David Madore's WebLog: 2010-06

Vous êtes sur le blog de David Madore, qui, comme le reste de ce site web, parle de tout et de n'importe quoi (surtout de n'importe quoi, en fait), des maths à la moto et ma vie quotidienne, en passant par les langues, la politique, la philo de comptoir, la géographie, et beaucoup de râleries sur le fait que les ordinateurs ne marchent pas, ainsi que d'occasionnels rappels du fait que je préfère les garçons, et des petites fictions volontairement fragmentaires que je publie sous le nom collectif de fragments littéraires gratuits. • Ce blog eut été bilingue à ses débuts (certaines entrées étaient en anglais, d'autres en français, et quelques unes traduites dans les deux langues) ; il est maintenant presque exclusivement en français, mais je ne m'interdis pas d'écrire en anglais à l'occasion. • Pour naviguer, sachez que les entrées sont listées par ordre chronologique inverse (i.e., la plus récente est en haut). Cette page-ci rassemble les entrées publiées en juin 2010 : il y a aussi un tableau par mois à la fin de cette page, et un index de toutes les entrées. Certaines de mes entrées sont rangées dans une ou plusieurs « catégories » (indiqués à la fin de l'entrée elle-même), mais ce système de rangement n'est pas très cohérent. Le permalien de chaque entrée est dans la date, et il est aussi rappelé avant et après le texte de l'entrée elle-même.

You are on David Madore's blog which, like the rest of this web site, is about everything and anything (mostly anything, really), from math to motorcycling and my daily life, but also languages, politics, amateur(ish) philosophy, geography, lots of ranting about the fact that computers don't work, occasional reminders of the fact that I prefer men, and some voluntarily fragmentary fictions that I publish under the collective name of gratuitous literary fragments. • This blog used to be bilingual at its beginning (some entries were in English, others in French, and a few translated in both languages); it is now almost exclusively in French, but I'm not ruling out writing English blog entries in the future. • To navigate, note that the entries are listed in reverse chronological order (i.e., the most recent is on top). This page lists the entries published in June 2010: there is also a table of months at the end of this page, and an index of all entries. Some entries are classified into one or more “categories” (indicated at the end of the entry itself), but this organization isn't very coherent. The permalink of each entry is in its date, and it is also reproduced before and after the text of the entry itself.

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Entries published in June 2010 / Entrées publiées en juin 2010:

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(samedi)

Fragment littéraire gratuit #133 (la nouvelle)

Lequel des cinq lieutenants la répéta en premier, on ne le sait pas, mais dans l'heure le camp connaissait la nouvelle. Puis celle-ci se répandit à tout le pays.

La métaphore consacrée est celle d'une traînée de poudre, mais cette comparaison ne rend compte ni de l'empressement joyeux avec lequel l'information sautait de bouche à oreille, ni de la surprise de celui qui la recevait et qui, aussitôt, se faisait un devoir de l'annoncer à tous ses amis. On en parla jusque sur les berges du Lac des soupirs, au-delà du Désert rouge, sur les pentes des Montagnes Mères, dans les forêts éternelles et à travers les ports de la côte. Et l'endroit où la nouvelle arriva en dernier fut au cœur même de Janna, dans les alcôves les plus hautes de son palais, car la distance du pouvoir peut être un obstacle plus sérieux que mille lieues de terrain, et il est faux que les souverains sont toujours les mieux informés de leur empire ou de ce qui les concerne. Enfin toutefois, non par un message du Premier ministre mais par la voix d'une confidente, cela se dit jusque dans la chambre de la princesse ; et on peut facilement deviner avec quel sourire Leïla reçut la nouvelle et feignit d'en être étonnée :

— Le général Shams est une femme !

— La promesse de mariage ne peut pas être annulée !

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(samedi)

Fragment littéraire gratuit #132 (une voix dans le noir)

La porte se ferme. Je sais immédiatement que je ne suis pas seul.

— Il y a quelqu'un ?

La voix qui me répond de l'obscurité est douce. Hypnotique.

— Bonsoir, David. J'attendais ce moment depuis longtemps.

— Qui êtes-vous ?

— Je crois que tu le sais très bien. Je suis le visiteur du soir.

— Devrais-je avoir peur ?

— La peur est la fille de l'espoir et de l'ignorance. Tu as répudié l'un et chassé l'autre. Non, tu n'auras pas peur. Pas cette fois-ci. Car tu es résigné à ton destin.

La voix s'approche, et vient dans la lumière. Je détourne la tête : je n'ai pas peur, il a raison à ce sujet, mais je n'ai pas pour autant la force ou l'audace de le dévisager.

— Regarde-moi, David. Il le faut. Je t'aime fort, tu sais ?

Je ferme les yeux. Je sens son souffle. Je sens sa main sur ma nuque. Je ferme les yeux encore plus fort. Je me prépare à l'inévitable.

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(vendredi)

Mon volet est vrillé

Dans la série Les petits tracas de la vie qui ont le don de m'énerver au plus haut point, le volet roulant de la porte-fenêtre de mon salon ne descend plus : la partie droite descend correctement, mais la partie gauche bloque au bout d'une dizaine de centimètres quand on tourne la manivelle. Comme le guide n'a pas l'air de bloquer, j'imagine que le problème vient d'une lame vrillée (et mes efforts pour insister n'ont pas dû améliorer les choses).

Le problème est surtout que d'accéder à ce truc pour le réparer doit être une horreur. Dans le meilleur des cas, il va falloir déplacer la moitié des meubles de l'appartement, ouvrir le caisson contenant le store (et mettre en ce faisant une poussière noire partout), et décoincer la lame. Dans un cas un peu moins meilleur, il va falloir le changer — ce n'est pas le prix qui me chagrine mais la quantité d'emmerdes qui va avec une telle opération. (Question subsidiaire, comment on trouve quelqu'un qui ne soit pas un escroc ? Je n'ai jamais réussi à résoudre ce problème pour les plombiers, alors j'imagine que pour les réparateurs de volets roulants ce n'est pas mieux.) Quant au pire cas, on essaie de ne pas y penser.

En attendant, j'ai plein de bestioles qui rentrent dans l'appartement. (La porte-fenêtre est entrouverte pour laisser passer le câble entre les deux blocs de clim.)

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(lundi)

Comment les neutrinos « oscillent »

On entend pas mal parler en ce moment des oscillations des neutrinos. Je trouve que c'est en général très mal expliqué, alors voici ma tentative pour vulgariser le phénomène. (Je précise que ce qui suit contient un certain nombre d'approximations scientifiques, dont je suis conscient, et par ailleurs je ne suis pas physicien mais mathématicien. Je pense néanmoins que ce n'est pas trop faux et que ce sera plus sérieux que ce qu'on trouve généralement comme vulgarisation scientifique dans la presse généraliste. ☺️)

Les neutrinos sont trois particules du modèle standard (cf. ici ; ajout ultérieur : cf. aussi ici) qui ont au moins deux particularités : (1) elles sont très légères, et (2) parmi les quatre forces fondamentales de la physique, elles ne ressentent que la force nucléaire faible et (très vraisemblablement) la gravitation, c'est-à-dire en particulier qu'elles n'ont pas de charge électrique ni de charge nucléaire forte (couleur) ; puisque la force nucléaire faible est, comme son nom l'indique, très faible, et la gravitation encore beaucoup beaucoup beaucoup plus faible (la raison pour laquelle nous l'observons dans notre vie est qu'elle s'accumule à l'échelle macroscopique contrairement aux autres forces qui ont plutôt tendance à se neutraliser), les neutrinos interagissent très peu avec le reste du monde. En fait, la Terre est bombardée en permanence de neutrinos venus du Soleil (quelques dizaines de milliers de milliards traversent chacun de nous chaque seconde), et la grande majorité se contentent de ressortir de l'autre côté sans avoir « vu » la Terre.

