J'aimerais bien faire de ce billet, que j'écris à reculons parce
que ça m'emmerde, un des derniers parlant de confinements, mais je ne
sais pas si j'y arriverai. (Peu plausible : je me dis déjà que je
dois écrire une réponse à un commentaire sur l'entrée précédente pour
parler de l'analyse de mes propres biais sur la question.) En tout
cas, je me dis qu'il faut que je fasse une réponse à quelque chose
qu'on n'arrête pas de me dire ou de me demander quand je dénonce
l'utilisation des confinements dans la lutte contre le covid : ce que
j'ai envie d'appeler l'argumentum ad nosocomium,
qui prend une forme du genre tu ne veux pas que le pays soit
reconfiné, très bien, mais c'est un pari très risqué : et si les
hôpitaux saturent, tu fais quoi ?
— essayons donc de déconstruire
un petit peu cette objection, et les présupposés qu'elle contient et
que je n'accepte pas.
Pour commencer, je pense qu'on comprend mieux ce qui ne va pas si
on imagine exactement le même argument utilisé par Didier Raoult pour
défendre son protocole thérapeutique à base d'hydroxychloroquine
(j'aime bien prendre Didier Raoult en exemple parce que j'ai ce
terrain en commun avec la plupart des gens dont je combats les idées
sur la question des confinements que d'être convaincu que le bilan
bénéfice-risque du protocole Raoult est négatif ; mais on peut
remplacer par d'autres choses si on ne veut pas faire intervenir ce
gars). Imaginons, donc, que Raoult dise qu'on doit traiter les
malades avec son protocole : on lui répond que c'est une mauvaise idée
parce qu'on n'a pas de preuve que ça marche mais on sait très bien
qu'il y a des risques, et là, Raoult dit : mais si les hôpitaux
saturent, on fait quoi, alors ?
C'est surtout
un non sequitur, et la meilleure réponse est
peut-être de simplement hausser les épaules.
*
Ce que j'ai expliqué longuement
dans l'entrée précédente, c'est que
l'efficacité des confinements n'est pas du tout évidente. Même sur le
plan purement épidémiologique (c'est-à-dire en ignorant totalement
leur coût sociétal), il n'est pas acquis qu'ils soient bénéfiques :
ils pourraient être inefficaces, si les reflux épidémiques qui se
produisent en même temps qu'eux ne se produisent pas à
cause d'eux (par les différents mécanismes que j'ai illustrés
dans ce billet) ; ils pourraient même être néfastes à cause d'effets
de déplacements. Par exemple, il n'est pas du tout déraisonnable de
penser que l'explosion de cas observée à partir de début janvier en
(République d')Irlande soit au moins partiellement due au confinement
qui a été mis en place plus tôt (du 21 octobre au 1er décembre)
pour sauver Noël
(on peut penser qu'on fête Noël de façon
d'autant plus festive et avec d'autant plus d'amis qu'on a été privé
de toute vie sociale et de tous loisirs pendant un mois, surtout si on
vous explique que le but de la manœuvre est justement de sauver
Noël
) ; quelque chose d'analogue pourrait être dit au sujet du
Royaume-Uni (les nouveaux variants sont assurément inquiétants, mais
ils ne sont certainement pas seuls en cause), et peut-être au Portugal
(qui, soit par chance soit par efficacité de ses mesures, a retardé
l'épidémie jusqu'au point où elle a explosé d'un coup).
Bref, ne pas confiner est un pari, c'est vrai, mais confiner n'en est pas moins un. On est dans une grande incertitude où aucun plan d'action n'offre de garantie de quoi que ce soit, et il est absurde de prétendre qu'il y a une solution « évidente » ou « sûre ». Or c'est justement l'escroquerie rhétorique contenue dans l'argumentum ad nosocomium que d'essayer de faire avaler comme une évidence que les confinements sont la solution sûre pour protéger les hôpitaux et que toute autre méthode est un grand saut dans l'inconnu alors qu'on pourrait tout aussi légitimement défendre le contraire (ne pas confiner est la méthode éprouvée par le temps de lutte contre les épidémies, confiner est la nouveauté de 2020 sur laquelle on manque, au moins, cruellement de recul, et comme je le disais dans mon billet précédent, les signes que cette méthode fonctionne ne sont pas franchement spectaculaires).
