David Madore's WebLog: 2024-08

Vous êtes sur le blog de David Madore, qui, comme le reste de ce site web, parle de tout et de n'importe quoi (surtout de n'importe quoi, en fait), des maths à la moto et ma vie quotidienne, en passant par les langues, la politique, la philo de comptoir, la géographie, et beaucoup de râleries sur le fait que les ordinateurs ne marchent pas, ainsi que d'occasionnels rappels du fait que je préfère les garçons, et des petites fictions volontairement fragmentaires que je publie sous le nom collectif de fragments littéraires gratuits. • Ce blog eut été bilingue à ses débuts (certaines entrées étaient en anglais, d'autres en français, et quelques unes traduites dans les deux langues) ; il est maintenant presque exclusivement en français, mais je ne m'interdis pas d'écrire en anglais à l'occasion. • Pour naviguer, sachez que les entrées sont listées par ordre chronologique inverse (i.e., la plus récente est en haut). Cette page-ci rassemble les entrées publiées en août 2024 : il y a aussi un tableau par mois à la fin de cette page, et un index de toutes les entrées. Certaines de mes entrées sont rangées dans une ou plusieurs « catégories » (indiqués à la fin de l'entrée elle-même), mais ce système de rangement n'est pas très cohérent. Le permalien de chaque entrée est dans la date, et il est aussi rappelé avant et après le texte de l'entrée elle-même.

You are on David Madore's blog which, like the rest of this web site, is about everything and anything (mostly anything, really), from math to motorcycling and my daily life, but also languages, politics, amateur(ish) philosophy, geography, lots of ranting about the fact that computers don't work, occasional reminders of the fact that I prefer men, and some voluntarily fragmentary fictions that I publish under the collective name of gratuitous literary fragments. • This blog used to be bilingual at its beginning (some entries were in English, others in French, and a few translated in both languages); it is now almost exclusively in French, but I'm not ruling out writing English blog entries in the future. • To navigate, note that the entries are listed in reverse chronological order (i.e., the most recent is on top). This page lists the entries published in August 2024: there is also a table of months at the end of this page, and an index of all entries. Some entries are classified into one or more “categories” (indicated at the end of the entry itself), but this organization isn't very coherent. The permalink of each entry is in its date, and it is also reproduced before and after the text of the entry itself.

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(samedi)

Pourquoi l'interface des smartphones est-elle à ce point plus merdique que celle des ordinateurs ?

Mon smartphone actuel (un Pixel 4a de Google, acheté en juillet 2021 suite à un brickage accidentel du OnePlus 6 que j'avais précédemment) est en train de mourir, c'est-à-dire que sa batterie s'est mise à gonfler, donc il va falloir[#] que j'en achète un nouveau. Autant dire que la perspective de passer des jours à sauvegarder les données de l'ancien téléphone et de reconfigurer le nouveau autant que je possible à l'identique de l'ancien ne m'enchante pas. Mais j'ai déjà écrit un billet (lors de la migration de mon téléphone N−2 à mon téléphone N−1) pour expliquer combien l'opération est pénible, je ne vais peut-être pas le refaire pour la migration de N à N+1 ni à chaque fois que je rachète un téléphone, même si ce n'est pas l'envie qui me démange, à chaque fois, de raconter mes malheurs.

[#] On me fait remarquer que je peux sans doute trouver un réparateur prêt à changer la batterie. Je vais sans doute faire ça ne serait-ce que pour avoir un téléphone de secours, mais d'une part le gonflement de la batterie a endommagé la coque arrière, ce qui n'est sans doute pas très bon pour la solidité de l'appareil, d'autre part je suppose que le risque que le « réparateur » casse tout en essayant de changer une batterie pas prévue pour être changée est assez élevé, donc de toute façon il faut au minimum que je m'occupe de faire une sauvegarde complète[#1b] du téléphone.

[#1b] Je fais de toute façon des sauvegardes hebdomadaires des choses que je peux facilement sauvegarder (comme /data/data/com.android.providers.telephony/databases/mmssms.db). Mais une sauvegarde beaucoup plus complète, c'est vraiment très fastidieux.

Pour résumer quand même rapidement ce billet passé : Android[#2] ne fournit aucun système sérieux de sauvegarde des données du téléphone, ni aucun moyen de les extraire. La réponse de Google à ce problème, c'est en gros sauvegardez tout chez nous dans le cloud (ils proposent un truc qui fait ça, et c'est probablement ce qu'utilise la majorité des utilisateurs), mais c'est inacceptable à mes yeux, ne serait-ce que sur le principe parce que je n'ai pas l'autorisation de mes amis pour envoyer leurs coordonnées à Google, et même comme ça, ça semble marcher assez mal et ne concerner qu'une petite partie de ce que j'ai envie de sauvegarder d'un téléphone à l'autre. La manière dont je m'y prends, moi, c'est d'aller chercher application par application la base de données interne dans laquelle elle stocke son état, la recopier sur le nouveau téléphone, et prier pour que ça marche, et sinon, essayer de bidouiller comme je peux pour réparer le problème. Tout ça est immensément fastidieux, et je suis abasourdi qu'après 15 ans d'existence d'Android on en soit toujours à ce point lamentable[#3][#4].

[#2] Avertissement important pour les fanboys d'Apple : Je passe ce billet à me plaindre d'Android, parce que parmi les deux OS de smartphones qui dominent complètement le marché, c'est le seul que je connaisse un peu sérieusement. Mais il faut que je précise clairement que le mal que je dis d'Android ne doit pas être compris comme impliquant que j'aime bien iOS ou les iPhones ou l'écosystème d'Apple : je suis obligé de dire ça parce qu'à chaque fois que je parle d'Android il y a des pénibles qui viennent la ramener en parlant d'Apple. Peut-être qu'iOS permet plus facilement qu'Android d'extraire et sauvegarder les données d'une application du téléphone, de les modifier dans le dos de l'application, ou ce genre de choses, je n'en sais rien. Je crois comprendre que, pour les backups précisément, iOS est en effet infiniment meilleur qu'Android. Mais je crois aussi comprendre que l'iPhone ne permet même pas de faire tourner les applications qu'on veut dessus (qu'on aurait écrit soi-même, je veux dire) sans l'accord d'Apple, et qu'il a même fallu que la commission européenne tape du poing sur la table pour que les utilisateurs obtiennent ne serait-ce que le droit de faire tourner un autre navigateur Web que celui prévu par Apple. Et je suis par ailleurs sûr d'une chose, c'est qu'iOS ne peut pas être installé sur un téléphone autre que ceux d'Apple : donc même si iOS est peut-être moins pénible qu'Apple sur certains aspects précis dont je parle dans ce billet, il est beaucoup verrouillé plus sur d'autres aspects qui me paraissent encore plus importants (et dont je ne parle pas précisément parce que je n'ai pas de problème avec). Proposer d'aller voir chez iOS parce que j'ai un problème avec Android, c'est comme me proposer d'aller vivre à Dubaï quand je me plains de la France : c'est lunaire.

