L'entrée précédente concernant
mes difficultés à dormir m'a valu, par des canaux divers, un certain
nombre de commentaires et de conseils (que je dois encore tester, ou,
pour certains, prendre le temps de lire attentivement ; on m'a même
prêté un petit livre sur le sommeil). Ce qui est sans doute normal
pour un sujet qui concerne littéralement tout le monde — je veux dire,
le fait de dormir, pas forcément de faire de l'insomnie, mais
j'imagine que presque tout le monde a éprouvé des difficultés à dormir
sous une forme ou une autre, au moins une fois au cours de sa vie. Je
me rends compte d'ailleurs que j'ai un million de questions au sujet
du sommeil et de l'insomnie, au-delà de comment trouver le premier et
éviter le second, des questions d'ordre biologique, médical,
historique, culturel, etc. (Du genre : les animaux font-il aussi
des insomnies “sans raison” ?
, quelles traces d'insomnie
trouve-t-on dans l'Histoire ? (ou dans la littérature, etc.) quels
personnages historiques célèbres en souffraient-ils ? quelles erreurs
historiques peuvent être attribuées à un manque de
sommeil ?
, comment différentes cultures ont-elles proposé à
remédier aux problèmes de sommeil ? est-il vrai que c'est un “mal
moderne” ?
et je ne sais combien encore.) Mais je digresse.
C'est d'ailleurs un peu ironique parce que ces
dernières nuits j'ai plutôt extrêmement bien dormi (et je ne sais pas
vraiment pourquoi) : les travaux de ravalement dont je parlais dans
l'entrée précédente sont passés à une étape de peinture, notre
appartement a été envahi par une odeur de solvant assez forte et très
désagréable, du coup le poussinet et moi avons déménagé nos lits dans
le salon (situé du côté opposé au mur ravalé, et que l'odeur n'avait
pas envahi), je pensais que ce changement allait m'empêcher de dormir
et, au contraire, j'ai dormi comme un bébé (← je veux dire que j'ai
très bien dormi, je ne sais pas pourquoi on dit dormir comme un
bébé
, en fait, parce que si j'en crois les parents de jeunes
enfants que je connais, ce n'est pas toujours la joie, au moins pour
les parents). Peut-être que c'est juste un hasard et que ça ne durera
pas, en tout cas, s'il y a une raison plus profonde je ne la connais
pas.
Une des réactions a ce billet a
été celui-ci
de Natacha intitulé difficultés à dormir
, où elle raconte
sa propre relation avec le sommeil : je me retrouve beaucoup dans
certaines parties, pas du tout dans d'autres, ce qui doit nous
rappeler qu'il y a énormément de variabilité individuelle dans les
facteurs influençant sur le sommeil (et donc qu'il faut être très
prudent avant d'extrapoler des conseils d'une personne à une autre).
Mais je veux rebondir sur un point précis : c'est quand elle
écrit :
Il me semble qu'à un moment, relativement récent mais plus lointain que cette prise de conscience, j'ai remarqué que rejouer des histoires récemment lues ou vues était plus efficace pour s'endormir ou bien dormir ensuite que réfléchir à des problèmes concrets.
Il me semble que ça fait écho à quelque chose que j'ai remarqué et qui me semble important à explorer pour arriver à s'endormir :
On dit souvent que pour s'endormir il faut ne penser à rien
.
Mais ne penser à rien, je ne crois pas que ce soit vraiment possible,
et en tout cas ce n'est pas nécessaire. Éventuellement on peut
comprendre rien
signifiant qu'on doit penser à des choses
totalement ennuyeuses et répétitives comme compter les moutons, mais
personnellement ça n'a jamais fonctionné pour moi. En revanche, ce
qui est sûr, c'est que penser à des choses qui nous tracassent empêche
assez efficacement de dormir (je me permets l'audace de généraliser
mon cas sur ce point précis, parce que je serais vraiment surpris que
ce ne fût pas très répandu). Et sans aller jusqu'aux « tracas » qui
comportent une charge émotionnelle, j'ai constaté que réfléchir à un
problème de maths est une façon très très efficace de ne pas
s'endormir (or malheureusement, parfois, je n'arrive pas à m'empêcher,
parce que je veux vraiment éclaircir mes idées ou avoir la
réponse).
Tout ça pour dire qu'il y a des processus mentaux qui semblent
incompatibles avec le sommeil, que je peux qualifier
de somnifuges
, et d'autres qui ne le sont pas, voire, qui le
favorisent (et que je pense très mal résumés sous l'étiquette
de rien
), que je peux qualifier de somnipètes
.
(NB : je vais écrire beaucoup de la
suite à la personne indéfinie, p.ex., on s'endort plus facilement
si <gnagnagna>
ou sans référence à un pronom du tout,
p.ex., ce genre de choses favorise l'endormissement
, mais il va
de soi que je ne peux vraiment parler que de ma propre expérience,
j'ai très peu de témoignages d'autres personnes à ce sujet, donc il
faut comprendre ces on
et même ces absences de personne comme
se référant à moi-même aussi bien que quand je dis
explicitement je
; c'est juste que je pense un petit peu plus
plausible que certaines affirmations soient généralisables que
d'autres pour lesquelles je garde la première personne, mais la
différence est très faible au point qu'on puisse considérer ces deux
façons de m'exprimer comme interchangeables.)
J'ai mentionné ci-dessus que les tracas m'empêchent de dormir, mais
là on peut soupçonner que c'est la charge émotionnelle (le stress
provoqué) qui joue. Comme, a contrario, l'attente impatience (je
suppose que je suis loin d'être le seul qui, gamin, dormait très mal
la nuit du 24 au 25 décembre parce qu'il y avait l'impatience d'ouvrir
les cadeaux le lendemain matin). Penser à des problèmes mathématiques
est aussi très somnifuge. Mais même le fait de penser à, disons,
quelque chose que je pourrais écrire dans mon blog a également l'effet
de m'empêcher de dormir (et le meilleur remède que j'aie trouvé dans
ce cas c'est de gribouiller très sommairement les idées qui me sont
venues pour pouvoir les oublier sans m'inquiéter qu'elles soient
perdues). Plus généralement, toute pensée concernant le monde réel,
qu'il s'agisse de ce que je vais faire les prochains jours, ou de
problèmes scientifiques, politiques, humains ou quoi que ce soit du
genre, a fortement tendance à faire fuir mon sommeil. Même essayer
activement de retrouver un souvenir (par exemple quel est ce mot
déjà ?
, où ai-je déjà vu ça ?
) est un processus mental
somnifuge.
A contrario, je suis complètement d'accord avec Natacha
que rejouer des histoires récemment lues ou vues
fait partie
des processus mentaux qui aident à dormir (et dans mon cas, beaucoup
plus efficacement que, par exemple, compter les moutons). Lire une
fiction, voir un film (bon, sans doute pas un film d'horreur !), ce
genre de choses, avant de se coucher, va donc avoir tendance à
favoriser l'endormissement. Ça n'a pas besoin d'être récent, c'est
juste que c'est plus facile si ça l'est. Et c'est d'autant plus
efficace (enfin, de nouveau, en ce qui me concerne, parce que je ne
peux parler que de mon expérience personnelle même quand je
dis on
) qu'on arrive à s'intégrer soi-même dans l'histoire ou
la rejouer « vue à la première personne » que vue de loin. On peut
aussi inventer sa propre histoire, mais attention, il faut que ce soit
une création libre et non contrainte : dès que je commence à réfléchir
« intellectuellement » à la construction de l'histoire, par exemple si
je me mets à me demander comment structurer un roman, ça ne marche
plus du tout et ça redevient un processus mental qui fait fuir le
sommeil.
De fait, à l'époque où j'écrivais des romans, j'aimais bien imaginer des scènes avant de m'endormir, ça m'aidait à trouver le sommeil, mais il fallait que ce soient des scènes que j'attendais de voir venir avec impatience, des scènes que je prenais plaisir à jouer et à rejouer le soir dans ma tête, pas la partie un peu fastidieuse de les organiser et de les structurer. C'est le théâtre mental qui aidait à dormir (et à créer et à visualiser la scène), pas la composition d'ensemble.
Pour résumer, il semblerait que, très sommairement, penser au monde réel empêche le sommeil, penser à des mondes de fiction le favorise. Toute pensée structurée, tout effort de mémoire est somnifuge, mais laisser les idées vagabonder dans l'imaginaire est somnipète.
Ceci suggère un rapprochement évident : les rêves. Car s'il y a un type de mondes de fictions qu'on associe au sommeil, c'est forcément eux. Et de fait, quand je suis réveillé à un moment tel que je me rappelle les rêves que j'étais en train de faire, essayer de repenser à ces rêves, les rejouer ou les prolonger dans ma tête est ce que je trouve de plus efficace pour me rendormir. (Même quand le rêve était effrayant, il vaut mieux que j'y repense, pour en reprendre le contrôle, pour me rappeler que c'est moi qui commande et que je peux faire ce que je veux dans mes rêves : c'est sans doute cette démarche qui m'a amené à faire régulièrement des rêves lucides.)
Et j'ai souvent l'impression, dans ces conditions, qu'il se forme
une bataille pour le contrôle de mon cerveau, entre les forces
somnipètes, à commencer par les souvenirs des rêves que je viens de
faire (souvenirs très fragiles
mais qui se renforcent si on rejoue les quelques scènes qu'on se
rappelle), et les forces somnifuges, essentiellement toutes les
pensées ayant trait au monde réel, y compris celles qui sont évoquées
par les rêves. Je me retrouve souvent à tourner dans mon lit en
essayant de revivre mes rêves et à me retrouver régulièrement distrait
par d'autres pensées incidentes (ah mais ça me rappelle quelque
chose ça… mais quoi ?
), rapidement somnifuges.
Mais ceci soulève aussi la question de savoir ce qui est la cause
et ce qui est l'effet. J'écris ci-dessus qu'il y a des pensées qui
favorisent l'endormissement et d'autres qui l'empêchent, mais c'est un
peu un post hoc ergo propter hoc : peut-être que
les pensées que je qualifie de somnipètes
sont non pas celles
qui favorisent l'endormissement mais simplement celles qui
l'accompagnent, celles qui sont favorisées par un début de
sommeil. Cela collerait aussi bien avec la ressemblance aux rêves (si
on est dans une configuration mentale prête à dormir, voire rêver, on
va avoir tendance à produire des pensées oniriques), et cela
expliquerait que j'ai du mal à reproduire ce genre de pensées quand je
suis debout éveillé et alerte. J'ai cependant l'impression, sans
pouvoir en apporter la moindre preuve, qu'il y a une causalité
réciproque (i.e., un cercle vertueux ou vicieux de l'endormissement ou
du réveil) : ce sont les mêmes pensées qui sont favorisées par
l'endormissement et qui l'encouragent et les mêmes qui sont favorisées
par le réveil et qui l'alimentent.
Ce serait aussi intéressant de savoir si ces modes mentaux correspondent à quelque chose qu'on pourrait détecter de façon objective. Par exemple, si j'arrive à reconnaître en moi-même des pensées somnifuges et somnipètes et à reproduire les unes ou les autres, est-ce que cela se verrait dans une IRM fonctionnelle ? Y a-t-il des zones du cerveau spécifiquement associées aux unes et aux autres (au-delà des différences au sein de chaque catégorie) ?
Faute de disposer d'une IRMf, je veux bien que les personnes qui me lisent me disent si elles ressentent aussi cette distinction entre pensées somnifuges et somnipètes et, le cas échéant, ce qui constitue pour elles un modèle de pensée somnipète.