David Madore's WebLog: 2011-11

Vous êtes sur le blog de David Madore, qui, comme le reste de ce site web, parle de tout et de n'importe quoi (surtout de n'importe quoi, en fait), des maths à la moto et ma vie quotidienne, en passant par les langues, la politique, la philo de comptoir, la géographie, et beaucoup de râleries sur le fait que les ordinateurs ne marchent pas, ainsi que d'occasionnels rappels du fait que je préfère les garçons, et des petites fictions volontairement fragmentaires que je publie sous le nom collectif de fragments littéraires gratuits. • Ce blog eut été bilingue à ses débuts (certaines entrées étaient en anglais, d'autres en français, et quelques unes traduites dans les deux langues) ; il est maintenant presque exclusivement en français, mais je ne m'interdis pas d'écrire en anglais à l'occasion. • Pour naviguer, sachez que les entrées sont listées par ordre chronologique inverse (i.e., la plus récente est en haut). Cette page-ci rassemble les entrées publiées en novembre 2011 : il y a aussi un tableau par mois à la fin de cette page, et un index de toutes les entrées. Certaines de mes entrées sont rangées dans une ou plusieurs « catégories » (indiqués à la fin de l'entrée elle-même), mais ce système de rangement n'est pas très cohérent. Le permalien de chaque entrée est dans la date, et il est aussi rappelé avant et après le texte de l'entrée elle-même.

You are on David Madore's blog which, like the rest of this web site, is about everything and anything (mostly anything, really), from math to motorcycling and my daily life, but also languages, politics, amateur(ish) philosophy, geography, lots of ranting about the fact that computers don't work, occasional reminders of the fact that I prefer men, and some voluntarily fragmentary fictions that I publish under the collective name of gratuitous literary fragments. • This blog used to be bilingual at its beginning (some entries were in English, others in French, and a few translated in both languages); it is now almost exclusively in French, but I'm not ruling out writing English blog entries in the future. • To navigate, note that the entries are listed in reverse chronological order (i.e., the most recent is on top). This page lists the entries published in November 2011: there is also a table of months at the end of this page, and an index of all entries. Some entries are classified into one or more “categories” (indicated at the end of the entry itself), but this organization isn't very coherent. The permalink of each entry is in its date, and it is also reproduced before and after the text of the entry itself.

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Entries published in November 2011 / Entrées publiées en novembre 2011:

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(mardi)

Réflexions de café de comptoir pour sauver l'euro

La doublure d'argent (silver lining, à 24€ l'once 😉) de la crise de la dette souveraine européenne, c'est que ça m'aura au moins incité et permis d'en apprendre plus sur l'économie (ou au moins, sur l'économie monétaire et financière) que jamais auparavant. Ce n'est peut-être pas très utile en présence de la fin du monde de savoir au juste pourquoi elle se produit, mais au moins on peut dire qu'on vit une époque intéressante. Je lis maintenant régulièrement le bulletin mensuel de la Banque centrale européenne, et je recommande : c'est beaucoup moins aride ce que ce que le titre peut laisser penser, même si on ne lit pas les 200 pages c'est quand même un résumé assez bien fait de l'actualité monétaire et financière du mois.

J'avoue quand même avoir beaucoup de mal à suivre la comptabilité, parce que je n'ai jamais suivi de cours de compta et j'essaie de deviner les choses en regardant les intitulés et en cherchant quels nombres s'ajoutent pour former quoi, mais ça ne marche pas très bien. Par exemple, chaque bulletin comporte une situation financière consolidée de l'Eurosystème (tableau 1.1 de l'annexe statistique) et un bilan agrégé des institutions financières et monétaires de la zone euro, dont l'Eurosystème (tableau 2.1). Dans les deux cas, donc, il s'agit d'un tableau indiquant l'actif et le passif de la BCE (réunie avec les autres banques centrales de la zone euro), mais je ne comprends pas ce qui rentre dans l'un et ce qui rentre dans l'autre, et je ne suis pas aidé par le fait que même un intitulé exactement identique peut donner des valeurs différentes (pour prendre un exemple assez ridicule, la monnaie fiduciaire en circulation fin octobre 2011 est indiquée à 863.1G€ dans la situation financière et à 889.2G€ dans le bilan comptable comme dans les indicateurs-clés : je sais que trente milliards d'euros ce n'est pas grand-chose, mais quand même, je serais curieux de savoir où ils sont passés). Je suis incapable de trouver, notamment, dans quelle case comptable la BCE fait figurer les obligations d'État des pays de la zone euro qu'elle a achetées sur le marché secondaire (je crois que sur le tableau 1.1 c'est dans la case titres en euros émis par les résidents de la zone euro détenus à des fins de politique monétaire et pas créances en euros sur les administrations publiques comme on pourrait le croire, mais du coup c'est mélangé avec d'autres choses et je n'en connais pas le montant).

Tout ceci m'incite à me livrer à quelques réflexions du style café du commerce à 0.02¤ (le zorkmid est coté à 1729¤ pour 1€, profitez-en) sur la « conjoncture » (comme on dit).

Un peu d'économie de comptoir, donc. Je crois qu'à ce point personne n'a plus de doute sur le fait que la dette des pays de l'UE n'est plus soutenable (sauf sans doute celle de l'Estonie qui est de 7% d'un an[#] de PIB alors que son budget est excédentaire… ça fait rêver), et que la seule façon de limiter les dégâts commence par le fait que la BCE en rachète de façon beaucoup plus active que ce qu'elle a fait jusqu'à présent, et fonctionne en prêteur de dernier ressort.

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(dimanche)

Idiomatismes, régressivité, et autres mots peut-être pas français

When I use a word, Humpty Dumpty said in rather a scornful tone, it means just what I choose it to mean—neither more nor less.

The question is, said Alice, whether you can make words mean so many different things.

The question is, said Humpty Dumpty, which is to be master—that's all.

(Lewis Carroll, Through the Looking-Glass, chap. VI.)