[#3] Bon, il semble que Lineage OS (la version communautaire d'Android que j'utilise) propose un truc appelé Seedvault qui est censé permettre une sorte de backup du téléphone sans faire appel au cloud de Google. Je n'ai aucune idée de ce qu'elle vaut. Je vais peut-être essayer (voir par exemple ce commentaire Reddit). Mais je n'en attends pas des miracles.

[#4] Un point me laisse quand même profondément perplexe : les geeks sont peut-être dans la minorité, mais je ne suis quand même pas le seul à utiliser un téléphone Android, à être relativement compétent techniquement ou amateur de bidouille, à ne pas vouloir envoyer toutes mes données chez Google les yeux fermés (quand bien même ça marcherait parfaitement), et à quand même avoir besoin de changer de téléphone de temps en temps. (La simple existence de versions alternatives d'Android comme Lineage OS le prouve.) Alors que font les autres ? Et pourquoi est-ce que je n'arrive à trouver aucune information à ce sujet ? Les quelques copains geeks que j'ai essayé de presser sur la question ont hoché les épaules de façon évasive, ont botté en touche, ou ont carrément refusé de répondre (j'ai un ami qui m'a carrément dit qu'il considérait tout ça comme si traumatisant qu'il refusait d'en parler). Je m'étais déjà plaint lors de la migration de mon téléphone N−3 au N−2 de combien Android est hostile à la bidouille, mais ça ne cesse de m'étonner à quel point l'environnement qui l'entoure est toxique.

Mais je voudrais évoquer ici quelque chose d'un peu plus général : la manière dont les smartphones ont réussi à prendre quelque chose de pas très satisfaisant pour commencer, à savoir les systèmes d'exploitation et interfaces utilisateurs des ordinateurs, et à le transformer en quelque chose de bien pire, en cassant beaucoup d'abstractions qui fonctionnaient assez bien (la notion de fichier, la portabilité d'une machine à l'autre, le multitâche, etc.).

Conceptuellement, il n'y a rien qui distingue un smartphone et un ordinateur doté de périphériques comme un modem 5G et un appareil photo. Pour le grand public ce sont peut-être des catégories différentes (je ne sais pas vraiment comment les choses se catégorisent dans l'esprit de Madame Michu), et les revendeurs d'appareils essaient plus ou moins d'entretenir cette différence, mais fondamentalement il n'y en a pas, et bien sûr les smartphones actuels sont aussi puissants que les ordinateurs personnels d'il y a quelques années. Il n'y a aucune raison pour qu'on ne puisse pas poser son smartphone sur une station d'accueil pour lui brancher une alimentation, un clavier, une souris, un grand écran et éventuellement un disque dur, et s'en servir ainsi comme d'un ordinateur. Même le cœur du système d'exploitation Android, le noyau Linux, est une version à peine modifiée du même Linux qui sert dans beaucoup d'ordinateurs (il est vrai plutôt des serveurs). En outre, de toute façon, on s'en sert pour faire en gros la même chose : à savoir, faire tourner un navigateur Web.

Pourtant, les concepteurs de smartphone et de systèmes d'exploitation pour ceux-ci ont réussi à imposer une façon complètement différente d'interagir avec l'appareil, et je ne parle pas que de l'interface graphique mais aussi de la notion d'apps (et d'app store), de l'intégration logiciel-matériel, de l'intégration apps-données, etc., qui font que le smartphone se présente comme relevant d'une catégorie ontologiquement différente de l'ordinateur.

☞ Retour sur l'interface homme-machine des ordinateurs

Commençons par passer un peu en revue les éléments l'interface utilisée par l'ordinateur tel qu'il est utilisé par le grand public, dans essentiellement toutes ses saveurs (Windows, Mac ou différentes interfaces graphiques de Linux). Dans tous les cas il s'agit d'un système d'organisation qui hérite des anciens systèmes d'exploitation (des années ~1970) tels que Unix ou VMS qui fonctionnaient avant tout en ligne de commande (on tapait des commandes dans un terminal, voire dans un télétype, et on obtenait des réponses sous cette forme) : ce n'est que progressivement que les programmes interactifs, visuels puis graphiques, sont apparus, et cette filiation se sent encore. C'est notamment ces systèmes d'exploitation qui ont introduit le concept d'arborescence de fichiers qui reste encore valable.

Les données, donc, sont organisées autour de la notion centrale de fichier : le fichier est une abstraction pour une unité de données ayant un nom et un emplacement, et plus ou moins un type[#5] (tel que document texte, document PDF, image JPEG, etc.), il a un « utilisateur propriétaire » mais il n'a pas vraiment d'« application propriétaire ». Les fichiers sont organisés en arborescence de répertoires, une notion qui remonte essentiellement à Unix, et qui sert à la fois à l'organisation interne du système et à la présentation à l'utilisateur : l'arborescence de fichiers est donc essentiellement la même au niveau de l'interface ligne de commande que de l'interface graphique. Pour ne pas embrouiller l'utilisateur techniquement peu compétent, on ne lui présente simplement qu'un petit bout de l'arborescence, à savoir celle qui le concerne (son répertoire personnel, ou home dans la terminologie Unix), et on la présente sous forme graphique en montrant chaque fichier par une icône correspondant à son type, avec son nom en-dessous, et chaque répertoire, ou dossier comme une fenêtre qui peut s'ouvrir sur le bureau et qui montre les fichiers qu'il contient. Je simplifie un peu, mais c'est l'idée. Qui ne semble pas marcher si mal que ça.

