David Madore's WebLog: Difficultés à dormir

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(lundi)

Difficultés à dormir

Cela faisait longtemps que je n'avais pas parlé de sommeil. En fait, en général, je ne dors pas si mal (en tout cas beaucoup mieux que la lecture du billet que je viens de lier peut le laisser penser). Mais en ce moment, mon immeuble subit un ravalement de façade, donc des bruits de travaux de 8h15 à 17h (en gros) tous les jours ouvrés, et l'effet sur mon sommeil est catastrophique. L'occasion de raconter un peu ce que je comprends des phénomènes qui influent sur le sommeil (le mien, en tout cas, mais je suppose que je suis loin d'être le seul à subir certains de ces effets).

La première chose que je veux évoquer est la classification des gens en « lève-tôt » et « couche-tard » (en anglais on dit lark et [night] owl, cf. cette page qui ne dit cependant pas grand-chose). Il n'y a aucun doute que je sois du côté « couche-tard » (hibou), et il est intéressant de se demander comment ce genre de choses se manifeste : disons que j'ai l'impression que « couche-tard » n'est qu'un symptôme et que la cause est un peu différente. L'analyse que j'ai envie de mener s'appuie sur cette merveilleuse citation de l'ex d'un ami :

Il y a deux moments agréables dans la journée : le soir quand on se couche, et le matin quand on ne se lève pas.

Non seulement c'est très drôle, mais je pense que c'est une clé importante de compréhension de la relation qu'on peut avoir avec le sommeil. Considérons ces deux plaisirs du sommeil : le fait de se coucher le soir, et le fait de ne pas se lever le matin. Je pense que la classification en « lève-tôt » et « couche-tard » est mieux reflétée par la réponse à la question du plaisir que chaque personne éprouve dans ces deux moments. Il y a des gens, bien sûr, qui n'aiment pas spécialement dormir ou n'éprouvent pas le besoin de le prolonger au-delà d'un minimum, ni dans un sens ni dans l'autre, et qui sont donc à la fois couche-tard et lève-tôt. (Je ne sais pas si je dois les envier : certes, ces personnes ont plus d'heures productives dans la journée, mais ça veut aussi dire qu'elles ont moins de rêves, or rêver est une des choses que je préfère dans la vie : donc, au final, pendant une période de temps donnée, elles auront peut-être plus vécu dans le monde réel, mais moi, pendant ce même temps, j'aurai volé dans les nuages, pratiqué la magie, fondé et détruit des empires, affronté et vaincu des créatures terrifiantes, et toutes sortes d'autres choses que je ne regrette pas.) Mais parmi les gens qui apprécient le sommeil, on peut se demander si on préfère se coucher ou ne pas se lever — prolonger le sommeil du soir en se couchant plus tôt ou celui du matin en se levant plus tard. Et je pense que les heures auxquelles on se couche ou se lève ne sont qu'un effet secondaire de notre relation à ces deux plaisirs : sans contrainte, j'ai naturellement tendance à me coucher de plus en plus tard et à me lever de plus en plus tard, pas tellement parce que j'aime me coucher tard ni me lever tard dans l'absolu mais parce que j'aime rester plus longtemps au lit beaucoup plus que je n'aime m'y mettre.

Dans mon cas l'explication est simple : passer du réveil au sommeil ou vice versa est une forme de violence, donc dans les deux cas je vais avoir tendance à la repousser. Quand je réfléchis à quelque chose (surtout quand j'ai enfin trouvé le flow), je n'ai pas envie de m'interrompre pour aller dormir ; de plus, pour moi, comme je le disais ici, le sommeil du soir n'est pas très agréable, je suis facilement victime de petites hypothermies (ou au contraire d'hyperthermie), de crises d'angoisse, de confusions nocturnes, bref, ce n'est pas un début qui me motive beaucoup à aller au lit ; en revanche, quand je n'ai aucune contrainte m'obligeant à me lever, plus mon sommeil dure, plus il devient agréable, rempli de rêves (or j'adore rêver), bref, entre les deux moments évoqués par l'aphorisme cité ci-dessus, je préfère largement le second. Ce phénomène de retardement de l'heure de lever et de coucher finit par buter contre des limites liées à toutes sortes d'effets de la vie sociale ou simplement de la lumière solaire, mais il m'est beaucoup plus facile de me décaler vers le tard que vers le tôt.

