David Madore's WebLog: What Happened par Hillary Rodham Clinton

[Index of all entries / Index de toutes les entréesLatest entries / Dernières entréesXML (RSS 1.0) • Recent comments / Commentaires récents]

↓Entry #2472 [older| permalink|newer] / ↓Entrée #2472 [précédente| permalien|suivante] ↓

(mercredi)

What Happened par Hillary Rodham Clinton

Disons d'abord un mot sur l'avant-dernier livre que j'ai lu : Brexit, No Exit (Why (in the End) Britain Won't Leave Europe) de Denis MacShane. Juste pour dire que je ne le recommande pas du tout : je pensais trouver quelque chose du même type que le livre d'Ian Dunt sur le même sujet, que j'avais bien aimé, mais j'ai été très déçu. Ce n'est pas une question de contenu : le sujet est intéressant, et les opinions de Denis MacShane le sont aussi (et en tant qu'ancien ministre pour l'Europe de Tony Blair, il est bien informé) ; mais ce qui est lamentable, c'est l'organisation. J'ai rarement vu un livre (d'idées) aussi mal structuré : le plan semble superficiellement raisonnable, mais quand on y regarde de plus près, les chapitres ont l'air d'avoir été rangés au hasard dans un certain nombre de grandes parties, leur contenu n'a que très peu de rapport avec leur titre (par exemple, le chapitre qui s'intitule Why the euro will survive discute en long et en large des problèmes passés de l'euro — sans grand rapport avec le Brexit — et n'évoque pas la survie de la monnaie unique à l'avenir), l'auteur part dans des digressions, change de sujet au milieu d'un paragraphe, bref, c'est un peu le chaos.

Mais ce dont je veux parler dans cette entrée, c'est le livre de la candidate démocrate à la dernière élection présidentielle américaine, dans lequel elle revient sur cette élection et cherche à comprendre ce qui s'est passé. Je l'ai acheté sans en attendre grand-chose. Les quelques échos que j'en avais eus étaient du genre Hillary Clinton fait n'importe quoi pour continuer à exister (sous-entendu : elle devrait plutôt trouver une pierre, se cacher dessous, et ne plus jamais ouvrir la bouche), elle cherche à s'attirer une sympathie à laquelle elle a perdu tout droit, elle veut tirer de l'argent de son échec et/ou elle cherche toutes les excuses possibles imaginables pour expliquer son fiasco sans jamais se remettre en question ; j'ai quand même voulu me faire une opinion par moi-même. Disons tout de suite que ces jugements me semblent faux et injustes. J'ai trouvé le livre intéressant, très bien écrit, et vraiment agréable à lire.

Elle évoque différents sujets : son parcours personnel en politique, ses idées (sommairement), le déroulement quotidien de la campagne, les choix qu'elle a faits, ses hésitations et ses erreurs, les embûches qu'elle a trouvées sur son chemin, ses frustrations et incompréhensions, son ressenti personnel par rapport à Donald Trump et par rapport à l'élection, ses peurs et ses espoirs pour l'avenir, et ce qu'elle propose pour aller de l'avant.

Rien de tout ça n'est renversant ou complètement inattendu, mais elle expose[#] les choses avec beaucoup de clarté, le tout est très bien organisé (tout le contraire du livre de MacShane évoqué plus haut), elle fait bien comprendre ses idées et ses choix en même temps qu'elle nous fait partager ses craintes et ses joies. Qu'on soit ou non d'accord avec elle, avec ses opinions politiques ou avec son analyse post mortem de l'élection, je trouve difficile de ne pas lui reconnaître une profonde intelligence, une grande culture et une belle plume. (Le style n'a rien de recherché ou de sophistiqué : il est simple mais les mots sont justes.)