[#5] Unix n'avait pas de notion de type de fichier, et il n'en a toujours pas vraiment : un fichier est juste une succession quelconque d'octets, et le système ne se soucie pas de ce qu'il représente. Pour la commodité des utilisateurs, la convention est née d'indiquer le type par une extension au nom du fichier (par exemple .txt pour un fichier texte brut ou .pdf pour un document PDF). Une notion de type un peu plus structurée a été introduite ultérieurement dans le cadre de l'infrastructure mail avec le type MIME, et les interfaces graphiques sur ordinateur tendent, de façon certes un peu aléatoire et incohérente, à attacher un type MIME à chaque fichier. Mais ce n'est pas vraiment imposé par le système.

Ça c'est pour l'organisation des données. Le code, c'est-à-dire les programmes, est présenté de façon un peu plus variée (les applications peuvent être montrées comme les fichiers d'un dossier applications, ou dans un rangement spécial), mais l'idée est toujours la même : chaque application permet d'accéder à l'ensemble des données stockées sur la machine sous forme de fichiers, et même s'il peut y avoir une association privilégiée (tel fichier s'ouvrira par défaut avec telle application), il n'y a pas vraiment de concept d'application propriétaire d'un fichier : si des données sont visibles avec une application, elles doivent l'être aussi avec une autre.

De même que les fichiers n'ont pas d'application propriétaire[#6], ils n'ont pas non plus d'ordinateur propriétaire : on peut les copier sur un stockage externe (comme une clé USB ou un disque externe), et ainsi les envoyer sur un autre ordinateur où ils pourront servir. On peut, bien sûr, les échanger par toutes sortes de protocoles Internet (par exemple en pièce jointe d'un mail).

[#6] En revanche ils peuvent avoir un utilisateur propriétaire, mais je n'en parle pas trop parce que l'usage des ordinateurs est de plus en plus personnel donc mono-utilisateur. À vrai dire, je ne sais pas si on sait encore faire un système d'exploitation véritablement multi-utilisateur, de nos jours (le fait que les serveurs utilisent tellement la « virtualisation » prouve que la séparation entre utilisateurs des OS qu'on fait tourner sur ces machines virtuelles est inadaptée — soit insuffisante soit au contraire trop rigide : une séparation bien faite permettrait, au niveau de l'OS de faire tout ce que la virtualisation permet). Mais ceci est une digression par rapport à mon sujet.

Au niveau interface graphique, chaque application se présente comme une fenêtre sur le bureau (qu'on va pouvoir mettre en plein écran si on veut se concentrer dessus). Il est vrai qu'il n'est pas toujours très clair si on peut lancer plusieurs instances d'une même application : alors que dans la ligne de commande Unix c'est une évidence qu'on peut normalement lancer plusieurs fois le même programme, dans une interface graphique ce n'est pas toujours évident, certains programmes vont simplement vous renvoyer vers l'instance déjà lancée ; mais au moins, si c'est le cas, ils vont vous permettre d'ouvrir plusieurs fenêtres du même programme, par exemple dans un traitement de texte pour éditer plusieurs documents, et cela apparaît donc visuellement comme si on avait lancé deux instances du même programme.

Les applications ont besoin de stocker des données d'état persistant : ceci correspond à une convention, apparue progressivement avec les interfaces graphiques, et dont on peut d'ailleurs contester le mérite, qui est que quand l'utilisateur change un paramètre dans une application (du genre, le format de papier, la langue par défaut, la police de caractère, que sais-je), quitte cette application et la relance, le réglage est dans l'état où il a été laissé en quittant l'application (plutôt que de redémarrer l'application à chaque fois dans un état vierge, ou de ne sauvegarder l'état des préférences que si l'utilisateur a choisi explicitement de le faire). La manière dont ces données d'état persistant sont stockées est plus épineuse parce que c'est une invention postérieure, et tous les systèmes d'exploitation ne se sont pas mis d'accord sur les mécanismes pour ça, ni toutes les applications sur la manière dont elles utiliseraient ces mécanismes. Un mécanisme possible pour stocker l'état des applications est celui du fichier de configuration : l'application va lire un fichier spécial lors de son démarrage, qui lui dit quoi appliquer comme réglages par défaut, et elle peut sauvegarder ce fichier lorsqu'elle quitte avec les changements faits par l'utilisateur. Le cas du système de configuration « mixte », c'est-à-dire qui peut être modifié manuellement par l'utilisateur (avec un éditeur de texte) ou automatiquement par l'application (lorsque l'utilisateur change un réglage) est un compromis peut-être un peu bâtard, et plus compliqué à gérer, entre ces deux possibilités, et on tend de plus en plus à utiliser des fichiers de configuration plus ou moins cachés, que l'utilisateur n'est pas censé éditer directement (si vous voulez changer les réglages, passez par l'application !), parce que c'est plus facile pour le novice ; certains fichiers de configuration sont même opaques, c'est-à-dire que leur format n'est pas documenté par l'application ; et certains systèmes d'exploitation fournissent d'autres mécanismes que le fichier pour stocker ce genre de préférences (comme des clés de paramétrages, ou bases de registre, ou ce genre de choses, qui vivent dans leur propre arborescence, distincte des fichiers). Bien entendu, les données d'état d'une application sont censées être la propriété de l'application qui les a créée.

La raison pour laquelle je raconte tout ça, c'est que les smartphones ont en gros pris ce modèle d'état persistant par application, et l'ont poussé à fond, au détriment du modèle de l'arborescence de fichiers.

☞ Disparition de la notion de fichier sur mobile

Il y a bien une notion d'arborescence de fichiers sous Android (puisque, sous le capot, c'est en fait un Linux, donc un Unix), mais elle est ⓐ presque complètement cachée à l'utilisateur (lequel n'a aucune idée, par exemple, que ses SMS sont stockés dans /data/data/com.android.providers.telephony/databases/mmssms.db et ne verra jamais ce nom de fichier apparaître nulle part), et ⓑ même pas vraiment familière aux utilisateurs d'Unix (par exemple il n'y a pas le /usr dont on a l'habitude). Cette arborescence de fichiers Android est un détail d'implémentation presque secret.

