Vous êtes sur le blog de David Madore, qui, comme le
reste de ce site web, parle de tout et
de n'importe quoi (surtout de n'importe quoi, en fait),
des maths à
la moto et ma vie quotidienne, en passant
par les langues,
la politique,
la philo de comptoir, la géographie, et
beaucoup de râleries sur le fait que les ordinateurs ne marchent pas,
ainsi que d'occasionnels rappels du fait que
je préfère les garçons, et des
petites fictions volontairement fragmentaires que je publie sous le
nom collectif de fragments littéraires
gratuits. • Ce blog eut été bilingue à ses débuts (certaines
entrées étaient en anglais, d'autres en français, et quelques unes
traduites dans les deux langues) ; il est
maintenant presque exclusivement en
français, mais je ne m'interdis pas d'écrire en anglais à
l'occasion. • Pour naviguer, sachez que les entrées sont listées par
ordre chronologique inverse (i.e., la plus récente est en haut).
Cette page-ci rassemble les entrées publiées en
janvier 2010 : il y a aussi un tableau par
mois à la fin de cette page, et
un index de toutes les entrées.
Certaines de mes entrées sont rangées dans une ou plusieurs
« catégories » (indiqués à la fin de l'entrée elle-même), mais ce
système de rangement n'est pas très cohérent. Le permalien de chaque
entrée est dans la date, et il est aussi rappelé avant et après le
texte de l'entrée elle-même.
You are on David Madore's blog which, like the rest of this web
site, is about everything and
anything (mostly anything, really),
from math
to motorcycling and my daily life, but
also languages, politics,
amateur(ish) philosophy, geography, lots of
ranting about the fact that computers don't work, occasional reminders
of the fact that I prefer men, and
some voluntarily fragmentary fictions that I publish under the
collective name of gratuitous literary
fragments. • This blog used to be bilingual at its beginning
(some entries were in English, others in French, and a few translated
in both languages); it is now almost
exclusively in French, but I'm not ruling out writing English blog
entries in the future. • To navigate, note that the entries are listed
in reverse chronological order (i.e., the most recent is on top).
This page lists the entries published in
January 2010: there is also a table of months
at the end of this page, and
an index of all entries. Some
entries are classified into one or more “categories” (indicated at the
end of the entry itself), but this organization isn't very coherent.
The permalink of each entry is in its date, and it is also reproduced
before and after the text of the entry itself.
J'ai pris conscience que je naviguais entre des Univers parallèles
en regardant attentivement la rue
Mouffetard : au
51 de la rue il y a un magasin qui vend des conneries du genre
souvenirs pour touristes, oreillers à l'effigie de Claude François ou
autres cadeaux pour des amis particulièrement détestés. Une des
décorations de ce magasin est une vache volante (un gadget qu'on
accroche au plafond et qui fait des tours en battant des ailes : même
un maître zen formé dans les meilleurs temples shaolin doit perdre son
sang-froid en cinq minutes à le regarder tournoyer, ce qui prouve que
les vendeurs de cette boutique ne peuvent pas etre complètement
humains).
Sauf qu'un jour je suis passé devant ce magasin et ce n'était plus
une vache volante qui était là, c'était un cochon volant. Un petit
détail, certes, mais le petit défaut qui trahit l'existence
de la
Matrice : quelqu'un avait remplacé l'Univers d'où je venais par
quelque chose de beaucoup plus bizarre et de plus inexplicable.
Depuis je fais très attention, et je me suis rendu compte que les
petits hommes verts (ou peut-être des gros monstres violets, je ne
sais pas) n'arrêtent pas de changer l'Univers dans lequel je vis.
Cela se manifeste souvent par les choses les plus insignifiantes et
les plus enrageantes. Cela ne concerne pas toujours l'informatique,
mais c'est tout de même le plus fréquent. Une chose qu'ils aiment
bien faire, c'est censurer Internet : une page Web peut disparaître
sans laisser de traces, tout laisse à penser qu'elle n'a jamais existé
(et de fait, dans l'Univers où je me trouve, elle n'a jamais existé,
alors que dans l'Univers dont je viens, je suis certain que j'avais vu
une telle page par le passé). Un exemple idiot : dans l'Univers
parallèle où j'ai grandi, il existait un mot, logon, qui
désigne une quantité d'information égale à la quantité qu'on peut
stocker dans un bit (c'est-à-dire, celle dans laquelle on utilise le
log base 2 pour calculer la quantité d'information) ; dans cet
Univers-ci, personne n'a jamais entendu parler de logon, on
parle simplement de bits d'information. Perturbant. Un autre
exemple : dans le monde parallèle d'où je
viens, mon fournisseur d'accès
avait une page Web où il recensait les anomalies récentes sur son
réseau ; je me suis rendu compte lors d'une anomalie récente que non
seulement cette page n'existait pas, mais que personne dans cet
Univers ne l'avait jamais vue. Dans le monde parallèle d'où je viens,
il y avait une version 2.5
de Thunderbird,
sortie il y a environ un an les versions 2.0 et 3.0 (cette dernière
vient de sortir) : dans ce monde-ci, elle n'a jamais existé.
Bon, trêve de plaisanterie, c'est étonnant la facilité avec
laquelle on se
persuade de quelque chose qui n'a jamais été le cas. (Ce n'est
pas la seule explication possible, d'ailleurs : dans le cas du cochon
volant, j'ai constaté après coup qu'il y avait tout simplement bien
deux gadgets différents mais semblables, l'un représentant un cochon
et l'autre une vache…) Et depuis que j'ai commencé à y faire
attention, j'en vois vraiment tout le
temps.
Un jour je vais finir par me retrouver dans un Univers parallèle où
Isabelle de Castille n'aura jamais été convaincue de l'intérêt de
financer la mission de Christophe Colomb de trouver une route vers les
Indes par l'ouest, et où le Nouveau monde aura été découvert par
Amerigo Vespucci ; j'imagine que dans cet Univers parallèle le
continent porterait du coup un nom comme Amérique, et là je
saurai qu'il y a vraiment quelque chose qui ne va pas.
Ajout 2 () : Le terme
psychiatrique standard
est confabulation ;
mais l'« explication » avec des univers parallèles, que je ne suis
apparemment pas le premier à « découvrir », traîne sur Internet, et il
y a des gens qui, au moins quand il s'agit d'un phénomène collectif,
appellent ça le Mandela Effect (parce
qu'ils viennent d'un monde parallèle où Mandela est mort en prison
dans les années '80) : voir
notamment ici, ici
(un peu clickbaitesque, mais bon…) ou
enfin cette
vidéo qui reprend les mêmes exemples. (Et bien sûr, on peut aussi
faire référence
au Tlön
de Borges.)
