Apparemment la question suivante (on peut appeler ça des maths, je
suppose) est un problème ouvert (j'aime collectionner les problèmes
ouverts dont l'énoncé est aussi simple que possible, et celui-là sera
bien placé dans ma collection) : partez d'un mot (fini, quelconque)
sur l'alphabet de trois lettres a
, b
et c
, par
exemple baacabbabc
, et, aussi souvent que vous voulez,
remplacez deux lettres identiques consécutives (par exemple
aa
), s'il y en a, par les deux autres dans l'ordre alphabétique
(donc aa
→bc
, bb
→ac
et
cc
→ab
) ; la question est : peut-on, en suivant ces
règles, revenir sur le mot de départ (peut-on faire une boucle, quoi,
sachant qu'on choisit comme on veut le mot initial et qu'on applique
les règles comme on veut) ? Il semble que non, on ne boucle jamais,
on se retrouve toujours coincé dans une situation où il n'y a plus
deux lettres consécutives identiques (exemple : baacabbabc
→ bbccabbabc
→ acccabbabc
→
aabcabbabc
→ aabcaacabc
→ aabcbccabc
→ bcbcbccabc
→ bcbcbababc
), mais allez le
prouver… (En termes d'informatique théorique, la question est
de savoir si la grammaire de réécritures {aa
→bc
,
bb
→ac
, cc
→ab
} est fortement
normalisante.)
Mise à jour (2005-11-22) : En fait, c'est démontré. Mais on notera que c'est très récent !
Avec la règle bb
→ca
à la place de
bb
→ac
(le reste étant identique), j'arrive à le
prouver, mais c'est très différent. Je laisse ça en exercice
au lecteur intéressé (ce n'est pas complètement trivial, mais ce n'est
pas non plus excessivement difficile, et ça ne demande aucune
connaissance mathématique particulière, seulement une certaine
habitude du raisonnement mathématique et un certain pouvoir
d'abstraction
).
Je fais un coq-à-l'âne, mais toujours dans le domaine de la
masturbation intellectuelle, pour évoquer le droit théorique
(le terme n'est pas terrible : je devrais plutôt dire
méta-droit
parce que c'est au droit ce que la métaphysique est
à la physique, sauf que méta-droit
ça pourrait évoquer le droit
du droit, ce qui serait autre chose). Comme la conservation de l'information, c'est
quelque chose qui plait souvent aux geeks : il s'agit, en gros, de se
demander comment le droit juridique répond à des situations qu'il
suppose impossible, ou qui sont totalement farfelues ou bizarres.
Voici quelques exemples de problèmes sur lesquels on pourra
plancher :
- Est-il légal de survoler Paris à basse altitude si on vole de ses propres ailes et pas dans un engin quelconque ?
- Est-il légal de se promener nu si on n'a pas d'organes sexuels ?
- Est-il légal de courir sur une route de campagne à une vitesse supérieure à la vitesse maximale autorisée pour les véhicules à moteur ?
- Si deux hommes (ou deux femmes, mais c'est moins rigolo) ont un enfant sans l'aide d'une femme et sans assistance médicale, qui sont les parents légaux de l'enfant ?
- Si je trouve que les décimales de pi à partir de la 101729-ième représentent exactement le contenu de l'édition 1991 du petit Robert, le petit Robert tombe-t-il ipso facto dans le Domaine Public ? et/ou est-il interdit de publier des cartes postales contenant les (je ne sais combien) décimales de pi à partir de la 101729-ième ?
- Si un mort ressuscite, peut-il réclamer son héritage ? et d'ailleurs, quel est son statut légal ?
- Si je me téléporte à travers la porte d'entrée de quelqu'un qui est fermée à clé, suis-je entré par effraction ?
- Si un mouton écrit une lettre au Procureur de la République pour porter plainte contre son berger, le Procureur doit-il donner suite ?
- Si je m'opère moi-même de l'appendicite sans être médecin, risqué-je d'être condamné pour pratique illégale de la médecine ? Et si je me retire moi-même un rein, que je le donne à quelqu'un, et qu'il se le greffe lui-même, dans des circonstances où ce serait normalement interdit de faire un don d'organe (en gros, il n'est pas de ma famille), pouvons-nous être condamnés ?
- Si on a une mémoire absolument parfaite (comme celle décrite par Borges dans sa nouvelle Funes el memorioso), est-on soumis à la loi Informatique et Libertés ? A-t-on le droit d'ouvrir les yeux dans un endroit où il est interdit de photographier ?
- Quelqu'un qui naîtrait avec une tache qui reproduirait exactement les formes d'une œuvre soumise à droit d'auteur a-t-il le droit d'être pris en photo ? De diffuser des photos de lui-même ?
- Si je trouve une contradiction dans la Constitution, ai-je le droit de tout faire ? [Cet exemple, en fait, est historiquement célèbre, parce que Kurt Gödel (le logicien), quand il avait passé un examen pour obtenir la nationalité américaine, avait étudié la Constitution américaine et prétendait avait trouvé comment exploiter des failles logiques dedans pour transformer les États-Unis en dictature de façon tout à fait légale. Albert Einstein avait dû le persuader de ne pas en souffler mot lors de l'entrevue… Plus de détails sur cette anecdote ici et là.]
- Si le parlement vote une loi selon laquelle 2+2=5, le Conseil constitutionnel peut-il, ou doit-il, la déclarer non conforme à la Constitution ? Et s'il ne le fait pas (ou qu'il n'est pas saisi), comment cette loi doit-elle être appliquée ? [Autre exemple célèbre, parce que la chambre des représentants de l'état de l'Indiana avait voté, en 1897, une loi qui fixait la valeur de π à quelque chose (du genre 3.2) demandé par un crackpot quelconque ; heureusement, cette loi avait été rejetée par le sénat.]
C'est une sorte de test de geekitude, en fait : si ces questions
vous amusent ou vous intriguent, vous avez probablement une mentalité
au moins un peu geek. Si vous vous dites simplement je ne
comprends pas, ce n'est pas possible
, alors non.
(Et encore, je n'ai pas parlé du droit international théorique, qui est encore plus rigolo.)