David Madore's WebLog: Parlons un peu des JO et du sport de compétition

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(jeudi)

Parlons un peu des JO et du sport de compétition

Cet été, Paris a hébergé une compétition internationale dont je ne sais même pas si j'ai le droit de dire le nom tellement le Comité International O****ique est sourcilleux sur sa propriété intellectuelle[#], et la deuxième phase (dont je ne comprends pas bien dans quelle mesure ça fait partie du même événement ou si c'est un événement complètement séparé qui se trouve avoir lieu au même endroit dans la foulée) se déroule encore au moment où j'écris. Je me dis que ce serait l'occasion d'écrire quelques mots sur ce que je pense du sport de compétition.

[#] Je dis ça en rigolant, mais, sérieusement, l'attitude extraordinairement agressive avec laquelle cette organisation défend son pré carré et sa propriété intellectuelle (par exemple sur ce logo à anneaux que tout le monde connaît mais qu'il faut payer pour utiliser) est un révélateur qui me semble significatif de l'ambiance globalement malsaine que j'évoque tout au long de ce billet : on n'est pas là pour un idéal de valeurs partagées par l'Humanité tout entière mais pour un gros business bien juteux.

Mais quand j'y pense, je me retrouve un peu en mode il y a tellement de choses qui ne vont pas que je ne sais pas par où commencer (pardon pour le langage un peu fleuri, mais quand j'y réfléchis, j'ai plusieurs fois eu l'impression d'être en train de disséquer un étron et de trouver un autre étron plus petit à l'intérieur), donc ce billet va partir un peu dans toutes les directions, et le nombre de notes en bas de paragraphe en est d'ailleurs témoin.

Parties :

La ville bloquée pour les jeux

☞ La privatisation de l'espace public

Je pourrais commencer par l'impact de cette fameuse compétition (celle qui a lieu tous les quatre ans) sur la ville organisatrice. J'ai écrit un fil Twitter et sa suite ici (voyez ici et sur ThreadReaderApp ou bien ici et via Nitter si vous ne voyez pas aller sur Twitter ; ou ici et si vous préférez Bluesky) pour décrire un peu les choses telles que je les ai vues à Paris en cet été 2024 ; ce fil est d'ailleurs devenu assez « viral » sur Twitter (10.7 millions de vues, 67 582 likes et 10 309 reposts, je ne dis pas ça pour me vanter parce ce genre de choses dépend surtout du hasard, mais ce n'est, disons, pas l'audience que je fais habituellement quand je parle de maths, et ça suggère quand même un peu que j'ai fait vibrer une corde sensible), et d'ailleurs un journaliste de la BBC m'a même demandé si je pouvais faire une interview télé sur le sujet[#2].

[#2] Finalement ça n'a pas eu lieu (et j'en suis peut-être un peu soulagé, même si je n'étais pas forcé d'accepter) parce que l'actualité politique américaine était quand même plus importante qu'entendre David Madore râler contre les jeux à Paris.

Il y a plusieurs sous-aspects là-dedans. D'abord, je trouve en soi scandaleux qu'on privatise une ville pour un spectacle : l'espace public est censé être pour l'usage de tous, il n'est pas normal qu'on en attribue la jouissance exclusive à une manifestation privée. J'utilise à dessein l'adjectif privé, non seulement parce que le Comité International O***pique est organisme de droit privé[#3] malgré ses tentatives pour faire croire qu'il est une sorte d'ONU du sport, mais surtout, de façon plus pragmatique, parce qu'on conditionne l'accès à un espace public à la détention d'un billet (et pas peu cher) : la situation est donc très différente de, disons, l'utilisation de l'espace public pour une manifestation politique ou festive, ou quelque chose comme un spectacle en plein air ouvert à tous ; il est vrai qu'on accorde régulièrement des autorisations de tournage de films dans Paris, mais d'une part celles-ci sont conditionnées au paiement d'une redevance par le producteur, et d'autre part les conditions prévoient toujours que la circulation des piétons ne sera interrompue que pendant des très brèves périodes le temps d'une prise. Rien de tout ça n'est comparable à ces jeux qui ont opéré la privatisation d'une partie énorme de Paris, la fermeture de nombreuses stations de métro[#4] et de voies de circulation[#5] desservant Paris pendant des semaines.

[#3] Même si sa nature juridique est, il est vrai, un peu complexe : à ce sujet, je renvoie vers les documents liés dans la note #14 d'un billet récent.

[#4] Particulièrement scandaleuse est la fermeture de stations de correspondance quand on considère qu'elles ont été fermées même à la correspondance. L'argument complètement débile qui a été donné était : on ne peut pas permettre la correspondance lorsque l'accès est fermé parce que s'il y a besoin d'évacuer ce n'est pas possible. À quoi la réponse évidente est : eh bien gardez les sorties comme sorties de secours uniquement ! De toute façon vous ferez quoi si quelqu'un tire le signal d'alarme alors que la rame passe pile à cet endroit, ou s'il y a un incendie à ce moment-là ? Il faudra bien évacuer par là. (Et si le problème est qu'on a peur que quelqu'un fasse ça malicieusement, et en profite pour entrer dans le périmètre sécurisé malgré les zillions de flics partout, eh bien c'est la preuve que votre plan est complètement idiot et qu'il ne fallait pas faire ces jeux à Paris. Parce que les zones d'échange qui n'ont que des sorties de secours, c'est quand même tout à fait standard.)

[#5] Ces voies dédiées JO sont un scandale dans le scandale, un étron dans l'étron, d'autant plus qu'il semble que ce soit un caprice de star de la part du CIO. Les seules personnes qui ont légitimité morale à avoir une forme de priorité sur la route, ce sont les services d'urgence (pompiers, aide médicale d'urgence, police en intervention urgente). C'est déjà évident qu'en France la police abuse de façon grossière de son deux-ton. C'est encore plus honteux que les officiels de la République (président de la République, ministres, préfets et compagnie) profitent de leur rôle officiel pour se faire attribuer un deux-ton ou une escorte policière — je trouve qu'il faudrait leur retirer ce droit, ce qui contribuerait certainement à ce qu'ils soient plus compétents pour améliorer la fluidité du trafic routier où ils devraient poireauter avec tout le monde — mais au moins ces gens-là ont quelque légitimité démocratique à être traités différemment. Qu'on ait accordé aux officiels d'une organisation sportive privée un privilège exorbitant sur les routes d'Île-de-France est une violation grossière du principe d'égalité devant la Loi.

Le gros de ma colère va contre la décision de tenir la cérémonie d'ouverture sur la Seine, donc, de facto, de privatiser la Seine. Qu'on installe quelques stades temporaires çà et là avec un périmètre autour pour les épreuves elles-mêmes me semble, sinon acceptable, disons moins inacceptable. Et je répète que ma critique ne porte pas sur le fait, en soi, de tenir un spectacle sur la Seine, mais sur le fait que l'accès à la zone concernée soit réservée aux spectateurs munis de billet : l'espace public est censé être un bien public, ça ne devrait pas être dans le pouvoir ni de la ville ni du gouvernement français de le privatiser, fût-ce temporairement, de la sorte — et il me semble que si l'ordre juridique français le permet, c'est qu'il faut le revoir pour rendre une telle chose impossible.