Je suppose, donc, qu'il y a une certaine symétrie et que les gens qui aiment se lever tôt (et qui aiment quand même bien dormir) apprécient plus le fait de se coucher que le fait de traîner au lit le matin, et que ça a tendance à les décaler progressivement dans l'autre sens.

Bref.

Des travaux qui font du bruit à partir de 8h15, on peut me dire, ce n'est pas furieusement tôt : tout de même, se lever à 8h15 ce n'est pas bien méchant ! De fait, il m'arrive assez souvent de devoir donner cours à 8h30, et ce à Palaiseau qui plus est, donc je dois me lever bien plus tôt que ça. Pourquoi est-ce que ces travaux de ravalement m'affectent tant, alors ?

Un des effets les plus pervers de mon sommeil est que non seulement les tracas et l'anxiété m'empêchent de dormir (or je suis facilement anxieux), mais en plus, la cause d'anxiété qui m'affecte le plus pendant la nuit, et m'empêche le plus souvent de dormir, est justement celle de manquer de sommeil. De là un cercle vicieux dans lequel je tombe trop facilement : je ne dors pas pour une raison X ou Y, je sens bien que l'heure tourne, je me dis que le nombre d'heures de sommeil que je vais avoir diminue, et plus je sens qu'il diminue plus j'angoisse à l'idée que je vais manquer de sommeil, et du coup, moins j'arrive à m'endormir. Ce cercle vicieux de l'insomnie peut être encore empiré si mon poussinet fait lui-même de l'insomnie, parce qu'à ce moment-là nous avons tendance à nous empêcher l'un l'autre de nous rendormir en gigotant dans le lit parce que nous n'arrivons pas à dormir (jusqu'à ce que parfois, n'en tenant plus, l'un de nous emporte son matelas et aille dormir dans le salon). Mais le phénomène de base est vraiment celui-ci : la crainte de manquer de sommeil m'empêche de dormir donc s'auto-alimente.

D'où un paradoxe : si je me couche, disons, à minuit et que je sais que je peux dormir autant de temps que je voudrai (parce que je n'ai pas de rendez-vous, pas de cours à donner, pas de réveil à mettre, pas de crainte que quelque bruit de chantier me réveille), je vais dormir peut-être jusqu'à 8h ; si d'aventure je fais un peu d'insomnie, je vais généralement me rendormir rapidement parce que je sais que ce n'est pas grave, qu'il me suffira de dormir un peu plus tard (et du coup, je n'ai pas d'inquiétude, du coup je me rendors facilement, du coup je n'ai pas besoin de me lever plus tard). Alors que si je programme un réveil pour, disons, 8h30 (donc après le moment où je me serais sans doute réveillé spontanément sans contrainte), je sais que je ne peux me permettre « que » 30min d'insomnie sous peine de manquer de sommeil, et dès que quelque chose va me réveiller, je vais m'inquiéter de ne pas réussir à me rendormir en 30min, et du coup je ne vais, effectivement, pas y arriver. Donc en fait, si je veux bien dormir en mettant un réveil à 8h30, je dois me coucher très très tôt, pas pour dormir autant de temps, mais pour être rassuré sur le fait qu'il est peu plausible que je fasse tellement d'insomnie.

Bon, mais comme je le disais, ça m'arrive bien de temps en temps de devoir me lever tôt. Alors pourquoi est-ce que ce n'est pas tellement la catastrophe ? Et pourquoi ces travaux de ravalement sont-ils différents ?