C'est une discussion dans laquelle je me retrouve souvent engagé, et qui recoupe des sujets sur lesquels j'ai déjà ranté : en l'occurrence elle est partie de la question de savoir s'il vaut mieux utiliser idiotisme ou idiomatisme pour désigner une forme, construction ou locution propre à une langue ou à un idiome. Je défendais idiomatisme pour plusieurs raisons : c'est le mot le plus logiquement construit pour correspondre à l'adjectif idiomatique (et faire apparaître la racine d'idiome), et, de fait, c'est ce qu'emploient spontanément la plupart des gens qui ignorent que les grammairiens recommandent idiotisme ; de plus, idiomatisme fait parallèle à l'anglais idiomatism[#0], et loin d'être quelque chose à éviter, les anglicismes sont quelque chose de souhaitable lorsqu'ils ne se font pas à l'encontre du génie de la langue[#] mais contribuent à internationaliser le vocabulaire technique[#2] ; et a contrario, idiotisme a un deuxième sens, qui est celui du mot anglais correspondant, et qu'on lui comprend spontanément quand on ne connaît pas le mot, ce qui peut causer des confusions indésirables (j'ai dit cela par idiotisme est tout de même assez confusant). Mon interlocuteur défendait idiotisme pour deux raisons : il est plus fréquent, et surtout, idiomatisme ne serait pas un mot français, ou serait une faute, preuve étant qu'il ne figure dans aucun dictionnaire (sauf Wiktionary, qui ne compte pas). L'argument de la fréquence est un argument pertinent, je ne le nie pas, je ne vais pas m'étendre à ce sujet, disons juste que le rapport de fréquence ne semble pas suffisamment écrasant pour qu'il suffise à écarter complètement idiomatisme. C'est surtout l'argument des dictionnaires que je veux rejeter avec beaucoup de force.

Je pourrais formuler ma réplique de façon succincte : idiomatisme n'est pas dans les dictionnaires… et alors ?

Je ne sais pas ce que ça veut dire qu'un mot ne soit pas un mot français. Il y a des choses pour lesquelles j'en suis sûr, évidemment, par exemple le mot zycofrène, parce que non seulement il ne figure dans aucun dictionnaire, mais il n'apparaît pas du tout sur le Web au moment où j'écris, on ne voit pas du tout quel sens il aurait, il n'est pas formé de façon logique ou régulière, bref, c'est juste une suite de lettres qui n'a rien d'un mot français à part d'être correctement prononçable. Mais à partir du moment où un mot est effectivement utilisé par des gens qui croient parler français, que sa construction est logique et qu'on en comprend aisément le sens, je ne sais pas quel sens ça a de dire qu'il n'est pas français. Je peux prendre ça pour une définition (n'est pas français un mot qui ne figure pas dans tel ensemble de dictionnaires), mais dans ce cas la question serait : en quoi cette définition est-elle utile ou pertinente ? ou en quoi cela me servirait-il de me restreindre au français tel que défini par cette définition extrêmement étroite (et qui m'interdirait à peu près tout vocabulaire technique). La seule raison pour laquelle j'utilise, moi, essentiellement des mots qui figurent dans le petit Robert, c'est pour pouvoir être compris de mon lecteur ou interlocuteur sans lui demander des efforts importants ou sans lui causer de fatigue mentale — or je ne suis pas sûr qu'utiliser idiotisme au lieu d'idiomatisme aille dans ce sens. Pour moi, un dictionnaire n'est pas quelque chose de normatif ou prescriptif, il n'a pas plus le pouvoir de faire la langue qu'un manuel de biologie n'a le pouvoir de décider la façon dont les cellules se reproduisent.

Et surtout, s'en référer à l'autorité d'un dictionnaire revient à faire la même chose qu'un appel à une divinité pour évacuer un problème de morale : on passe complètement à côté de la question qui est, quel critère cette autorité doit-elle elle-même adopter pour faire ses choix ? Car la langue, indiscutablement, évolue dans le temps, et il faut bien admettre que des nouveaux mots apparaissent. Je ne sais pas comment fonctionnent les éditions Robert et Larousse pour choisir les mots qu'ils ajoutent chaque année à leur ouvrage. Plus exactement, je ne sais pas comment ils font pour (1) repérer les candidats à rentrer, et (2) choisir, parmi eux, lesquels entrent effectivement et lesquels sont laissés à la porte (au moins jusqu'à l'an prochain). Ces deux aspects me posent problème : le (1) parce que je me demande si c'est fait de façon bien scientifique, en dépouillant systématiquement des sources diverses (tels que : journaux, pages Web, Wikipédia, autres dictionnaires) pour repérer tout ce qui n'a pas été considéré, et le (2) parce que leurs critères ne semblent pas documentés de façon claire, on a l'impression qu'il y a beaucoup d'arbitraire (et de fait, Robert et Larousse ne semblent pas vraiment faire les mêmes choix). L'exclusion du mot idiomatisme s'est-elle faite au niveau (1) (parce que personne n'a remarqué que des gens utilisaient vraiment ce mot) ou au niveau (2) (le mot aurait été rejeté, et alors, pour quelle raison) ?

Mon contradicteur me dit qu'il n'y a pas de raison d'admettre le mot idiomatisme parce que le mot idiotisme existe déjà avec ce sens-là (surtout s'il est plus fréquent). C'est un argument qui est sensé, mais qui ne suffit pas. Pour le montrer, prenons l'exemple d'un autre mot : géologiste. Est-ce là un mot français ? Il semble être exactement dans la même situation qu'idiomatisme : c'est un synonyme construit de façon vaguement plus logique mais beaucoup moins usité qu'un autre mot de la même famille, en l'occurrence géologue, et il fait parallèle à un mot anglais (geologist) ; de plus, il ne figure ni dans le petit Robert ni dans le petit Larousse (du moins les éditions que j'ai sous la main, mais je doute que ça ait changé), et pas non plus dans le Trésor de la langue française (TLF) (apparemment si, il était caché sous géologue). Pas français, donc, géologiste ? Et pourtant, celui qui croit à l'autorité des dictionnaires est obligé de reconnaître que si, car le mot figure dans le Dictionnaire de la langue française d'Émile Littré. Et même à l'époque de son édition, il était moins fréquent que géologue puisque Littré écrit synonyme peu usité de géologue : il faut donc croire que cet éminent lexicographe a admis, malgré l'existence d'un mot tout aussi valable de la même famille avec le même sens et plus souvent utilisé, que géologiste pouvait être du bon français. Alors pourquoi pas idiomatisme ?