*
Mais cette espèce d'évidence tacite que les confinements
fonctionnent n'est que la moitié de l'escroquerie rhétorique. L'autre
moitié est la supposition tout aussi implicite qu'on doit absolument
tout sacrifier à la préservation des hôpitaux non seulement de la
saturation mais même du risque de saturation. C'est de ce postulat,
jamais complètement explicité, que la valeur de l'hôpital serait
infinie, que découlent ces idées selon lesquelles le reconfinement
pourrait devenir inévitable
.
Or, même si la valeur dans notre société de l'existence des hôpitaux modernes est assurément très grande, il est ridicule d'agir comme si elle était infinie. En France, on leur a déjà sacrifié : les boîtes de nuit (depuis mars, je crois, en gros — elles n'ont jamais rouvert), les bars (depuis je ne sais plus combien de temps), les salles de sport (entre mars et juin, puis de nouveau depuis septembre), les restaurants (entre mars et juin, puis de nouveau puis octobre), les cinémas (j'ai perdu le fil), les théâtres et toute autre forme de spectacles, toute vie nocturne et maintenant même vespérale, les matchs sportifs et autres grands rassemblements, les événements familiaux en groupe (mariages notamment), les universités (largement), les centres commerciaux (depuis deux semaines), de façon assez générale le droit de sociabiliser, et pendant 101 jours, le simple droit de sortir de chez nous ; et j'ai peur qu'on soit en train de leur sacrifier ce qui nous restait d'état de droit. D'autres pays ont ajouté, ou partiellement substitué, l'enseignement primaire et secondaire à cette liste. A contrario, le débordement des hôpitaux, qu'on ne cesse de nous brandir comme le loup de la parabole du garçon qui a crié au loup (et honnêtement, s'il finit par se produire je pense que ce sera plus la faute des gens qui auront crié au loup), il ne s'est quasi jamais produit, sur Terre, de toute cette pandémie, sauf très brièvement en une poignée d'endroits (qui ont, par ailleurs, particulièrement mal géré les choses), or il me semble qu'on ne prend pas des décisions intelligentes en regardant les pires cas (ou, si on adopte ce principe, il faut au moins aussi considérer les pires conséquences possibles des mesures préconisées).
Est-ce que ces sacrifices sont proportionnés à ces risques ?
Peut-être (je ne suis moi-même certainement pas opposé à certaines, et
même à la plupart des fermetures que je viens d'énumérer), mais il
n'est pas honnête de considérer qu'on peut les accumuler indéfiniment
sans jamais se dire stop, ça suffit, là, l'hôpital est précieux
mais pas à ce point
. (On peut d'ailleurs essayer d'imaginer à
quels sacrifices serait prête une population qui, par l'époque où le
lieu où elle vit, n'aurait pas accès au service de soins des pays
occidentaux contemporains, pour obtenir un tel accès : considère-t-on
que leur vie est infiniment malheureuse et qu'ils seraient plus
heureux en renonçant à essentiellement tous leurs loisirs et toute
forme de sociabilisation pour obtenir, en échange, cet accès
infiniment précieux ?)
J'ai pris, ici, l'hôpital comme référence de ce qui justifie tous les sacrifices que nous faisons, parce que c'est ce qu'on m'oppose le plus souvent, cette crainte de la saturation des hôpitaux. Je comprendrais plus qu'on m'opposât le nombre de morts, et j'ai déjà souligné que les buts des confinements n'étaient pas clairs et avaient tendance à changer avec le temps, mais en ce moment c'est plutôt de saturation des hôpitaux qu'on me parle comme épouvantail, donc je fais avec.