Je suis occasionnellement le blog
cartographique Strange
Maps, dont l'intérêt est assez inégal, mais qui a le don
pour dénicher de temps en temps des petits bijoux de bizarrerie
géographique à faire frémir le Club
Contexte, notamment en ce qui concerne les frontières entre pays.
Mais une question à laquelle je n'ai jamais eu de réponse (ou en tout
cas, de réponse complète satisfaisante, si tant est qu'il y en ait
une), c'est : comment au juste sont définies les frontières d'un
pays ? Ou plutôt : comment sait-on où elles sont, notamment en cas de
dispute (ou avant de savoir s'il y a dispute) ? Et subsidiairement :
à quelle précision sont-elles définies (probablement mieux qu'un
décamètre et moins bien qu'un millimètre dans tous les cas, mais entre
les deux ça doit dépendre de l'endroit dont on parle) ? Quel chemin y
a-t-il entre la définition de la frontière et sa réalisation sur le
terrain ? Et quelle est l'histoire de ces définitions ?
Dans beaucoup de cas, il doit y avoir un traité qui spécifie assez
clairement où la frontière se situe d'après une topographie physique
indiscutable (un fleuve, une ligne de crête, une ligne de partage des
eaux, etc.) ou d'après une construction géométrique assez claire (un
parallèle, éventuellement un méridien, la droite reliant deux points
comme des points culminants, que sais-je encore). C'est un cas
favorable : même si ce n'est pas forcément évident de réaliser la
ligne, et si la géographie physique peut changer en entraînant des
disputes (par exemple, le Rio Grande a connu des petites variations de
cours,
causant des
disputes entre les États-Unis et le Mexique), on conçoit assez
bien que la frontière soit bien définie. Dans beaucoup d'autres cas,
il doit y avoir une tradition très ancienne dans une région assez
peuplée qui fait que chacun sait s'il habite dans tel ou tel pays, que
la frontière passe entre tel et tel village au bout de tel champ ou le
long de tel sentier, les cartographes ont pu consigner cette tradition
dans des cartes assez précises, on imagine que cela ne cause guère de
problèmes.
Mais quand je me promène dans la montagne aux alentours
de Métabief
dans le Jura (où la famille de ma mère a un appartement de
vacances), on peut voir la frontière Franco-Suisse qui passe au milieu
de nulle part, matérialisée par des vagues peintures sur des rochers
ou des petits tas de cailloux : qu'est-ce qui me dit que ces marques
sont au bon endroit, et que la frontière est bien censée passer
précisément là — comment cela s'est-elle retrouvée passer là
plutôt qu'ailleurs ? Est-elle vraiment définie à une fraction de
mètre près ? Des gens sont-ils passés avec des GPS pour
relever chaque point anguleux, et est-on sûr qu'un petit facétieux n'a
pas déplacé les marques ?
(Je pose toutes ces questions pour les frontières entre pays, mais
on pourrait aussi les poser pour les limites administratives à
l'intérieur d'un pays. La situation est moins grave parce qu'il y a,
en principe, des cours de justice pour arbitrer quand les régions
administrées ne sont pas d'accord sur leurs limites, mais la question
de comment ces frontières sont définies et connues de l'administration
mérite quand même d'être posée. Et ce n'est pas une question
déconnectée des frontières internationales, puisqu'il est arrivé plus
d'une fois que des frontières internes à un pays deviennent des
frontières internationales plus tard.)
Il est toujours étonnant qu'on arrive à se retrouver avec des
situations où les frontières font des choses tout à fait bizarres,
comme des oscillations incompréhensibles, des replis formant des
presqu'enclaves, des points doubles (quand la frontière se recroise
elle-même, c'est-à-dire qu'on a une enclave attachée par un unique
point), ou carrément des enclaves (ou exclaves, selon le point de
vue : des petits bouts isolés d'un territoire dans un autre), voire
des contre-enclaves ou enclaves d'ordre deux (une enclave dans une
enclave).
Parmi les bizarreries frontalières bien connues, rien qu'en Europe,
il y a
le triangle du
Moresnet
(évoqué
ici sur Strange Maps), un minuscule
territoire de 3.5km² à la frontière entre l'Allemagne, les Pays-Bas et
la Belgique (à quelques kilomètres d'Aachen, et en gros au point
culminant des
Pays-Bas, ici
sur Google maps) qui fut peut-être, entre 1908 et la première guerre
mondiale, un état indépendant, le seul pays du monde ayant jamais eu
l'esperanto comme langue officielle. Là au moins l'histoire est assez
claire : le territoire fut explicitement laissé neutre pour des
raisons diplomatiques entre les Pays-Bas et la Prusse. À une centaine
de kilomètres de là, on a la ville belge
de Baarle-Hertog
aux Pays-Bas
(évoqué
ici sur Strange
Maps, ici
sur Google maps), une ville qui fait partie d'un système compliqué
d'enclaves de la Belgique dans les Pays-Bas résultant
d'une histoire
tout aussi compliquée entre les Sieurs de Breda et les Ducs de
Brabant entérinée par le traité de Maastricht de 1843. C'est un des
rares endroits du monde où on trouve des contre-enclaves : il y a des
petits bouts de Hollande dans une ville belge qui se trouve en
Hollande[#]. Il y a aussi, pour
parler d'une situation plus conflictuelle,
la Transnistrie
(ici
sur Strange
Maps, ici
sur Google maps), un état fantoche, reconnu par aucun autre pays au
monde (pas même la Russie qu'elle utilise comme base) entre la
Moldavie et l'Ukraine, parce que la frontière ouest de l'Ukraine, on
ne sait pas pourquoi, est située strictement à l'est du Dniestr, ce
qui laisse la place pour cette écharde de territoire, officiellement
partie de la Moldavie, mais en pratique à peu près indépendant.
