J'avais déjà écrit sur un sujet
proche : il est curieux de constater que malgré mon individualisme
et mon indépendance revendiqués, j'éprouve un besoin indéniable
d'appartenir à des groupes (je parle, là, de groupes plutôt petits
— plus des « bandes » que des « communautés »), et je souffre
d'une certaine manière de ne pas arriver à en trouver dans lequel je
m'intègre complètement.
Disons globalement que c'est peut-être finalement un de mes loisirs
préférés que de discuter avec des gens, des groupes de gens, d'à peu
près n'importe quoi (ou, à défaut de parler, d'écouter parler). Tout
simplement, j'aime la compagnie.
Je suis mathématicien (enfin, ce n'est pas encore acquis, on vous
met tellement de bâtons dans les roues pour rentrer dans ce métier !
mais admettons que je le sois). Pourtant, je ressens beaucoup de
timidité, et finalement assez peu d'affinité, par rapport aux autres
matheux ; quand ils parlent de maths, je ne comprends jamais rien (je
me demande toujours si c'est une impression partagée et qu'on n'ose
pas le dire, ou si c'est juste moi qui suis vraiment très lent à
comprendre) ; et quand ils parlent de « potins mathématiques » (du
style, qui a eu un poste à quel endroit, qui a fait des progrès dans
tel domaine, qui est influent, voire, qui couche avec qui) ça ne
m'intéresse pas du tout (bon, a posteriori je me rends souvent
compte que ça peut être dommage pour moi de ne pas plus tendre
l'oreille, mais le fait est que je trouve ça plutôt ennuyeux). De
toute façon, les mathématiciens ne forment pas vraiment des groupes,
ils se côtoient mais ne se fréquentent pas beaucoup — ils sont
assez solitaires.
Je suis geek, au moins au sens passionné d'ordinateurs (enfin, je
suppose — disons que j'ai plutôt une relation d'haine-amour avec
ces sales machines). Mais les geeks non plus ne forment pas vraiment
des groupes. Et quand ils le font, d'ailleurs, ça a tendance à
devenir limite glauque, et en tout cas tout à fait monothématique pour
ce qui est de la conversation, ce que je n'aime pas du tout (une des
choses qui m'insupportent le plus, ce sont les gens ou les groupes de
gens capables de ne parler que d'un seul sujet).
Je suis pédé, mais je trouve de plus en plus que je n'ai rien en
commun avec les autres homos (déjà assez peu avec ceux de la culture
mainstream, et généralement encore beaucoup moins
avec ceux qui sont fiers de dire qu'ils s'en éloignent). À commencer
par le fait que je n'en connaisse aucun autre (qui se revendique
ouvertement homo) qui ne soit pas en couple et qui n'ait aucune forme
de vie sexuelle (et pas par choix, ni par attachement à un idéal de
couple, ou quelque raison de ce genre) : mine de rien, ça fait quand
même une singularité marquante (dont je me passerais bien !) qui rend
un peu bizarre la fréquentation de groupes unis justement par
l'orientation sexuelle ou les préférences affectives. Je crois aussi
avoir assez peu de goûts en commun avec le gay le plus visible (par
exemple, au niveau vestimentaire — enfin, bon, je n'ai pas de
goûts tout court, en fait).
Ces temps-ci je fréquente surtout des normaliens, mais il est
indéniable que la différence d'âge se fait sentir (ou alors l'idée que
les élèves et les enseignants ne doivent pas se mêler ?), en tout cas
il y en a qui ne m'adressent pas la parole (sans doute pour des
raisons diverses, mais l'idée générale doit être que je suis un boulet
qui piétine leurs plates-bandes). Heureusement j'arrive encore à y
avoir un cercle d'amis très chers, mais le fait est que les gens
finissent par se disperser : ce n'est pas quelque chose de
durable.
Enfin, bien sûr, c'est l'idée générale : j'ai des amis auxquels je
tiens beaucoup dans toutes ces catégories, ou dans plusieurs d'entre
elles, ou dans d'autres. Mais la morale, c'est que parfois le critère
qui constitue le groupe rend le groupe, finalement, moins intéressant.
Je ne sais pas si je suis clair. Je pourrais essayer de rencontrer
des gens, mettons, en jouant à des jeux de rôle (c'est un exemple
arbitraire, ça marche avec n'importe quel autre jeu, ou en faisant je
ne sais quel sport, ou en pratiquant d'un instrument de musique, ou
n'importe quoi) : mais, finalement, ce n'est pas le jeu qui
m'intéresse, ce sont les gens, et le groupe de gens est rendu en un
sens moins intéressant parce qu'il est relié par quelque chose qui
n'est pas mon intérêt primaire.
Un vrai maître (ou un α-mâle, comme dirait quelqu'un)
constituerait ses propres bandes autour de lui par son seul charisme,
et sans avoir besoin d'un prétexte fédérateur.
Hum… peut-être que je derais fonder une secte ? Argh, zut,
c'est déjà fait.