du solaire (et parce que, côté consommation, questions de chauffage mises à part, l'activité économique est moindre).

Même si les pics de chaleur doivent devenir plus nombreux et plus intenses à l'avenir à cause du réchauffement climatique, il y a énormément de marge, en tout cas dans un pays comme la France, avant que la clim s'approche du type de niveau de consommation que le chauffage peut atteindre : clairement on gagne à installer des pompes à chaleur, même si elles doivent aussi servir de clim.

Bon, mais si le problème de la clim n'est ni le droit intrinsèque de contrôler un peu la température qu'il fait chez soi, ni la consommation d'énergie associée, ni la gêne visuelle ou auditive, quel est-il ?

Il y a le problème de l'effet de serre causé par les fluides réfrigérants (en principe ce fluide circule en circuit fermé et ne doit pas s'échapper, et devrait être recyclé à la fin ; inévitablement, il peut y avoir des fuites ou des accidents, et je doute que le recyclage soit bien fait). Notre clim, par exemple, utilise du difluorométhane (R-32), qui a un potentiel d'effet de serre environ 700 fois supérieur au CO₂ (moyenné sur 100 ans) : comme il y en a 1.4 kg dans l'appareil, ça représente en gros l'équivalent de 1 tonne de CO₂ émis, à amortir sur la durée de vie de l'appareil (j'espère bien que celle-ci se compte en dizaines d'années !) : ce n'est pas du tout négligeable, mais ce n'est pas totalement monstrueux non plus (rien qu'avec l'électricité très largement décarbonée de la France, les ~2400 kW·h/an que nous économisons avec cette pompe à chaleur représentent ~150 kg de CO₂, donc amortissent l'effet de serre du fluide si la clim dure au moins 7 ans même s'il n'est pas recyclé à la fin et j'espère bien qu'il le sera ; si le chauffage remplacé était au gaz il n'y aurait même pas photo). Je crois que le problème de ces fluides réfrigérants se pose surtout pour les clims de voiture, qui sont bien plus malmenées, et bien moins souvent recyclées, que les clims domestiques. Mais ce problème est en tout cas en voie d'être réglé à mesure qu'on autorise des gaz qui n'ont pas ce problème de potentiel important d'effet de serre (bon, ils en ont d'autres, comme celui d'être inflammables ou irritants, mais les quantités ne sont pas grosses donc ce n'est pas forcément si grave ; les réfrigérants comme le R-32 ont eux-mêmes été introduits après qu'on avait interdit d'autres fluides, CFC, comme le dichlorodifluoromhéthane (R-12), qui détruisaient la couche d'ozone ; un jour on va bien finir par trouver un truc qui n'ait aucun inconvénient).

Bref.

Le reproche qui fait le plus sens, c'est celui de l'émission locale de chaleur (j'insiste sur le local : globalement, la chaleur produite directement par les activités humaines est complètement négligeable devant le forçage radiatif — « effet de serre » — que ces activités engendrent, et même au sein de la chaleur directement produite par les activités humaines, la clim est une partie minuscule). Il est vrai que la climatisation peut empirer les problèmes d'îlots de chaleur urbains.

Néanmoins, je pense que l'image mentale qu'on se fait de ce problème (réel) est déformée par deux fausses représentations. La première est celle des clims monobloc mobiles installées en vitesse (tuyau juste glissé dans l'embrasure d'une fenêtre) dont j'ai parlé plus haut : forcément, ces unités doivent lutter en permanence contre l'entrée d'air chaud qui accompagne la non isolation de leur sortie, elles émettent une quantité d'air chaud énorme dans un cycle futile, et c'est très désagréable quand on passe dehors : la solution, selon moi, n'est pas d'interdire les clims mais de favoriser les clims bien posées.