Parce que, en temps normal, je sais que c'est, justement, exceptionnel : si je dois me lever, disons, le lundi à 7h, je vais me coucher le dimanche soir vers 22h, mais surtout, je vais me dire bon, même si je manque un peu de sommeil cette nuit, ce n'est pas bien grave, parce que la nuit dernière j'en ai eu assez, parce que la nuit suivante j'en aurai assez, et au pire je pourrai toujours faire une sieste (en vrai, je ne fais jamais de sieste, mais le fait de pouvoir éventuellement en faire une me rassure quant au fait que je ne vais pas manquer gravement de sommeil), du coup l'anxiété de manquer de sommeil reste maîtrisée, et la moindre petite insomnie ne débouche pas sur le cercle vicieux que j'ai décrit.

L'autre chose c'est que, tant que ça reste occasionnel, je peux prendre des substances qui m'aident à dormir. La doxylamine (antihistaminique en vente libre sous le nom de Donormyl®) a un effet très fort sur moi : tellement fort que les comprimés de 15mg, prévus pour être coupés en deux, je les coupe typiquement en quatre (ce qui demande, d'ailleurs, une certaine habileté), i.e., je prends environ 4mg (parfois même seulement 2mg, un huitième de comprimé, mais là c'est limite du microdosing), et ça m'aide merveilleusement à me rendormir si je fais de l'insomnie. Mais ça ne marche qu'une seule nuit : si je recommence le lendemain, ça marche beaucoup moins bien voire pas du tout, et il y a un contrecoup les nuits suivantes. En plus, comme la doxylamine a une demi-vie très longue, il ne faut surtout pas la prendre pendant la nuit (sinon on est groggy toute la matinée) mais seulement au moment de se coucher, donc il faut décider à l'avance si le risque d'insomnie est fort : tout ça me va très bien si je dois, disons, un ou deux jours par semaine me lever à 7h, mais je ne peux pas en prendre régulièrement. Sinon, j'ai aussi de la mélatonine (pour le coup, la demi-vie doit être de quelque chose comme 30min), mais ce n'est pas vraiment un somnifère, c'est plutôt quelque chose qui aide à se recaler quand on est décalé. Et j'ai du zopiclone (qu'un psychiatre m'a prescrit au début du premier confinement) qui me fait aussi un effet très fort donc je coupe les comprimés en quatre voire en huit, mais là aussi j'ai peur de l'accoutumance, et ce n'est vraiment pas un sommeil très agréable, donc je n'en prends que rarement, quand je sens que je pars vraiment dans un cercle vicieux d'insomnie. Au rayon des quasiplacébos, je prends des tisanes « nuit tranquille » (mais ça fait faire pipi, ce qui n'est pas forcément malin) ou de l'Euphytose, mais ça reste très limité.

Bref, les médicaments peuvent m'aider ponctuellement, mais dans le cas présent ils ne me sont pas d'un grand secours.

L'autre conseil qu'on m'a donné, c'est de miser sur la régularité : plusieurs personnes m'ont dit en substance :

Prends l'habitude de te lever tous les jours à la même heure, aussi précisément que possible, même le week-end, et de te coucher dès que tu es fatigué (que ce soit tôt ou tard), et tu dormiras vite bien.

Alors d'abord, c'est un conseil de lève-tôt, ça, et ça représente un effort d'une très grande violence pour un couche-tard, ou plus exactement quelqu'un comme moi pour qui, ainsi que je l'évoque plus haut, le plus grand plaisir est de ne pas se lever — ça demande justement à renoncer à ce plaisir. En outre ça pose un problème pratique qui est que, si j'ai des cours occasionnellement pour lesquels je dois me lever très tôt, ça voudrait dire que je dois tous les jours me lever à l'heure la plus tôt qui convienne à tous ces cas. Mais oublions ce point. Le fait est surtout que ça ne marche pas pour moi.

Programmer mon cerveau pour me réveiller à une certaine heure, je sais assez bien faire, en fait : si un jour donné je suis réveillé à, disons, 8h, et que je mets une lumière assez forte dans mon champ visuel à cette heure-là (j'ai une lampe de luminothérapie à cet effet), surtout si, en même temps, je mange un peu, alors le lendemain je me réveillerai à l'heure en question. Ça marche très bien. Mais l'ennui c'est que ça ne signifie absolument pas que je ne serai pas fatigué à l'heure en question : je me réveille mais crevé et incapable de me rendormir.