Partir du principe (fût-il tacite) que quelque chose aurait une valeur infinie, c'est refuser d'emblée un calcul bénéfice-coût honnête. Par exemple, un calcul honnête doit se rappeler qu'il est certes problématique de ne pas prendre une mesure qu'on aurait dû prendre (parce qu'on en a sous-estimé la nécessité), mais qu'il n'est pas moins problématique de prendre une mesure qu'on n'aurait pas dû prendre (parce qu'on en a sur-estimé cette nécessité). Or les confinementistes considèrent les choses de façon très asymétrique : ils font essentiellement des calculs de pires cas, ou du moins basent leurs préconisation sur les pires cas, et semblent considérer que ne pas confiner alors qu'on aurait dû est une catastrophe mais que confiner alors qu'on n'aurait pas dû est une simple précaution inutile (disons que je doute fortement que les épidémiologistes qui viennent sur les plateaux de télé réclamer un confinement, et qui seront les premiers à monter au créneau en parlant de désastre si ce confinement n'a pas lieu, auront l'honnêteté de dire qu'ils ont failli conduire la France au désastre s'il s'avère qu'on s'en est très bien sortis sans : c'est bien le signe qu'ils voient d'un côté un désastre, sinon infiniment, du moins beaucoup, plus grave que de l'autre).
*
Et le problème à considérer la valeur de l'hôpital comme infinie, ou, ce qui revient au même, à se donner comme but de le protéger quoi qu'il arrive, devient assez prégnant quand on considère le problème des variants plus contagieux du virus.
Beaucoup de ceux qui partagent mon scepticisme et/ou mon aversion
aux confinements se positionnent sur la question des variants en
disant quelque chose comme il n'est pas du tout prouvé qu'ils
soient aussi contagieux qu'on le dit
(et c'est vrai qu'on a des
données assez paradoxales, pour ne pas dire franchement
contradictoires, que je ne prétends toujours pas comprendre :
cela pourrait être le signe que les variants ne sont pas
aussi contagieux qu'on l'a craint, ou, plus vraisemblablement, qu'ils
le sont initialement mais qu'ils « saturent » très vite, peut-être par
exemple parce que cet excès de contagiosité est lié à une
susceptibilité accrue dans une sous-population plutôt étroite ;
il pourrait y avoir de bonnes nouvelles, ou en tout cas moins
mauvaises que ce qu'on attend, mais je pense que c'est une mauvaise
idée, à ce stade, de tabler dessus) : je pense que c'est un peu se
tromper de bataille que de contester que le problème est préoccupant,
parce que cela accepte implicitement l'idée que si
effectivement ils le sont, alors on doit prendre des mesures
très fortes pour ne pas que les hôpitaux saturent.
Mais à y réfléchir un peu plus attentivement, ceci est un argument vicié : car si les variants augmentent les coûts liés à la maladie (si le variant est plus contagieux, il touchera plus de monde, donc causera plus de morts, etc.), mais ils augmentent aussi les coûts du remède proposé, même s'il marche (car le confinement devra être plus long, plus dur, et plus difficile à lever). Il n'est pas du tout évident dans quelle mesure l'augmentation des coûts d'un côté est plus importante que l'augmentation des coûts de l'autre !
Il est même arguäble que, si la contagiosité s'accroît de façon
vraiment démesurée, les coûts liés au remède finissent par l'emporter
sur ceux liés à la maladie, quelle que soit notre échelle de valeurs :
car les coûts liés à la maladie sont bornés (au pire, si elle est
démesurément contagieuse, 100% de la population l'attrape, ça n'ira
pas au-delà) tandis que ceux liés au confinement ne le sont pas (on
peut atteindre le niveau où tout le monde doit porter une combinaison
hazmat en permanence, puis deux superposées, puis trois, etc., bref,
les efforts pour éviter la contagion deviennent de plus en plus
déraisonnables tandis que son extension maximale a une limite finie).
