David Madore's WebLog: 2014-05

Vous êtes sur le blog de David Madore, qui, comme le reste de ce site web, parle de tout et de n'importe quoi (surtout de n'importe quoi, en fait), des maths à la moto et ma vie quotidienne, en passant par les langues, la politique, la philo de comptoir, la géographie, et beaucoup de râleries sur le fait que les ordinateurs ne marchent pas, ainsi que d'occasionnels rappels du fait que je préfère les garçons, et des petites fictions volontairement fragmentaires que je publie sous le nom collectif de fragments littéraires gratuits. • Ce blog eut été bilingue à ses débuts (certaines entrées étaient en anglais, d'autres en français, et quelques unes traduites dans les deux langues) ; il est maintenant presque exclusivement en français, mais je ne m'interdis pas d'écrire en anglais à l'occasion. • Pour naviguer, sachez que les entrées sont listées par ordre chronologique inverse (i.e., la plus récente est en haut). Cette page-ci rassemble les entrées publiées en mai 2014 : il y a aussi un tableau par mois à la fin de cette page, et un index de toutes les entrées. Certaines de mes entrées sont rangées dans une ou plusieurs « catégories » (indiqués à la fin de l'entrée elle-même), mais ce système de rangement n'est pas très cohérent. Le permalien de chaque entrée est dans la date, et il est aussi rappelé avant et après le texte de l'entrée elle-même.

You are on David Madore's blog which, like the rest of this web site, is about everything and anything (mostly anything, really), from math to motorcycling and my daily life, but also languages, politics, amateur(ish) philosophy, geography, lots of ranting about the fact that computers don't work, occasional reminders of the fact that I prefer men, and some voluntarily fragmentary fictions that I publish under the collective name of gratuitous literary fragments. • This blog used to be bilingual at its beginning (some entries were in English, others in French, and a few translated in both languages); it is now almost exclusively in French, but I'm not ruling out writing English blog entries in the future. • To navigate, note that the entries are listed in reverse chronological order (i.e., the most recent is on top). This page lists the entries published in May 2014: there is also a table of months at the end of this page, and an index of all entries. Some entries are classified into one or more “categories” (indicated at the end of the entry itself), but this organization isn't very coherent. The permalink of each entry is in its date, and it is also reproduced before and after the text of the entry itself.

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Entries published in May 2014 / Entrées publiées en mai 2014:

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(mercredi)

Quelques misères informatiques (et une upgrade d'Ubuntu)

Je vais raconter un peu mes petits malheurs informatiques, ça ne servira à rien sauf à me défouler.

D'abord, le rant général que j'ai déjà dû répéter mille fois : les deux distributions Linux que je connais bien sont Debian et Ubuntu. Le choix entre les deux s'apparente à un choix entre Charybde et Scylla :

  • Sous Debian, on peut choisir la version stable ou la version testing/unstable (la politique officielle de Debian est que seule la stable existe, la testing/unstable — la différence est très mineure — n'étant là qu'à des fins de développement interne, et si vous l'utilisez c'est à vos risques et périls).

    • La stable marche globalement très bien, et bien maintenue question sécurité. Mais elle est déjà obsolète le jour où elle sort, et tellement archaïque le jour où la suivante sort, qu'il est essentiellement impossible d'y installer un petit sous-ensemble de packages de la distribution testing (le graphe de dépendances est tellement touffu qu'installer un seul package de la testing sur la stable vous entraîne toute la testing avec) ; il est même difficile d'y compiler des choses (comme toutes les bibliothèques de la distribution sont vieilles, on se retrouve à recompiler la moitié de l'univers, donc à recréer sa propre distribution, et du coup on perd tout bénéfice des mises à jour de sécurité). Et surtout, aucun bug n'est corrigé sauf les bugs de sécurité : donc si par malchance vous tombez sur un bug d'un programme qui le rend quasi inutilisable, vous avez le choix entre attendre des années que la stable suivante sorte, ou faire vous-même le bugfix (puisque le package où le bug est corrigé appartient à la testing et que vous ne pouvez pas l'installer ni le recompiler sans vous retrouver englué dans les dépendances), et encore, il faudra apprendre à contourner les limitations hallucinantes du système de package pour convaincre celui-ci de préférer votre version.
    • La testing ne marche pas trop mal, et a l'avantage d'être une distrib raisonnablement à jour. En contrepartie, elle demande des mises à jour à un rythme invraisemblable ; et si l'écrasante majorité de ces mises à jour se fait sans problème, de temps en temps il faut passer la journée à essayer de comprendre, par exemple, pourquoi tel package dépend de quelque chose qui n'existe pas (de temps en temps des packages disparaissent de testing parce qu'ils sont considérés comme cassés, et alors il faut les chercher dans unstable, mais il faut comprendre soi-même quel bout du graphe de dépendances aller prendre là-bas). Par ailleurs, la politique de sécurité sont douteuses (la règle de migration des packages est très stricte, donc même un package corrigeant un trou de sécurité béant devra incuber un certain temps dans unstable avant de passer dans testing, et pendant ce temps votre machine est vulnérable). Ou alors on choisit la unstable, mais ça signifie qu'on reçoit des packages absolument pas testés, et ce sont encore d'autres problèmes qui se posent.
  • Ubuntu a un rythme de mises à jour qui me semble réaliser un excellent compromis entre la Debian stable et la Debian testing : une nouvelle version de la distribution tous les six mois, dont une sur quatre est marquée comme maintenue à long terme (Long Term Support), ça donne quelque chose de raisonnablement récent avec un rythme de mises à jour supportable.