Les bruits de travaux, donc, me forcent en ce moment à être réveillé tous les jours quelque part entre 8h15 et 8h30. (En fait, c'est pervers, parce qu'ils ne font pas forcément tout le temps beaucoup de bruit, mais comme je n'ai aucun moyen de savoir à l'avance combien de bruit ils vont faire, mon cerveau table sur le pire cas.) Du coup, je tombe de sommeil vers 22h, voire avant (il y a quelques jours, je me suis couché à 20h45, ça n'a pas dû m'arriver souvent dans ma vie hors des jours où j'étais carrément malade). Je m'endors sans problème au moment où je me couche, et… trois nuits sur quatre, je me réveille environ quatre heures plus tard et fais une énorme insomnie. Donc oui, j'arrive à être très régulier, mais c'est une régularité complètement merdique, où je me réveille en étant quand même totalement mort de fatigue, je passe la journée à bâiller, je me couche très tôt, je m'endors immédiatement, je me réveille au milieu de la nuit plus du tout fatigué, mais angoissé à l'idée que je fais une nouvelle insomnie, je me rendors seulement au bout de trois ou quatre heures, et le cycle de merde reprend. Et même les jours où par chance je ne fais pas d'insomnie, certes cela me procure une journée agréable où je suis intellectuellement alerte, mais ils alimentent le problème la nuit suivante, parce que comme du coup j'ai plutôt trop dormi (de 22h à 8h15 ça fait quand même pas mal), et soit je vais être poussé à me coucher plus tard et l'insomnie ne sera que plus forte parce que le risque de manquer de sommeil le sera, soit je me couche quand même tôt et ça cause aussi une insomnie en favorisant le sommeil biphasique.

Encore une autre option serait, donc, de me dire que tant pis, je vais assumer pleinement le sommeil biphasique, disons entre 21h30 et 1h30 et entre 4h et 8h (puisque cela semble être grosso modo le cadencement auquel me conduisent mes insomnies). Il y a toutes sortes de gens qui ont toutes sortes de théories selon lesquelles le sommeil biphasique ou interrompu est « naturel » (whatever the f*ck this may mean) : voir cet article Wikipédia, notamment les références à Ekirch dans la section intitulée interrupted sleep (théorie aussi résumée dans cet article que j'avais déjà référencé). Mais on a beau avoir toutes sortes de théories sur lesquelles on peut profiter des heures d'éveil entre, disons, 1h30 et 4h pour travailler, en pratique ça marche très mal, et quant au fait de se coucher à 21h30 c'est tout de même socialement très handicapant (surtout quand on a un copain qui rentre assez tard du bureau et qui n'a pas une grande motivation à se coucher tôt, et qui, a contrario, apprécie très peu d'être réveillé au milieu de la nuit).

Bref, ces travaux de ravalement de façade, non seulement ils m'auront coûté en gros le même prix que ma nouvelle moto et leur bruit me rend le travail très difficile même quand je suis réveillé et alerte (bon, pour ça j'ai des pistes pour trouver des endroits où travailler, je vais finir par en faire marcher une), mais en plus j'ai l'impression qu'ils sont en train de me coûter six mois de ma vie en sommeil perdu, et je n'avais pas vraiment besoin de ça juste après une pandémie qui nous en a tous déjà fait perdre dix-huit. Mais au-delà de mon cas personnel, je mesure combien toute l'organisation sociale est construite en faveur des « lève-tôt » au détriment des « couche-tard » qui doivent souffrir immensément quand ils ont un emploi qui exige une présence tous les jours à une heure inflexible, et il n'est pas très surprenant, comme le mentionne le truc de la BBC que je citais tout en haut que cela se ressente sur l'espérance de vie des « hiboux ».

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