David Madore's WebLog: Les entrées de blog que je n'arrive jamais à écrire

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(dimanche)

Les entrées de blog que je n'arrive jamais à écrire

Il y a une éternité j'ai promis d'écrire une entrée de ce blog sur les octonions. Je n'ai jamais réussi à la publier. Ce n'est pas que je n'aie rien à écrire, au contraire, ni même que je n'aie rien écrit : j'ai commencé (au hasard des moments où j'ai du temps pour le faire) à écrire des choses sur le sujet, et de plus en plus, et je me suis rendu compte que ça débordait dans tous les sens, et qu'à la fin non seulement ça devenait trop long et indigeste, mais en plus que ça manquait de structure et de cohérence thématique. Alors j'ai décidé de diviser cette entrée en trois parties : des généralités sur les octonions d'abord, puis une petite partie sur les octonions entiers et les réseaux dans les octonions, et enfin une troisième (indépendante de la seconde) sur la géométrie octonionique et le carré magique de Freudenthal-Tits — qui est à mon avis la principale raison pour laquelle les octonions sont intéressants. Puis j'ai commencé à développer la première partie séparément, et je me suis rendu compte que je devais parler d'automorphismes des octonions, et à me poser plein de questions qui débordaient dans tous les sens, et finalement cette partie-là, même prise seule, devient aussi trop longue, et il faudrait la couper à son tour. [Mise à jour () : cette partie a fini par être publiée.] Pareil pour la troisième partie : là j'ai pensé, je vais changer de point de vue et écrire une petite entrée sur les espaces deux-points-homogènes (dits aussi : homogènes et isotropes), c'est-à-dire, pour parler grossièrement, les espaces (au sens : variétés riemanniennes) qui sont identiques en tous les points et dans toutes les directions. C'est une question très naturelle et intéressante que de classifier ces espaces homogènees et isotropes, la réponse a été apportée par Tits et Wang (très rapidement : outre l'espace euclidien et les sphères, ce sont les espaces projectifs et hyperboliques sur les réels, complexes, quaternions, et octonions, sachant que sur les octonions il n'y a que la droite et le plan projectif, et la droite et le plan hyperbolique, pas de dimension plus élevée) ; ce sont des espaces très beaux par leur pure symétrie, et élégants dans leur description, et ils amènent naturellement à parler des octonions et des groupes de Lie exceptionnels (et cela apporte une réponse possible à la question qui m'avait tracassé, qu'est-ce qu'une géométrie). Et bien sûr, en essayant de parler de ça, j'ai de nouveau eu trop de choses à dire et de nouveau ça débordait dans tous les sens.

Il n'y a pas que les octonions qui m'aient causé ce souci. C'est un peu quelque chose qui m'arrive à chaque fois que je parle de n'importe quoi : je ne sais pas sélectionner ce dont je veux parler, ma logorrhée s'étale sans structure dans toutes les directions, et à la fin tout est trop long et indigeste. Mais bien sûr, c'est pire quand je parle de maths. J'ai par exemple aussi voulu écrire une entrée sur les notations ordinales, essentiellement, pour faire suite à cette entrée déjà très longue, et expliquer comment on peut « fabriquer » (décrire, expliciter, travailler avec, calculer sur) des ordinaux récursifs très grands — essentiellement, vulgariser la notion de fonction d'écrasement pour fabriquer de grands ordinaux à partir de cardinaux de plus en plus sophistiqués (inaccessibles, Mahlo), cette question étant du coup naturellement liée à celle des grands nombres que j'ai abordée à plusieurs reprises. Bref, j'ai travaillé là-dessus au hasard de ma motivation et de mon temps disponible. Et puis je suis rentré dans les explications sur les fonctions d'écrasement forcément d'autant plus compliquées qu'on fabrique des ordinaux plus grands, c'est devenu long, très long, très très très long, et il me reste sur les bras une montagne d'explications que je ne sais pas bien comment structurer ou diviser pour la rendre un peu digeste. (Cela n'arrange pas les choses que j'ai cru comprendre quelque chose, que je me suis trompé, que j'ai compris autrement, que je me suis retrompé, que j'ai compris que j'avais bien compris initialement, et qu'au bout du compte je me suis beaucoup embrouillé sur les différentes variantes qu'on peut construire autour des fonctions d'écrasement — par exemple, il y en a qui sont croissantes, d'autres qui ne le sont pas, et il y a toutes sortes de conventions possibles sur comment organiser et définir les valeurs.) [Mise à jour : j'ai quand même fini par publier une entrée sur ce sujet, même si je ne sais pas bien si c'est celle dont je parlais ci-dessus.] J'ai encore d'autres entrées dans le même genre, commencées parce que je pensais que je n'aurais pas tant de choses que ça à dire, et finalement dans des limbes où les choses sont à moitié écrites et peut-être ne seront jamais achevées.

C'est un peu l'histoire de ma vie, de commencer plein de choses, et de n'en finir que très peu.

Alors qu'est-ce que je devrais faire ? Publier des choses inachevées ? En publier le début, quitte à nuire à la cohérence de la suite ? Laisser tomber ? Attendre un temps potentiellement infini que j'arrive à terminer ce que j'ai commencé ? Je ne sais vraiment pas.

Il faut dire aussi que je ne sais pas bien qui lit mon blog, et notamment qui lit les entrées mathématiques (et quel est son niveau en maths et quels sont ses centres d'intérêt). En vérité, le principal lecteur pour lequel j'écris, c'est mon moi futur : j'écris parce que j'ai compris quelque chose, que j'ai envie de pouvoir le recomprendre à l'avenir quand j'aurai un peu oublié, alors je me l'explique à moi-même pour savoir que je pourrai relire telle ou telle entrée et resavoir ce que j'aurai su. À titre d'exemple, en réfléchissant à des questions de bases de données SQL, je suis récemment retombé sur cette entrée, et il y a un peu plus longtemps, en me posant des questions de physique, sur celle-ci : dans les deux cas, j'avais totalement oublié les subtilités de ce que j'y raconte, et je n'étais pas fâché que la personne qui sait le mieux m'expliquer les choses — c'est-à-dire, moi — me prenne par la main pour me redire comment tout ça fonctionne. Idem concernant les séries de Fourier (que je m'oblige à réapprendre à chaque fois que je dois enseigner le sujet, sachant très bien que j'oublierai dans le mois qui suit). En termes informatiques, on pourrait dire que mon blog est mon espace de swap : c'est là que je consigne les choses quand ma mémoire déborde (ou que je veux changer de contexte). Mais le temps de swap est lui-même long !

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