Quand des informaticiens[#]
conçoivent un logiciel dont l'usage est si complexe que seuls quelques
experts peuvent s'en servir, on ne s'attend normalement pas à ce que
tout le monde le maîtrise. Les juristes ne semblent pas avoir de tels
scrupules : faire signer à tour de bras des licences, des contrats,
des conditions générales
(de vente, d'utilisation…
— dont on atteste avoir pris connaissance
) écrits en
caractères microscopiques et dans un langage cryptique qu'il est
impossible que le commun des mortels comprenne, cela ne semble pas
gêner outre mesure. Je trouve personnellement que considérer que la
signature d'un tel document, par quelqu'un qui non seulement n'a eu
aucune part à son élaboration mais en fait ne peut généralement pas le
comprendre ni même décemment prendre le temps de le lire en entier
sans passer pour un goujat face aux clients qui attendent derrière, et
à peu près autant une preuve de consentement
éclairé que quand
des gens sont venus voir le chefs des tribus d'indiens pour leur
dire voilà, vous dessinez un petit truc là et toute cette terre est
à nous
[#2]. Le droit de
pouvoir aller voir la concurrence, si la concurrence propose également
un contrat du même genre, il ne vaut pas grand-chose…
Premier problème : un contrat librement consenti est censé être
négocié entre les deux parties. Négocié, ça ne veut pas dire —
ça ne devrait pas vouloir dire — qu'une partie puisse se pointer
avec le contrat déjà tout écrit (et dont le contenu peut donc, en
pratique, se résumer à la phrase nous nous réservons tous les
droits que la loi nous permet de nous réserver
— voilà, vous
datez et vous signez en bas à droite). Je trouve qu'un tel contrat
devrait être nul d'un côté (je veux dire, ne devrait pas produire
d'obligation pour la partie qui se le voit présenter en bloc et qui
n'a donc véritablement consenti à rien). Le problème c'est, comment
le prouver et surtout, comment arriver à quelque chose de gérable en
pratique (l'idée que chaque client puisse ou doive négocier
individuellement son contrat n'est pas forcément très applicable). Je
n'ai pas de solution à ça (le fait de ne pas avoir de solution ne
signifie pas qu'il n'y a pas de
problème[#3] et qu'on n'ait pas
le droit d'y réfléchir), mais j'ai quand même des bouts d'idée. On
peut imaginer de prévoir la possibilité, quand un consommateur se voit
présenter un contrat commercial à signer, pour lui de le modifier et
de renvoyer cette version modifiée au service qui l'a rédigé pour
obtenir son accord, avec obligation de réponse dans un temps
raisonnable[#4][#5] ;
et que si on peut prouver que le service en question refuse toute
altération du contrat et ne fait aucun effort honnête pour converger
vers une version commune (ou pour proposer un prix raisonnable à un
service que le client ferait ajouter au contrat et qu'il lui serait
techniquement possible de fournir), alors tous ceux qui ont signé un
contrat type apparemment non négociable sont délivrés de leurs
obligations (enfin, pas celle de payer, quand même). L'autre bout
d'idée, si on veut quand même préserver des contrats-types, c'est de
les faire estampiller par des associations de consommateurs agréées :
ce sont elles qui, pour les contrats un peu importants, auraient
conduit la négociation, en amont, avec le fournisseur ou commercial,
et elles auront été à armes un peu plus égales face à lui qu'un
individu à qui on dit signez là
. (Évidemment, les associations
de consommateurs peuvent faire un peu pression sur les contrats dans
l'état actuel des choses, mais elles ne sont pas associées à leur
rédaction dès l'origine.)