Néanmoins, de temps en temps, un neutrino interagit avec la matière, et on arrive parfois à le détecter (et à en déduire combien il y en avait puisqu'on sait quelle proportion subit ce sort). La réaction principale qui fait intervenir des neutrinos dans la physique pas trop exotique est la désintégration bêta−, qui transforme un neutron en proton avec émission d'un électron et d'un antineutrino (l'antiparticule du neutrino), ou ses différents avatars, par exemple un neutron qui capture un neutrino pour devenir un proton en émettant un électron ; dans le Soleil, les neutrinos sont produits par les réactions de fusion (comme le cycle de Bethe) lorsqu'un proton de noyau d'hydrogène est transformé en neutron de noyau d'hélium.

En fait, les choses sont un chouïa plus compliquées : il y a trois espèces de neutrino, et le neutrino dont il est question au paragraphe précédent (celui qui apparaît ou disparaît quand un proton se transforme en neutron ou vice versa) s'appelle neutrino de l'électron, parce qu'il est associé à des réactions avec un électron (dans une interaction, localement, le nombre total d'électrons plus neutrinos d'électrons, en comptant négativement les antiparticules, ne doit pas varier : donc si la réaction crée un électron, elle doit aussi absorber un neutrino de l'électron ou créer un antineutrino correspondant). Il existe aussi un neutrino du muon, et un neutrino du tau, le muon et le tau(on) étant quelque chose comme des versions lourdes de l'électron, ce genre de particules qui n'existent que dans les rayons cosmiques et les accélérateurs, pas la matière normale. Ces trois particules, le neutrino de l'électron, le neutrino du muon et le neutrino du tau, méritent d'être qualifiées de vecteurs propres des interactions faibles, car ce sont des particules définies par le fait qu'elles interagissent, via la force nucléaire faible, avec d'autres particules.

Jusqu'à il n'y a pas si longtemps, on pensait (ou on faisait semblant de penser) que les neutrinos n'avaient pas de masse : qu'ils se déplaçaient donc à la vitesse de la lumière. Seulement, le problème suivant se posait : on comprend assez bien les réactions nucléaires qui se produisent dans le Soleil, et on sait donc estimer le nombre de neutrinos que le Soleil doit produire. Comme je l'ai dit, ce sont des neutrinos de l'électron. On sait aussi assez mesurer le nombre de neutrinos qui nous atteignent, mais seulement les neutrinos de l'électron. Comme ces particules n'interagissent à peu près avec rien, on peut estimer le nombre de neutrinos qui nous arrivent à partir de celui que le Soleil doit produire. Problème : on trouve quelque chose entre le tiers et la moitié du nombre de neutrinos qu'on devrait trouver. Où sont passés les autres ?

L'explication donnée habituellement est que les neutrinos se sont transformés, des neutrinos de l'électron au départ sont devenus, à l'arrivée, des neutrinos du muon ou du tau ; après le trajet du Soleil à la Terre, les trois espèces se sont mélangées, si bien qu'environ un tiers seulement des neutrinos de l'électron sont restés des neutrinos de l'électron. Cette explication est juste, mais elle est trompeuse : elle donne l'impression qu'il s'est produit une interaction dans l'espace, ce qui n'est pas le cas ; et surtout, elle n'explique pas du tout pourquoi le fait que les neutrinos aient une masse a un rapport avec cette « oscillation ».

Une explication plus correcte serait la suivante : le neutrino de l'électron, neutrino du muon, et neutrino du tau, ne sont pas des vraies particules. Il faut que j'explique ce que je veux dire par là.

La théorie quantique des champs est lourdement basée sur l'algèbre linéaire : c'est-à-dire que les choses qui l'habitent (si on me permet d'agiter un peu les mains) peuvent faire l'objet de combinaisons linéaires, appelées superpositions quantiques : un phénomène popularisé par l'« expérience » du chat de Schrödinger, qui se trouverait dans un état superposé entre vivant et mort (quelque chose comme (vivant+mort)/√2). C'est aussi le cas des neutrinos.

Il faut imaginer que l'espace des neutrinos est un espace à trois dimensions. Ce que j'ai appelé neutrino de l'électron, neutrino du muon et neutrino du tau, ce sont trois directions (orthogonales) dans cet espace, c'est une base de cet espace au sens de l'algèbre linéaire, mais ce n'est pas forcément la meilleure base. C'est la base, pour ceux qui connaissent un peu d'algèbre linéaire, obtenue en diagonalisant l'interaction faible avec l'électron, le muon et le tau. Tant que les neutrinos n'ont pas de masse, il n'y a pas de raison de penser qu'une base serait meilleure qu'une autre.

Mais quand ils ont une masse, et surtout, quand ils ont trois masses différentes, alors il y a une autre base naturelle de trois particules : c'est la base des particules qui ont vraiment une masse (la base orthonormale qui diagonalise l'opérateur de masse) ; on va donc les appeler neutrino léger, neutrino moyen et neutrino lourd (façon de parler : même le plus lourd des trois est extrêmement léger), collectivement qualifiés de vecteurs propres de la masse. L'ennui, c'est qu'on ne connaît vraiment pas bien cette base, on ne connaît même pas les masses (=les valeurs propres) ; on sait seulement qu'elles (ou au moins deux d'entre elles) sont distinctes. Si les trois masses étaient identiques, il n'y aurait pas de directions privilégiées associées à la masse ; le fait qu'elles soient distinctes assure qu'il y en a. Et toute autre direction n'est pas une vraie particule, au sens où elle n'a pas vraiment de masse (de la même façon que le chat de Schrödinger n'a pas d'état vivant-ou-mort), il y a juste une combinaison quantique entre des particules de différentes masses.

En particulier, le neutrino de l'électron n'est pas une vraie particule : c'est une superposition quantique entre neutrino léger, neutrino moyen et neutrino lourd, probablement avec plus de neutrino léger dedans forcément un peu des trois ; idem pour le neutrino du muon et le neutrino du tau. Ou, pour dire les choses autrement, quand un neutron se désintègre en un proton, un électron et un antineutrino de l'électron, ce dernier est en fait une combinaison, une superposition quantique, de l'antineutrino léger, du moyen et du lourd — et si on pouvait observer directement sa masse, on trouverait dans la plupart des cas que c'est un léger, parfois que c'est un moyen et parfois que c'est un lourd (il y aurait réduction de la superposition quantique, comme quand on observe le chat de Schrödinger).

Maintenant, on n'observe pas les masses directement, donc il est plus pertinent de nommer les particules d'après les interactions faibles qui sont, après tout, la façon dont on les détecte. Mais alors, vous allez me dire, je n'ai toujours rien expliqué : si un neutrino de l'électron est superposition quantique de telle proportion du neutrino léger, telle proportion du moyen et telle proportion du lourd, pourquoi ne traverse-t-elle pas l'espace dans les mêmes proportions ? C'est que, tout de même, la masse a son importance : les neutrinos sont émis avec une énergie bien définie, mais leur quantité de mouvement (si vous ne savez pas ce que c'est, imaginez leur vitesse, qui est très très légèrement plus faible que celle de la lumière) dépend de leur masse ; donc ce que j'ai appelé neutrino de l'électron, est émis par le Soleil, et qui est une combinaison des neutrinos léger, moyen et lourd, se propage dans l'espace mais pas en bloc : le lourd va plus lentement que le moyen, qui va plus lentement que le léger ; ou, si vous voyez le neutrino comme une onde (ce qu'il est aussi), les trois ondes dans les trois directions de mon espace à trois dimensions représentant les neutrinos se déphasent lentement, et quand on arrive sur Terre, la direction de la somme a complètement changé — mon neutrino a « oscillé ». Pourtant, il n'y a eu aucune espèce d'interaction dans l'espace, juste trois particules qui se sont propagées à des vitesses très légèrement différentes.

