Je suppose que plein de gens se demandent comme moi mais quand
et comment cette pandémie va-t-elle enfin prendre fin ?
voire sommes-nous condamnés à voir variant après variant, épuisant
l'alphabet grec puis cyrillique puis hébreu et ensuite les caractères
chinois, jusqu'à la fin des temps ?
, donc je vais essayer d'écrire
un peu mes pensées sur cette question. (Je ne prétends pas avoir
particulièrement de lumières que d'autres n'auraient pas : je décris
juste la manière dont j'envisage les choses.)
Indéniablement, la pandémie va prendre fin au moins au sens où
l'exception qu'elle constitue ne pourra pas durer indéfiniment : on va
revenir vers la normalité, par définition du mot normalité
, que
cette normalité soit semblable à celle que nous avions avant ou que
l'état d'exception actuel devienne la nouvelle normalité. Cette
évidence logique étant dite, il s'agit surtout de savoir dans quel
mesure on va revenir au status quo ante ou devoir
s'habituer à une nouvelle forme de normalité.
Soyons clairs : il ne faut pas compter sur le fait que le covid disparaisse : il y a des réservoirs animaux bien établis, il n'y a aucun espoir d'éradiquer SARS-CoV-2 de la Terre comme on a éradiqué la variole. Cet état dans lequel le virus persistera indéfiniment (ou au moins : très longtemps — des siècles), mais qui va néanmoins se stabiliser vers une forme de normalité, s'appelle l'état endémique. Mais ce qui constitue la transition de la phase pandémique à l'état endémique n'est pas entièrement clair, ni à quoi ressemblera l'état endémique. Notamment, il peut continuer à exister des pics saisonniers dans cet état endémique (c'est le cas pour la grippe, même si la grippe n'est pas forcément une bonne comparaison), et même si on peut s'attendre à ce qu'ils soient moins importants que pendant la phase pandémique, il ne faut pas forcément s'attendre à un état stationnaire en pur bruit de fond. Il n'est pas non plus nécessaire qu'une maladie endémique devienne bénigne (la variole, justement, était endémique, et elle n'était certainement pas bénigne), mais je vais essayer d'expliquer pourquoi dans le cas de covid je pense qu'on peut être raisonnablement optimiste.
Il est à peu près acquis que nous allons essentiellement tous
attraper le covid à un moment ou un autre, et même, de façon répétée.
(Tous
s'entendant avec les restrictions évidentes : les gens
qui mourront d'un accident de la route demain et qui n'ont jamais eu
le covid ne vont pas l'attraper magiquement. Mais je veux dire
qu'essentiellement toute personne qui vit assez longtemps finira par
l'avoir de temps à autres.) Peut-être qu'un rappel vaccinal très
régulier permettra de l'éviter, mais même ça n'est pas acquis, et
surtout, ce n'est pas acquis que ça en vaille la peine, sauf peut-être
pour des populations particulièrement fragiles (comme on vaccine
régulièrement contre la grippe les personnes âgées).
Car s'il est à peu près acquis que nous attrapions tous le covid régulièrement, ce ne sera vraisemblablement pas très grave, sauf la première fois, et même la première fois ne sera pas trop grave pour la grande majorité des personnes vaccinées. Essentiellement parce que nous attraperons le covid au moment où notre immunité (induite par les infections et vaccinations précédentes) deviendra un peu trop faible, mais bien qu'un peu trop faible pour éviter l'infection (plus « stérilisante ») elle sera néanmoins, dans la grande majorité des cas, suffisante pour éviter que cette infection soit très grave (« protectrice »). (L'analogie avec la variole est donc invalide, parce que seule une petite proportion de la population attrapait la variole, la majorité n'avait aucune immunité.)
La fin de la phase « pandémique » viendra pour laisser place à
l'état « endémique », donc, mais comme cette transition ne sera pas
clairement marquée et sera largement arbitraire (ou au moins,
identifiable seulement rétrospectivement par le fait que la mortalité
sera tombée sur des phases saisonnières qui ne changent plus d'année
en année), il est vraisemblable que nous le ne voyions pas vraiment.
J'ai beaucoup apprécié, à ce
sujet, ce court article publié dans
le BMJ
intitulée The end of the pandemic will not be
televised
(annoncé ici
sur Twitter) et qui fait un petit rappel sur la manière dont ont
pris « fin » les pandémies de grippe de 1918, 1957 et 1968 (je
regrette qu'ils ne soient pas remontés à 1889, parce que cette
dernière a beaucoup à nous apprendre, cf. ci-dessous) : la fin
de la pandémie ne sera pas claire, et peut-être que justement le fait
d'avoir les yeux rivés sur des indicateurs numériques rendra encore
plus difficile à voir le retour à une forme de normalité.