Second problème : même si on avale l'idée qu'il est normal que le contrat ne soit pas négocié par celui qui le signe, le texte-type n'est même pas compréhensible par lui. Il faudrait par exemple un résumé, fait de bonne foi et en langage clair, des termes importants ou inhabituels du contrat. Là, le problème se pose de qui pourrait rédiger un tel résumé ? Si le contrat-type est véritablement négocié, on peut imaginer que le résumé le soit aussi ; on peut aussi imaginer que la justice puisse frapper des parties du contrat si le résumé est trompeur à leur égard, ou quelque chose de la sorte. À l'inverse, le résumé n'aurait pas à reprendre les choses particulièrement normales et évidentes pour un contrat du type considéré.
Le même genre de question se pose pour les notes en bas de page et
autres astérisques traîtres dans les publicités : offre limitée à
gnagnagna
, hors frais de machin et de truc
, ou le plus
scandaleux, voir conditions sur
(où vous trouverez douze pages entières de mentions légales, dont on
ne va certainement pas vous faire un résumé sur cette affiche). Je
trouve que si la clause modifie significativement l'offre promise par
les gros caractères, elle devrait figurer en caractères tout aussi
gros ; tandis que si elle est juste là pour se protéger contre les
attaques des gens procéduriers ou pénibles, il est normal qu'elle soit
en petits caractères. Mais comment trancher ? Je pense notamment aux
mentions www.notresite.tld
photographie non contractuelle
: une fois sur deux je
pense que c'est complètement inutile de le mettre (il faudrait être
vraiment débile pour s'imaginer que <ceci> fait partie
du produit !), et une fois sur deux je pense qu'il faudrait le mettre
en gros et en rouge et en clignotant (cette photo est
carrément mensongère) — mais dans les deux cas on a
juste cette mention légale idiote. Sans doute, il faudrait un accord
informel préalable (qui pourrait intervenir dans le cadre d'une
institution comme le bureau de vérification de la
publicité[#6] si celui-ci avait
une position un peu plus impartiale entre annonceurs et consommateurs)
pour orienter un éventuel règlement en justice en cas de
litige[#7].
Mais dans tous les cas, la fiction qui consiste à avoir des mentions légales en petits caractères que personne ne lit, cela a quelque chose d'un peu obscène. Soit ces choses sont importantes, et elles devraient être en gros et en gras, soit elles ne le sont pas, et alors on se demande pourquoi on les écrit.
[#] D'accord, mon entrée en matière est complètement pourrie.
[#2] Comparaison pourrie aussi, et je n'ai pas vérifié comment ça s'était passé. Mais vous voyez l'idée.
[#3] Sauf chez les shadoks.
[#4] Et peut-être
modulo paiement d'un frais de dossier raisonnable, pour que les
modifications soient un peu motivées et excluent les demandes
loufoques. Quand je dis raisonnable
, ça ne couvre pas les
honoraires d'un avocat pour l'examiner en profondeur ; mais ça, c'est
normal : je ne peux pas, moi, me permettre de faire examiner en
profondeur par un avocat chaque texte qu'on me fait signer, donc il
n'y a pas de raison que la partie en face ait à en faire autant.
[#5] Exemple concret :
mon poussinet aurait envie d'ajouter dans un contrat qui le lie avec
l'opérateur de téléphonie SFR une clause du
genre l'accès au port TCP 22 est considéré, pour les
termes du présent contrat, comme faisant intégralement partie d'un
accès au Web ; la limitation de l'accès à ce port par l'opérateur
délie le client de sa période d'engagement
. Essayez de faire
signer ça ! Pourtant l'opérateur devrait être tenu d'examiner la
demande (soit pour l'accepter, soit pour l'accepter modulo une
augmentation du prix de l'abonnement, soit pour la refuser). Mais
non, on ne peut même pas demander une addition au
contrat.
[#6] Rappelons d'ailleurs qu'il s'agit d'une association purement privée, pas du tout d'un organe public comme on le croit parfois.
[#7] En clair, que si
quelqu'un a signalé un peu officiellement à l'annonceur votre
formulation est vraiment trop trompeuse
, j'espère que sa position
est plus précaire, ensuite, en justice, que si on lui a dit que
c'était tout bon…