Le même phénomène se produit avec les quarks, mais on le traite différemment : parmi les six quarks (down, up, strange, charm, beauty et truth[#]), on pourrait définir le down, strange et beauty (ce sont ceux qui ont une charge négative) d'après leur masse, et ensuite définir les quarks copain-du-down, copain-du-strange et copain-du-beauty comme ceux qui interagissent avec le down, strange et beauty par les interactions faibles (de façon analogue à neutrino de l'électron, neutrino du muon et neutrino du tau) ; seulement, ce ne sont pas des vraies particules au sens qui-ont-une-masse-bien-définie, et, les masses des quarks étant carrément plus élevées que celles des neutrinos, ça se voit vraiment. Donc on définit le up, le charm et le truth pour avoir une vraie masse, et du coup le copain-du-down, copain-du-strange et copain-du-beauty sont des combinaisons du up, du charm et du truth ; on peut mesurer expérimentalement ces combinaisons, et elles sont décrites par la matrice de Cabibbo-Kobayashi-Maskawa.

(Normalement, là, je devrais continuer en essayant d'expliquer pourquoi le fait qu'il y ait trois familles et pas juste deux est essentiel parce que c'est seulement à partir de trois familles qu'on voit que cette matrice, ou la matrice analogue pour les neutrinos et qui est encore très mal connue, matrice qui vit dans SU(3), peut avoir une composante essentiellement complexe, et que c'est cela qui explique la violation de la symétrie CP, et, peut-être, le fait qu'il y ait plus de matière que d'antimatière dans notre Univers. Mais j'avoue que ma logorrhée a atteint les limites de ma patience, donc je vais m'arrêter là.)

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(lundi)

Adobe Flash 10.1 et les navigateurs 64-bits

Comme Apple, je hais le Flash avec l'intensité de mille soleils brûlants, et tous les sites Web qui utilisent (et surtout abusent) du Flash, et j'espère que ce format disparaîtra le plus vite possible, et je suis prêt à pardonner beaucoup à Steve Jobs pour son petit coup de pouce dans ce combat. Malheureusement, le Flash, j'en suis aussi prisonnier, parce que, outre que j'aime de temps en temps regarder des vidéos sur VousTuyau (et que mon navigateur ne saura lire le format H.264 que quand les États-Unis auront enfin(?) supprimé les brevets logiciels, et le VP8 que dans un demi million d'années quand Debian se sera sorti les doigts du c**), bref, le site de carte bleue électronique de ma banque (=le truc qui me permet de leur faire gagner plus de temps et d'argent en augmentant la sécurité sur les transactions Visa qui devrait être leur problème— mais qui me fait aussi gagner en tranquillité, il faut bien l'admettre) est en Flash. Enfer et damnation.

Une des nombreuses raisons pour lesquelles je déteste Flash, c'est qu'il est bourré de trous de sécurité (ce n'est sans doute pas tellement la faute d'Adobe, qui a racheté une technologie complètement moisie, mais en tout cas c'est le cas). S'il y a une faille de sécurité béante dans les navigateurs de toutes les Madame Michu du monde, c'est Flash. La dernière version, la 10.1, corrige quelque chose comme 32 trous de sécurité connus. D'ailleurs, Adobe a tellement dû se presser pour le sortir qu'ils n'ont pas eu le temps de faire une version (bêta) 64-bits comme ils font d'habitude.

Manque de chance pour moi, j'ai un ordinateur, un OS, et un navigateur, entièrement 64-bits.

Solutions envisagées :

  • Me passer de Flash. Malheureusement impossible.
  • Utiliser la vieille version de Flash. Trop dangereux.
  • Utiliser la vieille version de Flash, mais ne l'activer que quand j'ai besoin d'aller sur un site Web qui en a besoin (et auquel je fais confiance pour ne pas exploiter les trous de sécurité du truc, comme le site de ma banque). Faisable, mais très pénible (relancer un navigateur quand je veux aller sur un site comme ça, c'est vraiment lourd).
  • Utiliser un navigateur 32-bits. Problématique à cause de la façon dont tout le système est 64-bits.
  • Utiliser un remplacement (libre) de Flash, Lightspark : ça a l'air prometteur pour l'avenir, mais dans l'immédiat, c'est une horreur à compiler et installer, et de toute façon ça ne marche pas (la version 0.4.1 prétend arriver plus ou moins à lire les vidéos YouTube, mais je n'ai pas eu ce succès).
  • Utiliser un des autres remplacements (libres aussi) de Flash : Gnash ou SWFdec : ces projets ont l'air morts ou moribonds (Gnash, par exemple, décode en gros la version 7 du format Flash, on en est à la 10).
  • Utiliser NSPluginWrapper pour faire tourner un plugin 32-bits dans un navigateur 64-bits. C'est ce que j'utilisais avant que Flash sorte en version 64-bits, et c'était une grosse source de tracas (plantages aléatoires fréquents du plugin (qui, il est vrai, n'entraîne pas toujours le navigateur avec lui, c'est déjà ça), fenêtres Flash grises, sites rendus complètement non-fonctionnels parce que le Flash vient se glisser au-dessus de tout, etc.).

Je me suis rabattu sur cette dernière solution. Il faut admettre que NSPluginWrapper semble avoir fait des progrès depuis mes dernières tentatives pour en faire quelque chose ; malgré cela, c'est très pénible à installer (ne serait-ce que parce qu'il faut trouve des versions 32-bits des bibliothèques libidn, libnspr4, libnss3, libnssutil3, libplc4, libplds4, libsmime3, libssh2, libssl3, dont Flash a besoin, et aussi libcurl dont il a aussi besoin mais sans prévenir donc c'est un piège redoutable).

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(lundi)

iPad : je ne suis pas impressionné

Samedi, mon poussinet et moi avons mis les pieds à l'Apple Store de Paris. (Entre autres, il faut l'avouer, parce qu'il y avait un vendeur choupinou.) Imaginez plein de badauds (dont, en fait, plein de touristes) en train d'essayer autant d'iPads qu'il était raisonnablement possible d'entasser dans la pièce sans gâcher l'atmosphère subtilement steve-jobs-zen de l'endroit. Mon poussinet a décidé d'essayer ce fameux gadget, donc.

Mais nous n'avons pas été impressionné par ce que tout le monde semble dire à son sujet : à savoir, que le génie d'Apple consiste à faire des interfaces utilisateur telles que tout le monde trouve immédiatement comment s'en servir, sans avoir à réfléchir. Premier exemple : pour éditer l'URL dans la barre d'adresse du navigateur (mon poussinet facétieux avait entré http://ipv6.google.com/, ce qui, évidemment, n'a pas marché, mais difficile de savoir si c'est parce que l'iPad lui-même ne gère pas IPv6 ou — plus probable — parce que l'Apple Store avait une mauvaise connexion Internet ; bref, on voulait éditer ça en http://www.google.com/), pour déplacer le curseur, il ne suffit pas de toucher l'endroit où on veut le mettre, il semble qu'il faille le garder longtemps appuyé, ce qui est un chouïa pénible et fait apparaître une loupe autour de cet endroit, bizarrement centrée et fort malcommode. Deuxième exemple : on n'a pas trouvé comment déplacer les icônes d'applications sur les écrans de démarrage : le truc évident (juste les glisser avec le doigt) ne marchait pas, et le truc censé marcher (appuyer longuement jusqu'à ce qu'elles se déplacent) n'avait pas d'effet non plus ; peut-être que l'Apple Store avait trouvé un moyen de désactiver le déplacement des icônes pour éviter que les clients fassent n'importe quoi, mais dans ce cas le réglage lui-même n'était pas évident du tout.