(Là il faut faut que je réponde préventivement aux idiots qui seront tentés de dire mais une cérémonie comme celle des JO, surtout dans un endroit pareil, si on ne restreint pas l'accès d'une manière ou d'une autre, ce n'est pas gérable du tout, parce qu'on m'a fait N fois des objections de ce genre : la réponse c'est simplement que si on ne peut pas le faire sans restreindre l'accès à l'espace public, eh bien il ne faut pas le faire du tout. Si on ne peut pas concilier les impératifs du spectacle avec ceux qui devraient faire partie des fondements de la société comme l'interdiction d'aliéner ou de privatiser à une telle ampleur l'espace public, alors ce sont les impératifs du spectacle qui doivent céder. Personne n'obligeait à ce que ces jeux aient lieu à Paris, ni, même sous cette contrainte, que cette cérémonie ait lieu sur la Seine.)

☞ Police et surveillance pour un spectacle

Mais ce n'est pas juste que l'espace public a été privatisé à grande échelle pour cette cérémonie, c'est aussi que cette privatisation s'est faite à grand renfort de moyens policiers complètement inouïs : qu'on restreigne la circulation des véhicules motorisés est une chose, mais on est allé jusqu'à interdire celle des piétons dans toute une bande autour de la Seine, et pendant une semaine avant la cérémonie. Les habitants du secteur concerné (ou les personnes y travaillant) devaient s'enregistrer à l'avance auprès des autorités policières pour avoir le droit de rentrer chez eux, et non seulement ça impliquait d'être fiché, mais il n'y avait même pas de garantie que le laisser-passer fût accordé[#6] au bout de la démarche. On a aussi vu des barrières apparaître un peu partout dans Paris (dont la fonction n'est franchement pas très claire). Et toutes sortes de moyens policiers exceptionnels (usage de l'IA dans la vidéosurveillance, usage de drones, etc.) ont été déployés de façon censément « exceptionnelle » et qui, bizarrement, vont être prolongés bien au-delà de la durée de la compétition en question.

[#6] Ceci mériterait un développement plus approfondi, mais je rappelle à toutes fins utiles qu'il n'est absolument pas normal ou acceptable que, sous prétexte qu'une personne est considérée comme dangereuse par les services de renseignement ou de sécurité, ses droits soient restreints de quelque manière que ce soit (assignation à résidence, ou au contraire interdiction d'y retourner, ou quelque restriction du genre) : la classification utilisée par ces services (comme le fameux fichage ‘S’) peut légitimement leur servir à décider quelles personnes surveiller, mais les libertés individuelles de la personne fichée ne devraient jamais, dans un état de droit, être limitées autrement que sous l'effet d'une décision de justice. En tout état de cause, ni la police ni aucune branche du pouvoir exécutif ne doit ni avoir le pouvoir d'empêcher quelqu'un de sortir de chez lui ni de rentrer chez lui (une société qui le pense est prête à sacrifier des libertés essentielles pour une sécurité temporaire et ne mérite ni la liberté ni la sécurité). Là aussi, il me semble assez urgent de modifier le droit français pour retirer à l'exécutif des pouvoirs dont ils ne devraient pas disposer.

Je n'étais pas du tout content des mesures d'absurdistan autoritaire prises pendant la pandémie, mais au moins ces mesures avaient une justification assez sérieuse (s'il y a quelque chose à débattre, c'est si les mesures étaient en adéquation à cette justification, si elles servaient vraiment). Là on parle juste d'un grand spectacle.

Je trouve extrêmement représentatif du délitement des libertés fondamentales et de l'attachement populaire à celles-ci dont je parlais récemment que, dans la mesure où il y a eu un scandale autour de cette cérémonie d'ouverture, c'était parce qu'elle était jugée trop woke ou trop peu respectueuse de telle iconographie religieuse ou autres débats complètement futiles et stupides, mais rien concernant le principe même d'avoir privatisé l'espace public et d'avoir déployé des moyens policiers nouveaux et dangereux pour les libertés publiques pour ce qui reste un spectacle privé. Rien concernant le fait d'avoir barricadé une grande partie de Paris pour ce spectacle.

(Comme plus haut, il faut faut que je réponde préventivement aux idiots qui seront tentés de dire mais une cérémonie en plein air comme ça, si le risque terroriste est élevé, requiert des moyens policiers extraordinaires qu'on m'a, là aussi, faite N fois : la réponse c'est simplement que si on ne peut pas tenir la cérémonie sans risque sur la sécurité et sans moyens policiers extraordinaires, eh bien il ne faut pas le faire du tout. Si on ne peut pas concilier Ⓐ le spectacle de la cérémonie, Ⓑ la sécurité contre le terrorisme, et Ⓒ les libertés fondamentales et plus largement la vie normale dans la ville, eh bien il faut sacrifier le moins important, et en l'occurrence c'est Ⓐ — on peut éventuellement discuter de l'importance relative de Ⓑ et de Ⓒ, j'ai mon idée là-dessus et vous la devinerez facilement, mais tout le monde doit être d'accord sur le fait que Ⓐ est moins important que Ⓑ ou Ⓒ. De nouveau, personne n'obligeait à ce que ces jeux aient lieu à Paris, ni, même sous cette contrainte, que cette cérémonie ait lieu sur la Seine.)

Il est difficile de savoir ce que les Parisiens dans leur ensemble ont pensé de ces jeux (indiscutablement, il y a des gens qui étaient enthousiastes), mais on comprend qu'au moins certains aient été assez irrités qu'on leur dise, en substance : On organise une énorme fête chez vous, et vous n'êtes pas invités, d'ailleurs vous n'aurez pas du tout le droit de venir, on va mettre de la police partout pour vous en empêcher. Et, au fait, ce sera à vous de payer. Et merci de sourire parce que le monde entier vous regarde. Si vous voulez voir quelque chose, ce sera à la télé. Enfin, selon vos abonnements, parce que les images sont soumises à un copyright qui ne sera pas pour vous non plus. Gros bisous de Lausanne !

Il y aurait encore des choses à dire sur l'argent que coûte toute cette extravagance[#7] (alors que les finances tant de la France que de la ville de Paris sont assez mal en point pour ne pas avoir besoin de cette charge supplémentaire) pour ce qui ressemble à une opération de glorification de quelques dirigeants politiques, mais là je dois convenir que, même si je ne suis pas personnellement d'accord avec la dépense, ça fait partie du périmètre normal de responsabilités des politiques[#8] qui l'ont actée. Et tout ceci est un peu une longue digression, donc passons plutôt au sujet du sport.

[#7] Reconnaissons quand même qu'il y a eu un effort assez authentique pour éviter une gabegie du même niveau que les quelques dernières occurrences de cette exubérance quadriennale. Donc à l'heure des comptes ce sera sans doute moins catastrophique que ça aurait pu l'être.

[#8] Je garde quand même au travers de la gorge que l'actuelle maire de Paris, qui pendant la campagne électorale de 2014 s'était montrée très réticente vis-à-vis de ces jeux (à la différence de sa principale opposante) a changé d'avis sans qu'on nous dise exactement pourquoi.