L'utilisateur d'un smartphone n'a pas face à lui des fichiers mais des applications, et ça change tout.

Autrement dit, dans le modèle d'interface des smartphones, au lieu d'avoir un espace commun, l'arborescence de fichiers, dans lequel on peut faire tourner différents programmes, on a plein de petits mondes cloisonnés, les applications (et même si les mots programme et application sont dans une large mesure interchangeable, le fait d'utiliser plutôt le second dans le cas des smartphones suggère une façon différente de les penser[#7]). Chaque application a son petit monde de données (les sauvegardes d'un jeu, les contacts du téléphone, les notes d'une application bloc-notes, les cartes d'une application de cartographie), mais par défaut ils sont hermétiquement séparés. Autrement dit, le monde des smartphones a pris la notion de données d'état d'une application qui existait dans le monde des ordinateurs et l'a poussé à son extrême : ce ne sont plus juste des réglages qui sont stockés de façon « interne » à l'application, c'est en gros l'ensemble de ses données.

[#7] Déjà, un aspect que je déteste avec les smartphones est que dès que vous avez un problème, même quand il s'agit de quelque chose d'extrêmement basique qui devrait faire partie des fonctions intégrées du système, on vous propose de résoudre ce problème en installant encore une app de plus, comme si c'était normal. Ceci donne naissance à un écosystème toxique où non seulement les apps sont essentiellement toutes propriétaires (et soit payantes soit infestées de pubs), mais nombre d'entre elles sont carrément malicieuses : en exploitant les lacunes du système d'exploitation à son niveau le plus basique, elles convainquent les utilisateurs de les installer pour remédier à ces lacunes, et en profitent pour lui soutirer des choses (le faire payer, lui faire regarder des pubs, lui voler ses données, ou carrément prendre le contrôle du téléphone). Il faudrait peut-être se demander pourquoi il y a tellement d'apps malicieuses sous Android et tellement peu sous Linux-sur-PC.

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(jeudi)

Parlons un peu des JO et du sport de compétition

Cet été, Paris a hébergé une compétition internationale dont je ne sais même pas si j'ai le droit de dire le nom tellement le Comité International O****ique est sourcilleux sur sa propriété intellectuelle[#], et la deuxième phase (dont je ne comprends pas bien dans quelle mesure ça fait partie du même événement ou si c'est un événement complètement séparé qui se trouve avoir lieu au même endroit dans la foulée) se déroule encore au moment où j'écris. Je me dis que ce serait l'occasion d'écrire quelques mots sur ce que je pense du sport de compétition.

[#] Je dis ça en rigolant, mais, sérieusement, l'attitude extraordinairement agressive avec laquelle cette organisation défend son pré carré et sa propriété intellectuelle (par exemple sur ce logo à anneaux que tout le monde connaît mais qu'il faut payer pour utiliser) est un révélateur qui me semble significatif de l'ambiance globalement malsaine que j'évoque tout au long de ce billet : on n'est pas là pour un idéal de valeurs partagées par l'Humanité tout entière mais pour un gros business bien juteux.

Mais quand j'y pense, je me retrouve un peu en mode il y a tellement de choses qui ne vont pas que je ne sais pas par où commencer (pardon pour le langage un peu fleuri, mais quand j'y réfléchis, j'ai plusieurs fois eu l'impression d'être en train de disséquer un étron et de trouver un autre étron plus petit à l'intérieur), donc ce billet va partir un peu dans toutes les directions, et le nombre de notes en bas de paragraphe en est d'ailleurs témoin.

Parties :

La ville bloquée pour les jeux

☞ La privatisation de l'espace public

Je pourrais commencer par l'impact de cette fameuse compétition (celle qui a lieu tous les quatre ans) sur la ville organisatrice. J'ai écrit un fil Twitter et sa suite ici (voyez ici et sur ThreadReaderApp ou bien ici et via Nitter si vous ne voyez pas aller sur Twitter ; ou ici et si vous préférez Bluesky) pour décrire un peu les choses telles que je les ai vues à Paris en cet été 2024 ; ce fil est d'ailleurs devenu assez « viral » sur Twitter (10.7 millions de vues, 67 582 likes et 10 309 reposts, je ne dis pas ça pour me vanter parce ce genre de choses dépend surtout du hasard, mais ce n'est, disons, pas l'audience que je fais habituellement quand je parle de maths, et ça suggère quand même un peu que j'ai fait vibrer une corde sensible), et d'ailleurs un journaliste de la BBC m'a même demandé si je pouvais faire une interview télé sur le sujet[#2].

[#2] Finalement ça n'a pas eu lieu (et j'en suis peut-être un peu soulagé, même si je n'étais pas forcé d'accepter) parce que l'actualité politique américaine était quand même plus importante qu'entendre David Madore râler contre les jeux à Paris.

Il y a plusieurs sous-aspects là-dedans. D'abord, je trouve en soi scandaleux qu'on privatise une ville pour un spectacle : l'espace public est censé être pour l'usage de tous, il n'est pas normal qu'on en attribue la jouissance exclusive à une manifestation privée. J'utilise à dessein l'adjectif privé, non seulement parce que le Comité International O***pique est organisme de droit privé[#3] malgré ses tentatives pour faire croire qu'il est une sorte d'ONU du sport, mais surtout, de façon plus pragmatique, parce qu'on conditionne l'accès à un espace public à la détention d'un billet (et pas peu cher) : la situation est donc très différente de, disons, l'utilisation de l'espace public pour une manifestation politique ou festive, ou quelque chose comme un spectacle en plein air ouvert à tous ; il est vrai qu'on accorde régulièrement des autorisations de tournage de films dans Paris, mais d'une part celles-ci sont conditionnées au paiement d'une redevance par le producteur, et d'autre part les conditions prévoient toujours que la circulation des piétons ne sera interrompue que pendant des très brèves périodes le temps d'une prise. Rien de tout ça n'est comparable à ces jeux qui ont opéré la privatisation d'une partie énorme de Paris, la fermeture de nombreuses stations de métro[#4] et de voies de circulation[#5] desservant Paris pendant des semaines.