Ceci soulève d'ailleurs une question de sécurité informatique pas évidente : comment fait-on, quand on veut mettre un gadget de ce genre à disposition du public, pour que le public puisse jouer avec, mais ne pas le mettre dans un état logiciel inattendu ? Pour un PC Linux, la solution évidente est de le faire démarrer sur un CD live ou booter par réseau — mais pour du Windows ou du Mac OS, je ne sais pas ce qui est prévu.

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(mercredi)

Pourquoi la physique utilise-t-elle des mathématiques ?

Puisque mes quelques dernières entrées étaient décidément dans le mode « métaphysique et science », j'en fais encore une :

La filosofia è scritta in questo grandissimo libro che continuamente ci sta aperto innanzi a gli occhi (io dico l'universo), ma non si può intendere se prima non s'impara a intender la lingua, e conoscer i caratteri, ne' quali è scritto. Egli è scritto in lingua matematica. (La philosophie [c'est-à-dire : la physique] est écrite dans ce grand livre qui est continûment ouvert à nos yeux (je veux dire l'univers), mais on ne peut le comprendre que si d'abord on apprend à en comprendre la langue et à reconnaître les caractères dans lesquels il est écrit. Il est écrit en langue mathématique.) — Galileo Galilei, Il Saggiatore (1623), chap. VI

Voilà encore une question qui me fascine : pourquoi la physique fait-elle appel aux mathématiques ? Et les questions que cela sous-entend : est-ce un fait profond sur notre Univers (comme Galilée le suggère dans le passage que je cite ci-dessus), ou est-ce simplement lié à la façon dont nous comprenons la physique ? Est-ce un fait fondamental de la physique ou simplement lié à l'utilité des mathématiques pour comprendre n'importe quel phénomène émergent ? Pourquoi les autres sciences[#] n'utilisent-elles pas autant les mathématiques, ou pas de la même façon ou (pour reprendre la description un peu élitiste et provocatrice que Hardy fait dans l'Apologie d'un mathématicien) pas des mathématiques élégantes ? Est-ce parce que ces sciences sont plus complexes que la physique, trop pour être mathématisées ? Parce que nous ne les comprenons pas assez bien ? (Dans la vision comtéenne, elles n'auraient pas encore atteint le stade positiviste.) Ou parce qu'intrinsèquement elles ne se plient pas autant à l'analyse mathématique ? Parce que ce ne sont pas des sciences exactes ?

Et voici une question apparentée, et pas forcément plus facile : pourquoi la physique n'utilise-t-elle qu'un petit sous-ensemble des mathématiques, et celui-ci admet-il une description plus simple que la partie des mathématiques à laquelle la physique fait appel ?

Par exemple, la physique fait — au moins apparemment — abondamment appel à la notion de nombre réel. Le monde qui nous entoure a l'air de dépendre lourdement de la notion de nombre réel. Même ma maman a une idée de ce qu'est un nombre réel : pour le non-mathématicien, c'est un nombre à virgule, qui pourrait s'écrire en théorie avec une précision aussi grande que voulue (et plus on ajoute de décimales, plus on est précis). Toutes les grandeurs qui nous entourent, les tailles des objets, les durées dans le temps, les vitesses, les masses, les grandeurs électriques, etc., semblent mesurées par des nombres réels.

Pourtant, mathématiquement, il existe plein d'autres sortes de nombres sur lesquels on aurait pu imaginer a priori que la physique reposât. Les nombres p-adiques semblent le candidat le plus évident : les nombres p-adiques partagent beaucoup de propriétés en commun avec les nombres réels, il y a de très importantes et élégantes symétries entre eux (les nombres réels prenant essentiellement la place des nombres ∞-adiques, et je n'utilise pas le mot place au hasard). Mais, pour autant que je sache, les nombres p-adiques n'ont aucune application en physique (malgré des tentatives pour leur en donner, qui ressemblent plus à une volonté de les rechercher à tout prix qu'à une théorie basée sur l'expérience). Non seulement cela, mais même dans des sciences basées très indirectement sur la physique, les nombres p-adiques ne jouent aucun rôle alors que les nombres réels sont omniprésents : la somme d'argent présente sur mon compte en banque est peut-être un rationnel (de dénominateur divisant 100), mais il faut clairement le considérer comme un nombre réel et non comme un p-adique quel que soit p (par exemple, si c'était un 7-adique, il serait presque pareil d'avoir 403536.07€ sur son compte que d'avoir 0€ ce qui, de toute évidence, n'est pas le cas). Bizarrement, même l'informatique semble avoir très peu besoin de nombres 2-adiques alors qu'elle est intrinsèquement binaire (et les calculs avec débordements dans les nombres en représentation binaire sont exactement des calculs approchés dans les entiers 2-adiques).

Je peux imaginer plusieurs raisons pour lesquelles les nombres p-adiques ne semblent pas exister dans la nature, dont au moins les suivantes :

  • C'est un fait de notre Univers : il ne faut pas chercher pourquoi, c'est juste comme ça.
  • C'est un fait de notre Univers : il s'explique par un argument anthropique (on peut imaginer des Univers basés sur les p-adiques, mais ils ne peuvent jamais soutenir une forme de vie ou de conscience).
  • C'est un fait mathématique : on ne peut pas construire de lois de la physique raisonnables (en un sens qu'il faudrait définir) sur les p-adiques.
  • C'est un fait lié à l'observation de notre Univers : il existe des phénomènes décrits par des nombres p-adiques, mais on ne peut pas les observer à notre échelle.
  • C'est un fait lié à notre situation dans l'Univers : il existe des phénomènes décrits par des nombres p-adiques, mais nous-mêmes « sommes » des phénomènes liés aux nombres réels, ce qui nous interdit de « voir » les phénomènes p-adiques.
  • C'est un fait mathématique : les phénomènes fondamentaux de l'Univers ne sont liés ni aux réels ni aux p-adiques (par exemple, l'Univers pourrait être un énorme automate cellulaire à états discrets), mais les nombres réels sont plus adaptés pour décrire les phénomènes émergents liés à des lois de la physique fondamentales inobservées.
  • C'est un fait lié à notre propre point de vue : les nombres p-adiques seraient tout autant adaptés que les nombres réels à décrire l'Univers, mais nous ne sommes pas habitués à ce point de vue, qui nécessiterait de tout revoir autrement.

J'avoue avoir énormément de mal à imaginer à quoi pourrait ressembler un univers où (disons) les 2-adiques joueraient un rôle important (et ce n'est pas faute de bien comprendre ce qu'est un nombre 2-adique, je pense). Il est donc aussi possible que la question soit aussi stupide que de demander pourquoi je ne vois jamais −42 moutons dans un pré, chose également difficile à imaginer. Mais je préfère prendre le risque de poser des questions stupides que celui de ne pas en poser d'intelligentes. ☺️

Les p-adiques ne sont qu'un exemple : pourquoi la physique n'utilise-t-elle jamais de nombres ordinaux ? (D'ailleurs, pour commencer, pourquoi les mathématiques en-dehors de la logique n'utilisent-elles quasiment jamais de nombres ordinaux ?) Utilise-t-elle E8 ou les tentatives de le voir apparaître sont-elles du wishful thinking ? Je ne sais pas si la physique gagne à se poser ce genre de questions, mais j'ai du mal à concevoir qu'on puisse ne pas se les poser.

[#] Enfin, ce n'est pas vrai : il y a une autre science qui utilise aussi lourdement les mathématiques, c'est l'informatique. Mais il y a quelque chose à dire sur le fait que si la physique est vraiment une branche à part car elle étudie le monde matériel, l'informatique, elle, est finalement une branche des mathématiques — celle que les mathématiciens sont trop snobs pour reconnaître comme telle. — Comme le disait éloquemment Dijkstra : Computer science is no more about computers than astronomy is about telescopes.