Bref, il est de ces mots dont le fait qu'ils manquent à un dictionnaire m'incite simplement à hausser les épaules et à dire et alors ? ça montre juste que le dictionnaire n'est pas exhaustif. Car lorsqu'un mot est construit de façon claire, que son sens ne fait aucun doute à la lecture, qu'il ne paraît pas ridicule ou choquant (je ne compte pas défendre la bravitude, par exemple), je ne vois aucune raison de me priver d'en faire tout l'usage que je voudrai. Par exemple, le mot régressivité ne figure, semble-t-il, dans aucun dictionnaire : et alors ? c'est un mot français parfaitement valable, c'est juste un oubli ou un manque de place, ou une décision infondée, s'il n'est pas listé dans les dictionnaires. Il paraît que furtivité était dans une situation semblable jusqu'à pas si longtemps : une décision officielle le propose comme traduction de l'anglais stealth, je ne sais pas si cette décision pensait créer le mot ou en réutiliser un, mais je suis fermement d'avis que ce n'est pas une invention. Le mot perturbant ne figure pas non plus dans le TLF (je veux dire, en tant qu'adjectif : c'est bien sûr le participe présent du verbe perturber, mais la question est de savoir si une idée perturbante doit être approuvé), et n'a apparemment été admis par le petit Larousse qu'en 2009, et probablement assez récemment aussi pour le petit Robert : je refuse de considérer qu'il s'agit d'un néologisme (comme blog, par exemple, qui est indiscutablement un mot nouveau), il s'agit plutôt d'une construction qui n'a été utilisée que très timidement et qui s'est répandue, mais le mot a, à mon sens, toujours été français, même si personne ne l'utilisait, parce que sa construction est évidente et naturelle. Il en va ainsi d'idiomatisme, de régressivité ou de l'adverbe décevamment (qui n'a aucune raison de ne pas exister, et qui existe donc, même s'il s'avère que personne ne l'utilise).

Les choses ne sont jamais parfaitement claires en matière de langue. Évidemment j'ai conscience, quand j'utilise le verbe confuser ou l'adjectif confusant, que je contribue ainsi à faire évoluer la langue : c'est voulu, et je ne compte pas me modérer, mais je reconnais que c'est un tout petit peu exagérer que de dire qu'il s'agit de mots français tout à fait ordinaires — il y a encore une aura, non de néologitude, mais d'inhabitualité, autour de ces mots, et je ne les utiliserais pas dans un contexte de grande solennité. Ce n'est pas tout à fait pareil que quand je propose hétéroïne (pour désigner une femme hétérosexuelle, c'est-à-dire le féminin de l'abréviation un hétéro), qui, lui, est expressément construit et voulu comme un néologisme (plus ou moins humoristique). Est-ce que hétéroïne est français ? Est-ce que confuser est français ? Et qu'en est-il de néologitude ou inhabitualité ? Je ne crois pas que répondre à ces questions ait plus d'intérêt que de discuter du vocatif d'ego ou du sexe des anges. La chose qui importe est doit-on utiliser ces mots ?, et je vois assez peu de contextes où on aurait la moindre raison d'éviter les mots confuser, idiomatisme, régressivité, décevamment, etc. (J'en vois un peu plus pour néologitude ou inhabitualité et hétéroïne.)

En fait, la principale raison de les éviter est qu'on risque de tomber sur des pédants qui vont se faire un plaisir de vous regarder de haut en vous signalant qu'on ne dit pas idiomatisme, on dit idiotisme (sous-entendu : je maîtrise mieux le français que vous, pauvre idiot(e) capable de parler de bravitude). Si vous expliquez après cela que, non, non, c'est voulu, vous pensez vraiment qu'idiomatisme est meilleur, vous passez pour de mauvaise foi (sous-entendu : je suis pris à faire une faute de français, et je défends que ce n'est pas une faute en me raccrochant aux branches). La solution, dans ce cas-là, c'est d'écrire à l'avance une entrée dans votre blog expliquant votre choix, attendre que archive.org la garde en mémoire, et pouvoir dire ah non, déjà en novembre 2011, preuve à l'appui, j'ai montré que je connaissais bien le mot idiotisme mais que je lui préférais quand même idiomatisme. Dont acte. Bref, retenez l'adresse de cette entrée pour pouvoir la ressortir à tous les imbéciles qui vous reprocheront les différents mots zycofrènes que j'ai cités.

[#0] (Ajout ) En fait, il semble que j'aie tort de penser que c'est par anglicisme qu'on fabrique idiomatisme : le mot anglais idiomatism est dans une situation tout à fait analogue au mot français ; sauf que comme les lexicographes d'Oxford sont plus facilement prêts à admettre des choses rares, il figure dans le OED — mais il figure avec des indications comme quoi il est obsolete et rare, et en fait c'est même un hapax (la seule occurrence trouvée est un texte de l'académie de je-ne-sais-pas-quoi de 1771).

[#] Une loi jusqu'à présent infaillible que j'ai constatée est que les gens qui prétendent déceler des anglicismes pour les critiquer montrent, en fait, leur ignorance du français, et on peut généralement trouver des exemples de bons auteurs français ayant commis ce qu'ils croient signaler comme une faute. (Parfois les gens ont des idées vraiment bizarre : quelqu'un m'avait prétendu, par exemple, que l'usage du mot français futur pour désigner l'avenir est un anglicisme, le mot français correct étant, justement, avenir, le mot futur étant réservé, selon lui, au temps grammatical, et à l'adjectif éventuellement substantivé pour désigner le futur époux… je ne sais pas où il était allé chercher cette idée aussi sotte que grenue.) Même les anglicismes commis à dessein sont louables, tant qu'on a bien conscience de ce qu'on fait : le mot implémenter, par exemple, est calqué sur l'anglais to implement, et ceux qui proposent de le remplacer par implanter n'ont visiblement pas compris ce qu'il signifie. Je ne prétends cependant pas qu'il soit souhaitable d'adopter en français toutes les bizarries de l'anglais : il vaut mieux, par exemple, éviter d'utiliser réaliser pour dire se rendre compte, car c'est une bizarrerie de l'anglais que to realize ait ce sens assez illogique vue l'étymologie, donc je préfère ne pas le transposer en français. (Éclaircissement  : Mon but n'est pas de dire que les gens qui utilisent réaliser dans le sens de se rendre compte ont tort, ce serait vraiment le contraire de toute ma thèse que d'affirmer ça ; mon but est d'expliquer que ceci est un exemple de cas où moi, personnellement, je m'abstiens.)