Mais les frontières du monde que le Club Contexte préfère, ce sont
peut-être sans doute celles de l'Inde avec le Pakistan et le
Bangladesh (créés comme Pakistan occental et oriental). L'histoire
est intéressante : alors
qu'un Gandhi
tout malheureux venait de concéder (ce qui lui vaudrait plus tard
d'être assassiné…)
à Jinnah
de séparer
l'Inde et le Pakistan, et alors que les Anglais voulaient partir de là
au plus vite, un avocat
anglais Sir
Cyril Radcliffe reçut la tâche complètement ingrate
de tracer la
frontière entre les deux pays pour ce qui est des régions soumises
directement à l'administration britannique, en pratique le Penjab et
le Bengale. Il n'eut pas un travail facile, c'est le moins qu'on
puisse dire : il ne connaissait rien à l'Inde (c'était un « gage
d'indépendance »), il devait finir en un mois entre le 8 juillet et le
13 août 1947
(et le
vice-roi ne cessait de le presser), il était censé présider depuis
New Delhi deux commissions (une pour le Penjab et une pour le Bengale)
qui se réunissaient à plus de mille kilomètres l'une de l'autre (!),
les autres membres de chaque commission (deux non-musulmans et deux
musulmans) censés assister Radcliffe refusaient de se parler (et même
quand ils se parlaient, cela ne servait à rien puisqu'ils étaient en
désaccord sur tout), les cartes et les données de recensement étaient
mauvaises et il n'y avait pas de temps pour en établir de meilleures
ni même pour visiter le terrain, et Radcliffe avait l'angoisse que
tout mouvement de son crayon ferait souffrir des milliers de gens (et
il avait aussi l'angoisse d'être assassiné). Avec tout cela, on
s'étonne que quelque chose ait pu être fait ! Mountbatten présenta la
copie
à Jawaharlal
Nehru
et Sardar
Patel pour l'Inde, et
à Liaqat Ali
Khan et Fazal-ur-Rahman pour le Pakistan, le lendemain de
l'indépendance : qui s'engueulèrent copieusement, et accusèrent
l'avocat anglais d'avoir trahi sa mission (au sujet
des Chittagong
Hill Tracts, des districts de Darjeeling et Jalpaiguri et des
Sikhs du Penjab) ; elle fut rendue publique le surlendemain : des
villages qui avaient levé le drapeau pakistanais apprirent qu'ils
étaient en Inde, et vice versa. Quelque chose comme quinze millions
de personnes prirent les routes, et il y eut entre cinq cents mille et
un millions de morts (ce qui ne signifie pas, bien sûr, qu'il eût été
possible de tous les éviter). Radcliffe, qui savait dès le début que
tout le monde le détesterait, refusa le salaire important qui devait
récompenser ses efforts ; le poète anglais devenu américain Wystan
Hugh Auden
écrivit un
poème, The Partition, en son honneur.
Mais le tracé de la ligne n'était pas tout : la mettre en œuvre
ne fut pas facile non plus, pour les états nouvellement indépendants
de l'Inde et du Pakistan, et je n'ose pas trop imaginer avec quelle
précision et comment elle est définie sur le terrain. (Par contre, il
y a une jolie
cérémonie à regarder
à Wagah.)
Ceci ne concerne que les régions soumises directement à
l'administration britannique :
les états
princiers, censément indépendants, avaient le choix entre accéder
à l'Inde ou au Pakistan, ou rester indépendants ; on sait que le
Mahārājaḥ du Jammu-et-Cachemire (souverain hindou
d'un état à majorité pakistanaise) choisit de rester indépendant puis,
quelques mois plus tard, de rejoindre l'Inde, et on sait quelles
disputes cela provoqua.
Mais le plus amusant, pour ce qui est des frontières, n'est pas de
la faute de Radcliffe : c'est la situation résultant des petits jeux
de guerre entre le Rājaḥ de Cooch Behar et le Nawab de
Rangpur (au Bengale), au début du XVIIIe siècle. La
principauté de Cooch Behar devint un des états princiers de l'Inde
dominée par les britanniques. Au moment de l'indépendance, le
Rājaḥ de Cooch Behar ne signifiant pas à l'avance s'il
accéderait à l'Inde ou au Pakistan, Radcliffe attribua au Pakistan les
districts britanniques adjacents (pour éviter de consituter d'énormes
enclaves indiennes au Pakistan si Cooch Behar devenait pakistanais).
Comme finalement le prince choisit d'accéder à l'Union indienne, il
apporta avec lui les frontières invraisemblables que Cooch Behar avait
reçues de l'histoire. Il y a donc environ 130 enclaves de l'Inde dans
le Bangladesh et environ 95 du Bangladesh dans l'Inde, représentant au
total 85km² et 50km² respectivement, et la taille allant de 25km² pour
la plus grosse à 50m² pour la plus petite ; et il y a plusieurs
contre-enclaves et une contre-contre-enclave (la seule au monde),
c'est-à-dire une minuscule enclave indienne (700m²) dans une petite
enclave bangladeshi (0.5km²) dans la plus grosse enclave indienne au
Bangladesh (25km²). Enfin, tout cela est amusant pour les geeks, mais
pour les dizaines de milliers de personnes qui habitent là-bas,
surtout dans les plus grosses enclaves, ça ne l'est pas trop : les
pays (l'Inde contre le Pakistan puis contre le Bangladesh) jouent à un
jeu de pouvoir sur ces frontières, n'arrivant pas à se mettre d'accord
sur la façon d'échanger les enclaves, et parfois même pas sur une
autorisation des habitants à franchir les frontières, et il y a
évidemment des endroits où aucune police ne fait régner l'ordre, avec
un résultat catastrophique. Pour en savoir plus sur ces enclaves,
voyez ce
post de Strange
Maps, cet
article
de Time, cet
article de Wikipédia, et surtout, si vous voulez connaître tous
tous tous les
détails ce
rapport de Brendan Whyte, Waiting for the Esquimo:
an historical and documentary study of the Cooch Behar enclaves of
India and Bangladesh (519 pages, quand même…).
Mise à jour () : Il semble
que l'Inde et le Bangladesh vont
enfin signer un
accord d'échange de territoires pour supprimer ces enclaves.
[#] J'en profite pour
signaler une facétie de Google street view : il est apparemment
activé, dans le coin, en Hollande (à Baarle-Nassau) mais pas en
Belgique (à Baarle-Hertog), peut-être pour des raisons légales ; ce
qui conduit au fait qu'on
peut explorer
cette minuscule contre-enclave hollandaise constituée d'un seul
coin de rue : Google street view vous empêche de sortir dans l'enclave
belge.
Inversement, dans
ce coin, vous n'avez pas le droit d'entrer dans une
petite enclave belge.
