J'ai pris conscience que je naviguais entre des Univers parallèles en regardant attentivement la rue Mouffetard : au 51 de la rue il y a un magasin qui vend des conneries du genre souvenirs pour touristes, oreillers à l'effigie de Claude François ou autres cadeaux pour des amis particulièrement détestés. Une des décorations de ce magasin est une vache volante (un gadget qu'on accroche au plafond et qui fait des tours en battant des ailes : même un maître zen formé dans les meilleurs temples shaolin doit perdre son sang-froid en cinq minutes à le regarder tournoyer, ce qui prouve que les vendeurs de cette boutique ne peuvent pas etre complètement humains).
Sauf qu'un jour je suis passé devant ce magasin et ce n'était plus une vache volante qui était là, c'était un cochon volant. Un petit détail, certes, mais le petit défaut qui trahit l'existence de la Matrice : quelqu'un avait remplacé l'Univers d'où je venais par quelque chose de beaucoup plus bizarre et de plus inexplicable.
Depuis je fais très attention, et je me suis rendu compte que les
petits hommes verts (ou peut-être des gros monstres violets, je ne
sais pas) n'arrêtent pas de changer l'Univers dans lequel je vis.
Cela se manifeste souvent par les choses les plus insignifiantes et
les plus enrageantes. Cela ne concerne pas toujours l'informatique,
mais c'est tout de même le plus fréquent. Une chose qu'ils aiment
bien faire, c'est censurer Internet : une page Web peut disparaître
sans laisser de traces, tout laisse à penser qu'elle n'a jamais existé
(et de fait, dans l'Univers où je me trouve, elle n'a jamais existé,
alors que dans l'Univers dont je viens, je suis certain que j'avais vu
une telle page par le passé). Un exemple idiot : dans l'Univers
parallèle où j'ai grandi, il existait un mot, logon
, qui
désigne une quantité d'information égale à la quantité qu'on peut
stocker dans un bit (c'est-à-dire, celle dans laquelle on utilise le
log base 2 pour calculer la quantité d'information) ; dans cet
Univers-ci, personne n'a jamais entendu parler de logon
, on
parle simplement de bits d'information. Perturbant. Un autre
exemple : dans le monde parallèle d'où je
viens, mon fournisseur d'accès
avait une page Web où il recensait les anomalies récentes sur son
réseau ; je me suis rendu compte lors d'une anomalie récente que non
seulement cette page n'existait pas, mais que personne dans cet
Univers ne l'avait jamais vue. Dans le monde parallèle d'où je viens,
il y avait une version 2.5
de Thunderbird,
sortie il y a environ un an les versions 2.0 et 3.0 (cette dernière
vient de sortir) : dans ce monde-ci, elle n'a jamais existé.
Bon, trêve de plaisanterie, c'est étonnant la facilité avec laquelle on se persuade de quelque chose qui n'a jamais été le cas. (Ce n'est pas la seule explication possible, d'ailleurs : dans le cas du cochon volant, j'ai constaté après coup qu'il y avait tout simplement bien deux gadgets différents mais semblables, l'un représentant un cochon et l'autre une vache…) Et depuis que j'ai commencé à y faire attention, j'en vois vraiment tout le temps.
Un jour je vais finir par me retrouver dans un Univers parallèle où
Isabelle de Castille n'aura jamais été convaincue de l'intérêt de
financer la mission de Christophe Colomb de trouver une route vers les
Indes par l'ouest, et où le Nouveau monde aura été découvert par
Amerigo Vespucci ; j'imagine que dans cet Univers parallèle le
continent porterait du coup un nom comme Amérique
, et là je
saurai qu'il y a vraiment quelque chose qui ne va pas.
Ajout : webcomic pertinent.
Ajout 2 () : Le terme
psychiatrique standard
est confabulation
;
mais l'« explication » avec des univers parallèles, que je ne suis
apparemment pas le premier à « découvrir », traîne sur Internet, et il
y a des gens qui, au moins quand il s'agit d'un phénomène collectif,
appellent ça le Mandela Effect (parce
qu'ils viennent d'un monde parallèle où Mandela est mort en prison
dans les années '80) : voir
notamment ici, ici
(un peu clickbaitesque, mais bon…) ou
enfin cette
vidéo qui reprend les mêmes exemples. (Et bien sûr, on peut aussi
faire référence
au Tlön
de Borges.)