[#3] Même si sa nature juridique est, il est vrai, un peu complexe : à ce sujet, je renvoie vers les documents liés dans la note #14 d'un billet récent.

[#4] Particulièrement scandaleuse est la fermeture de stations de correspondance quand on considère qu'elles ont été fermées même à la correspondance. L'argument complètement débile qui a été donné était : on ne peut pas permettre la correspondance lorsque l'accès est fermé parce que s'il y a besoin d'évacuer ce n'est pas possible. À quoi la réponse évidente est : eh bien gardez les sorties comme sorties de secours uniquement ! De toute façon vous ferez quoi si quelqu'un tire le signal d'alarme alors que la rame passe pile à cet endroit, ou s'il y a un incendie à ce moment-là ? Il faudra bien évacuer par là. (Et si le problème est qu'on a peur que quelqu'un fasse ça malicieusement, et en profite pour entrer dans le périmètre sécurisé malgré les zillions de flics partout, eh bien c'est la preuve que votre plan est complètement idiot et qu'il ne fallait pas faire ces jeux à Paris. Parce que les zones d'échange qui n'ont que des sorties de secours, c'est quand même tout à fait standard.)

[#5] Ces voies dédiées JO sont un scandale dans le scandale, un étron dans l'étron, d'autant plus qu'il semble que ce soit un caprice de star de la part du CIO. Les seules personnes qui ont légitimité morale à avoir une forme de priorité sur la route, ce sont les services d'urgence (pompiers, aide médicale d'urgence, police en intervention urgente). C'est déjà évident qu'en France la police abuse de façon grossière de son deux-ton. C'est encore plus honteux que les officiels de la République (président de la République, ministres, préfets et compagnie) profitent de leur rôle officiel pour se faire attribuer un deux-ton ou une escorte policière — je trouve qu'il faudrait leur retirer ce droit, ce qui contribuerait certainement à ce qu'ils soient plus compétents pour améliorer la fluidité du trafic routier où ils devraient poireauter avec tout le monde — mais au moins ces gens-là ont quelque légitimité démocratique à être traités différemment. Qu'on ait accordé aux officiels d'une organisation sportive privée un privilège exorbitant sur les routes d'Île-de-France est une violation grossière du principe d'égalité devant la Loi.

Le gros de ma colère va contre la décision de tenir la cérémonie d'ouverture sur la Seine, donc, de facto, de privatiser la Seine. Qu'on installe quelques stades temporaires çà et là avec un périmètre autour pour les épreuves elles-mêmes me semble, sinon acceptable, disons moins inacceptable. Et je répète que ma critique ne porte pas sur le fait, en soi, de tenir un spectacle sur la Seine, mais sur le fait que l'accès à la zone concernée soit réservée aux spectateurs munis de billet : l'espace public est censé être un bien public, ça ne devrait pas être dans le pouvoir ni de la ville ni du gouvernement français de le privatiser, fût-ce temporairement, de la sorte — et il me semble que si l'ordre juridique français le permet, c'est qu'il faut le revoir pour rendre une telle chose impossible.

(Là il faut faut que je réponde préventivement aux idiots qui seront tentés de dire mais une cérémonie comme celle des JO, surtout dans un endroit pareil, si on ne restreint pas l'accès d'une manière ou d'une autre, ce n'est pas gérable du tout, parce qu'on m'a fait N fois des objections de ce genre : la réponse c'est simplement que si on ne peut pas le faire sans restreindre l'accès à l'espace public, eh bien il ne faut pas le faire du tout. Si on ne peut pas concilier les impératifs du spectacle avec ceux qui devraient faire partie des fondements de la société comme l'interdiction d'aliéner ou de privatiser à une telle ampleur l'espace public, alors ce sont les impératifs du spectacle qui doivent céder. Personne n'obligeait à ce que ces jeux aient lieu à Paris, ni, même sous cette contrainte, que cette cérémonie ait lieu sur la Seine.)

☞ Police et surveillance pour un spectacle

Mais ce n'est pas juste que l'espace public a été privatisé à grande échelle pour cette cérémonie, c'est aussi que cette privatisation s'est faite à grand renfort de moyens policiers complètement inouïs : qu'on restreigne la circulation des véhicules motorisés est une chose, mais on est allé jusqu'à interdire celle des piétons dans toute une bande autour de la Seine, et pendant une semaine avant la cérémonie. Les habitants du secteur concerné (ou les personnes y travaillant) devaient s'enregistrer à l'avance auprès des autorités policières pour avoir le droit de rentrer chez eux, et non seulement ça impliquait d'être fiché, mais il n'y avait même pas de garantie que le laisser-passer fût accordé[#6] au bout de la démarche. On a aussi vu des barrières apparaître un peu partout dans Paris (dont la fonction n'est franchement pas très claire). Et toutes sortes de moyens policiers exceptionnels (usage de l'IA dans la vidéosurveillance, usage de drones, etc.) ont été déployés de façon censément « exceptionnelle » et qui, bizarrement, vont être prolongés bien au-delà de la durée de la compétition en question.

[#6] Ceci mériterait un développement plus approfondi, mais je rappelle à toutes fins utiles qu'il n'est absolument pas normal ou acceptable que, sous prétexte qu'une personne est considérée comme dangereuse par les services de renseignement ou de sécurité, ses droits soient restreints de quelque manière que ce soit (assignation à résidence, ou au contraire interdiction d'y retourner, ou quelque restriction du genre) : la classification utilisée par ces services (comme le fameux fichage ‘S’) peut légitimement leur servir à décider quelles personnes surveiller, mais les libertés individuelles de la personne fichée ne devraient jamais, dans un état de droit, être limitées autrement que sous l'effet d'une décision de justice. En tout état de cause, ni la police ni aucune branche du pouvoir exécutif ne doit ni avoir le pouvoir d'empêcher quelqu'un de sortir de chez lui ni de rentrer chez lui (une société qui le pense est prête à sacrifier des libertés essentielles pour une sécurité temporaire et ne mérite ni la liberté ni la sécurité). Là aussi, il me semble assez urgent de modifier le droit français pour retirer à l'exécutif des pouvoirs dont ils ne devraient pas disposer.