[#2] Je pense par exemple à la terminologie mathématique : je trouve invraisemblablement stupide d'accepter l'idée que positif en français signifie positif ou zéro mais que positive en anglais signifie strictement positif. Pour moi, il ne fait aucun doute qu'il s'agit du même mot, et je trouve aberrant de donner à ce mot un sens qui dépend du hasard de la langue dans laquelle on s'exprime : dans ce cas précis, la solution est d'écrire systématiquement positif ou zéro (positive or zero) quand on veut parler de l'inégalité large, et strictement positif (strictly positive) quand on veut parler de l'inégalité stricte, et réserver le mot positif (positive) aux cas où la distinction n'a aucune importance. [Ajout : sur ce point précis, voir cette entrée ultérieure.]

Ajout : comme on me le fait remarquer en commentaire, je devrais lier vers cette entrée ultérieure, qui est une sorte de suite de celle-ci.

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(jeudi)

Le blues de la correction de copies

Un des cours que je donne maintenant depuis plusieurs années à Télécom est un cours de bases d'algèbre pour la crypto (dans le cadre d'un master de sécurité des systèmes informatiques et des réseaux). C'est un cours qui me plaît bien parce que je peux l'organiser assez librement. Il s'agit essentiellement de traiter un tout petit peu d'arithmétique, les anneaux ℤ/mℤ, le théorème chinois, les éléments primitifs, et la notion de corps fini (pour ceux qui veulent voir les détails, mes notes de cours sont ).

Ce qui me déprime toujours, en revanche, c'est de corriger des copies. Surtout pour un cours où je me suis peut-être personnellement plus engagé.

Ce n'est pas pareil qu'un oral : quand je fais passer un oral (par exemple quand je faisais passer des épreuves de TIPE pour le concours des ENS, ce que j'ai fait pendant quatre ans), j'ai toujours la démarche d'essayer de sauver le candidat, de lui tendre des perches pour rattraper ses erreurs. Ce ne serait peut-être pas l'attitude attendue d'un examinateur pour un oral de concours en général, mais pour les TIPE ça marche assez bien, et pour un oral de rattrapage c'est évidemment mieux. Toujours est-il que je ne supporte pas de voir les gens se planter, alors j'essaie toujours d'aider, et j'arrive à rester très aimable même face aux pires énormités. (Par exemple une fois un candidat aux ENS nous a démontré qu'il ne connaissait pas le théorème de Pythagore, et là mon collègue a quitté la salle parce qu'il n'arrivait plus à retenir son fou-rire alors que moi je continuais à essayer de le sauver.) Ce qui ne veut pas dire que je note de façon spécialement généreuse, et de toute façon aux concours on impose la moyenne et l'écart-type, mais je ne suis jamais cassant.

Pour un écrit, c'est très différent. Les énormités sont couchées sur le papier, il n'y a pas de dialogue possible avec le candidat, aucun moyen de le sauver de ce qu'il a fait. Et c'est extrêmement éprouvant pour mes nerfs. Du coup, paradoxalement, j'ai tendance à surnoter, parce que j'ai tendance à faire tout ce que je peux pour dénicher un petit bout de truc juste dans une question à quoi je pourrais mettre une fraction des points, histoire de me consoler un peu.

Et si c'est moi qui rédige le sujet (ce qui est le cas pour ce cours), je fais tous les efforts possibles pour qu'il n'y ait pas de chausse-trape. Je ne veux pas dire que je ne pose pas de question piège, à l'écrit comme à l'oral ça m'arrive : mais je prends spécialement garde à ce qu'une erreur à une telle question ne puisse pas compromettre la suite, ni même causer de confusion. Je fais toujours très attention, et ce quand j'écris des maths en général, à ce qu'il n'y ait aucune ambiguïté, et souvent j'écris les choses de façon redondante pour plus de sécurité (du style soit A=ℤ/mℤ l'anneau des entiers modulo m, histoire d'avoir à la fois la notation et la version en toutes lettres). Je veille à ce que ne pas savoir répondre à la question N n'interdise pas de continuer l'épreuve. Etc. Bref, quand j'ai fini de rédiger l'épreuve, elle me semble tellement invraisemblablement facile que je ne comprends pas où la moindre difficulté peut encore se cacher (en l'occurrence, vous pouvez voir l'épreuve et son corrige si vous voulez les détails). Et chaque fois c'est la même chose, quand les copies arrivent, c'est un dur retour à la réalité.

Prenons un exemple précis. Je leur fais démontrer — via différentes étapes intermédiares — à la question (2) d'un certain exercice que x36≡1 modulo 247 pour tout x premier avec 247=13×19 ; je leur demande à la question (4) de comparer ce résultat avec un théorème du cours (en l'occurrence un théorème d'Euler, qui affirme que x216≡1 pour ces mêmes x puisque φ(247)=216) et de commenter (l'affirmation x36≡1 est plus forte puisque x216=(x36)6) ; un peu plus loin, à la question (7), je leur fais observer que certain x est effectivement d'ordre 36 et pas moins, et je demande de conclure quel est l'ordre multiplicatif maximal possible d'un élément inversible de ℤ/247ℤ (=un entier premier avec 247, vu modulo 247). Je n'avais même pas pensé que cette question pouvait poser une difficulté : or, même parmi ceux qui ont su répondre correctement à tout ce qui précède (que x36≡1 modulo 247, que ceci est plus fort que le théorème d'Euler qui dit en l'occurrence que x216≡1, et qu'il existe bien x d'ordre exactement 36), tous trouvent quand même le moyen de dire l'ordre maximal est 216 d'après le théorème d'Euler qui affirme que x216≡1. Certains ajoutent même l'injure à la blessure en précisant : un tel élément s'appelle un élément primitif. Bouh hou hou.

Qu'on me comprenne : ce n'est pas que l'erreur est énorme : c'est autrement plus grave, sans doute, d'arriver à passer un concours de fin de prépa scientifique sans savoir que si AB²+BC²=AC² alors le triangle ABC est rectangle en B (d'accord, d'accord, ce n'est pas le théorème de Pythagore que ce candidat ne savait pas, c'était sa réciproque). Si je devais faire un recueil des énormités que je trouve dans les copies, l'exemple du paragraphe précédent ne mériterait même pas d'y figurer. Mais ça me fait mal parce que c'est le genre d'erreur qui ne fait pas dire que c'est l'étudiant qui est nul — c'est le genre d'erreur qui fait dire que c'est l'enseignant qui l'est. En tout cas, en lisant ça, je me dis que j'ai doublement failli : j'ai failli parce que je n'ai pas su expliquer ce qu'est l'ordre d'un élément (et que je n'ai pas assez répété que ce n'est pas parce que xn=1 que x est d'ordre n, seulement qu'il est d'ordre divisant n, et que non, le théorème d'Euler n'affirme pas qu'il existe des éléments d'ordre φ(m), il donne seulement une borne en divisibilité). Et j'ai failli en ne comprenant même pas qu'il y avait quelque chose à ne pas comprendre.