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(samedi)

Les mathématiques pourraient-elles être différentes ?

C'est l'exemple type de la question (archi-rabachée) sur laquelle on ne fera pas de progrès, mais qui ne cesse de me fasciner : les mathématiques sont-elles découvertes ou inventées ? — ou, pour poser la question différemment (ou peut-être pour poser une autre question plus provocatrice), les mathématiques pourraiennt-elles être différentes ?

On peut certainement imaginer un Univers parallèle où les lois de la physique sont différentes, d'ailleurs des physiciens apparemment tout à fait sérieux le font (les deux articles vers lesquels je viens de faire un lien ont été vulgarisés récemment de façon assez intéressante, c'est pour ça que je les ai choisis, mais les exemples ne manquent pas). Mais les mathématiques ? Peut-on imaginer un Univers où, sans aller jusqu'à demander que 2+2=5, les mathématiques seraient subtilement différentes ? Si on peut l'imaginer, peut-on imaginer communiquer avec un tel Univers ? (De toute évidence, il y a un problème : si on fait une démonstration dans notre Univers d'un fait mathématique vrai dans le nôtre et qu'on l'envoie dans l'autre, faut-il croire que la réalité cesse d'exister ?) Pourrait-on imaginer que, demain, les mathématiques soient différentes ? (Bon, ça, ça m'arrive souvent : je me couche le soir en ayant démontré un théorème, et le matin il n'est plus vrai.)

Avec des lunettes de logicien formaliste, on pourrait dire : oui, des univers mathématiques alternatifs existent, ça s'appelle des modèles de la théorie mathématique en train d'être considérée, et tout ce qui n'est ni démontrable ni réfutable, en fait, est vrai dans certains univers et faux dans d'autres. Mais c'est une fausse réponse : ce n'est pas de ça qu'on veut parler — quand on pense aux mathématiques, on ne pense pas aux conséquences d'un système d'axiome, et notamment quand on pense aux entiers naturels on ne pense pas à toute implémentation des axiomes de Peano mais bien à quelque chose de plus précis que ça, que les axiomes de Peano ne capturent qu'imparfaitement. La question de savoir dans quelle mesure ces entiers naturels sont intriqués dans la structure de l'Univers physique est d'ailleurs très subtile et très délicate, et liée à la question de l'existence de l'infini (un commentateur de ce blog qui se reconnaîtra, pense par exemple qu'ils ne le sont pas puisque l'entier naturel Ackermann(100,100) n'a apparemment pas d'existence physique) ; par exemple, on peut imaginer des Univers basés sur des lois de physique semblables à celles que nous croyons être les nôtres, mais construites à partir d'un modèle non-standard de l'arithmétique de Peano et se demander dans quelle mesure des êtres vivants dans un tel Univers pourraient se rendre compte qu'ils ne sont pas dans le modèle standard [pas au sens de la physique] — c'est une question provocatrice et difficile. Mais ce n'est pas vraiment de ça que je veux parler : même les modèles des logiciens ont l'air de vivre dans une sorte de grand tout des mathématiques (et, de fait, la théorie des modèles est une branche des mathématiques, qui s'étudie avec des méthodes et outils des mathématiques et qui utilise donc un Univers mathématique ambiant, qui peut lui-même être un modèle d'une autre théorie puisqu'il est habituel de regarder des modèles dans des modèles).

La pratique mathématique donne indubitablement l'impression qu'on ne contrôle pas complètement ce qu'on fait : on peut être surpris par ce qu'on trouve, émerveillé ou parfois frustré, l'impression produite n'est pas du tout celle d'un architecte, d'un maçon ou d'un artiste qui construit quelque chose, mais d'un aventurier qui explore un terrain complexe, un labyrinthe, un palais. Je crois que la grande majorité des mathématiciens penchent plutôt pour la solution les mathématiques sont découvertes, même si tous n'adoptent pas un point de vue religieusement platoniste, loin de là. Le fait que les mathématiciens le pensent ne signifie cependant pas qu'ils aient raison : ils pourraient souffrir d'une <anglicisme>délusion</anglicisme> collective (soit qu'elle soit la conséquence de leur travail soit qu'elle soit un prérequis pour devenir mathématicien). La question pourrait aussi très bien ne pas avoir de sens, ou ne pas être tout d'un côté ou de l'autre : s'il est impossible de dire que j'ai inventé les formes dans les vidéos de l'ensemble de Mandelbrot que j'ai faites, il est néanmoins vrai que je les contrôlais un peu, puisque je savais comment choisir le point de zoom pour obtenir tel ou tel type de forme. (Et à l'extrême, quand un romancien écrit un roman, il ne fait que choisir un point dans l'ensemble de toutes les suites finies de caractères Unicode, il serait absurde de dire que le roman est découvert pour autant.)

Parfois les mathématiques donnent l'impression de contenir des « coïncidences » ; il y a d'ailleurs des objets mathématiques dont l'existence même a l'air de reposer sur des coïncidences — soit des coïncidences qui donnent l'impression d'être complètement fortuites et locales, soit une sorte de connexion bizarre entre des objets mathématiques éloignés qui, si j'étais religieux, me semblerait être la marque directe de la main de Dieu. Est-ce une impression complètement naïve qui ne fait que montrer l'insuffisance de notre recul ? Sans doute.

On peut néanmoins se livrer à des expériences de pensée. La première imagine une civilisation complètement indépendante de la nôtre, par exemple extra-terrestre (mais pas forcément : cela pourrait être la civilisation qui apparaîtra sur Terre quand les poulpes seront devenus l'espèce intelligente une fois que nous nous serons détruits 😉). J'écris le nombre 808017424794512875886459904961710757005754368000000000 (en binaire, disons, codé avec des bosses et des creux sur un objet physique, pour rendre la chose aussi abstraite que possible), ou bien j'écris un autre nombre, à peu près de la même taille et vaguement aussi divisible, mais sans propriété remarquable (comme 808192228876161778520554895458069891466133504000000000). Je dépose cet objet où la civilisation va le trouver, et j'observe ce qui se passe. Bien sûr, très souvent il ne se passe rien (la civilisation n'est pas intéressée par les mathématiques, ou ne décode pas l'objet). Le test de pensée que je fais est : y a-t-il avec le « bon » nombre une réaction plus souvent différente qu'avec n'importe que autre nombre comparable mais non remarquable ? Si oui, je peux considérer que notre civilisation a découvert un phénomène préexistant. Alors que si tous les nombres provoquent des réactions comparables auprès des civilisations extra-terrestres, c'était purement une invention liée, d'une façon inexplicable, à notre cerveau ou à notre culture, ou à je ne sais quoi.

Deuxième expérience de pensée. Je rencontre Dieu, qui se prétend omnipotent. Je lui demande une preuve de son omnipotence (je sais, je sais, οὐκ ἐκπειράσεις κύριον τὸν θεόν σου) : je lance un défi qui me semble un peu plus intéressant à relever que de me donner des bijoux en caoutchouc qui brillent comme des vrais ou un rameau de macaronis en fleurs : je veux qu'il fasse en sorte que si je calcule les 1000000000 premières décimales de la racine carrée de 7 en binaire (je choisis ça parce que probablement personne ne s'est amusé à faire ce calcul pour l'instant) et que je les interprète comme une chaîne d'octets (encodés en UTF-8), alors quelque part dedans doit apparaître la phrase eh oui, j'ai relevé ton défi, David, et comme tu peux le voir, je contrôle même les mathématiques, et tu ne peux pas mettre en doute mon omnipotence (bien sûr, cette chaîne était de tous temps présents dans les décimales de ce nombre, mais personne ne l'a remarqué) (cette chaîne de caractères apparaît « très probablement » quelque part dans les décimales de la racine carrée de 7, mais il serait plus qu'un peu surprenant qu'elle apparût dans les un milliard premières). Dieu peut-Il faire cela ? (Sans tricher, bien sûr, c'est-à-dire sans faire faire juste l'erreur de calcul qui va bien à mes ordinateurs pour me le faire croire.) Ou est-Il limité à l'Univers physique ? Ou qui, des mathématiques et de Dieu, est le plus fort ? Je suis tenté de faire le calcul pour voir s'il a relevé mon défi. ☺️ (Je lui accorde des points de style si à la place de la phrase demandée il a écrit le verset 7 du chapitre 4 de l'évangile de Matthieu.)