Bon, bien sûr, tout ça n'est pas extrêmement précis parce que la
limite n'a pas un sens rigoureux, mais il ne me semble pas du tout
clair qu'une augmentation très importante de la contagiosité aille
dans le sens de rendre la solution confiner le pays
plus
attractive.
…Sauf, bien sûr, si on accepte l'idée, et on ne doit justement pas l'accepter, que la saturation des hôpitaux a un coût infini, auquel cas on devrait tout faire pour l'éviter : c'est, je crois, ce que postulent implicitement ceux qui expliquent que l'émergence des variants rend absolument indispensable le confinement, et on doit dénoncer ce procédé rhétorique consistant à le regarder qu'un côté de la balance parce qu'on a escamoté l'autre derrière un infini.
⁂
Je finis en disant un mot sur une idée dont on parle de plus en
plus : le zéro-covid
. Il s'agit à la fois d'un
prolongement logique extrême de l'idée des confinements et d'une
tentative de leur donner une perspective différente : si je
résume correctement, la théorie zéro-covid, c'est quelque chose
comme les confinements posent assurément problème et ne proposent
pas vraiment de porte de sortie, si bien qu'ils finissent par devenir
insupportables pour la population, donc la solution, c'est de faire un
confinement pour mettre fin aux confinements, un confinement très
strict pour ramener le covid à zéro, et ensuite il sera plus simple à
contrôler sans avoir besoin de confinements ultérieurs
.
Ce discours nouveau (ou plutôt, nouvellement populaire) présente au
moins l'intérêt à mes yeux de reconnaître que les confinements sont
une tâche sisyphienne, mais à part ça, l'idée me paraît tellement
saugrenue que je ne sais pas par où commencer : je ne sais pas même
pas vraiment si ceux qui l'avancent croient sérieusement pouvoir
ramener le covid à zéro (fût-ce le temps de vacciner tout le monde) ou
si c'est simplement une façon d'essayer de faire passer la pilule des
confinements, une nouvelle façon de promettre après celui-ci, c'est
fini
. Une promesse de Sisyphe : allez, ce coup-ci, c'est le
bon, je vais faire un effort vraiment plus important, le rocher va
rester à sa place et on passera à autre chose
— personnellement,
j'imagine plus facilement Sisyphe heureux en comprenant qu'il faut
juste arrêter l'effort futile de pousser un rocher qui finit toujours
par revenir.
Tout ça me fait penser aux politiques d'austérité, où on commence par dire qu'il faut absolument empêcher la dette publique de croître exponentiellement, et que pour ça on doit maintenir le déficit budgétaire sous un certain seuil assez arbitraire, et que pour y arriver il faut sacrifier toutes sortes de choses importantes au bonheur du pays, mais où les maximalistes vont vous dire que si on sacrifie plus fort, ça fait certes plus mal au début, mais on arrive à une situation plus saine où on a besoin de moins de sacrifices ensuite.
Bien sûr, quelques pays (la Nouvelle-Zélande surtout, mais aussi l'Australie, la Chine, Taïwan) ont eu un certain succès avec une stratégie de ce genre : mais pour en tirer des leçons, il faut se rappeler (outre le fait qu'il est difficile de tirer des leçons d'un pays dans un autre) que la Nouvelle-Zélande, l'Australie et Taïwan sont des îles, et la Chine une dictature, et que même avec ces atouts ils ont certes eu moins de confinements et beaucoup moins de morts que l'Europe mais que ça n'en a jamais été fini de la menace de reconfinement à tout instant (je me demande d'ailleurs si ce n'est pas pire de savoir qu'on peut être bouclé chez soi du jour au lendemain parce qu'une malheureuse poignée de cas a été détecté, ce qui peut causer un effet de panique, que d'avoir le temps de se préparer en voyant la situation empirer), et il y a eu d'autres coûts sous forme de fermeture essentiellement totale des frontières, ou, s'agissant de la Chine, d'un contrôle encore plus dystopien de la population au moyen d'une app sur smartphone qui ressemble au wet dream de n'importe quel dictateur (au sujet de la situation en Chine, je recommande ce documentaire d'Arte [également disponible sur YouTube], et qui fait suite à un autre, tourné il y a un an par le même réalisateur, sur les quarantaines initiales qui ont « démarré » la stratégie chinoise). Mais se dire qu'on puisse faire pareil en Europe me semble simplement déraisonnable, et surtout, se dire qu'on puisse faire pareil en Europe maintenant… comment dire ?… Même si on arrive à reproduire et à soutenir la décroissance rapide du nombre de cas observée en mars, il faudra facilement trois mois pour passer du régime actuel en France à moins d'un test positif par jour (ce qui n'est toujours pas zéro !), c'est-à-dire promettre en 2021, juste pour commencer, autant de confinements qu'on en a eu en 2020.
