Je regardais récemment une vidéo
de Richard
Dawkins discutant avec la créationniste Wendy Wright. La raison
pour laquelle je la signale n'est pas pour l'intérêt du fond du
débat : il n'y en a guère — outre qu'elles se ressemblent
toutes, les discussions avec les créationnistes n'ont vraiment pas
grand intérêt pour commencer, on sait d'avance que cette dame ne sera
pas convaincue[#], elle répète des
phrases quasiment par cœur sans faire la moindre attention à ce
que son interlocuteur lui dit, bref, c'est le prototype du dialogue de
sourds. Et d'ailleurs, honnêtement, j'ai vu Dawkins meilleur dans son
argumentation. Cette vidéo est déjà peut-être plus intéressante comme
test de patience, parce que la Wendy Wright en question est tellement
insupportablement horripilante avec son air souriant faux-cul quand
elle dit it's very demeaning to say that we
only believe what we believe because we've been told that
qu'il
faut au moins une ceinture noire de patriarcat zen 3e dan
pour réussir à ne pas craquer en l'écoutant, et mon admiration pour
Dawkins, là, est surtout qu'il a réussi l'exploit de ne pas lui foutre
une paire de baffes[#2]. Et
globalement, cette vidéo est fascinante pour ce qui est de se rendre
compte de la façon dont les gens arrivent à se mettre des
œillères et à faire preuve de la mauvaise foi la plus
spectaculaire (on le sait déjà, bien sûr, par des écrits, mais c'est
toujours plus spectaculaire quand on entend quelqu'un parler, et comme
je le disais, cette dame a la mauvaise foi
particulièrement rayonnante).
(On voit ici le phénomène typique de ce dont je parlais dans mon entrée précédente : je n'ai rigoureusement rien dit à part que Dawkins parle à une dame insupportable, et il m'a quand même fallu pas loin de 250 mots pour ne rien dire. Damnèd. Et la suite est bien pire !)
*
Mais une autre chose qui m'a intéressé dans cette vidéo (que j'ai
regardé intégralement pour entraîner mes nerfs à supporter la bêtise,
c'est un exercice important pour un enseignant ),
c'est la façon dont Dawkins, à plusieurs reprises, ébauche un argument
— ou plutôt, une exhortation — du type : mais ne
voyez-vous pas que l'évolution par la sélection naturelle est quelque
chose de merveilleusement élégant, et que ça pourrait être un
témoignage à la grandeur de Dieu d'avoir choisi quelque chose d'aussi
subtil et minimaliste pour arriver à Ses fins plutôt que d'agiter une
baguette de sorcier et d'intervenir directement dans sa création. Et,
de fait (fait remarquer Dawkins), un certain nombre de croyants, même
spécifiquement de chrétiens,
qui admettent
que l'évolution au sens darwinien peut être le moyen choisi par Dieu
pour Son Plan.
Je suis amusé de voir que (même si cela semble contredire des choses qu'il écrit dans The God Delusion[#3]) Dawkins semble rejoindre un peu cette idée que j'ai souvent avancée moi-même en discutant avec des croyants, et que je développerais ainsi : si on veut croire en Dieu, il faut croire que Dieu a quelque chose d'un mathématicien, Il a inventé des lois de la physique d'une très grande élégance et simplicité, et s'Il souhaite intervenir dans le monde, Il ne va pas faire une exception à ces lois qui par définition sont parfaites et sont Sa volonté. L'idée d'un Dieu qui consent occasionnellement — parcimonieusement — à suspendre l'application des lois de l'Univers pour faire des miracles à la faveur d'une prière individuelle me semble, quitte à risquer d'être vexant, assez enfantine. C'est peut-être le principe même de croire en Dieu que de croire qu'Il sert à faire de la magie de temps en temps et qu'Il attribue assez d'importance à l'humanité pour y consentir, mais ce que j'essaie surtout de dire c'est qu'il n'y a pas besoin de supposer que cela passe par une dérogation des lois de la physique : un Dieu censément omniscient et infiniment habile peut tout faire sans jamais déroger aux règles qu'Il se serait fixé — il pourrait « intervenir » dans l'Univers en déplaçant un seul quark au moment du big bang pour avoir exactement les conséquences souhaitées au moment souhaité (savoir s'Il modifie ce quark rétroactivement ou si ce quark a toujours été comme ça est une question vide de sens : Dieu est censé exister en-dehors du temps de toute façon, donc pour Lui le présent, le passé et l'avenir sont la même donnée).
Plusieurs fois j'ai évoqué cette idée de Dieu avec des croyants (chrétiens, spécifiquement), donc, mais tous l'ont catégoriquement rejetée : peut-être parce qu'elle rend Dieu trop distant ou trop dispensable (Celui qui met toute la machine en route et la regarde tourner parce que cette machine est parfaite) ; peut-être parce que l'idée du déterminisme de la physique semble contredire le dogme du libre-arbitre de l'homme[#4] ; peut-être parce que j'ai tort de penser que celui qui s'intéresse à une religion s'intéresse nécessairement à la métaphysique[#5] ; ou peut-être parce que c'est un dangereux premier pas vers l'athéisme (ou, pire encore, vers une région floue entre le théisme et l'athéisme).