La seconde fausse représentation concerne le chaud émis par la clim. Je pense qu'elle vient d'une mauvaise compréhension de la thermodynamique, et spécifiquement de l'ignorance du premier principe : on a tendance à penser (ou au moins à se figurer inconsciemment) que la sortie d'air chaud de la clim est de la chaleur qu'elle rejette dans l'environnement. Mais bien sûr ce n'est pas le cas : la clim produit aussi du froid de l'autre côté, et ce froid finir forcément aussi par percoler dans l'environnement local (si le bâtiment climatisé était parfaitement isolé, le froid ne diffuserait pas, mais il n'y aurait pas besoin de clim puisque, justement, la température ne monterait pas : le fait qu'on ait besoin d'une clim est bien le signe que le chaud rentre, ou, ce qui signifie exactement la même chose, le froid sort). Évidemment si on se place juste devant la sortie d'air chaud de la clim, on reçoit la chaleur de celle-ci, mais dès qu'on considère un environnement un tout petit peu plus large, le bâtiment climatisé « rayonne du froid », si j'ose dire, justement parce qu'il est climatisé. La différence entre chaleur sortant de la sortie d'air chaud de la clim et le froid sortant du bâtiment climatisé, c'est le travail fourni par la clim : c'est ce que dit le premier principe de la thermodynamique — on ne peut ni créer ni détruire l'énergie, juste la déplacer ou la convertir.

Autrement dit, oui les clims émettent bien de la chaleur, mais la chaleur qu'elles émettent (à moins de considérer un environnement extrêmement local, l'environnement immédiat de la sortie d'air de la clim), ce n'est pas la chaleur libérée en sortie d'air chaud, c'est la consommation énergétique de la clim, et j'ai expliqué assez longuement qu'elle n'est pas énorme. Dans mon exemple numérique ci-dessus, si ma clim consomme 300 W électrique, et envoie disons 1200 W de chaleur à l'extérieur dont 900 W ont été pris à l'intérieur, le bilan net sur le pâté de maison est de 300 W, pas de 1200 W : c'est de l'ordre de grandeur d'une ampoule halogène traditionnelle, pas d'un four, et l'effet est en gros le même qu'un voisin qui allume une telle ampoule — pas nul, mais pas démesuré non plus.

Concernant les sorties d'air chaud, bien sûr qu'il vaudrait mieux les situer à des endroits où la chaleur va se dissiper le mieux possible, par exemple j'imagine sur les toits des immeubles. Raison pour laquelle il vaut mieux prévoir des immeubles avec clim dès la conception, mais bon, il faut bien faire avec le bâti existant (encore une fois, on ne va pas tout raser, ni réserver la clim à ceux qui peuvent se payer un logement neuf). Au demeurant, je ne vois pas pourquoi les sorties d'air seraient plus un problème en chaud (lorsque la pompe à chaleur sert à refroidir) qu'en froid (lorsque la pompe à chaleur sert à chauffer), et j'ai rarement entendu des plaintes au sujet des sorties d'air froid des pompes à chaleur (ce qui me conforte dans l'idée que ce sont surtout les monoblocs mobiles utilisés en clim de fortune qui sont problématiques).

C'est bien sûr encore mieux si on peut avoir des canalisation d'eau chaude ou froide servant à déplacer la chaleur en grandes quantités en-dehors des villes, et il y a ça dans une certaine mesure à Paris, mais pour toutes sortes de raisons pratiques le raccordement à ces réseaux des domiciles individuels, pour ne pas parler de ceux qui existent déjà, est très problématique, et encore une fois je pense que ce n'est pas tenable de dire aux gens de souffrir en silence s'il fait 45°C dehors sous prétexte que le raccord de leur domicile au réseau de froid n'est pas réalisable.

Au demeurant, la clim me semble surtout importante la nuit : il n'est pas agréable de supporter des températures élevées pendant la journée, mais il est encore plus important de pouvoir dormir dans un environnement raisonnablement frais (et d'emmagasiner un peu de frais pour la journée qui va suivre) lorsque les températures minimales sont elles-mêmes élevées : dans ces conditions, rejeter de l'air chaud dehors (la nuit, donc) n'est pas si grave.

Pour conclure, je pense qu'il est à la fois indéniable et inévitable que la climatisation fera à l'avenir partie des équipements considérés comme essentiels à la salubrité d'un logement, au même titre que l'électricité, l'eau courante ou un accès à Internet : on peut s'en lamenter mais elle constitue une adaptation indispensable face au changement climatique en même temps qu'un moyen de réduire notre consommation énergétique, et concernant ses nuisances il sera plus productif de chercher à définir des conditions permettant de les minimiser (modes d'installation collective, règles de bonne conduite sur la pose, la sortie d'air chaud, la température de consigne, les heures d'utilisation, etc.) plutôt que de vouloir culpabiliser ou interdire, ce qui ne fera que multiplier les installations sauvages qui auront tous les inconvénients en pire et ne permettront même pas de réaliser les gains en chauffage.

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