On peut pousser plus loin cette dernière expérience de pensée et imaginer un certain calcul qui, quand on le fait, permet d'écrire dans les décimales de pi (à condition que personne ne les ait jamais calculées ou écrites jusqu'à présent). Et qu'ensuite les gens s'amusent à vandaliser les décimales de pi, à y mettre des photos pornos. Mais je garde ça pour un fragment littéraire gratuit ultérieur.

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(vendredi)

Pourrions-nous parler à des extra-terrestres ?

Je suis tombé en suivant des liens sur cette vidéo où l'astrophysicien médiatique Neil Tyson tient une opinion que j'espère ne pas trop déformer en la résumant ainsi : s'il existe des extraterrestres, il y a fort à parier qu'ils seront beaucoup plus différents de nous que nous ne sommes d'un chimpanzé, et pour peu qu'ils soient plutôt du côté « plus intelligent », nous serions face à eux au mieux comme des chimpanzés (et plus probablement, comme des vers) par rapport à nous, ils ne trouveront pas le moindre intérêt à dialoguer avec nous. Il s'exprime bien mieux (et en tout cas, de façon bien plus drôle) que ce que je reproduis là, mais juste pour voir, j'aimerais me faire un peu l'avocat du diable et soutenir une position opposée.

Je souligne que ce n'est pas que je croie, pour ma part, à l'idée qu'on pourrait dialoguer avec des extraterrestres ou à l'intérêt de chercher à le faire[#] — mais je n'y crois pas pour des raisons tout à fait différentes de ce que le Monsieur explique. Je suis prêt à admettre que la vie peut être raisonnablement courante dans l'Univers, mais mon pipotron est autrement plus pessimiste (si tant est qu'il s'agisse de pessimisme[#2]) quant à la valeur des derniers facteurs de la formule de Green Bank, et si la forme de vie intelligente la plus proche dans notre cône de lumière du passé est située à 2.5Mlyr (dans la galaxie d'Andromède), quand bien même on arriverait à capter un message de là-bas, elle sera depuis longtemps morte le temps qu'une réponse lui revienne, on ne va pas avoir une conversation très intéressante comme ça : en ce qui me concerne, des civilisations extraterrestres pourraient aussi bien être dans des Univers parallèles ou complètement fictifs, pour ce qu'ils interagiront avec nous — c'est amusant de spéculer quant à leur existence, tant qu'on est bien conscient que c'est de la pure branlette intellectuelle (je n'ai rien contre la masturbation, intellectuelle ou pas, hein, quand je dis ça) et qu'on a bien en tête la question que Montaigne fait poser par Anaximène à Pythagore : De quel sens puis-je m'amuser au secret des estoiles, ayant la mort ou la servitude tousjours présente aux yeux ? (Essais I:XXV).

Mais admettons la question purement intellectuelle, donc : est-il raisonnable d'imaginer des extraterrestres extraordinairement plus intelligents que nous ?

Certainement je peux imaginer des créatures intelligentes qui penseraient beaucoup plus vite que nous (ou auraient énormément plus de mémoire, toutes sortes de choses comme ça). Encore que je n'imagine pas une différence énorme : il y a tout à parier que l'évolution fabrique parfois des créatures de plus en plus douées en capacités mentales jusqu'à ce qu'une telle espèce en ait ce qu'il faut pour construire une civilisation, foute un bordel pas possible, s'éteigne ou pas dans le processus, mais en tout cas n'évolue plus exactement comme c'était habituel jusqu'à ce point. Si cela se produit à peu près au même point dans des circonstances semblables, on peut imaginer que ces paramètres ne varient pas tant que ça, en fait.

En fait, ce qui importe n'est pas tant l'intelligence d'un individu de l'espèce mais le degré de sophistication d'une civilisation éventuellement construite par eux. Nos ancêtres il y a 30000 ans étaient aussi dotés que nous en capacités mentales intrinsèques, mais leur civilisation n'était pas furieusement intéressante pour nous maintenant (et on serait tenté d'être condescendant et de se dire que nos ancêtres ils ne se posaient pas des questions bien profondes). A contrario, je ne suis pas convaincu qu'on ne puisse pas imaginer une civilisation intéressante dont les individus auraient l'intelligence d'un chimpanzé : ce qui a poussé l'homme à se sédentariser ne s'explique pas uniquement par un certain degré d'intelligence.

Mais Neil Tyson semble vouloir imaginer une intelligence vaste face à laquelle l'homme ne serait qu'au niveau d'un ver de terre. Évidemment, c'est une idée qui séduit parce qu'elle donne des petits frissons dans le dos, et elle est difficile à réfuter (quoi que je dise on pourra toujours me rétorquer ah oui, mais tu ne peux pas imaginer, et d'aileurs je jouais moi-même avec ça récemment), mais je ne suis pas sûr qu'elle ait beaucoup de sens (un peu comme si je disais une forme de vie tellement vivante que nous serions comme une pierre face à eux). J'ai tendance à penser que l'intelligence, dans un sens qualitatif, celui qui importe ici, est un peu du tout ou rien : c'est, par exemple, la capacité à s'interroger sur ses propres processus mentaux (la réflexivité), à se demander, entre autres, si d'autres sont intelligents, à partir du moment où on a cette capacité, on l'a, c'est tout, il n'y a pas vraiment de degré plus fort (et inversement, quand on ne l'a pas du tout, il n'y a pas vraiment lieu de se demander si un ver de terre l'a quand même un peu plus qu'une amibe). Même s'il y a des cas intermédiaires ou douteux comme, justement, nos singes ou nos dauphins, ce n'est pas vraiment une remise en cause du fait qu'au-delà de « c'est le cas » il n'y a rien de plus que « c'est le cas ». Je pourrais comparer avec le fait de savoir compter : certains animaux savent compter jusqu'à N pour différentes valeurs de N, certains ne savent pas du tout, et l'homme, a priori, il sait compter tout court — on peut imaginer des extraterrestres qui comptent beaucoup plus vite et mieux que nous, mais pas qui comptent « plus loin » (et oui, je sais ce qu'est un ordinal, merci pour moi 😉).

Après, il est évidemment impossible de réfuter l'idée qu'il puisse y avoir quelque chose de qualitativement au-delà de l'intelligence (et du fait de savoir compter), quelque chose d'aussi inconcevable pour moi que l'intelligence l'est pour le ver de terre (parce que pour comprendre ce truc il faut justement avoir ce truc). Peut-être même qu'il serait impossible aux extra-terrestres de nous prouver leur supériorité car nous n'arriverions même pas à la voir (comme nous ne pouvons prouver notre supériorité à un ver de façon compréhensible par lui, et je ne suis même pas sûr qu'on saurait convaincre un chimpanzé qu'on est plus malins que lui). C'est irréfutable, mais c'est juste que ce genre d'idée ressemble plus à de la religion qu'autre chose. L'Univers ne nous a pas trop habitués à l'idée qu'il y ait des choses absolument insaisissables : au contraire, il nous habitue plutôt au fait qu'il y ait des limites, qu'on a de bonnes raisons de penser absolues, sur n'importe quoi qui peut se dérouler dans cet Univers (les lois de la physique comme la conservation de l'énergie, ou des lois plus subtilement indirectes comme celle de Church-Turing, ou encore des lois sur la façon dont les choses se déroulent, comme les processus d'évolution par sélection naturelle), donc l'appel à l'absolument inconcevable a l'air atypique dans cet Univers et semble plutôt sorti d'un chapeau dans ce genre d'argument. Peut-être aussi que les souris blanches sont infiniment plus intelligentes que nous et mènent plein d'expériences sur nous. Wovon man nicht sprechen kann, darüber muß man schweigen. — ce qu'un de mes amis traduisait en anglais par : The utterly unspeakable is utterly irrelevant.