Et bien sûr, je doute à la fois que les confinements puissent être
si efficaces (même s'ils font quelque chose, ils finissent
certainement par atteindre leurs limites quand les gens en ont marre,
ce qui est probablement la situation actuelle en république Tchèque où
la décroissance exponentielle a cessé et les courbes ressemblent
maintenant plutôt à un plateau), et qu'avoir un nombre de cas très bas
aide significativement à contrôler l'épidémie (au contraire, s'il y a
très peu de cas, la réaction rationnelle de quelqu'un qui ressent des
symptômes compatibles au covid est de se dire ce n'est probablement
pas le covid, il n'y en a quasiment plus dans ce pays
, et de
contaminer plein de gens avant que le problème soit détecté).
Bref, je ne sais pas par où commencer, mais ce n'est pas mon propos ici d'essayer de discuter de l'aspect pratique de cette stratégie zéro-covid. Ce n'est pas non plus tellement l'objet de discuter de leur plan de communication, tout intéressant qu'il est à examiner (je conseille la lecture de cet article qui, bien qu'un chouïa complotiste, m'a fait prendre conscience de ce revirement très intéressant de discours qui consiste à présenter la stratégie zéro-covid comme anti-confinement).
Un autre sujet qu'il faudrait évoquer à propos de zéro-covid est l'illusion que crée cette position, par son existence, que les confinementistes sont en quelque sorte « centristes », entre la position zéro-covid (éliminer complètement le covid) et une position symétrique qui serait… quoi au juste ?… zéro-confinement, je suppose ?
En réalité, il n'en est rien, et c'est surtout là que je veux en
venir : la stratégie zéro-covid comme l'ensemble des autres stratégies
confinementistes, est toujours basée sur les deux postulats que j'ai
essayé de décortiquer dans tout le début de ce billet : (1) que les
confinements fonctionnent effectivement (ce qui n'est pas certain, et
même si ce n'est pas du tout déraisonnable de le penser, ce n'est
probablement pas au niveau que leurs défenseurs veulent le croire), et
(2) qu'il existe un objectif de valeur infinie (comme préserver
l'hôpital de la saturation) et qu'on peut se dispenser de toute
analyse bénéfice-coût au sujet de cet objectif. Le zéro-covid n'est
donc « anti-confinement » que dans l'acceptation très bizarre
suivante : l'objectif absolu est de contrôler l'épidémie, et ce
n'est que conditionnellement à la satisfaction de cet objectif qu'on
cherche la manière d'y arriver qui minimise la duré de confinement
(je ne suis même pas d'accord avec l'analyse, mais ce n'est finalement
pas si important).
Pour éviter tout malentendu : il va de soi que je
n'attribue pas, moi-même, aux confinements un coût infini, ce qui
serait tomber exactement dans la mauvaise foi que je dénonce. (Même
s'il y a quand même un pédigré plus honorable à la position s'il y
a des gens sur les deux voies du tramway, il faut s'abstenir de
toucher à l'aiguillage
, qui reviendrait ici à ne pas prendre de
mesure, ce n'est pas ma position.) Ce que je réclame justement est
une discussion sur les bénéfices et les coûts, qui doit être
initiée par ceux qui proposent la mesure, et qui ne peut pas
faire intervenir la valeur +∞. La fonction de coût que je propose est
quelque chose comme ajouter le nombre total de jours de confinement
et le nombre de jours d'espérance de vie perdue distribuée sur la
population
, mais je suis, bien sûr, prêt à discuter, par exemple,
des pondérations raisonnables à mettre là-dessus et comment tenter de
réaliser cet objectif.
