David Madore's WebLog: Dissertations

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(dimanche)

Dissertations

Au lycée je n'étais pas spécialement bon en dissertation (que ce soit en français ou en philo). J'avais l'impression que mon prof de philo de terminale mettait des bien ou des mal dit ou d'autres annotations pipo dans les marges de mes copies sans même les lire, et au final foutait aléatoirement la note 12, 13, 14 ou rarement 15. À la fin je m'amusais, j'inventais des citations dénuées de sens d'un auteur inexistant (Edgar Kampfenberg) qui reprenaient vaguement les mots du sujet pour les saupoudrer n'importe où dans le raisonnement (il faut veiller à ne pas devenir esclaves de notre liberté, il faut concevoir la réalité de la conception artistique comme une possibilité de libération, etc.).

Au bac j'ai eu 19 : le sujet était connaît-on la vie ou connaît-on le vivant et j'ai essentiellement repris plein d'arguments (notamment sur la difficulté à définir la vie en général) tirés de Le Hasard et la Nécessité de Jacques Monod que j'avais justement lu peu de temps avant et que j'avais énormément aimé. Mais bon, je ne sais pas dans quelle mesure je suis tombé sur un correcteur particulièrement bien luné : je n'ai pas l'impression que ma copie avait quoi que ce soit de brillant à part montrer que je connaissais les mots holisme et réductionnisme pour les plaquer sur ma thèse et mon antithèse, et que j'avais quelques citations à saupoudrer çà et là.

En sup je ne me rappelle pas avoir fait de dissertation. J'y suis revenu en spé, en me disant je n'en ai rien à foutre, de toute façon les matières littéraires comptent peanuts, j'ai juste envie de m'amuser. Le premier sujet de l'année portait sur Les Villes tentaculaires de Verhaeren et demandait :

La poésie sera de la raison chantée, écrivait Lamartine en <telle année> : pensez-vous que cette définition caractérise l'inspiration de Verhaeren dans l'oeuvre inscrite à votre programme ?

Bon, alors Verhaeren c'est pas vraiment bandant, et c'est même plutôt gnian-gnian, comme littérature. Mais comme j'avais envie de m'amuser, j'ai balancé toute la sauce que je pouvais, j'ai fait les comparaisons les plus grotesques que je pouvais, sur la base d'un parallèle saugrenu entre la dualité Brahms (la musique pour elle-même) / Wagner (la musique dans le cadre du Gesamtkunstwerk) en musique et Théophile Gautier / Émile Verhaeren en poésie, en faisait les comparaisons les plus gratuites que je pouvais : avec Virgile qui commence son Énéide par arma virumque cano — vous voyez le rapport avec la raison chantée, n'est-ce pas ; avec Dante qui, ensuite, prenait Virgile pour guide dans sa traversée des enfers en lui annonçant tu duca, tu signore e tu maestro (le but étant aussi de me la péter en citant le plus de langues différentes possibles, donc évidemment j'ai aussi trouvé moyen de citer Pushkine en russe, Goethe et Stefan Zweig en allemand et Homère en grec) ; avec Elgar dont la musique de pompe et de circonstance ne pouvaient pas ne pas rappeler Verhaeren ; avec Wagner dont je trouvais des savants rappels des titres de la Tétralogie dans les poèmes de Verhaeren ; et je ne sais plus qui encore. Et je concluais sur les mots : Et Stefan Zweig s'est suicidé en 1942. (ça devait avoir un rapport avec le fait que Zweig était un grand admirateur de Verhaeren, mais c'était surtout un cheveu sur la soupe).

Le prof a trouvé ça admirable et m'a mis 18. Pour un truc que j'avais conçu comme du pur pipo et de l'étalage de savoir totalement sans rapport avec le schmilblick, j'ai trouvé ça fort bien payé donc je me suis dit que la dissertation, maintenant, ce serait comme ça. Le prof de philo[#] résistait un peu mieux que le prof de français à ce traitement, mais, globalement, j'avais des bonnes notes en spé en sortant des trucs gratuits et absurdes (et pour corser le jeu, nous convenions de rajouter des phrases aléatoires dans nos dissertations : par exemple une fois les derniers mots de ma conclusion étaient automorphisme involutif de corps suite à un défi stupide).

Au concours, le sujet nous demandait de commenter une phrase d'Alain au sujet de la ville,

Ici gouvernent le fer et le charbon, signes de l'orgueil et de l'enfer. C'est le règne de la force, assis sur la nature décomposée.

en nous appuyant sur les trois oeuvres de notre programme (Les Villes tentaculaires de Verhaeren, L'Emploi du temps de Butor et Dans la jungle des villes de Brecht). Comme il était Notoirement Très Mal de faire un plan avec pour parties (1) Verhaeren, (2) Butor et (3) Brecht (ou toute permutation de ceux-ci), j'ai fait un plan (1) le fer et le charbon, (2) l'orgueil et l'enfer et (3) le règne de la force assis sur la nature décomposée. Si, si. Enfin, je ne l'ai pas annoncé de façon aussi odieusement visible, mais c'était l'idée. Et j'ai suivi la même technique je balance toute la sauce de pipo que j'ai que j'avais suivie en spé.

J'ai eu 15. Au début j'ai cru que c'était une note plutôt moyenne, et que les profs d'Ulm (enfin, je ne sais pas qui, exactement, corrige les copies de français des concours scientifiques) avaient été moins dupes de mon pipo que ceux que j'avais en spé, mais on m'a dit après (je n'ai pas vérifié dans le rapport du jury) que 15 est vraiment une très bonne note. Allez savoir.

Bon, je ne sais pas quelle est la morale de tout ça. En revanche, il est certain que je n'en tire pas un grand respect pour le sérieux intellectuel de cet exercice formel qu'est la dissertation ou sur la manière dont il est corrigé. S'il s'agit de me dire que je ne m'exprime pas totalement comme un pied et que j'ai une certaine aptitude à jeter la poudre aux yeux, je veux bien : mais pour ce qui est du fond de mes dissertations, je suis assez bien placé pour revendiquer que, le plus souvent, il était absolument vide : ça a bien mieux marché quand j'ai considéré ça comme un exercice de style que quand j'essayais d'y mettre un peu de contenu.

[#] À cette époque au moins, à Louis le Grand, dans les spés scientifiques, le cours de lettres était traité par un prof de français et un prof de philo, histoire de nous donner un double point de vue sur les oeuvres à notre programme.

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