    Mais ce que je déteste avec Ubuntu, c'est que censément pour rendre leur distribution conviviale pour l'utilisateur inexpérimenté, ils imposent un nombre invraisemblable de choix douteux, rendent toute modification de configuration quasiment impossible : dès que vous sortez des clous des deux-trois cases à cocher qu'ils consentent à vous laisser, vous devrez vous battre avec des fichiers de config introuvables et non documentés et avec des démons obscurs au rôle mal spécifié — et, pire encore, à chaque changement de version, vous pouvez être sûr que tout ce que vous aurez peiné à comprendre cessera d'être vrai (voyez tout le mal que j'ai eu à faire marcher comme je voulais le touchpad de mon portable).

    Parce qu'Ubuntu souffre à un niveau délirant d'un problème déjà assez répandu dans l'informatique libre en général et dans tout ce qui gravite autour de Linux en particulier : ils n'arrêtent pas d'introduire des nouveaux mécanismes pour faire les choses, puis de décider six mois plus tard que ce mécanisme est maintenant obsolète et qu'il faut utiliser tel autre à la place. (Et du coup, quand on cherche de l'aide en ligne, il est très difficile de savoir ce qui est encore applicable ou ce qui a été remplacé par le nouveau démon qui lave plus propre.)

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(lundi)

Faut-il communiquer sur l'intuition en mathématiques ? — ici : le corps de classes

Une question qui fait régulièrement débat en ce qui concerne la rédaction mathématique est de savoir si l'auteur d'un livre ou article mathématique doit se contenter de définir des concepts et démontrer leur propriété ou si (ou plutôt, dans quelle mesure) il doit tenter de proposer une façon de les visualiser intuitivement et guider le lecteur sur la manière d'y penser.

Il va de soi qu'avec une formulation aussi générale, la réponse est difficile à donner. Tout le monde sera sans doute d'accord sur le fait qu'une définition vraiment bizarre ou surprenante, une clause qui risque particulièrement de prêter à confusion, une subtilité dans une démonstration qui pourrait ne pas être remarquée, etc., méritent d'être signalées ou expliquées. À l'inverse, tenter de communiquer toute intuition vague n'est pas forcément bénéfique et peut même être néfaste à la compréhension (car l'intuition qu'on se forge soi-même peut être meilleure que celle qu'on reçoit d'un autre mathématicien), ou à la détection d'erreurs de raisonnement (si on fait confiance à l'intuition d'un autre, on risque de faire les mêmes erreurs que lui, et donc de ne pas détecter celles-ci). Quelque part entre les deux, je trouve toujours irritant, quand un objet mathématique est défini dans un texte, de ne pas trouver la réponse aux questions les plus naturelles qu'on peut se poser sur ses propriétés (ou simplement l'affirmation que l'auteur ne sait pas si telle ou telle propriété est vraie) : par exemple, si un auteur devait définir un concept appelé para-anneau, je trouve qu'il serait de son devoir d'expliquer le rapport entre ce concept et celui d'anneau (et même si c'est complètement évident, écrire qu'un anneau est un para-anneau, ou attirer l'attention sur le fait que ce n'est pas le cas, ou peut-être dire qu'on ne sait pas et que de toute façon on n'en aura pas besoin, ou ce genre de choses) ; et si on met plusieurs clauses dans une définition, je trouve qu'il est généralement de bon ton d'expliquer pourquoi chacune est nécessaire et ce qui se passerait si on omettait celle-ci ou celle-là.