⁂
Un petit mot pour finir sur l'analyse de la situation actuelle. À l'heure qui l'est, je sais encore moins qu'auparavant où on va avec cette pandémie. Depuis une dizaine de jours, on observe en France une lente diminution du nombre de tests positifs (et de façon analogue, avec plus ou moins de retard, des autres mesures liées à la pandémie) enregistrés chaque jour : cette diminution s'inscrit dans le cadre d'une concavité détectable depuis un peu plus longtemps encore. En soi, ce n'est pas très surprenant : c'est à peu près cohérente avec une accumulation d'immunité par infections : grosso modo, chaque test positif enregistré est associé à une baisse du nombre de reproduction d'environ 10−7 à 1.5×10−7, ce qui est au moins l'ordre de grandeur attendu (par exemple si on détecte environ une infection sur 6 à 10, ou peut-être un peu plus mais qu'elles ont un effet accru par un des effets d'hétérogénéité dont j'ai déjà abondamment parlé ici), et ce qui est aussi cohérent avec l'évolution entre octobre et maintenant. Les vaccins commencent peut-être à produire un petit effet, mais si à ce stade il doit être encore bien faible (s'il faut 3 semaines après la première dose, et même en comptant une immunité stérilisante à chaque fois, ils produiraient une baisse de 1% à 1.5% du nombre de reproduction). Bref, cette baisse n'est pas spécialement surprenante en soi, mais bien sûr (corrélation n'est pas causalité !) il n'est pas du tout impossible qu'il y ait d'autres composantes de cette baisse qui soient dues à d'autres choses (p.ex., sociales ou environnementales), ou que des effets se compensent. L'effet des variants étant toujours enveloppé d'un grand mystère (cf. ci-dessus), je ne me hasarderai pas à la moindre prédiction quant au fait que cette baisse durera ou pas. Ce qui me rend très prudemment optimiste est qu'à part l'effet manifestement lié aux fêtes de fin d'années on ne voit pas autant de fluctuations bizarres comme en septembre-octobre (donc il n'y a probablement pas trop d'effets sociaux pouvant changer à tout moment) et que l'augmentation de la proportion des variants (dans le temps ou dans l'espace) ne se manifeste pas de façon trop évidente dans l'évolution du nombre de reproduction. Mais d'un autre côté le synchronisme apparent entre des pays très différents (et parfois beaucoup plus vite que l'accumulation d'immunité ne saurait causer) est très étrange, et à mes yeux assez incompréhensible : le fait que j'aie des explications qui collent vaguement à la situation en France ne signifie pas que cette explication soit bonne, si elle s'inscrit dans le cadre d'une situation mondiale que je ne prétends pas vraiment comprendre. Bref, même si ce n'est pas le scénario le plus probable à mes yeux, je ne serais pas non plus tellement surpris s'il y avait une nouvelle explosion d'ici quelques semaines.
La seule chose qui semble vraiment claire, c'est que l'effet protecteurs des vaccins, au moins sur la personne vacciné, est extrêmement bon, ce qui rend d'autant plus insupportable la lenteur à laquelle le processus de vaccination se déroule. On doit garder ça à l'esprit, car c'est cette lenteur, maintenant, autant que le virus lui-même, qui est l'ennemi contre lequel il faut lutter par tous les moyens : surtout si on considère que la chose la plus importante est d'éviter le risque de saturation des hôpitaux, car le vaccin est parfait pour ça (savoir dans quelle mesure il peut freiner l'épidémie est discutable, mais qu'il puisse en diminuer massivement la gravité est maintenant clairement établi).