Accessoirement, quand bien même il existerait une forme d'intelligence qualitativement très supérieure à la nôtre, je ne suis pas sûr que ça l'ennuie de nous parler : si un chimpanzé ou un perroquet apprend un peu à nous parler, nous trouvons ça très intéressant, au contraire. À la limite, l'obstacle serait plutôt que nos préoccupations ou nos intérêts, et ceux des extra-terrestres, risqueraient d'être complètement, justement, aliens, les uns aux autres. Personnellement, j'essaie d'imaginer une intelligence extra-terrestre en pensant aux poulpes (ou seiches ou autres céphalopodes) : certes, les poulpes vivent sur notre planète et ils sont beaucoup plus proches de nous qu'une forme de vie extra-terrestre ne pourrait l'être, mais notre plus proche ancêtre commun avec les poulpes, s'il avait bien un système nerveux, n'était sûrement pas très malin (c'est en gros le même qu'avec une moule…), donc on peut considérer qu'il s'agit d'une forme d'intelligence complètement indépendante de la nôtre. Or, même s'il est difficile de prononcer ce genre de jugements et surtout d'éviter d'anthropomorphiser, il me semble que ce n'est pas une intelligence qui nous semple incompréhensible par son étrangeté. Bref, je n'achète ni l'argument de l'intelligence transcendant complètement la nôtre ni celui des intérêts complètement incompréhensibles pour nous. (La question des divergences culturelles, elle, elle me semble plus vraisemblable : même entre humains, nous ne semblons pas toujours plus doués que pour parler à des animaux d'une autre espèce, donc, là, je veux bien croire qu'il y aurait un très sérieux problème…)

Mais, je le répète, je crois surtout que les extra-terrestres sont trop loins et/ou trop morts pour qu'on puisse parler avec eux.

[#] Enfin, cela peut avoir un intérêt strictement humain (culturel, par exemple), même si on ne doit jamais rien trouver. Comme la conquête de l'espace peut avoir un intérêt même si je suis absolument persuadé que jamais un homme ne posera un pied plus loin que Mars (et même pour Mars je suis très sceptique).

[#2] Pas forcément du pessimisme dans l'explication du paradoxe de Fermi : j'ai tendance à trouver que le plus plausible est qu'une civilisation comme la nôtre va passer deux ou trois cents ans à envoyer des petits bip-bips aux étoiles avant de s'effondrer d'une manière ou d'une autre (je ne dis pas que la destruction systématique de notre environnement ou notre consommation effrénée de toute ressource périssable ou notre chaos géopolitique va forcément nous tuer, mais on ne peut pas dire que notre civilisation dans son avatar actuel, celui qui envoie des bip-bips aux étoiles, fasse preuve d'une très grande, euh, stabilité en tant que phénomène à l'échelle géologique ! — je trouve toujours amusants les gens qui se demandent comment les dinosaures ont bien pu disparaître, du haut de nos quelques misérables dizaines de millénaires d'existence en tant qu'espèce et quelques millions d'années en tant que famille) ; mais si on me demande d'être « optimiste », je peux imaginer des façons plus heureuses d'expliquer qu'on arrête de parler aux E.T. et qu'on ne parte jamais coloniser l'espace (par exemple sur le mode de on transfère nos consciences autrement que dans nos corps, par exemple dans des ordinateurs, et on vit dans des mondes virtuels qu'on choisit entièrement, en délaissant le monde matériel pour toute autre chose que juste les opérations de survie). Quant aux autres facteurs vers la fin de la formule de Green Bank, ce n'est certainement pas du pessimisme que de s'imaginer que la plupart des formes de vie intelligentes dans l'Univers sont plutôt comme nos dauphins, sur le thème de : Man has always assumed that he was more intelligent than dolphins because he had achieved so much—the wheel, New York, wars and so on—while all the dolphins had ever done was muck about in the water having a good time. But conversely, the dolphins had always believed that they were far more intelligent than man—for precisely the same reason. [Ajout : voir une entrée ultérieure pour un développement à ce sujet.]

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(mardi)

Comment et pourquoi Apple est-il devenu méchant ?

Quand j'étais petit et que je découvrais le Ninternet, le Ouaibe, mais aussi le logiciel libre et tout ça, le grand méchant par excellence[#], c'était Microsoft. Qu'il était de rigueur[#2] d'écrire Micro$oft, histoire de nous moquer, du haut de notre supériorité morale indubitable, de l'ennemi juré de la Liberté. Quand j'étais petit, donc (on va éviter de donner un âge précis, ce serait embarrassant), j'ai écrit des pages telle que celle-ci ou celle-là, le genre de pages que je garde parce que mon aversion à la destruction de l'information et à la péremption des URI est si forte, mais qu'il faudrait vraiment que je trouve moyen d'étiqueter comme conservées dans du formol pour votre distraction uniquement.

Pas que je sois devenu un partisan de Microsoft dans quelque sens que ce soit : en fait, j'ai encore moins l'occasion qu'auparavant d'être en contact avec leurs logiciels, je continue à penser qu'ils sont probablement plutôt mauvais techniquement ; mais, honnêtement, maintenant, à part un événement ponctuel comme l'adoption d'Office Open XML par l'ISO (qui ressemblait vraiment à de la corruption éhontée), ce que fait Microsoft, je m'en bats pas mal les chouquettes. J'apprécie qu'Internet Explorer ait baissé en popularité sur le Web, parce que ça a pas mal poussé pour l'adoption de standards Web intéressants, mais c'est plutôt Firefox qu'il faut féliciter qu'IE qu'il faut blâmer, en fait. Et sinon, il y a une chose que j'aime bien avec la popularité des logiciels Microsoft, c'est que ça me fournit l'admirable joker désolé, je ne peux pas vous aider avec votre ordinateur, je ne connais pas du tout Windows, ça fait quinze ans que je ne l'utilise plus (joker que je peux toujours choisir de ne pas utiliser si le demandeur est un garçon choupinou, mais je digresse).

Mais ce qui m'étonne plus, c'est la vitesse avec laquelle, le grand méchant d'origine s'encroutant (et ayant même des moments de faiblesse tels qu'ils produisent du logiciel libre ou des standards ouverts, si, si)[#3], le scénario en a prévu un autre. Ça ressemble à un mauvais scénario de Batman, où dès qu'un méchant caricatural est oublié, il y en a un autre pour prendre sa place.

Apple. Quand j'étais petit, Apple c'était plutôt un gentil, c'était l'esprit d'innovation. C'était eux qui avaient fait cette pub célébrissime en 1984 dirigée par Ridley Scott où ils comparaient (probablement) IBM à Big Brother ; c'est eux qui avaient des goûts esthétiques rigolos et subtilement zen ; c'est eux qui avaient introduit le premier (le seul ?) Unix vraiment tous publics sous la forme de Mac OS. Puis ils sont tombés dans la potion magique des DRM et des iPod/iPhone/iPad, et ils sont devenus méchants. Jon Stewart le raconte beaucoup mieux que moi : It wasn't supposed to be this way: Microsoft was supposed to be the evil one.