Le problème de l'esprit de compétition

Parlons de sport, donc.

Je dois préciser très clairement que quand il s'agit de sport de compétition, mon problème n'est pas dans la partie sport, il est dans la partie compétition.

☞ Sport et esprit de compétition

Il se trouve que j'étais personnellement plutôt mauvais en sport quand j'étais ado, au moins comparativement aux autres matières[#9] : rétrospectivement, je ne sais pas bien l'expliquer[#10], mais l'aspect de compétition, fût-ce au sein d'une classe, y jouait certainement beaucoup, car même si les profs prétendaient promouvoir la participation, dans les faits, les résultats comptaient[#11], et l'ambiance n'était pas au développement harmonieux de chacun à la mesure de ses capacités physiques mais bien au fait d'arriver le plus haut possible sur le barème, dans une situation, en outre, où l'épreuve se déroule sous les yeux de tous et donc possiblement sous la risée de tous. Même les sports collectifs qui auraient dû promouvoir un esprit de coopération au sein de l'équipe n'avaient pas cet effet parce qu'on avait plutôt tendance à me dire de rester dans mon coin pour ne pas handicaper la performance du groupe.

[#9] J'ai eu 08.5/20 en EPS au brevet, et 12/20 au bac (où c'était la seule matière notée en contrôle continu). Je n'ai d'ailleurs aucune idée de comment ces notes m'ont été attribuées. (J'ai cependant le souvenir d'une épreuve théorique qui nous a été infligée en première ou en terminale, sous forme d'un QCM que tout le lycée a eu en même temps, et qui portait à la fois sur des sujets d'anatomie, de pratique du sport, de règles de certains sports collectifs, etc. On pourrait s'imaginer qu'en pinailleur et amateur de règles j'aurais été bon à ce genre de choses, mais les questions étaient vraiment dures et portaient notamment sur plein de points de règles qu'on ne nous avait jamais expliquées — du style au handball, si le ballon est en train de rouler sur la zone de but et que je ne suis pas gardien, est-ce que j'ai le droit de le ramasser ? — un peu dans le genre de celles du code de la route en fait. Toujours est-il que je ne sais absolument pas combien j'ai eu à ce test, ni la part qu'il comptait dans ma note au bac.)

[#10] J'ai déjà dû l'écrire à divers endroits, mais je ne sais pas pourquoi je n'ai pas compris (au moins à partir du moment où je n'ai plus eu de doute sur le fait que j'étais homo) que les cours de sport pouvaient être à la fois une façon de regarder le physique de jolis garçons bien musclés et de chercher à leur ressembler. En tout cas c'est indubitablement ce qui me motive maintenant à pratiquer la musculation.

[#11] Il va de soi que cette observation s'applique à l'ensemble des matières, et que le fait d'être relativement mauvais en sport m'a au moins permis de comprendre combien le système scolaire français peut être cruel pour ceux qui ne brillent pas telle ou telle matière, et ne motive pas vraiment à faire des efforts, justement.

Il est indéniable que l'esprit de compétition est, à un certain niveau, ancré dans l'esprit humain et qu'on ne va pas le faire disparaître de nos sociétés malgré tout le souhait que je peux avoir d'une société qui soit basée sur la coopération et pas la compétition (rien que dans le domaine restreint de la recherche j'ai déjà expliqué combien c'est… compliqué). Mais peut-être peut-on au moins faire l'effort de ne pas glorifier de telles choses ?

☞ L'esprit de compétition et l'envie de tricher

Le sport, donc, est selon moi (et j'espère enfoncer bien fort des portes ouvertes, là) quelque chose d'extrêmement bénéfique quand il s'agit de s'amuser[#12] en se dépensant, et d'améliorer sa santé par l'exercice physique. Je ne prétends pas que toute forme de compétition soit intrinsèquement à bannir[#13], et les limites entre le jeu sain et la compétition malsaine, en passant par la case grise de la gloire associée à un exploit sportif ou un record battu, ne sont pas nettes (← référence obligatoire), mais je peux au moins proposer un test empirique simple (quoique imparfait) :

Si on a envie de tricher, c'est que la compétition est malsaine.

[#12] Le mot amuser est sans doute très important ici. Je ne regarde pas de compétitions sportives parce que ça ne m'amuse pas, mais la raison pour laquelle ça ne m'amuse pas moi, c'est que j'ai l'impression (quand j'en vois des images, parce que, fatalement, ça m'arrive de temps en temps, et ces dernières semaines ça a été difficile d'y échapper complètement) que les gens qui y participent n'ont pas l'air de s'amuser. Pour autant que ma lecture des émotions fonctionne, ils sont là pour gagner, pas pour s'éclater. En fait, de tous les sports dont j'aie jamais pu voir des images, il y en a un seul dont j'ai ressenti l'impression que les participants à haut niveau avaient l'air de prendre vraiment plaisir à ce qu'ils faisaient, c'est le jeu de chat (oui, il existe des compétitions internationales de jeu de chat, et non, malheureusement, ce n'est pas aux JO) : voyez par exemple cette vidéo — j'ai trouvé ça vraiment sympa à regarder parce que les concurrents ont l'air de s'amuser comme des petits fous.

[#13] Mais je trouve quand même un peu dommage qu'il n'existe pas (à ma connaissance… disons quasiment pas parce que quelqu'un va certainement me trouver des exemples) de sports purement coopératifs, comme il existe des jeux de société purement coopératifs, dans lesquels tous les joueurs ont le même but et jouent contre le monde extérieur (hasard, information insuffisante, etc.) plutôt que les uns contre les autres. Il me semble qu'on pourrait sans difficulté imaginer des sports purement coopératifs et qui seraient à peu près aussi amusants à regarder qu'un sport adversarial. Au minimum, on pourrait imaginer montrer ça en marge d'un événement sportif : tirer au sort des sportifs de plein de pays différents pour former une équipe qui doit chercher à coopérer pour remplir un défi nécessitant une combinaison de capacités sportives.

Je ne cherche certainement pas à contester le fait qu'au moins une grosse proportion des sportifs professionnels soient très largement motivés par la passion de leur sport, par le goût pour un exercice physique sain, et qu'ils pratiqueraient celui-ci même s'il n'y avait aucune sorte de compétition à la clé, même si leurs exploits devaient rester inconnus. Mais il est aussi difficilement niable que la course à la médaille joue pour beaucoup, surtout quand on parle du niveau des jeux dont il faut taire le nom.

Alors oui, les sportifs de haut niveau ont souvent un physique incroyable (et je ne nie pas du tout que je peux… apprécier de le regarder[#14]). Mais je n'ai vraiment pas l'impression qu'on puisse considérer le tout comme une illustration de l'idéal du proverbial corpus sanum. En fait, à pousser toujours plus loin leurs limites, ils se bousillent souvent le corps : sans même parler du dopage (je vais y revenir), ils doivent passer leur temps à consommer des anti-inflammatoires. J'avais vu un documentaire il y a quelques années (je n'ai pas noté le nom, malheureusement) sur les problèmes de santé des sportifs professionnels dans lequel je me souviens qu'un propos d'une athlète m'avait particulièrement marqué, c'est qu'elle disait qu'elle ne se souvenait pas d'un seul jour où elle n'avait pas mal quelque part ; et ce n'était clairement pas un cas isolé.