Quelque part, c'est dommage : c'est une idée que je trouve
intellectuellement séduisante, qui permet justement de rendre continue
toute la lignée des croyances entre Dieu existe, il est conscient
et s'intéresse à nous
et Dieu n'existe pas, l'Univers n'a pas
de but ou de raison à part ce que nous voulons y voir
, mais les
croyants des religions traditionnelles ne veulent pas s'engager
là-dedans, et les athées n'ont pas à le faire. Il est vrai que ce
n'est pas à moi, qui suis athée, d'expliquer aux croyants comment leur
Dieu devrait être, ou que c'est de mauvais goût quand on est Dieu de
jouer[#6] à
l'archimage.
Si vous êtes sages, un jour je montrerai comment on peut fabriquer une religion rigolote (mais sans dieu[#7]) en poussant beaucoup plus loin l'idée que j'ai esquisée. (Mise à jour : c'est ici.)
*
[#] Je ne suis pas sûr que le débat rationnel puisse jamais convaincre qui que ce soit sur ce genre de questions, mais si jamais un créationniste peut être convaincu qu'il a tort, ce ne sera pas quelqu'un qui ait une position « officielle » qu'il risquerait de perdre, comme la présidente des Concerned Women for America.
[#2] Heureusement, d'ailleurs, parce que ça aurait eu toutes sortes de répercussions déplaisantes. Mais la morale est qu'on ne devrait pas chercher à imiter Dawkins à moins d'être soi-même, non seulement vaguement compétent en biologie (pour discuter à ce niveau, une connaissance très vague doit suffire), mais aussi, patriarche zen ceinture noire 3e dan, donc.
[#3] Où il dénonce
l'hypocrisie du compromis
des non-overlapping
magisteria
(selon lequel la religion et la science parlent de
choses différentes et n'ont pas de raison de se contredire) : Dawkins
répond en substance que toutes les religions font au moins certaines
affirmations qui ont un sens scientifique précis et seraient, au moins
en théorie, susceptibles d'être contredites par l'expérience. Il en
conclut que la seule façon d'être croyant et de faire quand même de la
science est d'être prêt à reculer les frontières de sa foi à chaque
fois que la science progresse, de façon à garder cette illusion de
magistères qui ne se recoupent pas.
[#4] Je
dis semble
contredire parce que je pense qu'il n'y a pas de
contradiction entre déterminisme et libre-arbitre, dans la mesure où
la notion de libre-arbitre a un sens pour commencer (ce qui n'est pas
clair) : de toute façon, il n'y a qu'un Univers (et on ne peut pas
rejouer le passé), donc la question de savoir s'il est prédestiné est
assez creuse. Cette entrée est assez longue comme ça pour que je ne
veuille pas poursuivre cette ligne de pensée, mais en tout cas il me
semble que d'éminents théologiens chrétiens ont été de l'avis qu'il
n'y a pas de contradiction entre le fait que Dieu sache tout l'avenir
du monde et le fait que l'Homme soit libre — donc du même coup
je ne vois pas pourquoi l'Homme ne pourrait pas être libre dans un
Univers déterministe dont Dieu aurait fixé les règles.
[#5] Une amie avec qui
j'en ai parlé m'a répondu en substance que la métaphysique est une
sorte de branlette intellectuelle (ce sont mes termes, pas les
siens…) et que ce n'est pas ce qui intéresse le croyant, car le
but de la religion est de nous dire comment (bien) agir, pas de
réfléchir à la création ou au but de l'Univers, ni même de se
concentrer sur les aspects pittoresques
de certaines
dénominations de la religion chrétienne (ce sont ses termes) comme
savoir si Marie était effectivement vierge ou si Jésus s'incarne
vraiment en petits morceaux de pain circulaires. Je cromprends et je
sympathise avec son point de vue, mais dans ce cas j'ai aussi un avis
sur la
façon de bien agir, qui rejoint sans doute assez largement ce
qu'elle pense : je ne vois pas bien l'intérêt d'avancer la croyance
(véritablement métaphysique) que l'Univers a été fabriqué par un
Créateur conscient pour arriver à une éthique raisonnable, à
moins qu'on y croie vraiment.
[#6] Il faut dire que la raison nº1 pour laquelle je serais bien incapable d'être chrétien, même si j'étais théiste, c'est que je ne comprends fichtrement rien aux motivations de leur Dieu, qui fait décidément les choses les plus étranges à mes yeux (je ne parle pas seulement des petits morceaux de pain circulaires ni du fait d'être descendu sur Terre dans une obscure province romaine pour y mener un programme à la logique incompréhensible — mais, pour commencer, de l'idée de créer des hommes, de leur donner un libre-arbitre et de les juger ensuite pour toute l'éternité sur ce qu'ils font pendant une durée finie). La réponse standard est que les voies du Seigneur sont impénétrables, mais enfin, Il est censé nous avoir fait à Son image et on est censé avoir mangé l'arbre d'un certain fruit, donc globalement ça ne devrait pas être si incompréhensible que ça (surtout que sur d'autres choses, Il s'explique assez bien).
[#7] Peut-être que le
terme de religion
est alors abusif, mais j'ai tendance à
appeler religion
tout ce qui fournit une réponse à la question
métaphysique de la vie, de l'univers, et de tout le reste (et
notamment de leur sens), qui ait plus de sens que 42
ou
que il n'y en a pas
(ou ce n'est pas intéressant
, on
ne sait pas quelle est la question
). En particulier, tout ce qui
tend à vouloir faire croire que l'homme a une place spéciale dans
l'Univers autre que parce qu'il s'en donne une.