Mon poussinet voulait un aspirateur sans sac
(à effet
cyclone) Dyson pour Noël[#] :
je lui ai offert un modèle
DC 20[#2] acheté (en solde)
au BHV. Je n'étais pas convaincu a priori par le
principe des aspirateurs sans sac, mais je dois avouer que je suis
séduit par le produit : la puissance d'aspiration est impressionnante,
et il avale une poussière extrêmement fine qu'on ne doit pas attraper
avec un aspirateur classique. En plus, le truc roule très bien, sans
jamais se renverser, et les accessoires sont bien faits. Il y a
maintenant quelque chose de très ludique à passer l'aspirateur et de
voir la poussière récoltée tourbillonner dans le gros tube de
plexiglas : du coup le petit nid d'amour que je partage avec mon
poussinet a nettement gagné en propreté (espérons que nous ne nous
lasserons pas de faire joujou avec ce gadget, donc).
Un petit bémol à mettre est que ça fait beaucoup de bruit. Un
autre est qu'il faut à chaque fois vider le non-sac, et la poussière
très fine n'est pas facile à faire tomber — et une fois j'ai
pris une terrible châtaigne avec l'électricité statique. Ah, et c'est
un peu cher, aussi (quand ce n'est pas en solde). Mais globalement ça
valait le coup.
[#] Enfin, de nouvel
an : nous attendons que la période des fêtes soit bien passée avant de
nous faire des cadeaux, histoire
d'éviter les foules (hum, je sais, je ne suis pas pour autant tous les
principes que je prêche… faites ce que je dis, pas ce que je
fais).
[#2] Modèle qui n'a pas
l'air d'exister sur le site du fabricant (un de ces sites parfaitement
crétins qui ont un sous-site par pays, soit dit en
passant) : ce
lien aurait dû marcher, mais apparemment pas (et comme d'habitude,
il redirige vers un endroit complètement con au lieu de fournir un
message d'erreur convivial ou de faire une recherche un peu
intelligente). Ça donne une image assez déplorable que le site Web
d'une compagnie ne soit pas foutue de connaître les produits de sa
gamme.
Quand je suis en public, j'aime bien écouter les conversations des
gens qui m'entourent (et parfois me
demander si je dois y glisser un
mot) : c'est intéressant pour savoir comment les gens pensent et
pouvoir faire de la sociologie de café du commerce.
L'autre jour j'étais attablé chez une enseigne Pomme de
pain (où je vais assez souvent quand j'ai laissé passer l'heure
de la cantine) quand j'ai
remarqué[#] deux jeunes, la
vingtaine probablement tout juste passée, habillés
légèrement-racaille-mais-guère, qui parlaient de filles (enfin, l'un
parlait, et l'autre se contentait surtout d'approuver et de rigoler
bêtement). J'ai donc dressé mon oreille de sociologue de comptoir, ce
qui n'était d'ailleurs pas nécessaire parce qu'ils discutaient assez
fort.
L'intensité de la misogynie qu'ils affichaient m'a impressionné.
Celui qui parlait le plus était, si j'ai bien compris, en instance de
rupture avec sa copine, et même si cette rupture n'était pas encore
certaine (y'a encore des sentiments, disait-il — ils
devaient être bien cachés), il attendait avec impatience la vie de
célibataire qui l'attendrait après. Les filles, il les voyait comme
des créatures manipulatrices (dès que tu dis je t'aime,
c'est fini, t'es foutu), qui n'en ont aux hommes qu'après leur
portefeuille (quand elles font style qu'elles ont de l'affection,
en fait c'est pour te dire, tu m'achètes ça, tu m'achètes ça ; mais
moi, non, si je t'achète un truc, c'est pour faire plaisir, c'est moi
qui décide) ; toujours fausses et mauvaises (il faut toujours
qu'elles cherchent le conflit, moi j'en ai marre, je lui dis t'as qu'à
te disputer avec un mur, arrête de me prendre la tête) ; et
incapables de se décider (je me dispute avec elle [son ex,
j'imagine], je lui dis bon, ben on rompt ?, et elle non,
mais non…, et puis deux semaines après,
finalement, oui : ben merci la perte de temps).
Apparemment, donc, le temps passé en couple était une perte de temps :
la vie de célibataire, par contre, semblait avoir beaucoup d'attraits
à ses yeux : soirées avec ses potes, pas de prise de tête, et
pour ça, y'a la branlette et les putes (je ne sais plus comment
il disait). Mais surtout, la possibilité d'humilier les femmes
(maintenant j'ai plus aucun respect pour elles) qui,
indubitalement, ne manqueraient pas de le courtiser en masse, en leur
disant non, pas moyen.
J'hésitais entre le rire et la pitié, et dans ce cas, pour lui ou
pour cette fameuse copine.
[#] OK, au début, je les ai
surtout remarqués parce que celui qui écoutait était joli à
regarder.
Là-haut, sur la colline ! — Regardez !
— Ce n'est pas possible ? Ce sont eux… Ce sont
vraiment eux !
Le cri des lamentations était remplacé par les exclamations,
courant d'homme en homme, attirant l'attention sur les deux
personnages qui venaient d'apparaître. Ceux-ci marquèrent une pause,
comme pour prendre la mesure de la situation.
Éclairé de face à la fois par les flammes de l'incendie et par le
rougeoiement de l'aurore, et de dos par la pleine lune qui se couchait
derrière ses cheveux blancs, le vieillard avait la figure sévère et
bienveillante d'un dieu tutélaire. Il attrapa et leva lentement en
l'air la main de la jeune fille qui l'accompagnait. Le diadème au
front de celle-ci ne laissait aucun doute sur leur identité.
Ardemond est revenu ! — Ce sont Invar et
Ardemond ! — La princesse est de retour !
Quelques minutes plus tard, alors que je renouvelais mon serment,
le magicien murmura à mon oreille, mystérieux comme à son
habitude :
Trois promesses, un féal, un félon, une princesse et un esclave.
Les pièces sont joliment disposées, n'est-ce pas ? Vous me
pardonnerez, j'espère, mon arrivée peut-être bien théâtrale, mais le
monde entier est une scène, et un peu de théâtre bien placé peut faire
plus que beaucoup de magie. Il est temps, maintenant, que vous
montriez votre courage.
11 janvier. • Nouvelle rencontre avec le Dr Taub,
et toujours la même question : pensez-vous que ces choses que vous
racontez vous soient vraiment arrivées ? — et toujours la
même réponse : dans cet univers, non, elles sont le fruit de mon
imagination ; dans cet univers. Je le répéterai autant
de fois qu'il le faudra, et peu importe qu'elle me croie fou : oui,
je suis fou, mais je préfère le rôle de ce fou que l'on
soigne plutôt que celui du souverain déchu que l'usurpateur m'a
condamné à être.