[#14] Digression : pour mon exemple, là, eu égard à mes propres goûts, j'ai voulu trouver un concurrent de ces jeux qui soit un homme ouvertement gay, et ce n'était pas évident d'en trouver un, alors que les exemples de femmes lesbiennes ne manquent pas. À moins que le fait d'être lesbienne soit positivement corrélé aux résultats sportifs (ce qui serait aussi intéressant), il y a donc probablement lieu de suspecter que l'homophobie soit plus forte contre les hommes que contre les femmes dans le milieu du sport, et si c'est vrai c'est peut-être quelque chose d'intéressant à analyser et qui aurait éventuellement sa place dans ce billet. Mais comme je n'ai pas vraiment d'information, je ne peux que poser la question.

☞ Le mirage du sport professionnel

Même sans évoquer le problème supplémentaire du nationalisme qui pointe sa tête repoussante dès qu'on se met à compter les médailles par pays, le simple fait de voir des gens s'abîmer le corps pour gagner une fraction de seconde sur leur concurrent me paraît en soi plutôt malsain, et certainement pas quelque chose dont on devrait faire un grand show planétaire tous les quatre ans. À mon sens, les vrais héros du sport, ce sont les amateurs qui s'amusent et se font plaisir dans le plus grand anonymat parce qu'ils ne cherchent pas à battre un record mondial. Et s'il y a un match de foot que je peux avoir envie de voir, ce n'est pas l'OM contre le PSG, c'est celui de l'équipe des gamins du quartier dont je suis sûr qu'ils sont là pour s'amuser et pas pour autre chose, parce qu'il n'y a, justement, personne qui les regarde.

Je ne veux pas trop insister sur l'aspect professionnels-versus-amateurs, qui n'est pas exactement le même axe, ni la même problématique, que la question de compétition-versus-plaisir, même si les deux ont, évidemment, une certaine corrélation. La compétition pour la gloire peut être aussi destructrice que celle pour l'argent ; et on peut théoriquement imaginer d'avoir des sportifs professionnels dans un système non compétitif[#15].

[#15] Ça semble paradoxal, mais rappelons-nous que nous avons des chercheurs scientifiques professionnels qui idéalement ne devraient pas être en compétition mais en coopération les uns avec les autres, donc en principe on pourrait tout à fait imaginer d'appliquer le même schéma au sport et d'avoir des sportifs professionnels sans avoir de compétition. (Il faudrait juste commencer par résoudre la question du rôle du sport dans la société, qu'il me semble que les compétitions ne font finalement que masquer.)

Disons quand même sur l'aspect professionnel du sport qu'il ne faut pas oublier que le mirage qu'il crée est dangereux : je me demande bien combien de jeunes gens rêvent de devenir footballeur professionnel, mais, sans même parler de devenir le prochain Mbappé, le nombre de joueurs de foot pro (hommes, je suppose) en France semble tourner autour de 1000–1500 (source ici), donc environ 0.004% de la population française masculine, autant dire que ce n'est pas un rêve très réaliste, parce qu'il y a probablement beaucoup plus que 0.004% des garçons qui veulent devenir footballeur pro. (Pas qu'on n'ait pas le droit d'avoir des rêves fous, mais il faut mieux que tout le monde n'ait pas le même. Surtout si on se met à détourner de l'énergie dans la poursuite de ce mirage qui aurait pu être employée à trouver une ambition un peu plus originale et à la chasser avec plus de succès. Aimer le foot c'est super, mais imaginer en vivre, c'est un mirage beaucoup trop partagé.) Autrement dit, il me semble que non seulement on exhibe une activité physiquement malsaine mais qu'en outre elle est porteuse d'un mirage socialement néfaste ; et le fait que les stars du sport professionnel soient présentés comme des sortes de héros relève d'une propagande tout à fait dangereuse à cet égard.

☞ Le dopage comme thermomètre

Je disais plus haut que si on a envie de tricher, c'est que la compétition est malsaine. Je ne prétends pas que ce test soit parfait[#16], mais c'est un thermomètre intéressant. Faisons l'expérience de pensée suivante : dans une compétition sportive, un génie propose à un concurrent donné d'améliorer ses performances (peut-être par une substance dopante, dont le génie lui garantit de façon crédible qu'elle n'aura aucun effet secondaire et sera parfaitement indétectable) ; quelle proportion des concurrents accepteraient une telle offre ? La réponse ne sera jamais 0%, même entre des gens qui sont là « juste pour s'amuser », car l'esprit de compétition est profondément ancré dans certains esprits (voyez n'importe quelle cour de récré d'école primaire…) ; elle ne sera jamais 100% non plus, mais on peut quand même se dire que plus elle est élevée plus il y a quelque chose qui ne va pas. (J'insiste sur le fait que mon expérience de pensée n'est pas vraiment une condamnation morale personnelle des concurrents qui accepteraient l'offre du génie : c'est une condamnation de l'esprit dans lequel se déroule la compétition si la proportion devient trop élevée.)

[#16] Quand j'étais en classe de première, nous avons fait un voyage scolaire en Grèce, nous étions un certain nombre à acheter, comme souvenir, des paquets de cartes illustrées avec de jolies photos de la Grèce, et, forcément, nous nous sommes mis à jouer à divers jeux de carte, notamment le jeu du menteur (probablement un peu remanié à notre sauce parce que tout le monde n'était pas d'accord sur les règles pour commencer, je crois), enfin, peu importe : un jeu dans lequel il faut se débarrasser de ses cartes ; une façon possible de tricher est de poser plusieurs cartes en même temps, en faisant croire qu'on n'en a posé qu'une seule. Certains du groupe se sont mis à tricher, alors qu'il n'y avait aucun enjeu, nous étions là juste pour nous amuser, nous ne pariions rien. Et les débats qui ont suivi sur le caractère « éthique » de cette triche étaient assez intéressants : certains étaient indignés, d'autres trouvaient au contraire que ça rendait le jeu plus intéressant (et que c'était plus ou moins dans son esprit, puisque justement le principe même du jeu est de mentir éventuellement sur la nature de la carte qu'on pose, alors pourquoi ne pas mentir sur le nombre qu'on pose), et en tout cas il est difficile de nier que les gens qui trichaient le faisaient pour s'amuser. Ce qui illustre le fait que mon critère est imparfait (et que la frontière entre jouer et tricher n'est pas aussi imperméable qu'on le voudrait, comme celle entre amusement et compétition).

Et comme il s'agit d'une réalisation de cette expérience de pensée, je considère que le dopage dans le sport de compétition est révélateur de ce qui ne va pas. Ce n'est pas tant que le dopage me pose problème en soi[#17] : ce n'est pas vraiment ça le problème — le problème est que le désir de se doper, au moins s'il est trop répandu, révèle que l'esprit de la compétition est malsain. Lutter contre le dopage c'est déjà avoir perdu : c'est essayer de casser le thermomètre sans se demander ce que la fièvre révèle de plus profond.

