David Madore's WebLog: Comment sont vraiment les lycées américains ?

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(lundi)

Comment sont vraiment les lycées américains ?

Hier mon poussinet et moi avons vu The Perks of Being a Wallflower (traduit en français par Le Monde de Charlie, ce qui est nettement moins poétique). Le film est assez bon, et plutôt touchant, quoique convenu, et je le recommande ; mais ce n'est qu'obliquement que je vais en parler ici (je risque de spoiler un peu, mais juste un petit peu).

Il semble que tous les films américains que j'aie vus qui se passent — au moins partiellement — dans un lycée montrent presque exactement la même vision du lycée, et des rapports entre les lycéens. Parmi les incontournables :

  • l'équipe de football américain (ou plus rarement, de basket ou de lacrosse) qui joue un rôle central dans l'identité du lycée, et dont le coach a une autorité au moins comparable aux profs ;
  • la notion d'élèves populaires (popular kids), souvent les stars de l'équipe de foot sus-mentionnée, avec qui tout le monde veut être amis, et qui sont au sommet d'une sorte de pyramide de popularité (le héros du film étant souvent tout en bas de cette pyramide et va devoir se battre contre l'ordre établi) ;
  • l'importance de l'endroit où on peut s'asseoir à la cantine (cafétéria) du lycée (apparemment on ne s'asseoit pas un peu au pif, il faut plus ou moins être invité à s'asseoir à côté d'Untel ou Untel, et il y a des clans très fermés qui se dégagent à partir de ça) ;
  • le harcèlement (bullying) dans lequel les adultes ne semblent jamais intervenir ;
  • la manière extrêmement codifiée dont fonctionnent les relations entre garçons et filles (aka, the date) ;
  • les rituels immuables qui rythment l'année scolaire (comme homecoming), dont le plus important et le plus incontournable est le bal de fin d'année, où un enjeu majeur est de trouver un partenaire de danse avant le jour fatidique.

Je ne parle pas des cours eux-mêmes où le prof ne semble jamais enseigner quoi que ce soit, et où la sonnerie retentit toujours au moment opportun, c'est clairement une loi du genre (en revanche, je suis curieux de savoir si les élèves quittent effectivement leur chaise à l'instant où la sonnerie retentit).

Évidemment on s'attend à ce que beaucoup de choses soient déformées ou exagérées. Les fictions le font souvent, et par exemple la représentation des ordinateurs ou de la sécurité informatique dans un film hollywoodien a à peu près autant de rapport avec la réalité de ces choses que Bambi a avec un documentaire animalier ; mais d'un autre côté, tout le monde a été au lycée, alors que tout le monde ne sait pas (vraiment) comment fonctionne un ordinateur, donc on ne s'attend pas à autant d'erreurs qui rendraient la chose complètement invraisemblable au spectateur lambda. Je me méfie donc de l'idée de disqualifier quelque chose comme un cliché évident : après tout, aussi incroyable que cela semble, le phénomène des demandes en mariage (toujours par l'homme à la femme dans un couple hétérosexuel) en offrant par surprise une bague avec un diamant, bref, le cliché ultime en la matière, d'ailleurs inventé par la De Beers pour vendre ses pierres, ce phénomène est réel (ou du moins, il n'est pas complètement inventé).

Et il y a des choses qui sont incontestablement vraies dans ma liste : concernant les relations entre garçons et filles, pour trouver une analyse un peu plus vraie et plus intéressante que le regard posé par le cinéma américain lui-même, j'ai par exemple cette interview (traduite en français ici) du sociologue Peter Bearman sur des sujets apparentés. Je trouve très intéressant ce qu'il dit par exemple sur the date :

Those kids, then 15 to 18 in high school, have the most phenomenally normative orientation to relationships than you can imagine. If you give them as we did, cards and ask them to order their ideal relationship, what in the ideal would you like to have happened next year. The order starts off with going out with a group, meeting the parents, maybe holding hands, exchanging presents, kissing, then another affective demonstrations saying I love you, getting an I love you back, touching underneath the clothes. This is really an ordered progression to sexual behavior. It is incredible and it is uniform. It is not just that school, it is pretty much uniform across the culture. Obviously there are some kids who have a different model. The boys have a slight preference to have physical encounters before social encounters. Girls would like to have affective, communication before sex, but these are really tiny marginal differences. So the incredible thing about American kids and actually something people really do not get, is how normative they are. […]

So I think the trick to understanding the date is the puritanical culture that is America. In Europe, boys and girls in high schools interrelate with each other, you do not have the same incredible sex-segregation of friendship groups and in relation, in just hanging around. And there is not this kind of organic set of opportunities for boys and girls to bump into each other, hanging out at the beach, to go shopping together, to do things that they do in their every day life. So the date is the liminal, abstractive moment from every day life for couples. It is the falsity of the activity that makes the date real. So the date is the bringing together of the stranger, the people on the other side do something together that they would not ordinarily do in their every day life. Even the most mundane thing, like going to MacDonald's which they might do all the time by themselves, becomes sacred by virtue of its bringing together the two sexes. That is why you do not have dates and we have dates.

De même, je soupçonne que l'homophobie, ou plus généralement le harcèlement de ceux qui ne rentrent pas dans le moule, ne sont pas complètement inventés (ne serait-ce que parce qu'il y a des tentatives pour y mettre fin) ; et ce sont certainement des phénomènes qui ne sont pas limités aux États-Unis, mais la forme qu'ils y prennent, si on en croit le reflet que l'industrie du cinéma en donne, est sans doute différente de celle qu'elle a en Europe (ou du moins en France).

Maintenant, pourquoi ne pas juste demander leur avis sur la question à des gens qui ont été au lycée aux États-Unis ? Parce que quand on le fait, on obtient des réponses largement contradictoires, entre cette vision que montre le cinéma est complètement fausse et c'est absolument la vérité. Certainement entre autres parce qu'il y a une grande diversité au sein du pays, on ne s'attend pas à ce que tous les lycées se ressemblent ou que tous les lycéens aient la même expérience de leurs années lycée. Mais il y a aussi sans doute ceci que, même si deux personnes ont eu exactement la même expérience, il se peut qu'on leur en montre un résumé et que l'un le juge tout à fait correct tandis que l'autre le trouvera faux : tout simplement parce que la mémoire retient des choses différentes comme plus ou moins importantes, et aussi qu'on ne jugera pas forcément avec la même sévérité une approximation sur telle ou telle chose. Par exemple, concernant le film français Entre les murs, certains de mes amis profs ont dit qu'il était très juste et d'autres qu'il était grossièrement exagéré — alors qu'on peut soupçonner qu'ils ont des expériences assez proches, c'est juste leur jugement sur le portrait qui diffère (par exemple, concentrer la réalité pour la résumer dans le temps imparti peut donner une impression d'exagération forcée ou au contraire de réalité accrue).

Ajout : On me signale cette réflexion dans un commentaire, que je trouve très intéressante ; j'aime beaucoup, notamment, la comparaison avec la cour de Louis XIV.

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