Si on cherche des critiques de ce livre en ligne, et surtout si on cherche des critiques écrites par des internautes (voir par exemple ici), on en trouve des piles qui disent soit elle a perdu, elle a tout gâché, je ne veux plus jamais entendre parler d'elle soit elle a volé la candidature à Bernie Sanders, je la déteste, soit enfin c'est une folle et elle mérite d'aller en prison, souvent combinés aux reproches que j'ai déjà cités plus hauts. Beaucoup viennent de gens n'ayant manifestement pas lu le livre (et certains le reconnaissent, ou ont posté avant la publication). Symétriquement, on trouve aussi beaucoup de gens qui déclarent que le livre est excellent juste parce qu'ils aiment bien son auteure ou parce qu'ils détestent les gens qui écrivent les critiques négatives (ou le nouveau président). C'est assez caricatural de ce que je racontais ici avant l'élection. Si on va fouiller dans les critiques qui n'accordent ni la meilleure ni la pire note[#2], c'est déjà plus intéressant.

Mais globalement, même en écartant les trolls manifestes, ce qui est fascinant, c'est à quel point les Américains (car je pense que c'est un phénomène très Américain) ont en horreur l'échec : au motif qu'elle a perdu une élection serrée, elle aurait perdu non seulement le droit d'être présidente (personne ne conteste ça) mais même celui d'ouvrir la bouche et presque celui d'exister ; or je pense le contraire, et pas seulement en suivant l'adage victrix causa diis placuit sed victa Catoni : les vaincus ont souvent beaucoup plus à nous apprendre sur les batailles que les vainqueurs, parce que les vaincus sont obligés de se remettre en question, et donc d'avoir une analyse plus poussée que j'ai gagné parce que j'étais le meilleur.

On peut certes légitimement reprocher à Hillary Clinton de ne pas assez se remettre en question. Il est indéniable qu'elle cherche d'autres causes à sa défaite que ses seules fautes de jugement. Mais il est tout simplement faux de dire qu'elle n'admet aucune erreur, ou qu'elle ne les analyse pas : simplement, elle le fait avec nuance, elle ne jette pas le bébé avec l'eau du bain (et elle ne brûle pas toutes ses opinions au motif que les Américains ont élu Trump), donc ceux qui s'attendaient à ce qu'elle s'auto-flagelle sur 500 pages vont assurément être déçus. Oui, elle accuse beaucoup Jim Comey, oui, elle pointe du doigt les trolls Russes et Poutine lui-même ; oui, elle fait des reproches à la presse et aux inconditionnels de Sanders ; oui, elle rappelle plus d'une fois qu'elle a gagné le « vote populaire » (= le plus grand nombre de voix) et que le fait qu'elle soit une femme est important ; si on ne veut pas entendre son point de vue sur tout ça, si on refuse qu'un perdant puisse se défendre ou défendre sa stratégie, ou si on ne supporte pas d'entendre une opinion avec laquelle on n'est pas d'accord pour commencer, il vaut mieux, en effet, ne pas ouvrir ce livre.

Personnellement, ce qui m'a agacé, ce sont plutôt les passages que j'ai trouvés un peu « exercice imposé » : où elle parle de ses petits-enfants ou de sermons religieux (pour plaire aux Américains, il faut parler de famille et de Dieu), ou quand elle essaie de « faire jeune » en invoquant Beyoncé. Il est incontestable que certains bouts du livre sont des exercices de comm'.

Ce que j'ai déjà trouvé plus intéressant, c'est quand elle décrit la manière dont la campagne s'organisait au jour le jour, par exemple la préparation des débats télévisés. C'est encore la façon dont elle parle de son attachement au réalisme en politique : c'est-à-dire de ne faire que des promesses qu'on peut raisonnablement espérer tenir ; et dont elle se demande quoi faire quand ses adversaires refusent ce principe. J'ai aussi trouvé bien vu qu'elle devine par avance les reproches qu'on fera au livre qu'elle est en train d'écrire, et dont elle y répond préventivement.

Les passages où elle parle de son expérience en tant que femme dans le monde de la politique américaine sont parmi ceux que j'ai trouvés les plus intéressants. Je n'avais aucun doute quant à la réalité du sexisme dans ce milieu ou contre elle en particulier, mais la manière dont elle en décrit certaines petites frustrations, par exemple le fait qu'elle soit obligée de consacrer beaucoup plus de temps à sa coiffure et à sa tenue que ses concurrents masculins, ou qu'une femme ne puisse jamais hausser la voix sous peine d'être catégorisée comme stridente alors qu'un homme peut gronder tout à loisir, m'a beaucoup plus marqué qu'une explication générale de principe. Ce qu'elle dit sur Eleanor Roosevelt, pour laquelle elle a beaucoup d'admiration, est aussi important.

