David Madore's WebLog: Processus mentaux et endormissement

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(mercredi)

Processus mentaux et endormissement

L'entrée précédente concernant mes difficultés à dormir m'a valu, par des canaux divers, un certain nombre de commentaires et de conseils (que je dois encore tester, ou, pour certains, prendre le temps de lire attentivement ; on m'a même prêté un petit livre sur le sommeil). Ce qui est sans doute normal pour un sujet qui concerne littéralement tout le monde — je veux dire, le fait de dormir, pas forcément de faire de l'insomnie, mais j'imagine que presque tout le monde a éprouvé des difficultés à dormir sous une forme ou une autre, au moins une fois au cours de sa vie. Je me rends compte d'ailleurs que j'ai un million de questions au sujet du sommeil et de l'insomnie, au-delà de comment trouver le premier et éviter le second, des questions d'ordre biologique, médical, historique, culturel, etc. (Du genre : les animaux font-il aussi des insomnies “sans raison” ?, quelles traces d'insomnie trouve-t-on dans l'Histoire ? (ou dans la littérature, etc.) quels personnages historiques célèbres en souffraient-ils ? quelles erreurs historiques peuvent être attribuées à un manque de sommeil ?, comment différentes cultures ont-elles proposé à remédier aux problèmes de sommeil ? est-il vrai que c'est un “mal moderne” ? et je ne sais combien encore.) Mais je digresse.

C'est d'ailleurs un peu ironique parce que ces dernières nuits j'ai plutôt extrêmement bien dormi (et je ne sais pas vraiment pourquoi) : les travaux de ravalement dont je parlais dans l'entrée précédente sont passés à une étape de peinture, notre appartement a été envahi par une odeur de solvant assez forte et très désagréable, du coup le poussinet et moi avons déménagé nos lits dans le salon (situé du côté opposé au mur ravalé, et que l'odeur n'avait pas envahi), je pensais que ce changement allait m'empêcher de dormir et, au contraire, j'ai dormi comme un bébé (← je veux dire que j'ai très bien dormi, je ne sais pas pourquoi on dit dormir comme un bébé, en fait, parce que si j'en crois les parents de jeunes enfants que je connais, ce n'est pas toujours la joie, au moins pour les parents). Peut-être que c'est juste un hasard et que ça ne durera pas, en tout cas, s'il y a une raison plus profonde je ne la connais pas.

Une des réactions a ce billet a été celui-ci de Natacha intitulé difficultés à dormir, où elle raconte sa propre relation avec le sommeil : je me retrouve beaucoup dans certaines parties, pas du tout dans d'autres, ce qui doit nous rappeler qu'il y a énormément de variabilité individuelle dans les facteurs influençant sur le sommeil (et donc qu'il faut être très prudent avant d'extrapoler des conseils d'une personne à une autre). Mais je veux rebondir sur un point précis : c'est quand elle écrit :

Il me semble qu'à un moment, relativement récent mais plus lointain que cette prise de conscience, j'ai remarqué que rejouer des histoires récemment lues ou vues était plus efficace pour s'endormir ou bien dormir ensuite que réfléchir à des problèmes concrets.

Il me semble que ça fait écho à quelque chose que j'ai remarqué et qui me semble important à explorer pour arriver à s'endormir :

On dit souvent que pour s'endormir il faut ne penser à rien. Mais ne penser à rien, je ne crois pas que ce soit vraiment possible, et en tout cas ce n'est pas nécessaire. Éventuellement on peut comprendre rien signifiant qu'on doit penser à des choses totalement ennuyeuses et répétitives comme compter les moutons, mais personnellement ça n'a jamais fonctionné pour moi. En revanche, ce qui est sûr, c'est que penser à des choses qui nous tracassent empêche assez efficacement de dormir (je me permets l'audace de généraliser mon cas sur ce point précis, parce que je serais vraiment surpris que ce ne fût pas très répandu). Et sans aller jusqu'aux « tracas » qui comportent une charge émotionnelle, j'ai constaté que réfléchir à un problème de maths est une façon très très efficace de ne pas s'endormir (or malheureusement, parfois, je n'arrive pas à m'empêcher, parce que je veux vraiment éclaircir mes idées ou avoir la réponse).

Tout ça pour dire qu'il y a des processus mentaux qui semblent incompatibles avec le sommeil, que je peux qualifier de somnifuges, et d'autres qui ne le sont pas, voire, qui le favorisent (et que je pense très mal résumés sous l'étiquette de rien), que je peux qualifier de somnipètes.

(NB : je vais écrire beaucoup de la suite à la personne indéfinie, p.ex., on s'endort plus facilement si <gnagnagna> ou sans référence à un pronom du tout, p.ex., ce genre de choses favorise l'endormissement, mais il va de soi que je ne peux vraiment parler que de ma propre expérience, j'ai très peu de témoignages d'autres personnes à ce sujet, donc il faut comprendre ces on et même ces absences de personne comme se référant à moi-même aussi bien que quand je dis explicitement je ; c'est juste que je pense un petit peu plus plausible que certaines affirmations soient généralisables que d'autres pour lesquelles je garde la première personne, mais la différence est très faible au point qu'on puisse considérer ces deux façons de m'exprimer comme interchangeables.)