Or c'est ça la chose la plus subtile que doit faire un enseignant : comprendre comment on peut ne pas comprendre quelque chose, comprendre toutes les façons de ne pas comprendre, et les anticiper.

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(Tuesday)

IPv6, MTU woes, and a memo on packet sizes

My parents' Internet Provider (Orange) offers, as yet, no IPv6 connectivity, only IPv4, at least to non-business clients. (Did I mention how much I loathe the whole concept of having business or pro services?) Can you imagine that? IPv4 is soooo 20th-century. I kid, but I tend to think they legally shouldn't be allowed to call it Internet access if it doesn't include the v6 Internet: I'm sure if they had a choice between getting their act together and having to relabel their advertisements, they'd somehow discover the means to make it happen very fast. But I digress. I use IPv6 a lot because I have it at home and at work, and it really makes my life simpler when it comes to connecting to N different computers which are hidden behind a single v4 IP (at my parents' place, N≥6 not counting mobile phones and such, thanks to my father's technology buying sprees).

Up to recently, for my parents' access, I relied on 6to4 (the magic 2002::/16 space which provides every IPv4 with a septillion v6 addresses): 6to4 is really nice because it works without having to register anything: in one direction, you just encapsulate your v6 packets and send them to the magic v4 multicast address 192.88.99.1 and some good Samaritan sends them to the v6 Internet, and in the other direction, some other good Samaritan encapsulates packets sent to your 2002:xxyy:zztt::/48 space and delivers them to your v4 address. Exactly who these good Samaritans are, and how come they haven't closed everything down because of security concerns, beats me; but 6to4 is remarkably simple to set up, and allows anyone with a fixed IPv4 address not sitting behind a fascist firewall to gain IPv6 connectivity instantly. Neat. (In fact, it can even be useful to work around a stupidly configured firewall: the network administrators at my alma mater — I mean the ENS — refuse to learn anything about IPv6, they have stupid firewalls set up in various places, such as on the library Wifi or Ethernet, and these firewalls will let 6to4 happily through, which makes the whole thing a bit inane.)

But for some reason, Orange recently stopped routing to 192.88.99.1. Whether this is intentional is debatable; I don't know. But at any rate, I lost 6to4 because of this. I might have used some other (unicast) encapsulating Samaritan instead, like 194.95.109.1566to4.ipv6.fh-regensburg.de, but that didn't seem very robust or practical, so I decided to get a dedicated (static) tunnel instead.

Fortunately, a tunnel is available free of charge from Hurricane Electric. Actually, I'm pretty amazed at how simple it is: registering an account and setting up a tunnel only takes a few minutes, and they give you a /48 on demand (plus a /64 and a bonus /128). In contrast, the other tunnel provider I know of, SixXS, is really inquisitive, they practically ask for your grandmother's maiden name before you can get a tunnel (and you have to promise a lot of strange things, like keeping the tunnel up 24/7 — sort of bizarre, I don't see why they would care). Anyway, I got one for my parents, and I can really say I recommend Hurricane Electric.

But there is one thing which is the scourge of tunnels in general, and IPv6 tunnels in particular: MTU woes.

The MTU (Maximal Transmission Unit) is the maximal size of a network packet that can go through an interface. The typical value would be 1500, which is the MTU of a standard Ethernet interface (without the so-called jumbo frames extension). When a packet is too large to go through a network interface in a single piece, there are basically two possibilities: either a packet is returned to the sender with the datagram too large error (ICMP), or the packet is fragmented in smaller pieces. The latter is problematic for various reasons and tends to be avoided. The former is nice, except that various sorts of reasons, all a variant of the stupid network administrator kind, can cause ICMP packets (hence, the error) to be lost.

When a packet must go through a tunnel, things get worse: the tunnel appears as a single network interface, but it might not know what its own MTU is, because that depends on every intervening link on the tunnel's route (which might not even be constant). If the tunnel allows fragmentation, this is not really a problem (the MTU is then pretty arbitrary), but it typically doesn't, because fragmentation requires more work of the tunnel endpoints and causes inefficiency. If the tunnel does not allow fragmentation, it should, ideally, maintain its MTU dynamically by starting with some standard value, ajusting it whenever it receives a datagram too large error, and sometimes tentatively increasing it again in case the route has changed to something better. I'm afraid real tunnels rarely do this.

Hurricane Electric's tunnel won't fragment, and apparently autocratically sets its MTU to 1480: incoming packets larger than this receive a datagram too large ICMP message from HE's end of the tunnel, and smaller packets try to go through. But they may not succeed: and if they don't, even though they may receive a packet too large at the v4 layer supporting the tunnel, this won't be translated to the corresponding error at the v6 layer. So the tunnel is a black hole for packets with a size just below 1480 but larger than the true MTU (which should rather be called MRU, Maximal Reception Unit, in this context, since I am talking about packets which, seen from my end of the tunnel, are inbound).

This is unfortunately a very common problem. Its general consequence is that connections will simply freeze, because they are established without problem, but once an inbound packet is sent that is too large, it will never go through, and typical TCP hosts use no mechanism to dynamically adjust the path MTU (more about this in a minute).

In my case, my parents' Internet connection by ADSL seems to have an MTU of 1456 (measured at the PPP level). I don't know why it's so low: my own home Internet connection, also by ADSL, apparently has 1492, which is normal for PPPoE (the PPPoE protocol is used to communicate with the ADSL modem by encapsulating PPP data over Ethernet frames; for some reason I can't imagine, the modem does not decapsulate the Ethernet frames but rather sends them directly on the ATM link used by ADSL: it is thus more accurately PPPoEoA; since for some other reason I also can't imagine fragmentation of PPP data is also forbidden between Ethernet frames, the link MTU is limited by the Ethernet frame size, 1500, minus the PPPoE overhead, 8). The PPPoA protocol would give a better — higher — MTU, but there doesn't seem to be a way to use it while doing the PPP negociation on the PC rather than on the modem: I already complained about this a while ago.