[#17] À un certain niveau, mon côté libertaire me pousse à penser que les lois qui punissent pénalement l'usage de produits dopants dans les compétitions sportives se mêlent de ce qui ne les regarde pas (remarquons qu'en France l'usage de produits dopants n'est plus réprimé pénalement depuis 1989 si je comprends bien ce texte par ailleurs fort intéressant) : disons que je vois ça un peu comme si on pénalisait le fait de tricher à un jeu de société — c'est une question qui devrait peut-être rester privée, je ne suis pas sûr que la puissance étatique ait à y mettre son nez. Maintenant, la question est complexe donc je ne prétends pas faire une réponse aussi tranchée, mais en tout cas, ce que je cherche à dire, c'est que je suis beaucoup moins convaincu par le caractère nuisible du dopage en soi que par le caractère malsain de ce que l'envie de recourir au dopage ne fait que révéler.

Et un aspect sur lequel ce caractère malsain dû à l'esprit de compétition se révèle de façon particulièrement spectaculaire, c'est quand il est question de catégories de genre.

La catégorisation de la compétition

☞ Catégories « homme » et « femme »

Il se trouve que beaucoup de sports ont constaté que s'ils faisaient une unique catégorie pour tous les humains, ça ne donnait pas beaucoup de femmes sur le podium[#18], et qu'ils voulaient donc créer des catégories masculine et féminine.

[#18] Je souligne d'emblée que ceci ne démontre en rien que les femmes soient intrinsèquement moins bonnes en moyenne que les hommes sur telle ou telle caractéristique physique évaluée par le sport. (Je ne dis pas non plus qu'elle ne le sont pas — d'ailleurs pour un certain nombre de sports je pense probable que ce soit vrai — je dis juste que ça ne le prouve pas du tout.) Déjà, une explication pourrait simplement être que les performances des femmes sont statistiquement moins dispersées que celles des hommes, i.e., que la moyenne soit la même mais que l'écart-type des hommes soit plus élevé, ce qui va forcément donner plus d'hommes quand on va chercher la queue de la distribution, parce que quand on parle au niveau « champion du monde » d'une discipline quelconque, on parle de quelque chose comme 3σ ou 3.5σ ou alentours, d'une distribution qui n'est d'ailleurs sans doute pas normale. Mais aussi, il se peut simplement qu'il y ait, pour des raisons sociales diverses et variées, tout simplement moins de femmes dans la population des concurrentes potentielles pré-sélection ; et il se peut que les raisons pour lesquelles elles soient moins bonnes en moyenne soient de nature sociale et pas biologique. Je pense par exemple à la course motocycliste (qui, si j'ai bien suivi, est unisexe même s'il est question(?) de créer une catégorie féminine à différents niveaux) : l'explication qui me semble la plus évidente du fait que ce sport soit dominé par les hommes est qu'il y a, pour commencer, beaucoup moins de motardes que de motards, chose à quoi il est beaucoup plus facile de trouver une explication sociale que biologique. Donc dans ce genre de situation, la création d'une catégorie féminine ne vise pas à compenser un handicap biologique mais un biais social. (Savoir si c'est légitime ou intéressant de le faire est un autre débat, dans lequel je ne m'engage pas à présent.)

Or s'il est vrai que dans la grande majorité de la population, toutes les définitions qu'on peut donner de « homme » et « femme » fonctionnent bien et coïncident comme on s'y attend (à la fois la catégorie légale, la présentation sociale de la personne, et toutes sortes de critères biologiques comme le caryotype, la présence d'organes génitaux archétypiques, le niveau de testostérone, et sans doute plein d'autres marqueurs), dès qu'on va chercher ce qui est par définition un événement extrême (un champion sportif est, au sens statistique, un événement extrême, à quelque chose comme 3σ ou 3.5σ), il n'est pas surprenant que ça ne marche plus si bien.

Et alors on ne peut pas faire l'économie de se demander pourquoi au juste on crée ces catégories : quel est leur but, donc comment il faut les définir.

Dans un monde que je considère comme sain, ça n'aurait pas énormément d'importance : si tout le monde concoure pour le plaisir de faire du sport, si, comme je le disais, la compétition n'est pas malsaine comme mis en évidence par le fait que les participants n'ont dans leur immense majorité pas envie de tricher, alors les gens choisiront la catégorie qui leur semble la plus appropriée… parce qu'ils s'y amuseront le plus.

Mais on a créé tout ce sac de nœuds qui va avec l'envie de tricher impliquée par l'esprit de compétition et la volonté d'être le meilleur. Ce sac de nœuds renferme l'envie de se doper, comme l'envie de tricher en s'inscrivant dans une catégorie où on sera plus avantagé. Mais, de façon peut-être encore plus insidieuse, il renferme ausis le soupçon que les autres trichent, soit en se dopant soit en s'étant inscrits dans une catégorie plus avantageuse pour eux. Et là j'ai un peu envie de dire au monde du sport de compétition, à quoi vous attendiez-vous ? vous avez créé cette merde vous-même en glorifiant la compétition, comment osez-vous être surpris qu'elle vous retombe dessus et que maintenant ça pue de partout ? — ou à tout le moins que c'est à lui de se demander à quoi servent ces catégories pour chercher à voir comment les définir correctement.

Mais autant j'ai envie de dire deal with your own shit au monde du sport de compétition, ce n'est pas possible parce que sa merde rejaillit un peu sur le reste de la société. Et c'est là que je ne suis vraiment pas content.

☞ Vous prendrez bien une bonne dose de transphobie ?

Elle rejaillit, notamment, sous forme d'une transphobie vraiment crue venue de gens qui ont l'air de considérer (ou d'utiliser l'exemple du sport pour chercher à démontrer) que les personnes trans sont des fraudeuses qui veulent profiter d'un avantage indu en changeant de catégorie selon ce qui les arrange. Encore une fois, il y a tellement de choses qui ne vont pas que je ne sais pas par où commencer.

Éclaircissons un peu les termes. Comme je l'ai dit plus haut, il y a un certain nombre de critères biologiques qu'on peut utiliser pour définir le « sexe » d'un individu : ça peut être le caryotype (notamment l'existence d'(au moins) un chromosome Y), la présence de telles ou telles caractéristiques anatomiques, ou encore le niveau d'un marqueur hormonal (typiquement la testostérone). Chez la grande majorité des gens, ces critères donnent une réponse binaire claire et ces réponses coïncident, et on ne se pose pas la question ; mais ce n'est pas pour autant qu'ils coïncident toujours, ni qu'ils sont toujours clairs. Le critère anatomique typiquement sert de base à définir une catégorie légale (homme ou femme)[#19] dont je n'ai jamais bien compris à quoi elle servait à part rendre la vie des personnes trans malheureuse, et dont je plaide pour la suppression totale[#20] parce qu'il me semble que ces questions médicales devraient rester dans le dossier médical et que selon ma vision universaliste de la société, l'État et la Loi n'ont à connaître que des humains. À côté de ces divers critère biologiques et de la catégorie légale, il y a une notion sociale qui est le genre, elle-même reflétée par tout un tas de choses (par exemple, comment la personne s'habille, ou encore comment elle parle d'elle-même dans ces langues qui ont la caractéristique agaçante d'avoir deux mots distincts pour un homme mathématicien et pour une femme mathématicienne), et qui révèle, probablement, la manière dont la personne se perçoit elle-même (mais qui ne rentre pas forcément dans une des catégories binaires « homme » ou « femme »). Les personnes dont l'anatomie et/ou la catégorie légale ne reflète pas la perception de genre qu'elles ont elles-même sont dites trans(genre) : certaines vont éventuellement choisir de faire modifier la catégorie légale dans laquelle elles sont rangées (si la juridiction dont elles dépendent le permet) et/ou avoir recours à un traitement chirurgical et/ou hormonal pour que leur corps soit plus en adéquation avec leur perception d'elles-mêmes, mais toutes les personnes trans ne choisissent pas forcément l'un ou l'autre (et par ailleurs, il y a toutes sortes de possibilités).

