Les élections, c'est un peu comme le Noël des petits : on les attend avec impatience, on pense au cadeau qu'on va peut-être avoir, et quand c'est fini, qu'on ait eu ce qu'on espérait ou non, on est vaguement hébété de se rendre compte que c'est déjà fini et qu'on est revenu à la routine quotidienne.
Je pense à tous les Français qui seront déçus, après-demain : ceux
qui auront vu leur candidat(e) préféré(e) perdre alors qu'il/elle leur
semblait certain(e) d'être élu(e), ceux qui auront voté pour le/la
« moins pire » et qui verront le/la « pire » accéder au pouvoir, ceux
au contraire qui se rendront compte que le/la « pire » n'était pas
forcément celui/celle qu'ils pensaient, ceux qui passé leur bonheur
immédiat de voir leur candidat(e) victorieux/-se s'apercevront qu'ils
ne l'aiment pas tant que ça, ceux qui auront voté blanc ou se seront
abstenus et qui le regrettont, ceux qui n'auront pas voté blanc et qui
le regretteront aussi. Sans doute n'y aura-t-il pas que des déçus,
mais il y en aura une bonne vingtaine de millions au bas mot (bien
plus si on compte tous ceux qui auront voté au premier tour pour un
autre candidat que celui/celle qui sera finalement élu(e)) : et la
pensée des millions d'heureux ne me fait pas oublier la tristesse des
autres. Malgré les promesses des deux candidats (voire du troisième
larron) d'être des candidats qui rassemblent
, je vois surtout
dans les élections le triste spectacle de la division et du
déchirement. Un passage obligé pour la démocratie, mais qui promet
des lendemains douloureux — pour cinq ans. Victrix causa diis placuit, sed victa Catoni :
au-delà de mes opinions politiques propres, je me sens un peu
Caton.
(Je pense surtout à l'élection présidentielle, là, parce que les vaincus n'ont rien. Lorsqu'on élit une assemblée, il reste toujours quelques miettes à l'opposition : mais un poste pour un seul homme, væ victis !, on l'a ou on ne l'a pas, et avoir eu 49% des suffrages est tout pareil qu'avoir eu 5%. C'est une de mes raisons de trouver fort irritant qu'on élise le président avant le parlement — ça incite à l'écrasement des perdants.)
Ce que les élections ont de bien, en revanche, c'est qu'avec le nombre faramineux de sondages qui sortent on en apprend plus sur la sociologie du pays que jamais autrement. Les moins de 30 ans, les cadres, les fonctionnaires, les diplômés du supérieur et les lecteurs de Télérama vote(ro)nt nettement pour Royal, tandis que les plus de 75 ans, les femmes au foyer, les retraités, les non bacheliers et les lecteurs du Point vote(ro)nt nettement pour Sarkozy. Apprend-on de diverses enquêtes d'opinion. M'enfin, ça fait encore de la division, et c'est aussi le triste signe du déterminisme social.
Parlant de déterminisme, il y en a un dont j'aimerais comprendre la
raison et l'ampleur, c'est le fameux effet d'entraînement
dont
on nous parle entre la présidentielle et les législatives. Il me
laisse profondément perplexe parce que j'ai entendu des gens déclarer
qu'ils voteraient aux législatives contre le parti du
président élu quel qu'il soit (de façon à équilibrer les pouvoirs), et
évidemment d'autres avoir un avis fixe de toute façon, mais je n'ai
entendu personne déclarer qu'il voterait pour le parti du
président — qui sont donc les électeurs qui ont ce
comportement ?
Il faudrait faire l'expérience suivante : récupérer les données, commune par commune, du premier tour de la présidentielle, les regrouper par circonscriptions, faire semblant qu'il y a autant de candidats députés que de candidats à la présidentielle et qu'ils obtiennent les mêmes voix au premier tour, maintenir au second tour les candidats qui peuvent y rester (c'est-à-dire ceux ayant obtenu les voix d'au moins le huitième des inscrits : c'est la différence essentielle avec la présidentielle où seuls deux candidats peuvent se présenter au second tour) et faire les reports de voix qui semblent plausibles en version des sondages actuels (le second tour de la présidentielle permettra de les affiner) ; cela permettrait de constituer une assemblée de référence qu'il faudra comparer avec celle qui sera effectivement élue en juin — on saurait ainsi quelle est au juste l'ampleur de l'effet d'entraînement et de l'inversion de calendrier électoral.