Je vais maintenant me plaindre de la façon dont est présentée la théorie globale du corps de classes. [Je suis sûr qu'il devait y avoir un rapport entre ce qui suit et ce qui précède, mais plus j'écris moins ce rapport est clair… enfin, ce n'est pas bien grave.]

En bref : la théorie du corps de classes prétend « expliquer » (c'est-à-dire décrire, classifier, permettre de comprendre) les extensions abéliennes finies (extension abélienne = extension [de corps] galoisienne de groupe de Galois commutatif) de certains corps. « Certains corps », à savoir, les « corps locaux » (auquel cas on parle de théorie locale du corps de classes) et les « corps globaux » (auquel cas, on l'aura deviné, on parle de théorie globale du corps de classes, qui est beaucoup plus intéressante et profonde que la théorie globale locale). Les corps locaux sont des choses comme les corps des réels et des complexes (mais sur ceux-ci la théorie est vraiment triviale), les corps des nombres p-adiques (et les extensions finies de ceux-ci) et les corps de séries formelles sur un corps fini. Des exemples de corps globaux sont le corps des rationnels (ou plus généralement toute extension finie de celui-ci, dit « corps de nombres ») et le corps des fonctions rationnelles sur un corps fini (ou plus généralement le corps des fonctions d'une courbe algébrique sur un corps fini).

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(vendredi)

Fatherland de Robert Harris

J'ai récemment fini de lire le roman Fatherland de Robert Harris (je n'arrive d'ailleurs pas à me rappeler qui me l'a conseillé : il traînait sur ma wishlist Amazon depuis un temps indéfini). Il s'agit d'un policier (ou d'un thriller, je ne sais pas bien ce qu'on doit dire) qui se déroule à Berlin, en 1964, dans une uchronie où la seconde guerre mondiale aurait été gagnée par l'Allemagne en Europe et aurait continué en guerre froide (entre l'Europe dominée par l'Allemagne et les États-Unis) dont amorce une détente. (C'est d'ailleurs intéressant que cette situation évoque la seconde moitié du livre Making History de Stephen Fry, dont on pourrait presque imaginer qu'elle se déroule dans le même univers, mais de l'autre côté de l'Atlantique. Enfin bon, je suppose qu'il y a des zilliards de livres qui ont été écrits sur cette prémisse, et sans doute même des gens qui ont entrepris de classifier ces uchronies et de les comparer les unes aux autres.)

Ceci étant, je n'arrive pas vraiment à décider si j'ai aimé ce livre. Il est vrai que j'ai été assez captivé au sens où j'étais assez intéressé à savoir la suite pour continuer à lire de façon plutôt frénétique. Il est vrai aussi que l'uchronie a l'air assez bien construite, le monde m'a semblé plutôt crédible et (du peu que je connais de l'histoire de l'Allemagne nazie) conforme à la réalité historique ou à son prolongement dans ce monde. Il y a quelques erreurs mineures (comme le fait que la carte que j'ai dans mon édition du livre semble montrer l'Alsace-Lorraine en France, ce qui est manifestement une erreur et d'ailleurs contredit explicitement dans le texte, mais il semble que d'autres éditions soient correctes de ce point de vue ; j'ai aussi repéré une faute idiote d'allemand, quelque chose comme das schwarzes Korps avec une ‘s’ en trop), mais rien d'important. En revanche, j'ai trouvé bien des passages un peu laborieux, ou faciles, ou prévisibles, ou tout ça à la fois. Mais ce qui est surtout bien fait, c'est la façon dont est rendue l'atmosphère étouffante dans le Berlin d'une allemagne nazie triomphante et dans l'Europe qu'elle dominerait : on se sent vraiment mal à l'aise — de ce point de vue, le livre est une réussite.

J'en profite, puisque je viens aussi de finir de les lire, pour signaler deux livres que je ne recommande pas du tout : Dirk Gently's Holistic Detective Agency et sa (plus ou moins) suite, The Long Dark Tea-Time of the Soul, de Douglas Adams. J'attendais beaucoup mieux de l'auteur du Hitchhiker's Guide to the Galaxy, mais franchement, le premier est médiocre et le second est carrément mauvais : l'idée d'un roman humoristique racontant les enquêtes surnaturelles d'un détective génial mais raté qui croit que tout est relié dans l'Univers n'était pas mauvaise, mais la réalisation est une accumulation de non sequitur beaucoup moins drôle qu'elle cherche à l'être, et qui se finit par une absence à peu près complète d'explications.