[#19] Si l'ensemble des critères biologique est regroupé sous le terme-chapeau de sexe et que l'ensemble des phénomènes socioculturels est regroupé sous le terme-chapeau de genre, cela laisse planer le doute sur la manière dont il faut désigner la catégorie légale. La mention qui figure sur les papiers d'identité est sexe, et c'est surtout à ce titre qu'elle sert de proxy pour la catégorisation dans le sport. Mais comme on ne sait pas, justement, à quoi cette catégorie doit servir (les quelques justifications qu'on peut trouver tirent dans des directions différentes), et que certains pays la font évoluer différemment d'autres, ceci ne fait qu'exposer un sac de nœuds : c'est notamment pour cette raison que je propose de supprimer purement simplement cette information.

[#20] J'expliquais ça dans ce vieux billet mais je le trouve terriblement mal écrit et je devrais le refaire un jour.

Mon petit côté libertaire me fait estimer, d'une part, que la catégorie légale ne devrait même pas exister (et que si elle existe, elle doit être raisonnablement facile à changer), et, d'autre part, que chaque individu doit pouvoir disposer librement de son corps, qui lui appartient de façon exclusive. Je ne vais pas faire tout un billet ici sur le sujet des personnes trans, parce que ce n'est pas mon propos (et, en outre, je ne suis pas forcément bien placé pour le faire, même si c'est ma spécialité de parler de tout même de ce dont je ne suis pas spécialiste) : ça n'a rien à voir avec le sport.

Mais alors pourquoi est-ce qu'il en est question ? Principalement parce que le sport veut définir des catégories « homme » et « femme » et utilise la catégorie légale comme une sorte de proxy pour ça. Après tout, pourquoi pas : le fantasme des gens qui affronteraient le parcours du combattant administratif pour changer la mention de leur sexe à l'état-civil dans le but d'en tirer un avantage indu est déjà absurde en général, mais s'il s'agit d'être mieux classé à un sport de compétition, c'est juste ridicule. Et se baser sur la catégorie légale est peut-être plus simple que de se baser sur un test biologique (caryotype, niveau de testostérone, etc.) qu'il faudrait alors potentiellement[#21] faire subir à tous les participants.

[#21] De ce que je comprends de cet article, c'est surtout un chaos complet de changements d'avis, de décision contradictoires et de règles pas claires.

Mais bon, si c'est plus simple, il ne faut pas se plaindre si ce n'est pas parfait. On ne peut pas faire comme si le monde était simple et venir chouiner ensuite que le monde n'est pas aussi simple que ce qu'on l'avait espéré.

☞ La catégorisation du sexe est compliquée

Ce que je veux dire, c'est qu'il me semble que chaque sport a la légitimité, par ses instances normales (fédérations locales, nationales, internationales), à avoir une certaine latitude pour fixer les catégories (pas forcément au nombre de deux) dans lesquelles[#22] il veut répartir les personnes qui participent à ses épreuves, soit sur la base de critères légaux, soit sur la base de critères biologiques, soit encore autre chose : il s'agit juste que ces catégories n'excluent pas des personnes ayant légitimement souhait de participer, et qu'elles n'utilisent pas les termes « homme » et « femme » s'il s'agit d'une mesure différente (je vais y revenir). Par exemple, ça ne me semble pas scandaleux qu'un sport décide que ses catégories seront « caryotype comportant un chromosome Y » et « caryotype ne comportant pas de chromosome Y », ou qu'elles seront « testostérone <1ng/mL » et « testostérone ≥1ng/mL » (avec des règles précises sur la manière dont la mesure est faite), comme elles peuvent être définies par des critères légaux, ou une combinaison de plusieurs critères définis de façon raisonnablement précise. Mais une fois que ces critères sont posés, on ne peut pas en vouloir à quelqu'un qui s'incrit selon les règles qui ont été définies sous prétexte qu'elles ne donnent pas le résultat qu'on aurait voulu voir !

[#22] Les catégories n'ont pas besoin d'être les mêmes d'un sport à un autre (la boxe, par exemple, utilise des catégories de poids en plus des catégories homme/femme ; et bien sûr, dans certaines compétitions il y a des catégories d'âge), ou même selon les niveaux de compétition d'un sport donné.

Et le plus ironique, c'est que les sportives qui ont été le plus publiquement accusées(?) d'être des tricheuses(? enfin… des tricheurs) et ont subi des torrents de transphobie… ne sont même pas trans.

Spécifiquement, les boxeuses Imane Khelif et Lín Yùtíng non seulement sont légalement des femmes[#23] et s'identifient en tant que telles, mais elles ne sont pas trans puisqu'elles sont ont une anatomie féminine (pour autant que toute information publiquement disponible permet de le conclure) ; et il doit en aller de même de Caster Semenya. S'il y a un doute potentiel, c'est surtout sur ce qui concerne leur caryotype : c'est un fait bien connu qu'environ 60 pour un million de personnes nées avec le caryotype XY développent une anatomie féminine (syndrome de Morris, syndrome de Swyer et il y en a sans doute d'autres[#24]) qui peut être tout à fait habituelle ou présenter quelques caractéristiques intersexuées. Mais une personne dont l'anatomie est féminine, qui est légalement catégorisée comme une femme et qui s'identifie comme telle n'est pas une personne trans pour aucune définition raisonnable de personne trans : c'est une femme, peu importe que sa génétique fasse que le chromosome Y de son caryotype ne se soit pas exprimé, ou pas complètement exprimé. (C'est d'autant plus ironique que certains aiment bien accuser les militants LGBTQ de vouloir redéfinir la notion d'homme et de femme, mais la notion d'homme et de femme n'a certainement pas été définie, historiquement, par le caryotype, technique qui n'a vu le jour qu'en 1888. Parmi les personnages historiques considérés comme des femmes, et parmi celles qui vivent aujourd'hui et n'ont aucune raison de se faire faire un caryotype, il y en a certainement quelques unes qui devraient être reclassifiées avec un tel critère : mais quel sens ou quel intérêt cela aurait-il d'inventer une police chromosomique qui vient traquer les XY qui n'ont aucune idée du fait que la génétique prétend qu'elles devraient être des hommes ? Ce n'est pas du tout ici une question de transidentité, ni de la moindre construction sociale, c'est juste que l'idée que le sexe biologique est binaire n'est qu'approximativement valable, le génotype et le phénotype ne sont pas forcément bien alignés, et donc reprocher à ces personnes de ne pas conformer leur genre social à leur sexe biologique, même si ce reproche était sensé quand le dernier est inambigu, est encore plus con quand il ne l'est pas. Forcément, ces situations qui sont rares dans l'absolu — comme je l'ai dit, la valeur doit tourner autour de 60 pour un million de personnes de caryotype XY qui sont des femmes — mais quand on applique la sélection statistiquement inouïe d'une compétition sportive internationale, il n'est pas étonnant qu'on la surreprésente. Ce n'est la « faute » de personne, et certainement pas des personnes concernées.)