Je n'étais pas du tout content des mesures d'absurdistan autoritaire prises pendant la pandémie, mais au moins ces mesures avaient une justification assez sérieuse (s'il y a quelque chose à débattre, c'est si les mesures étaient en adéquation à cette justification, si elles servaient vraiment). Là on parle juste d'un grand spectacle.

Je trouve extrêmement représentatif du délitement des libertés fondamentales et de l'attachement populaire à celles-ci dont je parlais récemment que, dans la mesure où il y a eu un scandale autour de cette cérémonie d'ouverture, c'était parce qu'elle était jugée trop woke ou trop peu respectueuse de telle iconographie religieuse ou autres débats complètement futiles et stupides, mais rien concernant le principe même d'avoir privatisé l'espace public et d'avoir déployé des moyens policiers nouveaux et dangereux pour les libertés publiques pour ce qui reste un spectacle privé. Rien concernant le fait d'avoir barricadé une grande partie de Paris pour ce spectacle.

(Comme plus haut, il faut faut que je réponde préventivement aux idiots qui seront tentés de dire mais une cérémonie en plein air comme ça, si le risque terroriste est élevé, requiert des moyens policiers extraordinaires qu'on m'a, là aussi, faite N fois : la réponse c'est simplement que si on ne peut pas tenir la cérémonie sans risque sur la sécurité et sans moyens policiers extraordinaires, eh bien il ne faut pas le faire du tout. Si on ne peut pas concilier Ⓐ le spectacle de la cérémonie, Ⓑ la sécurité contre le terrorisme, et Ⓒ les libertés fondamentales et plus largement la vie normale dans la ville, eh bien il faut sacrifier le moins important, et en l'occurrence c'est Ⓐ — on peut éventuellement discuter de l'importance relative de Ⓑ et de Ⓒ, j'ai mon idée là-dessus et vous la devinerez facilement, mais tout le monde doit être d'accord sur le fait que Ⓐ est moins important que Ⓑ ou Ⓒ. De nouveau, personne n'obligeait à ce que ces jeux aient lieu à Paris, ni, même sous cette contrainte, que cette cérémonie ait lieu sur la Seine.)

Il est difficile de savoir ce que les Parisiens dans leur ensemble ont pensé de ces jeux (indiscutablement, il y a des gens qui étaient enthousiastes), mais on comprend qu'au moins certains aient été assez irrités qu'on leur dise, en substance : On organise une énorme fête chez vous, et vous n'êtes pas invités, d'ailleurs vous n'aurez pas du tout le droit de venir, on va mettre de la police partout pour vous en empêcher. Et, au fait, ce sera à vous de payer. Et merci de sourire parce que le monde entier vous regarde. Si vous voulez voir quelque chose, ce sera à la télé. Enfin, selon vos abonnements, parce que les images sont soumises à un copyright qui ne sera pas pour vous non plus. Gros bisous de Lausanne !

Il y aurait encore des choses à dire sur l'argent que coûte toute cette extravagance[#7] (alors que les finances tant de la France que de la ville de Paris sont assez mal en point pour ne pas avoir besoin de cette charge supplémentaire) pour ce qui ressemble à une opération de glorification de quelques dirigeants politiques, mais là je dois convenir que, même si je ne suis pas personnellement d'accord avec la dépense, ça fait partie du périmètre normal de responsabilités des politiques[#8] qui l'ont actée. Et tout ceci est un peu une longue digression, donc passons plutôt au sujet du sport.

[#7] Reconnaissons quand même qu'il y a eu un effort assez authentique pour éviter une gabegie du même niveau que les quelques dernières occurrences de cette exubérance quadriennale. Donc à l'heure des comptes ce sera sans doute moins catastrophique que ça aurait pu l'être.

[#8] Je garde quand même au travers de la gorge que l'actuelle maire de Paris, qui pendant la campagne électorale de 2014 s'était montrée très réticente vis-à-vis de ces jeux (à la différence de sa principale opposante) a changé d'avis sans qu'on nous dise exactement pourquoi.

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(lundi)

Le Vexin, et mon sens de l'orientation

J'ai commencé il y a quelques mois à écrire une série de billets sur le tourisme en Île-de-France : il n'y a eu que deux parties (ici et ) pour l'instant, et je ne sais pas si (et encore moins quand) je trouverai la patience de continuer la série, mais je voudrais parler un peu du Vexin, parce que c'est possiblement le coin de l'Île-de-France que je préfère, mais aussi de ce qu'il m'a permis de comprendre sur le fonctionnement de mon propre sens de l'orientation. Je pourrai toujours copier-coller des bouts de ce billet ailleurs ou l'inclure par référence si je décide de continuer la série sur le tourisme.

[Personne de dos prenant une photo devant un paysage]

Image : Le poussinet photographiant une vue du Vexin (photo prise ici à Grisy-les-Plâtres le )

Le Vexin, donc, c'est le coin nord-ouest de la région Île-de-France. Enfin, plus correctement, je parle ici du Vexin français, par opposition au Vexin normand plus à l'ouest (que je connais moins bien, mais quand même un petit peu : forcément je vais être amené à en dire quelques mots aussi, mais je me concentre quand même surtout sur le Vexin français, et la distinction entre les deux n'est pas qu'administrative et historique, elle est aussi géographique voire géologique). L'extrémité nord-ouest (pour une certaine définition d'extrémité nord-ouest) de la région est d'ailleurs, en gros, le point triple entre les régions Île-de-France, Normandie et Hauts de France (ex Picardie), et on sait que j'ai une certaine fascination pour les points triples.

Il s'agit d'une province historique (résultant de la séparation de l'ancien pays de la tribu gauloise des Véliocasses en deux, le long de la rivière Epte, par le traité de Saint-Clair-sur-Epte en 911 : Vexin normand rive droite de l'Epte, et Vexin français rive gauche), mais sa délimitation actuelle est celle du parc naturel régional du Vexin français, dont les limites sont montrées ici sur OpenStreetMap. Administrativement, il s'agit plus ou moins du département du Val d'Oise, même si celui des Yvelines vient mordre sur la partie sud du Vexin (je ne sais pas pourquoi la limite a été placée où elle l'est, et pas à la Seine).