14 janvier. • Tenter d'expliquer
la damnatio memoriæ qui est mon supplice.
Comment le pourrais-je ? Ces hommes ignorent tout de l'Empire sur
lequel j'ai régné et dont je suis à jamais banni. Dans cet univers,
l'Alliance cycladéenne n'a pas eu lieu. L'humanité tout entière
réduite à quelques milliards d'individus et confinée à une seule
planète ! — ma prison désormais. Je sais assez à son sujet : ce
corps où ma conscience est exilée a appris ce qu'il me fallait sur ce
monde et sur sa pitoyable petite histoire, ses querelles
insignifiantes de tribus primitives. Ils ne me comprendront pas, eux
qui méconnaissent leur Empereur.
18 janvier. • Le Dr Taub veut que je lui parle de
l'usurpateur. Elle pense que c'est là la clé de ma psychose. Comment
donner la mesure de cette trahison ? L'usurpateur m'a tout volé.
J'ai connu les délices de la Planète dorée, me voici dans ce taudis où
je ne suis plus personne. Ils m'ont aussi retiré Aquila…
Aquila, mon amour, à qui on ne m'a pas même permis de faire un adieu,
te reverrai-je jamais ? S'ils te réservent le même sort, puis-je
espérer te retrouver ici ? Ou ton tombeau sera-t-il différent du
mien ? Qui me le dira ?
Dans le même temps qu'ils me privaient de mon empire, ils privaient
mes sujets de leur souverain. J'ai sans doute commis des erreurs, je
n'ai pas été parfait (une affirmation qui est permise dans ce
monde !), mais mon peuple ne méritait pas le joug cruel qui va
s'abattre sur lui. Comment ma damnatio leur
apparaît-elle ? Sans doute ce qui reste de mon corps là-bas
(si on ne l'achève pas) est-il aussi une sorte de fou : un pantin que
plus aucun esprit n'anime. Je poserai cette question au médecin,
peut-être est-elle capable de m'éclairer.
21 janvier. • Et si Dr Taub était un allié de
l'usurpateur ?…
Ce petit très zen, est en train de
faire le tour du 'net (normalement je n'aime pas trop relayer ce genre
de phénomènes, mais il faut savoir faire des exceptions). Voici
donc The
Third & the Seventh, treize minutes de pure poésie
semble-t-il entièrement réalisées en images de synthèse (mais on
aurait du mal à s'en rendre compte !).
Dan Ariely est professeur d'économie comportementale
à Duke University, c'est-à-dire quelque
chose entre un économiste classique et un psychologue. J'avais
entendu parler de lui
par ses exposés
à TED ; sa spécialité est de montrer,
d'analyser et d'expliquer la tendance que nous avons tous à nous
comporter de façon irrationnelle quand il s'agit de faire des choix
— et de façon non seulement irrationnelle,
mais prévisiblement irrationnelle, c'est-à-dire qu'il y a
tout un tas de motifs d'erreurs cognitives qui se répètent chez la
majorité des gens.
Un exemple d'erreur cognitive que j'ai appris par lui et qui
m'avait frappé est le phénomène suivant. On propose à un groupe de
gens tirés au hasard le choix entre deux offres, A
et B, qui ne sont pas évidentes à comparer ; et à un autre
groupe de gens on propose le même choix, mais en ajoutant une
troisième option, A′, qui est très semblable
à A mais évidemment moins bonne (par exemple il
pourrait s'agir d'une offre strictement incluse dans celle
de A mais pour exactement au même prix). Personne n'a
rationnellement intérêt à choisir A′, et de fait, les
gens ne le choisissent pas, mais ce n'est pas là le phénomène
intéressant. Le phénomène qui se produit dans beaucoup de situations
est que le second groupe (celui qui a le choix
entre A, B ou A′
avec A′ moins bon que A) opte plus
pour A par rapport au premier groupe (celui qui n'avait pas
l'option A′). Autrement dit, la simple existence du
choix A′, même si personne ne le prend, rend le
choix A plus attirant ; si on était rationnels, l'existence
de A′ ne devrait pas jouer sur la comparaison
entre A et B, celle-ci ne devant faire
intervenir que les mérites respectifs de ces derniers. Le phénomène
n'a pas lieu systématiquement ou dans tous les domaines, mais la
tendance est générale, et Dan Ariely l'illustre dans des situations
assez différentes.
Il s'agit d'un des exemples qu'il évoque dans ses exposés
à TED, mais qu'il détaille aussi dans son
livre, Predictably
Irrational[#], que j'ai
récemment fini de lire. C'est un ouvrage que j'ai trouvé très
intéressant : il est construit sur autant de chapitres que de types
d'erreurs de jugement qu'il illustre, à chaque fois, par un certain
nombre d'expériences, et qu'il tente de généraliser à des phénomènes
plus larges, comme des phénomènes de société. On peut lui reprocher
de ne pas donner systématiquement les conditions exactes de ses
expériences, ou de ne pas toujours indiquer si elles ont été
reproduites et confirmées par d'autres, et évidemment on peut
s'interroger sur le fait que ses généralisations soient parfois
hâtives, mais pour un ouvrage de vulgarisation, j'ai trouvé ça très
bien. Dan Ariely tient
aussi un
blog dans lequel il rapporte un certain nombre d'expériences ou de
réflexions de ce genre.
Dans un genre semblable, il y a Dan Gilbert (est-ce que tous les
chercheurs sur le sujet s'appellent Dan ? ), dont j'ai
également beaucoup aimé
les exposés
à TED. Lui est psychologue (à Harvard), donc a
priori moins concerné par l'aspect économique, plutôt par (par
exemple) notre relation à notre moi passé ou futur, mais il
signale également dans ces exposés quelques réactions irrationnelles
que nous avons fortement tendance à avoir. La suivante m'avait amusé.
Considérons deux situations : situation 1, je vais au théâtre, j'ai en
poche un billet de banque de 20€ et un billet pour la pièce, que
j'ai déjà acheté, et qui m'a aussi coûté 20€ ; mais juste en
arrivant, mon billet de théâtre tombe de ma poche dans une bouche
d'égout où je n'ai aucune chance de le récupérer : vais-je choisir
d'en acheter un autre pour aller quand même voir la pièce ?
