Les médias ont assez largement
relayé un
appel signé par
des intellectuels
[#]
demandant que l'histoire-géographie ne soit pas reléguée au rôle de
matière optionnelle en terminale scientifique (comme il est prévu de
le faire dans une quarante-douzième réforme du lycée).
L'ironie de cet appel, bien sûr, c'est que la physique et la
biologie sont depuis bien longtemps complètement absentes (même sous
forme optionnelle, je crois) dans les terminales littéraires :
les intellectuels
dont on parle ne semblent pas s'en être
beaucoup émus. Pas plus qu'ils ne semblent s'émouvoir de la
disparition, parallèle, de l'enseignement obligatoire des
mathématiques dans ces mêmes terminales littéraires.
Chacun prêche pour son clocher ? C'est surtout très
caractéristique, je trouve, du mépris puant qu'ont pour les matières
scientifiques cette catégorie d'intellectuels
qui considèrent
que les matières littéraires sont les matières nobles, celles qui
forment le bon citoyen, alors que les matières scientifiques, malgré
ou plutôt à cause de l'importance qui leur est donnée pour
sélectionner
les élites
[#2], sont juste
des techniques bonnes à servir les ingénieurs.
Qu'on juge un peu par les citations qu'on peut relever dans cet
article : Quels citoyens voulons-nous pour demain ?
(s'interrogent-ils) ; selon Madame Carrère d'Encausse, l'absence
d'enseignement d'histoire-géographie dans aux terminales
scientifiques les priverait de la culture générale la plus
élémentaire qui forme l'entendement des citoyens
; le président de
l'association des professeurs d'histoire-géographie déplore : Trop
d'élèves seront privés d'un enseignement indispensable à leur culture
générale. […] Dans une vision utilitariste de la société, tout
enseignement qui ne débouche pas sur un métier concret est mal vu.
Je souscrirais volontiers à la lamentation de cette dernière phrase,
si le contexte ne rendait pas évident le dédain affiché, par
contraste, pour les matières scientifiques : qui seraient
utilitaristes, qui feraient moins partie
de la culture générale la plus
élémentaire[#3], qui ne
formeraient pas autant l'entendement des citoyens.
Moi aussi je peux jouer à ce genre de phrases méprisantes pour montrer que ma matière elle est Vachement Importante :
Anyone who cannot cope with mathematics is not fully human. At best he is a tolerable subhuman who has learned to wear shoes, bathe, and not make messes in the house.— Robert A. Heinlein (Time Enough for Love)
Plus sérieusement, je suis d'accord que c'est bien dommage qu'on supprime l'enseignement obligatoire de l'histoire-géo en terminale scientifique. Néanmoins, s'il y a une chose que je reconnais, c'est mon ignorance en matière de pédagogie à ce niveau : je n'ai aucune idée sur la bonne façon de concevoir un système éducatif et un ensemble de programmes au niveau du lycée, et le problème de transformer des djeunz écervelés en citoyens responsables ressemble à la quadrature du cercle, alors je m'abstiendrai de donner des leçons et, en tout cas, je conçois très bien qu'il faille faire des compromis douloureux. Celui de ne pas avoir d'histoire-géo obligatoire en terminale scientifique est certainement douloureux, mais pas moins que celui de ne pas avoir depuis longtemps ni physique, ni biologie, dans les terminales littéraires : on semble avoir bien digéré ce dernier, donc on devrait peut-être avaler l'autre pilule avec la même tristesse résignée.
Ajout (2009-12-07T18:30+0100) : L'argument suivant
me semble sensé : il est dommage que la filière S se spécialise
trop vers les sciences, car actuellement la filière L est trop
spécialisée vers les lettres et exclut complètement des débouchés
scientifiques, donc ceux qui veulent se garder des portes ouvertes au
niveau du bac peuvent encore faire S
. Je n'ai pas vraiment d'avis
sur le fond : il est peut-être dommage que la filière L soit trop
spécialisée, ou peut-être au contraire que la S ne le soit pas assez,
ou que les gens accordent trop de crédit aux matières scientifiques
pour les débouchés ultérieurs — pour ma part, je n'en sais rien,
mais l'argument est au moins recevable, je ne me prononce pas plus à
son sujet. Je dis juste que la façon dont certains ont défendu
l'enseignement de l'histoire-géographie en terminale S dans une
pétition bien précise sont assez puants de mépris.
[#] Vous avez remarqué
que, pour les journalistes français, un intellectuel
, c'est un
écrivain, un philosophe, un historien, un humaniste — mais
certainement pas un chercheur en informatique !
[#2] Il va de soi que je trouve ça tout aussi stupide.
[#3] Je serais curieux, comme ça, de savoir si Mme Carrère d'Encausse a des idées, disons, sur le fonctionnement d'Internet, sur la taille de l'Univers, sur la composition d'une cellule eukaryote ou sur le principe du moteur à explosion, qui soient moins naïve que celles d'un élève moyen entrant en terminale scientifique sur la seconde guerre mondiale. Malheureusement, on n'apprend jamais la réponse à ce genre de questions.