On ne peut que se féliciter de cette décision et espérer que contrairement à la mésaventure précédente de cette loi, il n'y ait pas de nouveau soubresaut de sa part (remarquez qu'il reste des choses pas forcément idiotes dans la loi : estampiller correctement les endroits où on peut télécharger des contenus en respectant les lois sur le droit d'auteur, c'est a priori une bonne chose) ; il y avait de toute façon d'autres armes possibles pour faire reconnaître le droit d'accès à Internet comme un droit essentiel (l'amendement 138 du paquet Télécoms, par exemple, ou pourquoi pas la CEDH), mais une décision du Conseil constitutionnel a le mérite de bien remettre les choses en ordre au niveau du droit nationnal.
Par contre, il y a un bout qui me déplaît énormément dans la décision, c'est le ¶13 (les termes mis en relief le sont par moi) :
Considérant que la propriété est au nombre des droits de l'homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789 ; que les finalités et les conditions d'exercice du droit de propriété ont connu depuis 1789 une évolution caractérisée par une extension de son champ d'application à des domaines nouveaux ; que, parmi ces derniers, figure le droit, pour les titulaires du droit d'auteur et de droits voisins, de jouir de leurs droits de propriété intellectuelle et de les protéger dans le cadre défini par la loi et les engagements internationaux de la France ; que la lutte contre les pratiques de contrefaçon qui se développent sur internet répond à l'objectif de sauvegarde de la propriété intellectuelle ;
Comprendre : les droits relevant de la propriété intellectuelle
sont officiellement assimilés au droit de la propriété, donc protégés
par la Constitution (j'ignore si c'est la première décision qui le
dit, mais c'est dit avec une clarté dangereuse). Autrement dit, la
rhétorique fallacieuse qui consistait à essayer de confondre propriété
intellectuelle et propriété matérielle — rhétorique qui commence
avec l'utilisation même du terme propriété intellectuelle
(oxymore absolument scandaleux qu'on nous force à avaler sans y
réfléchir) — donc l'échange d'informations propriétaires
et du vol ou de la contrefaçon, cette rhétorique a bien porté ses
fruits. La propriété matérielle doit être protégée car celui qui se
l'approprie de façon illégitime prive l'autre de son bien : dans le
cas de cette censée propriété intellectuelle, il s'agit d'un
hypothétique manque à gagner — je veux bien qu'on cherche
parfois à le dédommager, mais je ne veux pas que ce droit acquière le
statut de droit fondamental à valeur de constitutionnalité.
Que les droits d'auteur soient, dans une certaine mesure, protégés,
cela ne me choque pas (par exemple, qu'on prélève des taxes sur les
abonnements Internet pour financer la création culturelle, cela
m'agacerait peut-être, mais cela n'aurait rien d'intrinsèquement
scandaleux ; qu'un artiste ait un certain degré de contrôle sur les
reproductions de ses œuvres, cela peut très bien se défendre).
Mais ce que je répète à chaque fois, c'est que la malhonnêteté
commence le jour où on dit que l'auteur
est propriétaire de ses œuvres au lieu de lui
reconnaître un droit de paternité. Le fait d'avoir
engendré des enfants ne donne pas, sur eux, un droit de propriété : on
trouve normal que les parents aient un certain contrôle sur leurs
enfants mineurs, il me semble aussi normal qu'un artiste en ait sur
ses œuvres pendant une durée limitée ; si on suggérait,
de nos jours, de considérer que les enfants sont la propriété de leurs
parents, cela choquerait. L'idée de propriété intellectuelle
(par opposition à droit d'auteur
et paternité
intellectuelle
) devrait choquer pour la même raison.
(Passez les mèmes, s'il vous plaît !)
Bref, je me réjouis de voir le Conseil constitutionnel assimiler le droit d'accès à Internet à un droit fondamental, mais je suis très chagriné qu'il reconnaisse la même chose pour le droit d'auteur (surtout, de nouveau, pour l'assimiler au droit de propriété, ce qui n'a pas de sens).