Situation 2 : presque identique, je vais au théâtre, mais cette fois
je n'ai pas encore acheté ma place, j'ai en poche deux billets de
banque de 20€ ; mais juste en arrivant, un des deux billets de
banque tombe de ma poche dans une bouche d'égout où je n'ai aucune
chance de le récupérer : vais-je acheter un billet pour voir la
pièce ? Dans la situation 2, a priori, on répond oui : on est venu
pour voir la pièce, le fait qu'on ait perdu 20€ ne change pas le
fait qu'on veut voir cette pièce, donc on achète un billet. Dans la
situation 1, souvent, les gens répondent non, au motif qu'on a déjà
acheté un billet, on ne va pas en acheter un deuxième même si
le premier s'est perdu. Mais quand on y pense, c'est idiot, on est
ramené exactement à la même situation que dans le 2, et la décision à
prendre ne doit pas dépendre du passé : on est devant le théâtre, avec
20€ en poche, on a envie de voir la pièce, il se trouve qu'on a
perdu un morceau de papier qui valait 20€ mais peu importe
puisqu'il est perdu dans un égout. Pourtant les gens réagissent
souvent différemment[#2].
Cela nous force à remettre un peu en question les principes de
l'économie classique (non-comportementale), qui supposent à un
certain niveau que les gens se comportent de façon rationnelle, qu'ils
ont des désirs (des fonctions d'utilité) bien définies et se
reflétant dans les choix qu'ils font selon un certain ordre de
préférence… ce genre d'hypothèses. Dan Ariely parle un peu de
la façon dont le caractère simplifié (voire carrément faux) de ces
hypothèses peut conduire à des conclusions économiques erronées
— et, actualité oblige, dans
l'édition[#3] que j'ai de son
livre il explique notamment son avis sur la crise des subprimes
et des conséquences qui ont suivi. Son but n'est pas d'envoyer à la
poubelle l'économie classique, mais d'en explorer les limites, et
d'essayer de décrire les phénomènes qui peuvent apparaître quand on
s'approche de ces limites.
Je ne sais pas comment les économistes classiques réagissent aux
mises en gardes de l'économie comportementale ; le tout petit
échantillon (totalement non représentatif) que j'ai sous la main a une
réaction du type certes, c'est amusant, mais bon, c'est très
empirique, et pour le genre de choses qui me concernent, ces
phénomènes ne sont pas importants, et de continuer, dans toute
discussion politique ou sociétale, à utiliser abondamment comme axiome
que les gens se comportent rationnellement par rapport à une relation
de préférence. Quand on insiste que, non, vraiment, les gens ne sont
pas rationnels, des réactions possibles sont : (A) ce n'est pas
important, ce sont des effets individuels qui n'existent plus à
l'échelle collective (pur acte de foi), ou bien (B) ce n'est pas
grave, faisons quand même comme s'ils l'étaient, parce que c'est plus
simple, ou pour « récompenser » les gens rationnels, voire, pour
favoriser la survie des mèmes
rationnels dans la société (une forme d'eumémisme ? en tout
cas, ça devient n'importe quoi). Ou parfois avec des arguments que
j'appellerai ad
basiursum[#4], consistant à
prétendre que l'interlocuteur (=moi, en l'occurrence) rêve d'un monde
de bisounours où les irrationalités des gens seraient gentiment prises
en compte, et caricaturer sa position. Ce genre de réaction de
mauvaise foi (mais je répète que je n'ai qu'un échantillon
microsocopique d'environ 1.618 personne) me fait un peu penser à celle
d'un physicien newtonien qui refuserait de prendre en compte les
corrections relativistes parce que c'est trop difficile à calculer, ou
ça ne doit pas exister à l'échelle de l'orbite de Mercure, ou encore
les planètes apprendront à se comporter selon les lois de Newton si on
calcule leurs trajectoires comme ça…
[#] Le
mot predictably me gêne : j'ai toujours envie de
l'écrire avec un ‘i’ à la place du ‘a’, à
cause du français prédictible (anglicisme qui, d'ailleurs,
d'après les puristes, n'est pas du français : il faut
dire prévisible ; mais si c'est vraiment un anglicisme, on se
demande pourquoi ce n'est pas prédictable).
[#2] Quelque chose de
semblable à l'expérience de pensée m'est arrivé, d'ailleurs. Je
venais d'acheter un livre de maths très
cher, après avoir beaucoup hésité à savoir si je voulais vraiment
l'acheter ou non, et le jour même je l'ai perdu (ou plutôt,
on me l'a volé — je l'avais oublié dans une salle de
l'ENS et il avait disparu une heure plus tard, et mes
mails à tout le département demandant si personne ne l'avait vu n'ont
rien donné). Je suis donc allé le racheter : j'ai dû combattre la
partie irationnelle en moi qui me disait c'est trop cher !
150€ ça t'a beaucoup fait hésiter, alors 300€ c'est
complètement exorbitant — réaction complètement stupide, car
j'avais perdu ces 150€, peu importe qu'ils aient pris la
forme d'un livre, mais puisque j'avais finalement décidé que je
voulais ce livre à ce prix, je devais logiquement être prêt à faire la
même dépense dans les mêmes conditions.
[#3] J'ai l'édition
d'ISBN 978-0-00-725653-2. Bizarrement, Amazon.com ne la
connaît pas,
mais Amazon.fr
si. Ça doit être une édition britannique plutôt que
nord-américaine.
[#4] Basiursus est évidemment le
mot latin désignant
un bisounours.
Comme je ne sais combien de millions de gens, je suis allé voir
le film qui rapporte
des milliards. Et comme je ne sais combien de milliers de
blogueurs, il faut bien que j'en dise ce que j'en ai pensé.
Je l'ai vu en 2D, un peu par hasard, mais ce n'est pas
pour me déplaire parce que les lunettes 3D me fatiguent
vite, alors je ne crois pas que je les aurais supportées 160 minutes.
J'ai l'impression d'arriver à très bien imaginer ce que ça doit donner
en 3D, et je ne crois pas avoir perdu énormément (je veux
bien croire ceux qui affirment que c'est beaucoup mieux que ce qui
s'est fait jusqu'à présent en la matière, mais même comme ça je doute
que ce soit vraiment autre chose qu'un gimmick). La beauté des images
est dans les textures, les couleurs (notamment la fluorescence la
nuit), les magnifiques paysages très
miyazakiens[#], bref, la
photographie.