[#23] L'Algérie ne permet de toute façon pas de faire modifier sa classification légale, donc ce n'est pas comme si Imane Khelif aurait pu décider quoi que ce soit à ce sujet.

[#24] Le caryotype n'est lui-même pas forcément une notion bien définie : une proportion inconnue des individus humains sont des chimères, c'est-à-dire que leurs cellules n'ont pas toutes le même génome (cela résulte notamment du cas où l'organisme se développe à partir de deux zygotes qui ne se sont pas séparés), et pourtant se comporte comme un seul organisme. Une personne chimérique peut très bien avoir un caryotype XX dans une partie de ses cellules et XY dans l'autre, et d'ailleurs on a un cas documenté du phénomène chez une sportive (et peut être suspecté chez une autre). Encore une fois, il s'agit de phénomènes très rares dans la population tout entière, mais qui peuvent très bien apparaître beaucoup plus fréquemment quand on se limite à une population très hautement sélectionnée, donc on ne peut pas faire l'économie d'une réflexion à ce sujet au motif que c'est très rare donc ça n'arrivera pas.

Encore une fois, faire des catégories sportives par caryotype n'est pas en soi scandaleux à mes yeux (il faut juste les appeler des catégories de caryotype si c'est ce qu'elles sont), mais à condition que ces catégories soient clairement définies comme telles[#25] et qu'on ne vienne pas dire rétroactivement à quelqu'un qu'on va la disqualifier parce que la règle qu'on avait posée n'était pas celle qu'on voulait poser. Et en tout état de cause, ce n'est pas une question d'être trans ou de la manière dont la personne s'identifie. J'ai été particulièrement choqué de voir Richard Dawkins écrire sur Twitter à propos des deux boxeuses qu'il s'agissait de two men, masquerading as women, are being allowed to box against real women in the Olympics (le tweet était le numéro 1817980972681543885, daté , et Dawkins a au moins eu la décence minimale de le supprimer — l'archivage des tweets sur l'Archive a été bloqué par Musk donc je ne peux même pas prouver qu'il a bien écrit ça, vous devrez me croire) : même en admettant l'opinion conservatrice que les individus sont obligés de se conformer à l'identité de genre que la biologie leur attribue[#26], un grand biologiste comme lui devrait bien savoir que le lien entre génotype et phénotype est un chouïa compliqué, et de toute façon il n'a certainement pas plus d'information que moi sur le caryotype de ces boxeuses, dont on ne peut que spéculer que peut-être elles sont XY, mais dont on ne voit pas en quoi c'est pertinent parce que rien dans les règles de la compétition ne semble en faire un critère de classification.

[#25] Le problème majeur est surtout que les autorités sportives ne sont pas fichues de dire quels sont les critères exacts qu'elles utilisent (il semble que ce soient bien les documents légaux qui fassent foi… sauf en cas de contestation, qui conduit à un test médical… dont la nature n'est pas claire : la transparence n'est pas au rendez-vous). En outre, elles ne sont pas d'accord entre elles, et une des raisons de la polémique est une querelle de dirigeance entre l'association internationale de boxe et le CIO.

[#26] Dawkins, comme je l'ai dit, a supprimé son tweet quelques jours plus tard, mais entre temps il a été beaucoup repris, et ça ne l'a pas empêché de tweeter une image à peine codée représentant un motocycliste devant un groupe de cyclistes avec la légende biker who identifies as a cyclist wins the Tour de France. Quant à J. K. Rowling, elle persiste à qualifier Imane Khelif d'homme (mais en même temps reconnaît qu'elle n'est pas trans ‽ la logique m'échappe). C'est fou parce que ces gens, qui n'ont pas accès à des résultats d'analyse, jugent, finalement, juste sur l'apparence physique de ce qu'ils voient tout en expliquant que c'est la biologie qui compte.

Mais que le monde du sport de compétition se déchire, je m'en fous pas mal, en fait. Ce qui me pose problème, je disais, c'est quand sa merde rejaillit sur le reste de la société.

☞ Le sport comme police du genre

Quand je défends la thèse que la catégorie légale « homme » ou « femme » devrait purement et simplement disparaître, un des arguments qui m'a parfois été objecté est ça empêcherait la séparation des hommes et des femmes dans le cadre du sport. De nouveau, il y a tellement de choses qui ne vont pas que je ne sais pas par où commencer. Bon, déjà, comme je l'ai dit plus haut, je ne vois pas intrinsèquement de problème à ce qu'un sport définisse des catégories sur des critères biologiques : c'est juste par commodité que les autorités sportives défaussent la définition de leurs catégories sur les autorités administratives. Mais c'est le problème des autorités sportives : ce n'est pas le problème de la société dans son ensemble que ce soit commode pour elles de faire ça, et c'est encore moins le problème de la société dans son ensemble qu'elles tiennent à maintenir dans le sport cette ambiance malsaine de compétition qui fait que les sportifs peuvent avoir envie de tricher.

Au moins quand on me dit que le maintien des catégories légales « homme » et « femme » est nécessaire pour maintenir des quotas luttant contre les discriminations sexistes, c'est un argument que je considère comme sérieux (au sens où il y a effectivement un enjeu de société sérieux à se rendre aveugle à une discrimination contre laquelle il est opportun de lutter) ; j'ai des réponses à faire (aussi bien sur l'idée que ça empêcherait de lutter contre ces discriminations et sur le principe de lutter contre le feu des discriminations avec le feu des discriminations), et je ne vais pas le faire ici parce que ce n'est pas le sujet de ce billet, mais je l'évoque pour noter que c'est un débat qui me semble sérieux. Mais suggérer qu'il faudrait imposer un fichage de millions de personnes en catégories qui sont justement censées ne pas avoir d'effet légal puisque les hommes et les femmes sont égaux devant la loi au motif de la commodité de la compétition sportive, ce serait juste hilarant si des gens ne prenaient cet argument au sérieux.