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(jeudi)

Sur la réalité des quaternions, quasars, quarks et quaggas

J'ai une fois de plus commis l'erreur de commencer (il y a deux-trois semaines) l'écriture d'une entrée que je pensais pouvoir faire courte et qui a grandi, grandi, grandi, jusqu'à prendre des proportions totalement délirantes. Comme je vais être assez débordé ces prochaines semaines, elle risque de rester indéfiniment dans les limbes, là où j'ai déjà mis tout ce que j'ai écrit sur les octonions et tant d'autres choses. Tout ceci m'énerve prodigieusement, et je ne sais pas quoi faire pour réussir à éviter ce problème.

Pour me distraire un peu, je voudrais juste faire une remarque sur la philosophie des mathématiques. Comme il n'aura échappé à personne, je suis férocement platoniste (au moins en ce qui concerne l'arithmétique), où par platonisme (voir aussi cette entrée, et notamment cette petite section de celle-ci pour plus de détails) j'entends le point de vue selon lequel les concepts mathématiques, ou au moins les plus « naturels » d'entre eux, ont une existence autonome, indépendante de l'esprit humain, qui ne fait que les découvrir, et même indépendante de l'univers matériel. (Il y a, bien sûr, toutes sortes de variantes[#][#2] de cette position, et on peut être d'accord avec certaines sans être d'accord avec d'autres, on peut d'ailleurs aussi considérer qu'il ne s'agit pas vraiment d'une différence d'opinion philosophique mais simplement de façon de dire les choses. À ce sujet, voir aussi cette autre entrée.)

Je crois avoir lu quelque part (mais je ne sais plus si un sondage précis à été fait dans ce sens ou si cette affirmation sortait d'un grand chapeau de magicien) que la majorité des mathématiciens, et l'écrasante majorité des logiciens, adhère au moins à une forme modérée de platonisme. A contrario, les neurologues semblent généralement persuadés (là aussi, il s'agit d'une statistique qui, comme 83.28% des statistiques, est purement et simplement inventée) que les mathématiques sont uniquement le résultat de processus cognitifs dans le cerveau humain et n'ont rien de « réel » ou d'« universel » (pas plus que, disons, la beauté de la musique de Bach).

Les arguments les plus souvent invoqués contre le platonisme mathématique, c'est-à-dire, pour montrer que les mathématiques viennent de l'esprit humain et pas d'un « paradis platonique », sont typiquement d'observer que les mathématiques ne sont pratiquées que par les humains (le summum des facultés mathématiques des animaux se limitant à savoir compter sur de tout petits entiers naturels), et aussi que celles-ci ont changé au cours de l'histoire (ce qui est de mauvais augure pour la découverte d'un monde censément intemporel).

Mais une chose que je ne comprends pas est pourquoi ce genre d'arguments, invoqué pour dire chers mathématiciens, les quaternions n'existent que dans votre cerveau ne l'est pas aussi pour dire chers astrophysiciens, les quasars n'existent que dans votre cerveau ou chers physiciens des particules, les quarks n'existent que dans votre cerveau, voire, chers zoologistes, les quaggas n'existent que dans votre cerveau. Après tout, si le problème est qu'on ne peut pas toucher un quaternion, qu'on ne peut les détecter qu'indirectement par le truchement de théories qui prédisent leur existence, et que seuls les humains sur cette Terre ont le moindre concept de quaternions dans leur tête, et encore, seulement depuis quelques siècles, exactement la même chose vaut pour les quarks et les quasars : jamais je ne pourrai toucher un quark ou un quasar, aucun animal autre que l'homme n'a affaire à eux ou de représentation mentale de ces choses-là, il y a simplement des scientifiques qui nous disent mon accélérateur de particules a vu trois quarks dans chaque proton, mon radiotélescope a détecté un quasar dans telle direction, mes calculs ont exhibé une structure abstraite de dimension 4 sur les réels qui se comporte comme une algèbre à divisions. Même les quaggas, je n'en ai, après tout, jamais touché, et comme c'est une espèce éteinte ça ne risque pas de se produire, et j'ai beau avoir des témoignages de gens qui en ont dessiné ou de biologistes qui assurent que ces bestioles ont existé, je ne vois pas pourquoi ils seraient plus (ou moins) crédibles que les physiciens qui disent que les quarks et les quasars existent ou les mathématiciens qui disent que les quaternions existent.