Le scénario est d'une platitude extraordinaire : vous
prenez Pocahontas ou Danse avec les loups
(voire Lawrence d'Arabie, mais édulcoré) et une petite
pincée de Starship Troopers, vous ajoutez
la mièvrerie des passages sur Endor dans Le Retour du
Jedi, un peu de mythe du bon sauvage et une grosse rasade
d'écologisme, vous mélangez bien fort, et vous
obtenez Avatar. Aucun risque n'a été pris, aucun
personnage n'a de profondeur psychologique, le gentil est vraiment
gentil et son parcours initiatique est sans surprise, le méchant est
vraiment méchant (ou con et buté à tout le moins) et rien ne vient le
sauver ou donner un autre son de cloche, le conflit est mené de façon
frontale, sans trahison ou autre subtilité. Tout est cousu de fil
blanc et se voit venir quinze minutes à l'avance. La morale est
simple, voire simpliste : la gentille tribu gagne à la fin contre les
méchants envahisseurs (je spoile autant que si je vous révèle que le
pape est catholique).
De même, il va de soi que les extraterrestres sont aussi humains
que ce que peut imaginer un enfant à qui on parlerait d'hommes de
l'espace : à part qu'ils sont bleus et un peu plus grands, qu'ils ont
une queue et qu'ils communiquent (vraiment) avec la nature, ils sont
exactement comme vous et moi[#2],
ils ont jusqu'au même nombre et au même arrangement des doigts de
pieds, ils marchent comme nous, ils voient comme nous, ils entendent
comme nous, ils parlent comme nous (une langue à peine exotique, et en
tout cas assurément prononçable, même pas avec des voix qui
sembleraient bizarres), ils pleurent quand ils sont tristes et ils ont
une organisation sociale juste un peu tribale, mais sans aucune
originalité et surtout rien qui pourrait nous choquer ou les faire
paraître moins gentils. Bien sûr, comme dans absolument tous les
films de science-fiction hollywoodiens, les extra-terrestres ont de
l'ADN, et on peut apparemment le mélanger au nôtre
(ben voyons). Les bestioles sur la planète sont vaguement des
dinosaures passées à la peinture des images de synthèse, parfois avec
des changements triviaux (six pattes sur les chevaux) ; la plupart des
plantes ressemblent à s'y méprendre aux nôtres (et pour commencer,
elles sont généralement vertes). S'il y avait la moindre prétention
scientifique, on grincerait des dents à tel point c'est ridicule :
heureusement, il n'y en a pas. De toute façon, s'il y avait la
moindre once de réalisme scientifique, le héros n'arriverait jamais à
empathiser en quelques mois avec les créatures en face de lui, et le
spectateur du film en quelques heures encore moins : le réalisateur a
donc bien eu raison dans ses choix. Au moins, les règles de son
monde, pour absurdes qu'elles soient scientifiquement, sont cohérentes
avec elles-mêmes : je n'ai pas trouvé de bizarrerie interne
dans l'histoire.
Je ne pense pas que ce soit une critique que de dire tout
ce que je viens de dire. Certes, je regrette un peu : je regrette
qu'on n'ait pas donné au méchant une personnalité un peu tourmentée,
et je regrette qu'on n'ait pas montré au moins une chance à la
diplomatie ou au compromis entre les deux parties, ce qui aurait
permis au scénario d'être un peu moins plat ; je regrette aussi que
les extra-terrestres soient confinés au rôle du gentil sauvage au
savoir ancestral, sans jamais faire preuve d'ingéniosité inattendue.
Mais si on va voir Avatar pour son scénario, c'est
probablement qu'on s'est trompé de salle. Il faut le voir pour le
graphisme, et pour entendre une histoire qu'on connaît déjà : une
sorte de mythe, parfaitement prévisible, mais néanmoins émouvant, et
raconté de façon à faire éclater cette émotion. Car c'est justement
parce que le scénario est simple et linéaire qu'il est touchant. J'en
ai eu, en tout cas, les larmes aux yeux (mais j'avoue que je suis bon
public). Je rejoins donc au final les critiques favorables que le
film a reçues : il faut juste savoir pour quoi on va le voir. Couper
un peu son cerveau, mais ouvrir grands ses yeux et son cœur.
[#] Les montagnes qui
flottent dans l'air, ça fait vraiment bipper mes neurones à
Miyazaki.
[#2] Enfin, je n'en
sais rien, peut-être que mon blog est lu sur la galaxie d'Andromède ou
bien par des IA qui ont émergé spontanément dans
Internet.
Il fut un temps où je parlais plus souvent sur ce blog de
mes expérimentations vestimentaires
(genre, là
ou là), c'est-à-dire ma façon de
mélanger n'importe quoi jusqu'à satisfaire — en me regardant
dans un miroir — mon attirance instinctive pour la provocation
involontaire (ou pour le ridicule), mon sens esthétique d'ado
post-attardé et décalé, ou mon goût de chiottes notoire en
matière de garçons (le poussinet ne doit pas se sentir vexé, ce n'est
pas systématique).
Récemment je me suis acheté le
livre Dictionnaire
du look (Une nouvelle science du jeune) de Géraldine de
Margerie et Olivier Marty (éditions Laffont)
(présenté
ici) : c'est un inventaire assez éclectique et disparate de tout
un tas de looks de djeunz ou de moins djeunz (bcbg,
bling-bling, bobo, caillera, fluokid, metalleux, modasse, punk à
chien, skateur, teuffeur…), tentant parfois de présenter les
modes de vies de tribus urbaines. Ce n'est pas très sérieux,
mais c'est justement rigolo parce que ça ne se prend pas au sérieux.
Par contre, on peut regretter que le choix des looks traités manque un
peu de cohérence ou d'exhaustivité, au moins superficielle (pourquoi,
par exemple, ne pas avoir consacré un chapitre aux gothiques alors
qu'il y en a un pour les plus spécifiques gothic
lolitas ?).
Mais j'ai au moins apprécié qu'ils proposent un nom pour un look
dont je me suis souvent demandé comment l'appeler : ces jeunes
dreadlockés bohême, vaguement néohippies ou cirqueux, en pantalon
bouffant, vieux pull, keffieh et parfois bonnet péruvien, qu'on
imagine facilement arpentant, pétard à la bouche, les couloirs d'un
hypothétique cours de médiation culturelle à Paris VIII. (Mon
poussinet les appelle les je-vais-sauver-le-monde.) Le
dictionnaire en question les nomme les Jah-Jah : même si
une recherche
Google images ne confirme pas trop la popularité du terme, il a le
mérite d'être assez inambigu.