The problem isn't specific to IPv6: the same problem can occur at the IPv4 level: my parents' Internet connection seems to lose packets of size greater than 1456 even at the v4 level (which is all Orange provides, anyway), with no kind of error packet being received. However, of course, Internet providers will do all that is necessary for ordinary IPv4 TCP connections to work: typically they will clamp the TCP maximal segment size to the right value. (This is maddeningly and mind-bogglingly stupid, when you think of it: instead of making sure they send out the right error messages when too large a packet is received, they prefer to mangle TCP connections.) They won't do that at the v6 level, so the subscriber has to do it.

In principle, there's a mechanism, suggested by RFC 4821, which explains how to work around MTU problems by letting the transport layer (typically TCP) discover the right path MTU by itself. Unfortunately, this mechanism (which is enabled under Linux by setting the sysctl net.ipv4.tcp_mtu_probing — despite its name, I'm told this also concerns IPv6) needs to be enabled at both ends of the connection for it to be of real use: and at any rate, since my problem is that my Internet connections won't receive datagrams that are too large, I would need it enabled on hosts that talk to me, and that I can't control. Bad luck.

Instead, one must resort to a hack called TCP MSS clamping (as I mentioned above, it seems that many Internet providers do it anyway, at the v4 level), which consists of letting the router alter TCP packets to make sure their maximal segment size (MSS) is low enough. Under Linux, this is done with something like: /sbin/ip6tables -t mangle -A FORWARD -p tcp --tcp-flags SYN,RST SYN -j TCPMSS --clamp-mss-to-pmtu (this is necessary only on the router, for TCP connections that are being routed through it: for inbound or outbound TCP connections, the host will know the correct MSS anyway). Unsatisfactory, because it will not save SCTP, but as my father likes to say, you can't make a silk purse out of a sow's ear.

One of the annoying aspects of this tinkering with packet sizes is that every tool seems to measure packet size differently. The TCP maximal segment size, for example, is not equal to the MTU because of the overhead brought by IP and TCP headers. Every time I have to fight this battle, I must figure out the right constants. So, in an effort to save myself some efforts the next time, and perhaps be of use to someone else, here is something I wrote down:

IP packet size = IP header size (20 for IPv4, 40 for IPv6) + IP payload; IP packet size is bounded by interface MTU. For TCP: IP payload = TCP header size (20) + TCP segment size; TCP segment size = TCP segment payload + TCP options size (typ. 12), but TCP segment size (not payload) is bounded by MSS; so MSS is typically MTU−40 for IPv4, MTU−60 for IPv6. For ping: ping -s defines ICMP payload size; IP payload size = ICMP payload size + ICMP header size (8); so IP packet size is ICMP payload + 28 for IPv4, + 48 for IPv6. Ethernet frame: Ethernet header size (14) + IP packet size + Ethernet CRC (4) (but this size is hardly ever useful; 1500 is Ethernet standard MTU). Tunnel overheads: PPPoE adds 8 bytes (PPPoE headers (6) + PPP headers (2)); 6in4 adds 20 bytes (IPv4 payload of 6in4 = IPv6 total packet size).

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(vendredi)

Fragment littéraire gratuit #139 (héritage)

Je ne le connais pas : je suis sûr que je ne l'ai jamais vu ; pourtant, sa tête me dit quand même quelque chose. Il doit avoir un peu moins de vingt ans ; grand, plutôt longiligne, cheveux châtains mi-longs, barbe de trois jours ; il est habillé tout en noir, sur son hoodie le dessin d'un dragon, il porte un pendentif en acier en forme de dent. Un piercing à l'oreille droite. Son visage semble fatigué, comme s'il avait vieilli prématurément.

Je m'aperçois qu'il tremble.

Je lui demande ce qu'il veut. J'essaie de ne pas trop montrer qu'il me dérange. Il voudrait me parler. C'est compliqué. C'est bizarre. De préférence pas ici sur le pas de la porte.

Je n'ai pas voulu le faire entrer (je ne tenais pas à ce qu'il voie mon attirail), alors, même si ça m'embêtait, je l'ai emmené dehors, dans un parc un peu calme. On s'est assis sur un banc.

Donc, tu voulais me parler ? Je masque mon impatience. Je peux bien lui consacrer quelques minutes. Peut-être que tu devrais commencer par te présenter ? Zut, j'ai été sec.

Il reste silencieux. Il tremble de plus en plus. Je lui demande s'il va bien. Il finit par éclater :

Voilà : vous êtes mon père.

Première réaction, je n'ai pas dû bien comprendre. Je réécoute mentalement ce que j'ai entendu : oui, il a bien dit ce que j'ai cru. Deuxième réaction, c'est une blague, je suis dans un truc genre caméra cachée. Je m'apprête à lui répondre que le texte c'est je suis ton père, et que même s'il a la tenue de la bonne couleur, il manque le masque sur le visage et la respiration de…

Merde, il est en train de pleurer. Il essaie de le cacher, mais ses yeux sont rouges et il tremble encore plus. Je fais quoi, moi ?

Écoute, je ne sais pas ce qui te fait penser ça, mais ce n'est pas possible. (J'essaie de prendre une voix neutre, d'éviter toute moquerie.) Tu sais, pour avoir un enfant, il faut, euh, il faut faire quelque chose, et je suis quand même bien placé pour savoir que je n'ai pas couché avec une femme. (Je ne peux pas m'empêcher de penser : si c'était une caméra cachée, ils doivent s'amuser.) Puis une évidence me frappe : D'ailleurs, vu l'âge que tu dois avoir, je suis de toute façon trop jeune pour être ton père. Quand tu es né, je n'avais rien fait avec personne. (Enfin, sauf avec moi-même.) Je n'avais peut-être pas besoin d'ajouter ça.

Il dit un truc dans un sanglot. Je ne comprends pas. Il répète. C'est un nom. Une fille qui était dans ma classe au collège. Sa mère.

D'accord, j'ai peut-être rencontré sa mère, mais je l'ai à peine connue, et certainement pas au sens biblique. Je lui explique qu'il doit s'être trompé. Peut-être quelqu'un d'autre dans la même classe ?

Je peux peut-être l'aider à enquêter ? (Merde, pourquoi j'ai dit ça ? Et si c'était une arnaque sophistiquée ? Non, il a l'air trop sincère.)

En fait, je me rends compte qu'il m'attendrit, ce gamin. Il est là en train de me raconter un truc complètement cinglé, je ne sais pas comment il s'est mis ça dans la tête, mais sa crise de nerfs est touchante. En même temps, je ne sais pas comment réagir. J'ai envie de le prendre dans mes bras. Je me retiens : on ne sait pas comment ça pourrait être interprété, comme un aveu, comme une avance.