Or j'ai rarement entendu des gens transposer à la physique ou à d'autres domaines la position anti-platoniste qu'ils peuvent avoir au sujet des mathématiques. Y a-t-il des neurologues qui disent aux physiciens ce que vous appelez étoile à neutron n'est que le fruit de vos processus cognitifs [remplacer étoile à neutron par n'importe quoi de difficile à imaginer] ? Voire, qui disent aux autres neurologues ce que vous appelez neurone n'est que le fruit de vos processus cognitifs (de nouveau, on ne peut pas toucher directement un neurone, il faut faire confiance à la théorie du microscope).

Les tenants du platonisme mathématique sont souvent décriés comme religieux, parce qu'ils croient en une sorte de perfection intangible et accessible uniquement par l'esprit (et c'est vrai que le choix d'un terme comme paradis platonique n'est certainement pas pour aider). Je ne sais pas pourquoi ce reproche n'est pas fait aux physiciens des particules[#3] qui prétendent que les quarks et atomes sont vraiment les composants de toute notre matière.

Au contraire, l'attitude consistant à dire je ne crois réel que ce que je peux toucher (et notamment sa variante ultrafinitiste, les grands nombres n'ont pas de sens parce que je ne peux pas les voir) me semble être exactement la même que ceux qui prétendent je ne peux pas croire que la Terre soit plus vieille que 6000 ans environ, parce que je n'ai que des preuves indirectes des millions d'années censées nous avoir précédées. À partir du moment où on accepte l'épistémologie des mathématiques, sa démarche scientifique pour arriver à une vérité (et il est difficile de la nier compte tenu de l'extrême utilité pratique des mathématiques, entre la construction des ponts et la cryptographie !), il faut bien reconnaître qu'elles nous renseignent sur quelque chose qui n'est pas sujet à notre bon vouloir comme la poésie ou la musique — et qu'elles sont, sur le même plan, que les autres sciences, une entreprise visant à découvrir systématiquement une réalité préexistante.

Bref, je comprends la position extrême je ne crois réel que ce que je peux directement toucher (donc je ne crois réels ni les quaternions, ni les quarks, ni les quasars, ni les quaggas, ni la planète Jupiter, ni les virus, ni Louis XIV), mais je ne comprends pas ceux qui l'appliquent uniquement pour les mathématiques et aucune autre science.

[#] Par exemple, je suis tenté de distinguer le platonisme structural, qui serait la position selon laquelle les structures que nous pensons discerner (les groupes, par exemple) sont « naturelles » et « découvertes », et le platonisme logique, orthogonal, qui serait la position selon laquelle les fondements mêmes des mathématiques (entiers naturels ou ensembles), sur lesquels on pose ces structures, ont une existence. Essentiellement, le platonisme structural affirmerait qu'on découvre les définitions tandis que le platonisme logique affirmerait qu'on découvre les axiomes. On peut parfaitement croire à l'un mais pas à l'autre (que la définition d'un groupe est naturelle, mais que les mathématiques n'aient pas de fondement logique immatériel) ou à l'autre mais pas à l'un (que les entiers naturels ou une forme quelconque de monde platonique préexistent à l'univers matériel, mais que la façon dont on le structure est profondément humaine), ou au deux, ou ni à l'un ni à l'autre.

[#2] Concernant ce que j'appelle le platonisme logique dans la note précédente, on peut aussi tenir toutes sortes de positions, par exemple l'idée que les entiers naturels (ou n'importe quoi qui permet d'encoder les structures finies) ont une position spéciale et sont le seul substrat ayant une réelle « existence platonique », ou bien étendre cette position à des objets plus complexes, comme les ensembles d'entiers naturels, ou tous les ensembles (un platoniste ensembliste doit croire que l'hypothèse du continu à une valeur de vérité bien définie, même si les axiomes de ZFC ne permettent pas de la trouver) ; à l'inverse, s'agissant des ensembles, on peut croire à un multivers platonique plutôt qu'un univers platonique.

[#3] Peut-être parce que les physiciens des particules ont des détecteurs expérimentaux ? Mais les mathématiques expérimentales existent aussi, et je ne vois pas de différence importante entre faire s'entrechoquer des protons à haute énergie pour chercher à trouver, peut-être, un compagnon supersymétrique, ou bien faire tourner des ordinateurs à calculer les valeurs de la fonction ζ pour chercher à trouver, peut-être, un zéro non-trivial qui ne soit pas sur l'axe critique.

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