Mon look actuel n'est pas recensé, évidemment. Pour ceux qui
veulent l'imaginer (non, je n'ai pas de photos, il faudra que je
propose au poussinet d'en prendre), je peux le décrire façon magazine
de mode et avec des liens[#]
puisque j'ai quasiment tout acheté en ligne. Le Ruxor, donc, porte
un hoodie DC Shoes
noir avec logo blanc au
ventre[#2],
un pendentif
dent en acier Oxbow (au-dessus du sweat),
un blouson
en
cuir Schott[#3]
à capuche avec logo au dos,
un treillis
camouflage de surplus[#4]
militaire (armée française)
et ceinture
assortie (ou bien, certains jours,
un jean
baggy non marqué), des baskets
« street » DC Shoes
ou Rip Curl[#5] et
des mitaines
en cuir portées sur des sous-gants en soie
noirs Go Sport[#6][#7].
Les tee-shirts (généralement plusieurs épaisseurs, le Ruxor étant
frileux) varient évidemment beaucoup. Mais l'accessoire vraiment
unique pour parfaire la Ruxor touch et
s'habiller en
rouge et noir, accessoire fort approprié en cette saison de
saturnales,
c'est le
bonnet rouge (mais alors vraiment rouge vif, uni : en fait, c'est
un bonnet de pompier[#8]), à
porter bien enfoncé sur la tête (en laissant juste dépasser une ou
deux mèches dans le cou), et avec un air gentiment niais. Le bonnet
rouge permet qu'on me repère de loin (pratique quand le poussinet
s'est attardé pour faire une bêtise, et se demande où je suis passé),
ou d'attirer le regard. D'ailleurs, hier, à la Fnac, je me suis fait
draguer[#9] par un djeunz habillé
assez comme moi (treillis, chaussures de skate, hoodie sur les épaules
et pendentif au cou) mais qui n'avait pas un joli bonnet rouge comme
le mien : je suis sûr que c'est ça qui l'a rendu envieux !
[#] Liens qui seront
inévitablement cassés dans trois mois, puisque les gens qui tiennent
des sites marchands tels que ceux-ci n'ont pas encore compris
l'avantage qu'il pouvait y avoir pour eux à ne pas casser
leurs URL à chaque refonte du site.
[#2] Le logo
me vaut d'ailleurs un certain nombre de questions (les gens qui ne
connaissent pas lisent souvent DG et demandent par
exemple si c'est Dolce &
Gabbana : décidément,
non, par contre, il y a une ressemblance indéniable avec
le logo Chanel).
[#3] Tiens, il est
nettement plus cher que quand je l'ai acheté, celui-là.
[#4] Ce n'est pas par
ce site-là que je l'ai acheté, mais le principe d'un article
réglementaire doit être qu'il ne varie pas beaucoup.
[#5] Ce modèle précis
n'a plus l'air d'exister.
[#6] Article que je
renonce à trouver sur le site Web
de la marque Go Sport, vu combien celui-ci est mal
organisé (les articles ne semblent trouvables que dans le rayon d'un
certain — et unique — sport, et je ne sais pas quel serait
le sport dont des sous-gants en soie seraient un accessoire).
[#7] Je suis content de
la trouvaille de porter des sous-gants en soie sous des mitaines :
quand il ne fait pas atrocement froid, c'est un bon compromis pour se
protéger les mains tout en gardant une certaine dextérité et
sensibilité digitale.
[#8] Enfin, paraît-il !
Je n'ai en fait jamais vu un pompier porter un pareil bonnet. Mais au
moins c'est la couleur emblématique rutilante.
[#9] Le poussinet et
moi ne nous privons pas de mater copieusement (et de nous signaler
mutuellement) les jolis garçons que nous croisons, et il y a sans
doute du vrai dans l'idée que les homos sont sans doute les seuls à le
remarquer — ou en tout cas, à comprendre pourquoi on les
regarde. Le mec en question, j'ai commencé à le regarder par les
pieds (parce que je regardais d'abord des livres situés au niveau du
sol), j'ai remonté le regard parce que le look me plaisait, et le
temps que j'arrive à la tête et que je m'aperçoive qu'il n'était pas
mal du tout, il avait bien vu que je le zyeutais : il me souriait
copieusement, et il a engagé la conversation. Ce sur quoi j'ai fui
dare-dare, parce que (malgré mon bonnet rouge)
je suis timide comme un écureuil
bleu. Quand je lui raconte ce genre de choses, mon poussinet rigole
gentiment de moi.
On parle des années '20, des années '30, et ainsi de suite
jusqu'aux années '90 : mais quel nom faut-il donner à la décennie qui
vient de se finir[#] (si on les
appelle les années '00, comment faut-il prononcer cela ? ou
faut-il dire les années 2000 ?). En anglais, des gens ont
proposé un nom sympathique : après les seventies,
les eighties et
les nineties, non venons de finir
les naughties ! (Mais la question se
repose pour les dix prochaines années.)
Une autre question, c'est comment prononcer le nom des années :
pour lire 2010, quasiment tout le monde dit deux mil[le]
dix en français, et two thousand [and] ten en
anglais. Mais 1810, s'agissant de l'année, se
prononce dix-huit cent dix et eighteen
[hundred [and]] ten : du coup, 2010 devrait être vingt
cent dix et twenty [hundred [and]] ten. Je
pense que cette façon de nommer sera effectivement ce qui prendra le
pas en anglais : autant il n'est pas harmonieux de lire 2009
comme twenty o'nine, autant 2013 se lit
agréablement twenty thirteen. En français, à
cause de la confusion avec Vincent, je pense que ce n'est pas
ce qu'on dira.
Mais mon poussinet interrompt ces considérations onomastiques
passionnantes pour me sommer de me coucher.
[#] Bon, si on convient,
comme il est logique de le faire dans notre calendrier, que le
XXIe siècle et le 3e millénaire commençaient le
1er janvier 2001, il faut aussi considérer que la
201e décennie commençait ce même jour, et se finit donc à
la fin du 31 décembre 2010 ; du coup, en étant maniaque, il reste
encore (presque) un an à cette décennie. J'avais essayé d'expliquer
ça à ma prof d'histoire de 4e qui, en janvier 1990, nous
avait souhaité non seulement une bonne année mais même une bonne
décennie : elle m'avait dit d'arrêter de faire le malin (et si
tu ne veux pas, je ne te souhaite rien du tout !). Elle avait
raison, Mme Fernandez : ce qu'on souhaitait en 1990, ce
n'était pas la 200e décennie du calendrier (qui
commencerait le 1er janvier 1991), mais la décennie des
années '90, qu'on a bien le droit de définir. Après tout, chaque
instant commence une décennie qui termine précisément dix ans plus
tard…