C'est idiot, bien sûr, de faire de la psychanalyse d'une société, surtout une multinationale : elles sont toutes complètement schizophrènes[#4], et même dans la mesure où elles ne le sont pas, elles sont cyniques à un point tel que les notions de bien et de mal soient surtout des gadgets. Néanmoins, la bigbrotheritude de Google[#5] a un côté nettement moins, disons, agressif, que celle d'Apple. Apple est devenu paranoïaque sur sa propriété intellectuelle et sur le contrôle de ses produits (et des annonces de ses nouveautés) à un niveau de délire invraisemblable.

Je ne parle même pas de la façon dont ils traitent leurs employés ou des bêtises sur les brevets (à ce compte-là, tout le monde est coupable, c'est surtout la loi américaine qui est pourrie). Prenons d'autres exemples. Je pense qu'il est largement connu qu'on ne peut installer sur un iPhone/iPad/iTruc que les programmes qu'Apple autorise à installer dessus, via leur App Store : ce n'est pas scandaleux que ce soit le cas par défaut s'il existait un moyen simple mais un peu caché de contourner cette limitation (peut-être en invalidant du même coup la garantie sur l'appareil) — non seulement ce moyen n'existe pas officiellement (s'il est quand même possible de contourner l'interdiction, c'est parce qu'il y a toujours des trous de sécurité exploitable permettant, pour ainsi dire, de reprendre à Apple le contrôle de l'appareil qu'on leur à acheté), mais Apple prétend que ce serait illégal (au moins aux États-Unis) de contourner cette limitation. (Je pense d'ailleurs qu'une loi qui permettrait à Apple d'interdire aux acheteurs de leurs téléphones d'en faire ce qu'ils en veulent est un mépris honteux du principe de propriété : une fois que j'ai acheté un iPhone, je devrais avoir le droit de m'en servir pour faire tourner les applications que je veux, ou pour le mettre dans un mixer si ça m'amuse. Mais je digresse.) Les critères selon lesquels Apple choisit quelles applications il autorise et lesquelles il refuse sont, évidemment, totalement opaques, mais ce n'est pas vraiment un signe de méchanceté, c'est surtout qu'ils doivent être débordés par le nombre de candidatures (ce que c'est de tout vouloir centraliser…).

Mais leur volonté paranoïaque de tout contrôler va bien plus loin : pour mettre une application sur l'App Store, il faut signer un accord par lequel on s'engage aux choses usuelles comme de sacrifier son premier né ou de vendre son âme à Steve Jobs, et plus sérieusement, Apple se réserve le droit de retirer votre application sans vous prévenir ou encore moins s'expliquer, mais le plus délirant, c'est que les termes du contrat lui-même sont censés rester secrets (le développeur s'engage, dans le contrat, à ne pas divulguer les termes du contrat). Plus récemment, ces mêmes clauses de contrat (qui ne restent décidément pas très secrètes) ont encore fait parler d'elles en interdisant tout logiciel qui n'était pas développées à l'origine pour un environnement logiciel comme celui proposé par Apple (notamment, toute application convertie depuis un autre langage de programmation qu'un de ceux supportés par l'iPhone). Même en admettant (ce qui me semble douteux) qu'il y ait de très bonnes raisons techniques de vouloir éviter ce genre d'applications, le niveau de contrôle recherché par Apple est tout simplement hallucinant.

J'aimerais comprendre. Est-ce vraiment rentable, ou est-ce une obsession irrationnelle ? (J'ai un ami qui, à chaque fois qu'on mentionne le comportement bizarre d'une société, assure qu'elle a dû très bien réfléchir à la question, et que si elle fait telle ou telle chose, c'est que c'est certainement ce qui est le mieux pour elle.) J'ai du mal à croire qu'Apple gagne plus avec ce genre de stratégie qu'ils ne perdent en s'aliénant beaucoup de gens qui pourraient a priori, les regarder d'un œil bienveillant. Il est vrai que les fans d'Apple ont tendance à être très polarisés (ou, même s'ils reconnaissent qu'ils n'aiment pas certaines pratiques de cette société, déclarer qu'ils ne seraient jamais prêts à ne plus en acheter les produits) : mais le même argument tend à montrer, du coup, qu'Apple n'a pas tellement intérêt à chercher à contrôler ces fans déjà loyaux. Alors pourquoi ?

[#] Normalement, là, les mots par excellence devraient être en français dans le texte. Sauf que j'écris déjà en français, donc je ne sais pas comment faire. Faute de mieux, je les écris en italiques.

[#2] En français dans le texte, aussi. Zut, j'aurais dû écrire en anglais, pour pouvoir mettre tous ces mots en français.

[#3] Remarquez, il y a encore plus longtemps, le méchant c'était IBM, et maintenant on a tendance à bien les aimer, IBM.

[#4] C'est un problème sérieux, d'ailleurs, toute idéologie mise à part : avec un individu, on peut apprendre à lui faire confiance, à se dire que c'est qu'un d'honnête, qu'indépendamment de toute interdiction légale il y a des choses qu'il ne fera pas parce que ce n'est pas bien, parce que c'est contre sa morale. On ne peut jamais apprendre une telle chose d'une compagnie : elle peut toujours se faire racheter (Sun, par exemple, est passé sans prévenir du côté des méchants, et c'est très agaçant), ou son exécutif se faire remplacer, et ainsi trahir les valeurs sur lesquelles on avait commencé à lui faire confiance. Mais, bizarrement, ce n'est pas suite à un rachat qu'Apple a changé comme ça.

[#5] La bigbrotheritude de Google, au moins, est très habile : elle prend la forme de oh, mais vous allez nous confier vos données, n'est-ce pas ? elles seront si bien entre nos mains, on va bien s'occuper d'elles… — jamais la moindre tentative pour vous empêcher de les exporter, Google ne veut pas les séquestrer, ils veulent les copier. Sur Android, on n'est pas du tout prisonnier de la plate-forme : on est juste subtilement incité à communiquer à Google la liste de tous nos contacts, le contenu de tous nos mails, l'emplacement où on se trouve, et évidemment tout ce qu'on recherche sur le Web voire tout ce qu'on va voir sur le Web.

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(mardi)

Ruxor et le poussinet font les courses

Le contexte : nous nous apprêtons à aller chez des amis pour un apéro dinatoire où chacun est censé apporter quelque chose à manger (surtout sans se concerter entre nous, c'est plus rigolo). Comme d'habitude, nous nous y sommes pris à la dernière minute, donc nous voilà chez Tang frères (ouvert le dimanche) en train de chercher ce qu'on pourrait bien apporter.

Poussinet
Oh, une pastèque ! Si on prenait une pastèque ?
Ruxor
Mais non, c'est ridicule, voyons. Ça fait beaucoup trop, et d'ailleurs… Oh, des physalis ! Si on prenait des physalis ?
Poussinet
Mais on ne les mangera jamais. Tiens, si on prenait un durion ?
Ruxor
C'est une blague, j'espère ?… Oh, des boissons aux goûts rigolo… tiens, on va prendre de la boisson à l'aloe vera… j'en prends une grosse bouteille ?
Poussinet
Tiens, prends une canette de jus de grenade, et peut-être un jus de tamarin. Oh, et une canette de jus de coco, aussi. Tu regardes quoi ?
Ruxor
Il me semble qu'il y avait des choses intéressantes dans les biscuits apéritif.
Poussinet
Tu ne crois pas qu'on a déjà assez de choses, comme ça ? On devrait s'en tenir là… Oh, du beef jerky ! Prenons du beef jerky !

…Et ainsi de suite. Chacun de nous n'en fait qu'à sa guise, prend n'importe quoi sur un coup de tête, et se moque des coups de tête de l'autre. Globalement, les choses se passent mieux quand je fais les courses tout seul… enfin, se passent mieux pour moi. ☺️

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