En voici la carte sur Géoportail ainsi que la carte topographique « Top25 » qui permet peut-être mieux de comprendre le relief (d'ailleurs voici une carte du relief spécifiquement). Mais selon mon habitude, je vais faire des liens vers OpenStreetMap dans la suite (autant que possible toujours à la même échelle, avec le marqueur positionné à l'endroit dont je parle ; donc il s'agit éventuellement de zoomer pour voir plus précisément de quel endroit je parle).

Géographiquement, c'est un plateau vallonné ; à l'est, il est délimité par l'Oise (passant notamment par l'Isle-Adam) qui coupe le plateau en un coteau assez escarpé, au sud, par la Seine (Meulan, Mantes-la-Jolie), qui le découpe en des falaises crayeuses parfois impressionnantes ; à l'ouest, j'ai déjà dit que c'était la vallée de l'Epte qui séparait le Vexin français du Vexin normand ; et au nord, la limite est moins claire mais on peut pousser un peu dans les Hauts-de-France jusqu'à la Troesne, la rivière qui passe à Gisors (ville très proche du point triple dont je parlais plus haut).

Points de repères urbains : Persan au nord-est, Pontoise au sud-est (mais il faut certainement exclure l'agglomération de Cergy-Pontoise du Vexin, lequel reste un territoire largement rural), Mantes-la-Jolie au sud légèrement à l'ouest (ou bien Vernon un peu plus à l'ouest), et Gisors au nord-ouest. Mais dans le Vexin lui-même, il n'y a que Magny-en-Vexin avec ses 5 800 habitants qui ressemble vaguement à une ville : donc c'est une zone essentiellement rurale.

[Paysage de champs verdoyants]

Image : Paysage typique du Vexin (photo prise ici à la « cave aux fées » vers Brueil-en-Vexin le )

Pour ce qui est du paysage, c'est une région agricole, mais le Vexin n'a pas du tout le même visage que la Beauce ou la Brie avec leurs immenses champs de céréales tout plats s'étendant à perte de vue : la surface du Vexin fait plus de place aux prairies, à l'élevage, à quelques vergers, et surtout, il s'agit d'un territoire beaucoup plus vallonné, donc on n'a pas ces grandes perspectives monotones de la Beauce ou de la Brie. Le Vexin est traversé par un certain nombre de petites rivières (Viosne, Sausseron, Aubette de Magny, Aubette de Meulan, Montcient ; oui, il y a deux Aubette dans le Vexin, c'est confusant), qui y découpent des vallées qui, en même temps qu'un boisement irrégulier, viennent interrompre les surfaces agricoles d'une manière qui évoque le bocage. Une recherche Google Images de paysage Vexin français donne une petite idée de ce à quoi ça ressemble (forcément, ce genre de recherche surreprésente le pittoresque, mais je trouve que ça colle assez bien avec ce que je ressens en me baladant dans le coin) : c'est vraiment très bucolique et très mignon.

Pour ce qui est du réseau routier, celui du Vexin est aussi assez caractéristique : à part l'axe sud-est↔nord-ouest reliant Cergy à Rouen en passant par Magny-en-Vexin (route départementale 14, qui devient la 6014 au-delà de l'Île-de-France où elle reprend le parcours d'une ancienne voie romaine, la chaussée Jules César), coupant plus ou moins le Vexin en deux, une autre route à peu près parallèle à celle-ci reliant Pontoise à Gisors (départementale 915), et enfin une route à peu près nord-sud reliant Mantes à Magny-en-Vexin (route départementale 983), les routes du Vexin sont petites, souvent sinueuses, et arrangées sans logique apparente.

Ces petites routes, du coup, sont souvent extrêmement jolies et pittoresques, et en même temps très variées, elles peuvent donner l'impression qu'on est dans un cocon coupé du monde ou, au contraire, dégager soudain une vue sur un paysage beaucoup plus vaste. Pour donner quelques exemples que j'ai appréciés en vrai et qu'on peut voir sur Google Street View, voyez par exemple ici sur la D142 entre Chaussy et Villers-en-Arthies, ici sur la D43 en approchant d'Avernes, ici sur la D913 en descendant vers la Roche-Guyon (et en apercevant la Seine en contrebas) ou encore ici sur la D147 entre Vétheuil et Villers-en-Arthies, ou enfin ici sur la D913 en entrant dans Vienne-en-Arthies.

[Église en ruines]

Image : Vestiges de l'ancienne église Saint-Gédéon de Banthelu (photo prise ici le )

J'ai dit qu'il n'y avait pas une seule ville à l'intérieur du Vexin (sauf peut-être Magny-en-Vexin si on est généreux sur le terme de ville, et peut-être Marines si on est vraiment très généreux), mais le territoire est ponctué de beaucoup de villages, allant du simple hameau au gros bourg, situés soit au sommet des buttes soit au contraire au fond des vallées. (La plupart ont un nom en -ville ou en -court, qui est d'ailleurs assez caractéristique du coin, cf. les cartes que j'avais postées ici sur Twitter ou ici sur BlueSky.) La construction traditionnelle typique du Vexin est en moellons de calcaire. L'habitat est sociologiquement intéressant, d'ailleurs, parce qu'il alterne, combine ou mélange les caractéristiques visuelles de hameaux agricoles, de quartiers pavillonnaires franciliens typiques, ou parfois de résidences secondaires appartenant sans doute à des urbains fortunés. Outre que, comme un peu partout en France, chaque village a sa petite église (parfois décrépite ou carrément en ruine, souvent maintes fois retapée au cours des siècles), il y a aussi un certain nombre de châteaux qui témoignent que la région a été prospère autour du XVIe siècle. L'ensemble est étonnamment varié ; et ces villages sont souvent vraiment jolis (là aussi on peut s'en faire une petite idée en faisant une recherche Google Images, mais le mieux est sans doute plutôt d'aller sur Google Street View et de se balader virtuellement, par exemple ici à Aincourt ou ici à Grisy-les-Plâtres juste à côté de l'endroit où a été prise la première photo illustrant ce billet).