Donc je reste comme un con à le regarder pleurer.

Elle est morte. Il parle de sa mère. Il y a quelques semaines. D'une leucémie. Apparemment elle m'a désigné formellement comme le père.

Peut-être, mais je ne le suis pas. Qu'elle se soit trompée de bonne foi ou que ce soit un plan étrange pour me faire adopter le gamin, je suis maladroit face à un adolescent endeuillé, toujours est-il que je ne suis pas son père.

Et voilà qu'il me sort le test ADN. Il m'explique qu'il voulait être sûr, alors il m'a espionné de loin, il a récupéré des cheveux que j'avais perdus, il les a envoyés à une boîte américaine trouvée par Internet, qui fait des tests de paternité très vite et sans formalités.

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(dimanche)

Les nombres surréels sont-ils intéressants ?

J'ai évoqué brièvement dans une entrée passée les nombres surréels de Conway. En marge de ma saga sur les ordinaux (commencée ici), je voudrais essayer d'en parler un peu plus ici (comme d'habitude, je promets de faire en sorte de dépendre le moins possible des entrées passées et d'être largement self-contained), et discuter notamment de la question de savoir dans quel mesure ces objets sont naturels, ou intéressants. Je sais qu'ils fascinent beaucoup les mathématiciens amateurs ou moins amateurs, parce qu'ils sont une classe de nombres extrêmement généraux, unifiant à la fois les ordinaux et les nombres réels : on aime bien, en maths, trouver des généralisations communes à plusieurs choses (et c'est vrai que c'est assez rigolo de se dire qu'il y a des « nombres » comme ω√2 ou ε−½). Il y a aussi de jolies analogies entre ces nombres surréels et les nimbres, ces derniers étant une sorte de version en caractéristique 2 de la même chose. Ceci étant, je n'arrive pas vraiment à décider si je trouve les nombres surréels vraiment élégants ou insupportablement bricolés, et je veux présenter des arguments dans les deux sens.

Suites de signes

Je vais prendre la définition suivante : un nombre surréel est une suite de signes plus (+) et moins (−), dont la longueur peut être ou non finie, et est en général un ordinal. (Cet ordinal est appelé par Conway la date de naissance du nombre surréel en question.) Parfois on peut avoir envie d'imposer à cette longueur de ne pas être trop grande, j'y reviendrai.

0 −1 1 −2 −½ ½ 2 −3 −3⁄2 −¾ −¼ ¼ ¾ 3⁄2 3

Par exemple, la suite vide () servira à désigner le nombre 0 (c'est le seul nombre surréel né le jour 0), la suite de longueur 1 formée d'un seul plus (+) le nombre 1 tandis que la suite (−) sera le nombre −1 (ce sont les deux nombres surréels nés le jour 1). Les quatre suites possibles de longueur 2, (++), (+−), (−+) et (−−) seront les nombres 2, ½, −½ et −2 respectivement (les quatre nombres surréels nés le jour 2). Comme je n'ai pas encore expliqué comment on ajoute ou multiplie les nombres surréels, il est normal de ne pas comprendre pourquoi ils correspondraient à ces valeurs précises, mais je donne ces exemples juste pour situer. En fait, n'importe quelle suite finie de + et de − codera un nombre dyadique, c'est-à-dire de la forme p/2r (avec p et r entiers). Ces suites forment un arbre, représenté ci-dessus si votre navigateur gère le SVG (prendre la branche qui descend à droite revient à ajouter un + à la fin de la suite, et celle qui descend à gauche revient à ajouter un −), et dont on devine assez bien la règle de correspondance avec les dyadiques : pour construire le niveau r en ayant construit les niveaux antérieurs, chaque nœud représente le nombre qui est la demi-somme du nombre immédiatement à gauche et du nombre immédiatement à droite dans les niveaux précédents (je veux dire, l'ancêtre le plus récent qui soit situé sur la gauche, resp. sur la droite, du nœud considéré), sauf pour le nombre le plus à droite d'un niveau donné qui s'obtient en ajoutant 1 à celui du niveau précédent (c'est donc l'entier r) et pour le nombre le plus à gauche qui s'obtient en soustrayant 1 à celui du niveau précédent (c'est donc l'entier −r).

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(samedi)

Exérèse des entrées trop grosses

Je suis en train de rédiger une nouvelle entrée-fleuve (le sujet est gardé bien secret pour le moment ☺️). L'ennui avec les entrées-fleuves, c'est qu'elles rendent la lecture du blog un peu désagréable pour ceux qu'elles n'intéressent pas.

Je tente donc un changement technique pour séparer les entrées-fleuves en leur donnant leur propre page. Les pages mensuelles (ou par catégorie, ou des 20 entrées les plus récentes) ne contiendront donc que le début de l'entrée, qui se termine alors par un lien lire la suite qui permet de voir la totalité. Voyez mon entrée sur les ordinaux par exemple.

A priori, pas de grosse difficulté technique à ça. Mais il y a des choix à faire qui ne sont pas évidents, parce que maintenant, une telle entrée-fleuve se retrouve avec deux liens évidents, un lien vers sa page propre et un lien vers la version abrégée sur la page mensuelle (sans compter l'éventuelle page par catégorie ou la page des entrées récente, qui contiennent aussi une version abrégée). Dans quelle circonstance faut-il utiliser un lien ou l'autre ? Le permalien, clairement, doit pointer vers la version complète en page propre ; mais quid du flux RSS, des liens dans le texte d'une autre entrée, de l'index général du blog, de la page de commentaires ? (Bon, les commentaires, de toute façon, il faudra que je refasse tout ça à zéro, donc ce n'est pas très important.)

J'ai l'impression que je fais beaucoup plus de liens internes (et peut-être beaucoup plus de liens tout court) que le blogueur typique. Et je procède un peu différemment : là où la plupart des blogueurs utiliseraient (je crois) simplement le permalien de l'entrée, mon moteur de blog fait attention au fait que la cible du lien peut être présente sur la même page que la source, et dans ce cas il utilise la page en question, ce qui évite d'avoir à faire le chargement d'une nouvelle page. Par exemple, si je parle de l'entrée précédente, vous remarquerez que ce lien vu depuis la page des entrées récentes pointe sur la même page, et continuera à pointer comme ça jusqu'à ce que cette entrée soit la dernière entrée récente. Ça me semblait évidemment souhaitable quand j'ai eu cette idée, mais en fait, je ne sais pas si ça l'est vraiment (par exemple, il y a des gens qui utilisent du coup ces liens internes comme des parmaliens, et forcément ça casse). En mettant certaines entrées sur une page à elle, choisir la destination des liens devient encore moins évident. Surtout que je peux faire un lien vers une ancre à l'intérieur d'une entrée, et dans ce cas il ne faut évidemment pas que ce soit vers la version abrégée si elle ne contient pas l'ancre en question !

