David Madore's WebLog: Iago de Ralf König

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(mardi)

Iago de Ralf König

Je suppose que beaucoup de mes lecteurs, surtout ceux qui n'ont pas la chance d'être soit Allemands soit homosexuels ☺️, ne doivent pas connaître Ralf König. Il est un dessinateur et scénariste de bédés allemand (vivant à Cologne, mais je ne l'ai pas croisé dans la rue la semaine dernière), dont les albums, au début surtout adressées au lectorat gay (par exemple sa série Conrad & Paul, qui met en scène un couple de garçons colognais, Conrad, le grand, un prof de piano gentil et plutôt coincé, et Paul, le petit, l'alter ego du dessinateur, qui couche avec tout ce qui bouge et fantasme sur les mecs musclés et poilus, tout le contraire de Conrad, ce qui ne l'empêche pas de l'aimer quand même), mais qui devient de plus en plus mainstream, met en scène et s'adresse maintenant aussi aux hétéros (notamment Comme des lapins, qui évoque pour une fois les problèmes de couples hétéros), et s'est peut-être un peu assagi du même coup.

Toutes ses bédés (dont je commence à avoir fait le tour) ne se valent pas, mais, globalement, j'adore. Il a un génie à la fois pour le dessin et pour le théâtre : pour ce qui est du dessin, une petite recherche sur Google images devrait donner une idée du style, qui n'est pas exactement soigné, mais il a un vrai talent pour croquer les émotions (l'étonnement, la concupiscence, l'esprit vide, la gêne… ceci dit, ce qu'il a fait de mieux dans ce domaine c'est peut-être Roy & Al, où les héros éponymes sont deux chiens) ; et pour ce qui est de l'intrigue, je trouve que ça tient souvent de Marivaux : les personnages se mettent dans des situations inextricables qui conduisent à des quiproquos hilarants. Il y a pas mal d'humour cru, mais aussi beaucoup d'allusions sophistiqués, et on voit que l'auteur est très cultivé. Certains de ses albums sont vaguement des parodies d'œuvres célèbres : il a notamment écrit un Lysistrata d'après Aristophane (que je n'ai pas lu), Jago dont je vais parler ci-dessous, Djinn Djinn qui fait référence aux Mille et Une Nuits (et aussi aux cadeaux offerts par Hārūn al-Rashīd à Charlemagne, rien que ce passage-là est génial), ou encore trois livres sur la bible (Prototyp, Archetyp et Antityp, non encore traduits en français, sur Adam, Noé et Jésus — j'ai lu les deux premiers et je dois avouer qu'à part Dieu et le Serpent qui sont vraiment excellents, le reste est un petit peu décevant).

Au début je lisais Ralf König en français (il faut dire que les traductions françaises sont très bien faites), puis je me suis rendu compte qu'il ne me fallait pas tant d'effort que ça pour pouvoir le lire en allemand ; en plus, ça m'apprend pas mal de vocabulaire peu conventionnel et rigolo (et potentiellement utile, qui sait ?) : schwul (homo), die Schwuchtel (la pédale, dont on peut tirer un verbe, schwuchteln), die Tunte (la tantouze), die Sau (la truie → le bâtard ; voire, Drecksau), Kuchelsex (les câlins), knutschen (se peloter), ficken (to fuck), reinrammen (to ram into : faire pénétrer bien profondément), geil (bandant, sexy, chaud ; par exemple : geile Sau), der Schwanz (la queue), die Funz (le fond, le fion), das Gleitgel (le gel lubrifiant), die Klappe (les toilettes dans lesquelles on baise, terme assez spécifique apparemment, d'ailleurs les hétéros allemands n'ont pas l'air de comprendre ce qu'est un glory hole)… Bref, toutes sortes de mots que mes profs d'allemand ne m'ont jamais appris au lycée !

Le dernier livre que j'ai lu de lui, c'est Iago (Jago en allemand), qui, comme on s'en doute, est une parodie de Shakespeare — un mélange d'Othello, de Macbeth, de Hamlet, du Songe d'une nuit d'été, de Roméo et Juliette et de Vénus et Adonis, un peu à la façon du film Shakespeare in Love (que je recommande d'ailleurs aussi très vivement au passage). Ça se passe à Londres du vivant de Shakespeare (qui est présenté comme un soûlard qu'on retrouve régulièrement bourré, la nuit, en train de pisser aux pieux sur lesquels on plante des têtes coupées), d'ailleurs précisément en 1603, la troupe de Burbage joue Hamlet et les acteurs en coulisse discutent de la beauté du bourreau (celui qui coupe les têtes qu'on plante en haut des pieux) ; l'acteur qui interprète Horatio est un petit bonhomme mal rasé et attiré par les mecs musclés et poilus (bizarrement, il y a toujours dans les bédés de Ralf König un petit bonhomme mal rasé et attiré par les mecs musclés et poilus, on se demande pourquoi), et voilà que débarque un Maure musclé et poilu qui va susciter la jalousie entre cet acteur et son collègue qui joue Ophelia (les femmes au théâtre étaient, à l'époque shakespearienne, jouées par des hommes), folasse blonde qui s'habille en Galvin Klyne et auquel trois sorcières vont faire des prophéties de gloire… à partir de là, ça se complique énormément. La bédé fait neuf actes, rythmés par plein de citations de Shakespeare qu'on peut jouer à reconnaître (comme dans Shakespeare in Love, mais je trouve ça plus difficile quand les citations sont en allemand que quand elles sont en VO), la solution est donnée à la fin. Bref, j'ai particulièrement aimé, alors je recommande ! — à la fois aux amateurs de Shakespeare et à ceux qui veulent pratiquer leur allemand.

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