J'ai mentionné ci-dessus que les tracas m'empêchent de dormir, mais là on peut soupçonner que c'est la charge émotionnelle (le stress provoqué) qui joue. Comme, a contrario, l'attente impatience (je suppose que je suis loin d'être le seul qui, gamin, dormait très mal la nuit du 24 au 25 décembre parce qu'il y avait l'impatience d'ouvrir les cadeaux le lendemain matin). Penser à des problèmes mathématiques est aussi très somnifuge. Mais même le fait de penser à, disons, quelque chose que je pourrais écrire dans mon blog a également l'effet de m'empêcher de dormir (et le meilleur remède que j'aie trouvé dans ce cas c'est de gribouiller très sommairement les idées qui me sont venues pour pouvoir les oublier sans m'inquiéter qu'elles soient perdues). Plus généralement, toute pensée concernant le monde réel, qu'il s'agisse de ce que je vais faire les prochains jours, ou de problèmes scientifiques, politiques, humains ou quoi que ce soit du genre, a fortement tendance à faire fuir mon sommeil. Même essayer activement de retrouver un souvenir (par exemple quel est ce mot déjà ?, où ai-je déjà vu ça ?) est un processus mental somnifuge.

A contrario, je suis complètement d'accord avec Natacha que rejouer des histoires récemment lues ou vues fait partie des processus mentaux qui aident à dormir (et dans mon cas, beaucoup plus efficacement que, par exemple, compter les moutons). Lire une fiction, voir un film (bon, sans doute pas un film d'horreur !), ce genre de choses, avant de se coucher, va donc avoir tendance à favoriser l'endormissement. Ça n'a pas besoin d'être récent, c'est juste que c'est plus facile si ça l'est. Et c'est d'autant plus efficace (enfin, de nouveau, en ce qui me concerne, parce que je ne peux parler que de mon expérience personnelle même quand je dis on) qu'on arrive à s'intégrer soi-même dans l'histoire ou la rejouer « vue à la première personne » que vue de loin. On peut aussi inventer sa propre histoire, mais attention, il faut que ce soit une création libre et non contrainte : dès que je commence à réfléchir « intellectuellement » à la construction de l'histoire, par exemple si je me mets à me demander comment structurer un roman, ça ne marche plus du tout et ça redevient un processus mental qui fait fuir le sommeil.

De fait, à l'époque où j'écrivais des romans, j'aimais bien imaginer des scènes avant de m'endormir, ça m'aidait à trouver le sommeil, mais il fallait que ce soient des scènes que j'attendais de voir venir avec impatience, des scènes que je prenais plaisir à jouer et à rejouer le soir dans ma tête, pas la partie un peu fastidieuse de les organiser et de les structurer. C'est le théâtre mental qui aidait à dormir (et à créer et à visualiser la scène), pas la composition d'ensemble.

Pour résumer, il semblerait que, très sommairement, penser au monde réel empêche le sommeil, penser à des mondes de fiction le favorise. Toute pensée structurée, tout effort de mémoire est somnifuge, mais laisser les idées vagabonder dans l'imaginaire est somnipète.

Ceci suggère un rapprochement évident : les rêves. Car s'il y a un type de mondes de fictions qu'on associe au sommeil, c'est forcément eux. Et de fait, quand je suis réveillé à un moment tel que je me rappelle les rêves que j'étais en train de faire, essayer de repenser à ces rêves, les rejouer ou les prolonger dans ma tête est ce que je trouve de plus efficace pour me rendormir. (Même quand le rêve était effrayant, il vaut mieux que j'y repense, pour en reprendre le contrôle, pour me rappeler que c'est moi qui commande et que je peux faire ce que je veux dans mes rêves : c'est sans doute cette démarche qui m'a amené à faire régulièrement des rêves lucides.)

Et j'ai souvent l'impression, dans ces conditions, qu'il se forme une bataille pour le contrôle de mon cerveau, entre les forces somnipètes, à commencer par les souvenirs des rêves que je viens de faire (souvenirs très fragiles mais qui se renforcent si on rejoue les quelques scènes qu'on se rappelle), et les forces somnifuges, essentiellement toutes les pensées ayant trait au monde réel, y compris celles qui sont évoquées par les rêves. Je me retrouve souvent à tourner dans mon lit en essayant de revivre mes rêves et à me retrouver régulièrement distrait par d'autres pensées incidentes (ah mais ça me rappelle quelque chose ça… mais quoi ?), rapidement somnifuges.

Mais ceci soulève aussi la question de savoir ce qui est la cause et ce qui est l'effet. J'écris ci-dessus qu'il y a des pensées qui favorisent l'endormissement et d'autres qui l'empêchent, mais c'est un peu un post hoc ergo propter hoc : peut-être que les pensées que je qualifie de somnipètes sont non pas celles qui favorisent l'endormissement mais simplement celles qui l'accompagnent, celles qui sont favorisées par un début de sommeil. Cela collerait aussi bien avec la ressemblance aux rêves (si on est dans une configuration mentale prête à dormir, voire rêver, on va avoir tendance à produire des pensées oniriques), et cela expliquerait que j'ai du mal à reproduire ce genre de pensées quand je suis debout éveillé et alerte. J'ai cependant l'impression, sans pouvoir en apporter la moindre preuve, qu'il y a une causalité réciproque (i.e., un cercle vertueux ou vicieux de l'endormissement ou du réveil) : ce sont les mêmes pensées qui sont favorisées par l'endormissement et qui l'encouragent et les mêmes qui sont favorisées par le réveil et qui l'alimentent.

Ce serait aussi intéressant de savoir si ces modes mentaux correspondent à quelque chose qu'on pourrait détecter de façon objective. Par exemple, si j'arrive à reconnaître en moi-même des pensées somnifuges et somnipètes et à reproduire les unes ou les autres, est-ce que cela se verrait dans une IRM fonctionnelle ? Y a-t-il des zones du cerveau spécifiquement associées aux unes et aux autres (au-delà des différences au sein de chaque catégorie) ?

Faute de disposer d'une IRMf, je veux bien que les personnes qui me lisent me disent si elles ressentent aussi cette distinction entre pensées somnifuges et somnipètes et, le cas échéant, ce qui constitue pour elles un modèle de pensée somnipète.

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