(Peut-être que le bon critère à adopter est que la pandémie prendra
fin le jour où je cesserai de parler de covid sur mon
blog ? )
Si la pandémie prendra fin, il est beaucoup moins clair que
prenne fin la marque qu'elle aura laissé sur nos vies
courantes. J'aime rappeler (voir
notamment ici dans la section
intitulée effet cliquet
) que les mesures Vigipirate n'ont
jamais pris fin bien que le terrorisme cause un nombre de morts
négligeable
(et on n'ose pas
les lever parce qu'on peut toujours craindre oui mais ce sont
justement ces mesures qui font que le terrorisme est négligeable
,
et l'autorité qui prendrait le risque de les lever devrait —
injustement — subir de graves critiques s'il y avait un gros attentat
après). Nous allons certainement devoir porter des masques un peu
partout bien au-delà du moment où ils auront cessé d'être pertinents,
et comme je l'ai dit ailleurs, le
recul de l'état de droit représenté par les pass technologisants, les
lois d'exception et le spectre des confinements n'est pas près d'être
compensé.
En fait, la mort de ces interdictions et obligations viendra sans
doute simplement du fait que les gens, les sentant devenues inutiles,
les respecteront de moins en moins (i.e., je pense qu'elles ne seront
officiellement abolies que bien longtemps après qu'elles seront
devenues largement ignorées dans les faits). Il me semble que
l'attitude publique, au moins en France, a beaucoup changé au cours
des derniers 1½ années, de quelque chose comme protégez-nous !
(ou cachons-nous le temps que l'orage passe !
) à quelque chose
comme bon, il faudra bien vivre avec…
, et malgré l'attention
disproportionnée que reçoivent une poignée d'antivax et une poignée
d'irréductibles qui croient encore au zéro covid ou au moins aux
restrictions jusqu'à la fin des temps, la grande majorité des
gens ont fini par converger vers une attitude sensée, et prend des
précautions certes pas idéales (le gel hydro-alcoolique…)
mais néanmoins raisonnables, tout en étant déterminée à ne pas
conditionner toutes leurs vies à une unique maladie.
Mais revenons au virus, parce que c'est quand même important, et sans doute plus simple, de savoir où on va à ce sujet avant de spéculer sur les conséquences sociales que ça aura. Que va devenir le virus SARS-CoV-2 (le virus qui cause la covid) dans l'état endémique ?
Même en se limitant uniquement à la sphère de la santé, il y a deux questions assez distinctes : la question épidémiologique d'une part, c'est-à-dire à quel niveau le virus circulera dans ce mode endémique : en moyenne, d'une part, et avec quelles fluctuations saisonnières, et la question médicale d'autre part, c'est-à-dire, quel sera son niveau de gravité, soit individuelle (quels seront les symptômes chez les personnes infectées), soit collective (quel sera l'impact sur le système de santé publique). S'agissant de la question épidémiologique, j'ai tenté dans ce fil Twitter (43 tweets ; ici sur ThreadReaderApp) de faire une modélisation très basique de l'état stationnaire (celui-ci par James Ward est aussi très intéressant, et beaucoup plus poussé, mais je n'ai pas eu le temps de regarder en détail). Le niveau de circulation à prévoir dépend de paramètres sur lesquels nous n'avons que peu de connaissances, mais il est quasi certain, comme je le disais plus haut, que nous attraperons essentiellement tous le covid plusieurs fois, à un intervalle qui se comptera probablement en années. Si cette affirmation peut sembler effrayante car cette maladie a encore l'image de quelque chose de terrible, il y a de bonnes raisons de croire que sa gravité va diminuer, peut-être pour devenir une sorte de rhume, ou si nous avons moins de chance une sorte de grippe saisonnière. À ce stade il est impossible de prévoir ce qui va se passer.
Heureusement, nous avons au moins des exemples de ce qui peut se passer, parce qu'il y a quatre coronavirus humains endémiques connus. Il faut donc que j'en parle un peu, ne serait-ce que parce que je trouve un peu scandaleux, avec toute l'attention qu'a reçu SARS-CoV-2, qu'on n'ait pas un peu plus parlé des autres coronavirus humains.