Il y a quelques curiosités spécifiques à voir. L'endroit le plus connu dans le Vexin est certainement la Roche-Guyon, à peu près au coin sud-ouest (ici sur la carte et ici dans Google Street View), en bas sur la Seine, réputé être un des plus beaux villages d'Île-de-France, avec notamment son château, et le potager de son château (labellisé « jardin remarquable »). Mais ce qu'il y a de plus spectaculaire à la Roche-Guyon, en fait, ce sont les vues qu'on a sur la Seine, et sur la boucle de Moisson, quand on monte sur la corniche qui domine le village (voir par exemple celles que j'ai postées ici sur Twitter). Juste à côté de la Roche-Guyon (sur le plateau, au milieu de la forêt), mais beaucoup moins connu, il y a un arboretum (ici ; l'accès est libre et gratuit), qui n'est pas manucuré comme d'autres que j'ai vus, mais qui est intéressant parce qu'il s'agit d'une figuration en miniature de l'Île-de-France, c'est-à-dire que l'arboretum est divisé en huit parties, une pour chaque département d'Île-de-France, en en suivant à peu près le plan, avec des sentiers suivant le cours des rivières de la région, et les essences plantées ont été choisies pour évoquer celles qui caractérisent chaque département (cf. ici sur Twitter). Donc si on veut faire du tourisme en Île-de-France à l'échelle miniature, on peut visiter l'arboretum de la Roche. (Déception, cependant : il n'y a pas, dans l'arboretum, un mini-arboretum à l'endroit qui correspond à l'emplacement de l'arboretum dans la région.)

Il y a diverses curiosités archéologiques dans le Vexin, par exemple la cave aux fées, ici juste en-dehors de Brueil-en-Vexin, une allée sépulcrale néolithique au sujet de laquelle je renvoie à Wikipédia, mais bon, mon but n'est pas de faire un catalogue de tout ce qu'il y a à voir, et comme je ne suis pas particulièrement intéressé par l'archéologie, je ne mentionne que ce truc-là (que je suis allé voir, et ça n'a pas un grand intérêt à part qu'il y a une vue pas mal depuis le point en question, que j'ai d'ailleurs utilisée comme illustration ci-dessus).

Une curiosité sur laquelle je suis tombé complètement par hasard, perdue dans la forêt, c'est le « dôme de Vétheuil » (ici), une sorte de hangar construit par les Allemands pour cacher ou protéger leurs avions pendant la seconde guerre mondiale (voir ici un bref article du Parisien à son sujet, et ici sur Twitter quelques photos que j'en ai prises).

Parmi les autres choses que je peux mentionner dans le Vexin, il y a le sanatorium d'Aincourt (ici sur la carte), partiellement abandonné (mais qui sera peut-être réhabilité un jour), et qui est devenu un site d'urbex bien connu : j'en ai parlé dans ce billet. Mais même si, comme moi, on a une phobie des lieux abandonnés, on peut au moins aller jeter un coup d'œil à la partie qui n'est pas abandonnée de cet hôpital, parce qu'il y a un joli (quoique légèrement incongru à cet endroit) jardin zen (voir ici sur Twitter pour quelques photos que j'en ai prises en 2022).

[Jardin en bord d'un château]

Image : Le jardin des simples du domaine de Villarceaux (photo prise ici le )

Et sinon, au registre des jardins, outre le potager de la Roche-Guyon que j'ai mentionné plus haut, il y a quatre autres jardins labellisés « jardin remarquable » dans le Vexin : le domaine de Villarceaux (ici ; voir ce billet ainsi que ci-contre pour une photo), les jardins du château d'Ambleville (ici ; voir ici sur Twitter pour quelques photos), le jardin du musée de l'outil à Wy-dit-Joli-Village (ici) et le jardin de campagne de Grisy-les-Plâtres (ici). Bon, ne prévoyez pas d'y passer une journée, quand même, le dernier se visite en dix minutes environ.

J'ai parlé là uniquement du Vexin français, mais le Vexin normand a aussi des caractéristiques analogues. Je le connais moins (et je ne sais pas où en mettre les limites), mais il y a deux-trois endroits par là que je ne peux pas ne pas mentionner, au moins rapidement. D'une part, les Andelys (ici sur la carte ; je précise que l'‘s’ de Andelys ne se prononce pas), connus pour le Château-Gaillard et d'où on a une vue sur la vallée de la Seine peut-être encore plus impressionnante que depuis la Roche-Guyon (voir ici sur Twitter pour quelques photos). D'autre part, Lyons-la-Forêt (ici sur la carte ; notez que ce coup-ci l'‘s’ se prononce), qui est un village tellement mignon qu'on a l'impression qu'il a été construit pour la carte postale (voyez sur Google Street View, ou cherchez dans Google Images). Notez qu'il y a aussi un arboretum près de Lyons-la-Forêt (le jardin forestier des Bordins, ici) : celui-ci est plutôt consacré à l'exposition systématique de diverses essences d'arbres, donc c'est assez différent de celui de la Roche. Bon, et sinon, mais je ne sais pas si je dois classer ça dans le Vexin, il y a Giverny (ici sur la carte), connu parce que Monet y a vécu, et du coup c'est devenu un véritable piège à touristes (c'est comme Barbizon en forêt de Fontainebleau, mais encore pire : ça reste très pittoresque, certes, mais moi ça me donne quand même un peu envie d'aller ailleurs).

Sinon, en marge du Vexin mais ne faisant pas partie du Vexin, il y a la boucle de Moisson (par ici, en face de la Roche-Guyon) : c'est vraiment joli (par exemple on a une très belle vue sur Vétheuil depuis Lavacourt, cf. ici sur Google Street Maps), et la réserve naturelle offre une balade intéressante (j'avais mis quelques photos par ici sur Twitter). Mais je n'en parle pas plus, parce que ce n'est pas mon sujet : la Seine est, justement, difficile à franchir dans ce coin, faute de ponts, donc la boucle de Moisson (rive gauche) ne doit pas être considérée comme faisant partie du Vexin (rive droite).

Mais revenons au Vexin français.

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