Mais finalement, ce que j'ai trouvé le plus fort, ou en tout cas le plus sincère, c'est quand elle reconnaît franchement son désarroi. Devant la haine dont elle a fait l'objet, par exemple, ou la manière dont toutes ses actions pouvaient se faire interpréter comme faisant partie d'un sinistre complot ; ou devant sa propre incapacité à communiquer sur la notion de solidarité et sur l'importance de construire des ponts entre les personnes.

Je citerai simplement le passage suivant où elle s'exprime au sujet des angry Trump voters :

I went back to de Tocqueville. After studying the French Revolution, he wrote that revolts tend to start not in places where conditions are worst, but in places where expectations are most unmet. So if you've been raised to believe your life will unfold a certain way—say, with a steady union job that doesn't require a college degree but does provide a middle-class income, with traditional gender roles intact and everyone speaking English—and then things don't work out the way you expected, that's when you get angry. It's about loss. It's about the sense that the future is going to be harder than the past. […] Too many people feel alienated from one another and from any sense of belonging or higher purpose. Anger and resentment fill that void and can overwhelm everything else: tolerance, basic standards of decency, facts, and certainly the kind of practical solutions I spent the campaign offering.

Do I feel empathy for Trump voters? That's a question I've asked myself a lot. It's complicated. It's relatively easy to empathize with hardworking, warmhearted people who decided they couldn't in good conscience vote for me after reading that letter from Jim Comey… or who don't think any party should control the White House for more than eight years at a time… or who have a deeply held belief in limited government, or an overriding moral objection to abortion. I also feel sympathy for people who believed Trump's promises and are now terrified that he's trying to take away their health care, not make it better, and cut taxes for the superrich, not invest in infrastructure. I get it. But I have no tolerance for intolerance. None. Bullying disgusts me. I look at the people at Trump's rallies, cheering for his hateful rants, and I wonder: Where's their empathy and understanding? Why are they allowed to close their hearts to the striving immigrant father and the grieving black mother, or the LGBT teenager who's bullied at school and thinking of suicide? Why doesn't the press write think pieces about Trump voters trying to understand why most Americans rejected their candidate? Why is the burden of opening our heart only on half the country?

And yet I've come to believe that for me personally and for our country generally, we have no choice but to try. In the spring of 2017, Pope Francis gave a TED Talk. Yes, a TED Talk. It was amazing. This is the same pope whom Donald Trump attacked on Twitter during the campaign. He called for a revolution of tenderness. What a phrase! He said, We all need each other, none of us is an island, an autonomous and independent I, separated from the others, and we can only build the future by standing together, including everyone. He said that tenderness means to use our eyes to see the other, our ears to hear the other, to listen to the children, the poor, those who are afraid of the future.

Enfin, voilà, qu'on soit d'accord ou non avec Hillary Clinton sur tel ou tel sujet de fond, je pense que ça a de l'intérêt de l'écouter — à condition de ne pas faire de rejet épidermique.

(Quant au livre de Donald Trump, je n'ai pas besoin d'en écrire une critique : c'est le deuxième meilleur livre de l'Univers après la Bible, c'est lui qui l'a dit.)

[#] Je sais qu'il est de bon ton, à ce moment-là, de prendre un air désabusé et dire que c'est bien sûr un nègre qui a écrit le livre. Franchement, ça ne m'intéresse pas beaucoup de savoir dans quelle mesure c'est le cas, mais si on veut, on peut considérer que je suis un grand naïf qui m'imagine que la personne dont le nom figure sur la couverture est responsable de l'essentiel du texte ou du moins, de ses idées.

[#2] Quel que soit le sujet, je recommande toujours de faire ça. On élimine ainsi les trolls, les énervés, et les critiques payées ou automatiques, et on tombe sur les avis des gens intéressants, capables d'avoir un jugement nuancé.

↑Entry #2472 [older| permalink|newer] / ↑Entrée #2472 [précédente| permalien|suivante] ↑

[Index of all entries / Index de toutes les entréesLatest entries / Dernières entréesXML (RSS 1.0) • Recent comments / Commentaires récents]