Bref, j'ai fait un choix pour l'instant (par exemple, au moment où j'écris, le lien entrée sur les ordinaux trois paragraphes plus haut pointe vers la version coupée), et je changerai peut-être d'avis plus tard… Ce n'est pas vraiment important tant que les liens ne cassent pas (et je fais toujours très attention à ça).

Je devrais peut-être utiliser plus de magie en JavaScript. Par exemple, ça pourrait être JavaScript qui décide si le lien est disponible sur la même page, plutôt que le faire en générant le HTML, comme ça les gens qui recopient le lien auraient forcément un permalien. Idem, le lien lire la suite pourrait aller modifier le document plutôt qu'ouvrir une nouvelle page. Je ne sais pas vraiment ce que je veux.

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(vendredi)

Mon modem ADSL a des vapeurs

Mon modem ADSL a des vapeurs. Ou peut-être que c'est la ligne, je ne sais pas. Toujours est-il qu'alors que jusqu'à récemment ça marchait impeccablement, depuis quelques jours le modem perd la synchro plusieurs fois par jour (une dizaine, je pense), à chaque fois pendant une ou deux minutes.

(Apparemment, il y a une question de marge signal/bruit — je ne comprends pas en détail ce que ça mesure, mais on voit l'idée — que le modem essaie de garder à au moins 10dB ou peut-être 20dB, quitte à baisser diminuer la vitesse de la ligne s'il n'y arrive pas. Dans mon cas, après un reset complet, il passe beaucoup de temps à essayer différentes vitesses, et finalement la baisse jusqu'à une valeur de 5269kbps, où il atteint une marge de bruit d'environ 25dB. Je n'ai pas exactement de chiffre de référence, et je ne sais pas ce que j'avais avant ces problèmes de déconnexion, mais 5Mbps, ça me semble plutôt très mauvais, il devrait faire le double ou peut-être même le triple. Et apparemment même comme ça il n'est pas bien stable, donc.)

Ce n'est pas catastrophique, mais c'est quand même gênant (first world problem, je sais, je sais). J'ai un peu du mal à comprendre comment un dispositif pareil puisse vieillir, et j'ai plutôt tendance à soupçonner que quelqu'un côté central a débranché ma ligne pour une opération quelconque et l'a mal rebranchée, ou n'importe quoi de ce genre. Toujours est-il qu'il faut que j'essaie avec un nouveau modem, avant de pouvoir me lamenter que ma ligne est pourrie.

Je suis tombé sur ce document, qui explique assez bien comment est structuré le transport sur une ligne ADSL, et notamment la différence entre PPPoA (PPP-over-ATM) et PPPoE (PPP-over-Ethernet, qui devrait en fait s'appeler PPPoEoA parce qu'en aval du modem tout est sur ATM). C'est assez merdique, parce que chacun des deux a des défauts majeurs. Le défaut de PPPoE est qu'il ne permet pas de fragmenter les paquets (je ne sais pas, mais alors vraiment pas, pourquoi on n'a pas tout bêtement prévu cette possibilité), du coup on perd la place des en-têtes en plus, et on se retrouve avec une MTU, c'est-à-dire une limite sur la taille des paquets, plus petite que ce qu'elle devrait être (enfin, la MTU ce n'est pas celle-là qui pose problème, c'est plutôt la MRU, limite sur les paquets entrants), et comme le fournisseur d'accès ne déclare jamais correctement ces choses et ne renvoie pas d'erreurs correctes si le paquet est trop gros pour passer dans le tunnel, on a des problèmes mystérieux comme des connexions qui freezent (ça ne se voit pas dans un usage basique sur IPv4 parce que les fournisseurs d'accès font tout le bugware nécessaire, mais dès qu'on fait des choses un chouïa exotiques, ces problèmes de MTU sont à s'arracher les cheveux). Le défaut de PPPoA, outre qu'il semble qu'il soit en train de disparaître (par exemple chez Orange), c'est qu'il n'y a aucun protocole prévu pour le transporter sur l'Ethernet entre le modem et le PC (sauf un vieux truc, PPTP, qui semble avoir totalement disparu de la circulation) : du coup on doit faire toute l'authentification PPP dans le modem (ce qui implique une perte de contrôle fin que je veux éviter, et ce qui implique certainement de ne pouvoir utiliser ce que le modem sait transmettre, donc généralement pas IPv6). Sauf peut-être avec un modem USB, je ne sais pas bien. Mais dans tous les cas, tout cela est merdique. Et à une époque où tout le monde passe par une « box » magique qui interdit de contrôler soi-même le détail de ce qui passe par la connexion ADSL, ça ne risque pas de s'arranger. (Je dois sans doute me faire une raison : le jour où j'accepterai de passer à la fibre, je serai de toute façon obligé de passer par une telle « box ».)

Si c'est moi qui avais conçu le système, on ferait du PPPoA sur le lien ADSL, et du PPPoE sur le lien entre le PC et le modem, le modem décapsulerait les trames Ethernet (qui auraient le droit de fragmenter des paquets) et rassemblerait ça sur de l'ATM, et il n'y aurait aucun problème. Je ne comprends pas pourquoi on n'a pas adopté cette solution ! (L'idée de réencapsuler le PPPoE sur de l'ATM semble tellement abyssalement crétine que j'imagine que j'ai raté un truc et qu'il y a quand même une raison de faire comme ça.)

Toujours est-il que je ne sais pas quoi acheter comme modem.


Mise à jour () : Il semble bien que c'était le modem (ou alors les filtres, j'ai tout changé) qui était en cause, parce que le nouveau se synchronise à environ 15Mbps et semble stable (marge signal/bruit très constante autour de 10dB). Je croise les doigts.

Donc, moralité : un modem ADSL, ça peut effectivement vieillir et avoir des vapeurs en vieillissant.

Le nouveau est un D-Link DSL-320B. Je n'avais aucun choix, c'est le seul que Surcouf avait (et quand je dis le seul, je ne veux pas juste dire le seul modèle, je veux dire le seul article : apparemment les modems ADSL sont un gadget en voie de disparition à l'époque des *box).

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