Mais ce n'est pas drôle, justement, parce pour le compte des même pas 0.05% (chiffre pifométrique) de la population qui pratique le sport de façon professionnelle ou à un haut niveau de compétition la société entière se laisse dicter une catégorisation de la population tout entière qui, en outre, fait passer toutes les personnes trans pour des fraudeurs en puissance. (Pour être bien clair, et pour dissiper un homme de paille potentiel, je ne nie pas que les mots homme et femme aient un sens, et ce n'est même pas mon propos de dire quoi que ce soit sur la part sociale ou biologique dans la construction du genre : c'est juste qu'on n'a pas besoin de police du genre autrement que pour le sport, et même pas tout le sport, juste le sport compétitif suffisamment malsain pour que les gens aient potentiellement envie de tricher et qu'on ne puisse donc pas juste supposer que les gens choisiront simplement de concourir dans la catégorie qui rend le sport le plus intéressant pour eux.)

Je vois ça comme le même argument fallacieux des gens qui me disaient mais il faut bien bloquer un grand bout de Paris parce que gnagnagna risque terroriste donc les JO ont absolument besoin de ça : ici, il s'agit de prétendre que le sport de compétition a absolument besoin qu'il y ait une police du genre qui vérifie que tout le monde est bien dans la bonne petite case. Je ne suis pas trans moi-même, je suis de façon inambiguë un mec (enfin, je n'ai jamais fait de caryotype donc si ça se trouve il y aurait une surprise, mais disons que je n'ai aucune raison de le croire), mais ça m'horripile quand la société se même de ce qui ne la regarde pas, et ça m'horripile encore plus quand on défend ça par[#27] quelque chose d'aussi futile et par ailleurs malsain que le sport de compétition.

[#27] J'ai bien conscience que ce n'est qu'un prétexte et que les défenseurs de la police du genre trouveraient une autre façon de se mêler de qui a quels organes sexuels s'ils n'avaient pas l'excuse de la compétition sportive, mais le fait est que ce prétexte fonctionne dans une certaine mesure auprès du grand public comme porteur de transphobie, parce que la compétition sportive est une vitrine médiatique incroyable.

☞ Compétition et équité sont contradictoires

Mais bon, transphobie mise à part, toute cette histoire des catégories utilisées par le sport est un vrai merdier.

Parce que, in fine, la compétition sportive veut quelque chose d'intrinsèquement contradictoire : exalter l'élitisme le plus absolu (trouver tous les quatre ans les trois meilleurs au monde dans chaque discipline sportive) et en même temps compenser certaines inégalités comme entre hommes et femmes (peu importe qu'elles soient d'origine sociale, biologique ou autre chose — ce n'est pas ce qui m'intéresse ici), ou, s'agissant des jeux paralympiques, entre valides et handicapés[#28]. Or le sport de compétition ne sera jamais égalitaire ni « juste », c'est le principe même de la notion de compétition de ne pas être égalitaire, et le principe même du sport que de concourir selon les lois de la nature plutôt que les lois plus justes écrites par les hommes. Rechercher la justesse dans le sport de compétition c'est un peu l'équivalent de chercher à réconcilier le communisme et la glorification des personnes les plus riches au monde. Ce n'est pas tellement mon propos de dénoncer ni même de critiquer cette contradiction intrinsèque (si les gens veulent quelque chose de distrayant à regarder, ça les regarde), ni de nier l'utilité sociale de la catégorisation[#29], juste de constater qu'il y a une contradiction intrinsèque, et que, forcément, elle va poser toutes sortes de difficultés inévitables dans la définition des catégories[#30].

[#28] Éventuellement j'ai une certaine curiosité sur la raison pour laquelle compenser précisément ces inégalités-là et pas d'autres (comme je le dis ci-dessous, je pense que c'est une question de la manière dont nous nous représentons certaines formes d'avantage comme subies par l'individu alors que d'autres nous paraissent être le fruit d'efforts, mais tout ça est extrêmement confus). On pourrait très bien imaginer, par exemple, avoir des catégories d'âge aux JO (qui, pour le coup, seraient nettement plus facile à définir, et il y a des raisons vraiment valables d'avoir la date de naissance dans les papiers d'identité, même si j'imagine parfaitement des pays se mettre à tricher là-dessus au moment où on ferait de telles catégories) : j'avoue d'ailleurs que je regarderais peut-être avec une certaine curiosité l'épreuve de boxe réservée au plus de 80 ans.

[#29] C'est un fait que si on retire les catégories homme/femme ou qu'on supprime les jeux paralympiques, il n'y aura pas beaucoup de femmes ou de personnes handicapées sur le podium : or je n'ai pas l'impression que la société ait besoin d'une exaltation exclusive supplémentaire des prouesses des hommes valides. Mais comme on l'aura compris à la lecture de tout le billet, ma façon préférée de répondre à ça est plutôt de s'attaquer à l'idée même d'exalter la compétition sportive.

[#30] La définition des catégories et des épreuves aux jeux paralympiques a quelque chose d'assez fascinant par la manière dont elle cherche à contourner ou ignorer cette contradiction intrinsèque. Pour beaucoup de sports, j'imagine qu'il y a énormément de gens qui se trouvent dans la situation d'être suffisamment handicapés pour n'avoir aucune chance dans les compétitions valides mais insuffisamment handicapés pour avoir le droit de concourir aux jeux paralympiques parce qu'ils n'en remplissent pas les critères techniques : ça doit être frustrant pour eux. En revanche, l'invention de sports complètement nouveaux, comme le goalball (qui peut tout à fait être pratiqué par des personnes voyantes, elles auront un bandeau sur les yeux) me paraît beaucoup plus intéressante comme façon de contourner la contradiction dont je parle et d'éviter les soucis de catégorisation.

La situation est assez révélatrice d'une sorte de sophisme du monde juste : l'idée que si quelqu'un fait assez d'efforts et met assez de volonté pour pratiquer telle ou telle activité sportive, cette personne a des chances sérieuses dans une compétition internationale, et que, donc, la compétition ne glorifie pas l'exploit en tant que tel mais l'effort qui a précédé cet exploit. Comme, dit comme ça, c'est très visiblement faux, et comme ce ne serait pas très rigolo de faire des compétitions basées sur le jugement purement subjectif de « combien cette personne fait d'efforts pour s'améliorer » (j'ai dit plus haut que même au niveau scolaire on n'y arrivait pas), l'idée, telle que je la comprends, est d'essayer de neutraliser les circonstances qui ne dépendent pas de la volonté des concurrents (sexe et situation de handicap, au moins), i.e., d'essayer de démêler dans la réussite sportive les facteurs endogènes (pour les glorifier) et les facteurs exogènes (pour les neutraliser) ; mais cette tentative de séparer les deux est profondément aporétique.

Ne sachant pas bien comment conclure ce billet, je m'arrête sur ce constat de contradiction. Je n'ai pas regardé ces jeux : et je répète que ce n'est pas parce que je n'aime pas le sport, mais parce que je n'aime pas la glorification de la compétition, en tout cas quand elle atteint le niveau que mon test empirique considère comme malsains — lorsque la majorité des concurrents ne sont pas là pour le plaisir, et qu'ils saisiraient une opportunité de tricher si un génie la leur proposait. Nous arrivons à célébrer toutes sortes d'activités humaines sans trop mettre l'accent sur la compétition, il n'y a aucune raison que le sport n'y parvienne pas s'il se donnait le temps d'une réflexion un peu sérieuse de quelle doit être son rôle dans la société.

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