Pour la quatrième fois consécutive, j'ai déboursé une somme ridiculement élevée (et qui augmente, d'ailleurs, nettement plus vite que l'inflation ; cette année j'ai eu de la chance, je suis arrivé la veille de la révision des tarifs, et je n'ai craché « que » 840€) pour m'inscrire au Club Med Gym afin d'y faire de la muscu.
C'est donc l'occasion de me demander pourquoi au juste je fais ça, et affronter mes contradictions à ce sujet. Enfin, affronter, peut-être pas, mais au moins contempler.
La première année je n'ai quasiment pas profité de cette
inscription payée à prix d'or. Mais à partir de fin 2009 (environ),
j'ai été raisonnablement sérieux (raisonnablement sérieux
, ça
veut dire quelque chose comme 3–4 séances chaque semaine, d'à peu près
une heure, et en me fatiguant vraiment). Et je ne sais pas, en fait,
pourquoi je le fais. Certainement pas pour la santé : je soupçonne
que c'est même vaguement néfaste, et que si je voulais m'occuper de ma
santé je devrais plutôt faire du cardio-training (j'ai à peu près
autant d'endurance qu'un muon : 2.2µs) et pas de la muscu. Pas non
plus pour regarder des jolis garçons : même si la faune dans une salle
de muscu est à 95% masculine et respire la testostérone, en vérité
elle n'est pas très intéressante du point de vue esthétique.
Pour soigner mon apparence, alors ? La différence (par rapport à
il y a deux ans) est certaine si je me regarde nu dans un miroir, et
c'est sûr que ce n'est pas désagréable. Mais les gens qui me voient
nu ne sont pas très nombreux : il y a mon poussinet, qui s'en fout… et
c'est tout. Comme je n'ai pas l'habitude de mettre des vêtements
hyper moulants (au contraire, je porte plutôt du baggy), à part les
quelques jours de l'été où j'aurai un débardeur, personne ne
remarquera si j'ai des bras musclés ou encore moins des tablettes de
chocolat. (Et même les quelques jours de l'été où je suis peu
couvert, on va surtout voir que je suis blanc comme une endive.) De
toute façon, j'ai un squelette à la carrure d'apparence chétive ; de
toute façon je n'ai sans doute pas un métabolisme à prendre beaucoup
de muscle ; et de toute façon je n'ai pas le temps d'y passer ma vie
comme les gros bourrins qui ont l'air d'être toujours là quelle que
soit l'heure à laquelle je puisse aller à la salle de muscu. Donc
même si j'ai une petite satisfaction intérieure à constater que sur
l'échelle impitoyable du curseur
placé sur le tas de fonte
(si certains se demandaient de quoi
parlait ce fragment, vous avez la réponse…) je suis en fait plutôt
dans les meilleurs, je n'ai aucune chance d'approcher le niveau de ces
gros bourrins. Parce qu'il y a vraiment des gens qui prennent ça avec
un sérieux impressionnant quand ils discutent de leur programme, quand
ils parlent de phase de séchage ou de prise de poids, de la différence
entre tel ou tel mouvement, on ne peut qu'admirer tant de science
(même si, à vrai dire, je suis un peu sceptique quant aux fondements
scientifiques de tous ces préceptes ; je crois que c'est juste le
temps qu'ils y passent qui explique tout).
Il y a sans doute le fait de taper dans mes complexes d'ado moche
et nul en sport, et qui m'autoconvainquais que je n'aimais pas le
sport et que c'était un truc à la con. (Pardon, j'ai eu une
discussion interminable avec un ami sur la question de savoir si la
musculation peut être considérée comme un sport. Je corrige donc
virtuellement sport
en activité physique ou sportive
dans ce qui précède.) Je voudrais me prouver à moi-même que je peux
ne pas être malingre toute ma vie.
Mais finalement, je pense que c'est un exercice de futilité absurde. Soulever un poids et le reposer, recommencer, recommencer, recommencer, et compter les ordinaux, ça fait penser à quelque chose :
Je laisse Sisyphe au bas de la montagne ! On retrouve toujours son fardeau. Mais Sisyphe enseigne la fidélité supérieure qui nie les dieux et soulève les rochers. Lui aussi juge que tout est bien. Cet univers désormais sans maître ne lui paraît ni stérile ni fertile. Chacun des grains de cette pierre, chaque éclat minéral de cette montagne pleine de nuit, à lui seul, forme un monde. La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d'homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux.