David Madore's WebLog: Confinementversaire

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(mercredi)

Confinementversaire

Nous sommes le jour anniversaire du déclenchement du premier confinement en France. Je produis ici, en l'éditant un peu pour le rendre plus au style de ce blog et en rajoutant quelques petites précisions, un fil Twitter (rédigé à chaque fois 365j plus tard), dans lequel je reviens sur le récit des jours qui ont précédé ce (pour ceux qui l'ont déjà lu sur Twitter, j'ajoute quelques remarques générales à la fin) :

La première semaine de mars 2020 était encore relativement normale. (Je savais bien sûr que la pandémie allait nous tomber dessus et ferait des dizaines de milliers de morts, mais je n'imaginais pas l'horreur du confinement ; et surtout, je ne pensais pas que ça durerait plus d'un an.)

Le , j'ai fait ma dernière sortie « normale » avec le poussinet avant longtemps : nous sommes allés à Compiègne voir l'exposition Concept-car : beauté pure au palais impérial. La semaine qui a suivi, j'ai fait cours assez normalement.

Le , j'ai déjeuné au restaurant pour la dernière fois avant longtemps (au Café de France, place d'Italie ; lequel a fermé depuis, probablement fait faillite), avec le poussinet. Puis ce dernier est parti en vacances à la montagne. N'ayant pas grand-chose à faire, je me suis dit bon, il faut vraiment que je comprenne un peu d'épidémiologie, donc j'ai commencé par apprendre les bases du modèle SIR, et j'ai écrit ce fil Twitter (qu'un peu plus tard j'ai transformé en cette entrée de blog). Ensuite je suis sorti me balader dans Paris, je suis passé chez Gibert où j'ai acheté le livre Viral Pathology and Immunity de Neal Nathanson pour avoir au moins quelques bases rudimentaires en virologie.

La nuit suivante j'ai vraiment très mal dormi, et ça allait être la norme pour pas mal de temps ensuite. Le , j'ai eu une longue conversation avec ma mère au téléphone, je lui ai dit de prendre la pandémie très au sérieux. Je me rappelle notamment lui avoir dit qu'il fallait s'attendre à ce qu'il y ait de l'ordre de grandeur de 100 000 morts en France (à ce moment-là on en avait une dizaine) ; elle m'a dit ben tu es optimiste !. Avec le recul, ce n'était pas une mauvaise estimation. Mais pas si bonne que ça non plus, parce que je pensais que ces ~100 000 morts se produiraient en quelques mois seulement. Le soir j'ai regardé un documentaire sur la grippe de 1918 (celui-ci, je crois‌ ; je pense que j'ai dû penser au moins ça me rappellera que ça peut toujours être pire !), probablement pas une bonne idée pour le moral !

 : je me suis réveillé vers 5h30, je n'ai pas réussi à me rendormir. Je suis allé au bureau en RER (je me souviens avoir regardé la jolie vue depuis les escaliers qui montent au plateau et m'être demandé ce que tout cela allait devenir avec la pandémie).

J'ai donné un cours le matin mais j'avais de plus en plus de mal à me concentrer. J'ai dit à mes élèves que nous risquions de ne plus nous revoir. (Nous n'avions pas de cours prévu la semaine suivante, et au-delà ça me semblait évident que tout serait bouleversé.)

L'Italie a annoncé son confinement national, je trouvais ça absurde. Mais je ne comprenais pas comment elle pouvait être déjà débordée par l'épidémie, avec même pas 2000 cas recensés (je n'avais pas pris conscience de l'ampleur de la sous-estimation du nombre de cas). On parlait d'aplatir la courbe, mais l'ampleur de la tâche semblait inouïe.

 : après avoir très mal dormi, j'ai été réveillé par des bruits assourdissants : des ouvriers sont venus détruire au marteau-piqueur le tarmac du trottoir devant chez moi (je n'ai jamais compris pourquoi ils ont fait ça, il me semble qu'ils n'ont pas creusé) ; les bruits sont montés à 70dB dans le salon. Toujours est-il que ça a accentué mon craquage nerveux. J'ai téléphoné au poussinet (à la montagne, cf. ci-dessus), qui lui-même n'allait pas bien (il avait peur que sa boîte fasse faillite, peur que l'immobilier s'écroule et qu'on ne puisse pas vendre l'appartement, ou qu'on doive vendre les deux pour une bouchée de pain…). Entre ça, l'état neurologique de mon père (parkinsonien en bout de traitement) qui se dégradait, et la voiture qui avait pris un choc, nous étions vraiment mal. Nous avons passé la journée à échanger SMS et coups de fil. Et la situation en Italie n'était pas du tout rassurante !

Je relis mes SMS échangés à ce moment : Je ne comprends pas pourquoi [le système de soins en Italie] s'étouffe déjà à 0.015% [de malades covid dans la population]. Et celui-ci, pas mal à côté de la plaque, essayant de me rassurer : Et pour l'épidémie, on va rester à la maison en amoureux pendant quelques semaines à télétravailler : soit les choses empirent et ce sera vite fini, soit elles s'améliorent.

 : je suis de nouveau allé au bureau en RER. J'ai donné un cours qui allait être (mais je ne le savais pas, bien sûr) mon dernier pour 2019–2020. J'avais de plus en plus de mal à me concentrer à cause de la fatigue et du stress.

J'ai reçu le peintre qui était censé faire un petit rafraîchissement de l'appartement que nous comptions vendre. Lui n'avait pas du tout l'air affolé par l'épidémie (il m'a fait remarquer qu'il y avait beaucoup plus de morts de la grippe que de covid). Nous avons pris un café ensemble. Pendant un instant, tout semblait normal.

J'ai ensuite écrit cette entrée dans mon blog, qui allait pas mal conditionner la manière dont je pensais l'épidémie (Charybde et Scylla, traduction d'un fil Twitter écrit la veille).

Le poussinet est rentré de la montagne très tard dans la soirée (il est arrivé chez nous à 4h15 du matin). Nous avons beaucoup parlé de la pandémie et, évidemment, eu du mal à dormir.

 : les choses basculent de plus en plus vite. Je me réveille complètement paniqué après à peine quelques heures de sommeil.

Le poussinet avait récemment commandé une nouvelle voiture (une Tesla) et devait en prendre possession d'ici quelques jours (il a même déjà reçu la carte grise) : nous discutons de s'il doit annuler sa commande et demander remboursement (au cas où nous aurions des problèmes d'argent), je le persuade de le faire, par prudence. Ça a été un choc pour moi : pas que la Tesla avait de l'importance, mais c'est un élément de plus qui me fait prendre conscience que je ne sais pas où nous allons, que la pandémie est vraiment arrivée, que nous perdons le contrôle de nos vies, que nous devons nous préparer au pire (notamment financièrement).

Je dois aller au boulot faire passer un oral, mais je me sens incapable d'y aller en RER ou à moto : le poussinet propose de m'y emmener en voiture. À midi nous déjeunons à la cantine avec quelques collègues, que je ne reverrai pas avant un bon moment. Ambiance extrêmement lourde, même si tout le monde n'est pas au même niveau d'inquiétude (mais nous nous doutons tous bien que l'école sera fermée).

Emmanuel Macron doit parler dans l'après-midi. J'étais persuadé qu'il prendrait les pleins pouvoirs pour déclencher un confinement. Je dois lui reconnaître ceci : il ne l'a pas fait (…parce qu'il n'en a même pas eu besoin !). Macron n'annonce finalement, ce 12 mars, que la fermeture des écoles. Je trouve son intervention assez mesurée. Le poussinet et moi trouvons qu'il a été assez « présidentiel ». Boris Johnson, le même jour, annonce une stratégie basée sur l'immunité grégaire (ce qui donnera une mauvaise image à ce terme pour la suite ; lui fera volte-face).

À ce stade, je me sens rassuré sur au moins une chose : je me dis qu'il n'y aura pas, en France ni au Royaume-Uni, la même folie qu'en Italie où on interdit aux gens de sortir de chez eux. Mais comme on le sait, ce soulagement fut de courte durée !

 : Encore une fois j'ai très mal dormi. Je suis allé voir mon doctorant à Jussieu, et son co-encadrant qui est un bon ami à moi. Parler de maths m'a aider à penser à autre chose pendant un temps, même si c'était bizarre (et nouveau !) de tenir nos distances.

Je suis resté pour parler de la pandémie avec mon ami, j'ai fondu en larmes. (Je me rappelle notamment avoir évoqué la conférence de presse britannique de la veille, où Chris Whitty a refusé de faire le calcul de 80% × 1% pour estimer la proportion de la population britannique qui pourrait mourir dans le pire cas de figure.) Mon ami était plus zen et m'a aidé à reprendre mes esprits. Il m'a expliqué que son père (anesthésiste-réanimateur, et qui avait participé à la préparation à la pandémie de grippe porcine en 2009) n'était pas si inquiet que ça.

Plus tard j'ai fait les courses avec le poussinet et nous avons acheté une machine à espresso pour tenir le coup pendant le probable confinement (volontaire ou imposé). Jusque là je ne prenais jamais le café à la maison, j'aimais surtout le prendre dehors en regardant les gens passer : voilà qui ne serait plus possible.

 : je me suis réveillé pendant la nuit (3h30) en faisant une attaque de panique suite à un cauchemar. J'ai hurlé à mon poussinet d'allumer la lumière, il a essayé de me rassurer et de me recoucher, mais à la fin nous étions tous les deux bien réveillés. Comme nous ne nous rendormions pas, nous sommes sortis faire une balade dans le quartier vers 5h30 du matin. Puis nous nous sommes recouchés, mais j'ai à peine redormi. Le poussinet, lui, a dormi une bonne partie de l'après-midi.

Pendant qu'il dormait, j'ai écrit un billet dans mon blog faisant état de mon état psychologique à ce moment-là ; et j'ai aussi pris rendez-vous chez un psychiatre pour le surlendemain (le texte était une sorte de récapitulatif de ce que je voulais lui dire).

Finalement, en fin d'après-midi, quand mon poussinet s'est réveillé, nous sommes allés faire une promenade dans la forêt de Meudon. Je me souviens d'avoir fait remarquer en voyant un avion passer que nous vivions un mélange bizarre entre l'exceptionnel et la routine qui continuait. Nous nous sommes demandés si ou comment le bac pourrait avoir lieu cette année (et les autres examens et concours).

Dans la soirée, je ne sais plus à quelle heure, Édouard Philippe a annoncé la fermeture de tous les lieux publics et commerces non-essentiels. Je ne me rappelle plus bien comment j'ai réagi à ça, ni ce que je pensais de la mesure, mais j'ai au moins été soulagé qu'on continuait à ne pas nous priver de la liberté de sortir de chez nous, ni de nous promener. …Encore un faux espoir !

 : le poussinet et moi nous sommes réveillés vers 7h, en n'ayant quasiment pas dormi. Le poussinet était en larmes. Nous avons essayé de nous réconforter comme nous pouvions. Puis nous avons essayé de dormir un peu plus, mais moi je n'y arrivais pas du tout.

Je suis allé faire des courses au petit G20 en face de chez nous (deux fois, en fait, pour bien remplir les placards). C'était la cohue. Les gens faisaient des courses en masse en craignant la pénurie. (Je me demande encore maintenant combien de contaminations ont été causées par les cohues dues à ces mesures alarmistes.) J'ai croisé une de mes voisines de l'immeuble, une dame âgée, qui semblait effarée (mais amusée à la fois) par tout ce monde se ruant pour faire des provisions. Elle m'a dit on n'est pas en guerre, tout de même !.

Puis j'ai eu un coup de fil de ma mère. Je pensais qu'elle appelait pour parler de la pandémie. Je lui ai parlé de Charybde et Scylla, du désastre que je voyais des deux côtés. Elle m'a sommé d'arrêter de m'inquiéter pour les choses sur lesquelles je ne pouvais rien. Mais en fait elle m'appelait surtout pour mon dire que mon père avait fait une vilaine chute dans l'escalier, qu'il avait beaucoup saigné de la tête, et qu'elle avait dû le faire emmener aux urgences. Et vous vous doutez bien qu'appeler les secours le 15 mars 2020 c'était… compliqué ! Mais finalement elle a réussi à faire venir les pompiers qui ont emmené mon père à l'hôpital dont il est ressorti avec la tête toute bandée et interdiction de bouger. Déjà que c'était difficile avant ! J'ai aussi persuadé ma mère de ne pas aller voter pour les municipales, ce qui n'a pas été facile parce qu'elle ne s'était peut-être jamais abstenue de sa vie.

Mais en criant au téléphone, j'ai réveillé le poussinet, qui avait dormi tard dans l'après-midi. Et nous, comme nous n'étions pas spécialement à risque, nous avons décidé d'aller voter (ce qui ressemblait d'ailleurs aussi à un choix entre Charybde et Scylla — enfin, entre Charybde1, Charybde2, Charybde3, Charybde4, etc.). Bref.

Après ça, nous sommes allés faire une balade en forêt, en sentant bien que ça risquait d'être la dernière avant longtemps. Nous sommes allés du côté de la Faisanderie dans la forêt de Sénart. Pendant la balade, le poussinet était bien plus serein que le matin. Nous avons évidemment parlé de l'épidémie et de comment les choses pourraient évoluer, et de ce que l'avenir nous réservait. Moi je ne voyais vraiment que deux possibilités : un désastre sanitaire inoui, ou bien un confinement qu'il serait impossible de lever. (J'ai donc eu moyennement tort : on a en fait eu un mix des deux.) Le poussinet me disait que nous verrions bien.

Toujours est-il que nous sommes rentrés chez nous vers 20h, et nous avons commencé à vider plein de choses de l'appartement que nous comptions vendre, pour que le peintre puisse travailler dedans (en nous demandant s'il pourrait !).

Je ne sais plus quel était mon état d'esprit quand je me suis couché ce 15 mars 2020, mais c'était certainement une des journées les plus bizarres de ma vie, tellement de choses qui se sont passées dans une ambiance si chaotique.

Mais ce qui est sûr c'est que je me demandais beaucoup et si nous sommes confinés comme en Italie, ça veut dire quoi, concrètement ? ils contrôleraient comment ? on sera vraiment emprisonnés chez nous‽ ça se passe comment là-bas ?.

 : je suis sorti le matin pour aller voir le psychiatre chez qui j'avais pris rendez-vous. Les rues étaient étrangement désertes, avec tous les commerces fermés ça donnait une impression de fin du monde.

Je suis allé voir le psy, donc. Moi j'avais un masque chirurgical (périmé certes) : j'en avais acheté un lot longtemps avant parce que le poussinet avait eu une grippe que je ne voulais pas attraper ou qqch comme ça. Le psy, non (rappelons que c'était la pénurie totale !). Je commence par dire au psy quelque chose comme je suppose que vous avez beaucoup de gens qui viennent vous voir à cause de la pandémie et il m'a dit pas du tout. Puis je lui ai parlé de mes angoisses et d'un peu de tout. Il m'a fait une bonne impression. Bon, je n'étais jamais allé voir un psy de ma vie, donc je ne peux pas trop comparer, mais nous avons discuté calmement, un peu de moi, un peu de la crise, un peu d'épidémiologie, ça m'a fait du bien. Je suis resté 45min. À la fin il m'a demandé si je voulais des médicaments, j'ai dit que je pensais que ça pouvait être utile, il m'a prescrit un somnifère et un anxiolytique. Un an après je n'en ai pas utilisé plus que qqs comprimés (je me méfie de ces trucs et le poussinet y est carrément hostile), mais c'est rassurant de savoir qu'on les a dans le placard.

Je suis passé à la pharmacie chercher ces médicaments : la scène était hyper tendue, les gens discutaient de ce qui se passait, des nouvelles règles, on ne savait rien. Deux clients de la pharmacie ont commencé à s'engueuler, parce que l'un à demander à l'autre de tenir ses distances, l'autre l'a mal pris, visiblement tout le monde était sur les nerfs.

Dans l'après-midi, les rumeurs s'amplifient : à cause (pense-t-on) du peu de respect de la distanciation sociale à Paris la veille (en fait, c'est une manip de culpabilisation assez grossière), le gouvernement va décréter le confinement total. (Que ce terme est hideux, confinement total, — comme est hideuse la chose. D'ailleurs, il a disparu assez vite et n'a pas réapparu depuis : même les confinementistes acharnés disent confinement strict maintenant, je remarque.) Les rumeurs vont bon train. L'armée est vue se déplaçant en nombre à divers endroits — je me dis qu'on a vraiment basculé hors de l'état de droit. Les parisiens fuient Paris en masse, causant des embouteillages massifs.

Le poussinet et moi discutons : allons-nous fuir dans sa maison de famille à la montagne (en espérant qu'il y ait au moins un semblant de liberté : personne ne pourra contrôler les chemins forestiers) avant qu'ils bouclent Paris complètement ? Lui préfère partir. Je tergiverse. Le choix entre rester dans un endroit que je connais ou abandonner tout ce que j'ai pour fuir dans un endroit où il y aura un petit reste de liberté ça vraiment été un choix atroce. Finalement nous restons. Était-ce le bon choix ? Je le sais maintenant, parce que sept mois plus tard l'histoire se répète et cette fois-là nous fuyons : il n'y a pas de bon choix entre ce Charybde et Scylla là. Le confinement est une torture mentale, à Paris comme à la montagne.

J'ai décrit mon état d'esprit de cet après-midi du 16 mars 2020, tel que ressenti sur le moment, dans ce fil-ci — la dernière phrase est sans doute la plus parlante : J'ai peur.

À 20h, Macron prend la parole une nouvelle fois. Son intervention n'a rien à avoir avec celle de quelques jours auparavant : le 12 il avait une certaine stature, le 16 son intervention est minablement anxiogène. Nous sommes en guerre, quelle connerie !

Ensuite, c'est Castaner qui prend la parole à son tour et qui égrène les mesures, confirmant qu'on a complètement quitté l'état de droit pour basculer dans l'état policier. Le confinement commence le lendemain à 12h. (Avec un petit moment de farce au milieu de cette tragédie quand Castaner, en langage administratif fleuri, dit dans le cadre de l'accompagnement des besoins naturels du chien pour dire en promenant le clebs.)

Le soir, pour essayer de nous changer les idées, le poussinet et moi regardons Last Week Tonight (de la veille) comme d'habitude de le faire le lundi. Mais ça ne nous change pas du tout les idées : John Oliver parle de covid, et il est lui-même comme « confiné » dans son « blank void » comme il l'appelle.

Je ne sais plus comment s'est finie cette journée du 16 mars 2020. J'ai dû prendre un somnifère (mon journal ne dit rien). Aurais-je mieux fait de prendre toute la boîte ? En tout cas, la « vie » qui m'attend ensuite n'a plus rien à voir avec celle d'avant.

 : je découvre l'étude de l'équipe de Neil Ferguson à Imperial College‌, qui évoque 500 000 morts au Royaume-Uni, et qui surtout me semble confirmer le dilemme que je voyais entre les stratégies Charybde et Scylla : soit il y a énormément de morts, soit on est coincé dans une boucle de confinements qui n'en finit pas où l'épidémie doit sans arrêt être supprimée parce qu'il n'y a pas d'immunité collective qui s'accumule (c'est Ferguson qui écrit ça, hein !: The more successful a strategy is at temporary suppression, the larger the later epidemic is predicted to be in the absence of vaccination, due to lesser build-up of herd immunity).

Mais bon, pour moi, le 17 mars 2020 (à 12h), c'est surtout le début du fameux confinement total. Je ne crois pas que ça ait d'intérêt que je continue ce récit au-delà de ce jour. Avant le 17 mars, le temps passait à toute vitesse. Après, il cesse totalement d'exister. Il n'y a plus de vie ensuite, donc rien à raconter : rien qu'une succession de jours vides qui se ressemblent tous et où nul événement ne se produit. Une représentation de En attendant Godot avec le poussinet dans le rôle de Vladimir et moi dans celui d'Estragon. À huis clos.

Bon, je ne sais pas si écrire ce texte m'a aidé : comme je l'écrivais il n'y a pas longtemps, j'ai un peu la sensation d'être prisonnier du jour de la marmotte (enfin, l'année de la marmotte) : le poussinet part à la montagne pendant que moi je suis à la maison à stresser sur l'évolution de l'épidémie, les courbes épidémiologistes ne sont pas bonnes, c'est la course pour produire un dispositif médical (masques en 2020, vaccins en 2021), puis, mi-mars, il devient clair que Paris va être confiné. Même le fait que nous passons une soirée en retour de promenade à vider l'appartement du rez-de-chaussée reste valable (nous avons récemment fini de le vider pour pouvoir enfin le vendre). J'ai vraiment un peu l'impression de revivre le même cauchemar, même s'il est vrai qu'entre-temps, pour reprendre la parodie de Marx, la tragédie s'est pas mal transformée en farce (ou peut-être, vu que c'est le troisième confinement, c'est carrément un numéro de cirque, cette fois).

Peut-être devrais-je plutôt me concentrer sur ce qui a changé ?

Mon moral est loin d'être aussi mauvais qu'il y a un an. C'est plus de l'exaspération que je ressens maintenant.

Les confinements ressemblent à une corde de plus en plus usée à laquelle plus personne ne croit vraiment (cf. ce que j'écris dans ce fil Twitter). Pour ce que ça vaut, j'ai rassemblé dans ce fil [ici sur ThreadReaderApp] les choses que je propose un peu plus concrètement, moi, pour lutter contre l'épidémie.

Je compte ne pas du tout respecter celui qui vient, quelque forme qu'il prenne. Je prendrai mes précautions vis-à-vis du covid (éviter le plus possible les contacts en intérieur avec les personnes non vaccinées), mais je ne vais ni renoncer à mes tours à moto, ni renoncer à mes balades en forêt, ni renoncer à voir ma mère (qui est maintenant vaccinée) : je vais plutôt chercher toutes les astuces pour contourner la police de ce régime hygiéniste de merde.

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