David Madore's WebLog: Le Club contexte et le Gouvernement

[Index of all entries / Index de toutes les entréesLatest entries / Dernières entréesXML (RSS 1.0) • Recent comments / Commentaires récents]

↓Entry #2047 [older| permalink|newer] / ↓Entrée #2047 [précédente| permalien|suivante] ↓

(jeudi)

Le Club contexte et le Gouvernement

Mon influence auprès des grands de ce monde est telle que j'ai réussi à ne pas être nommé Premier ministre ni à un poste quelconque au gouvernement (ni en France ni, d'ailleurs, en Grèce, ce qui aurait été encore bien plus catastrophique). Puisque je suis, donc, totalement rassuré sur mon sort, je reste à mes fonctions de directeur exécutif ex officio, secrétaire général pro tempore, administrateur ad hoc et semper fidelis du Club contexte qui noyaute la République de l'intérieur, et je vais vous parler des étiquettes gouvernementales.

Le fait que la Constitution de la Ve République française a été écrite sous l'influence du Club contexte se voit assez nettement quand on compare l'article 15 (Le Président de la République est le chef des armées), l'article 21 (Le Premier ministre […] est responsable de la défense nationale) et l'article 20 (Le Gouvernement […] dispose […] de la force armée) : quelqu'un de très fort a réussi à trouver des termes dont on ne peut pas dire qu'ils sont explicitement contradictoires, mais dont il soit néanmoins impossible de savoir exactement comment ça se fait qu'ils ne se marchent pas sur les pieds. Ce quelqu'un a dû prendre des cours dans ces administrations ou organisations qui sont capables d'avoir simultanément un président, un directeur exécutif, un secrétaire général, un administrateur en chef et pourquoi pas un grand mamamouchi sans qu'on sache comment ces fonctions interagissent.

Mais les choses avaient déjà bien commencé auparavant. La IIIe République avait donné (le 31 août 1871, par la loi Rivet) à Thiers le titre de président de la République parce qu'il était mécontent de celui de chef du pouvoir exécutif (concéder ce titre n'a pas empêché l'Assemblée, à majorité monarchiste, d'encadrer strictement la manière dont le président pouvait s'adresser à elle, dans ce que Thiers a qualifié de cérémonial chinois et dont l'absurdité subsite jusqu'à maintenant). Mais qui est, au juste, le chef du Gouvernement ? Il était prévu que ce fût le président de la République ; il devait avoir un adjoint : un décret du 2 septembre 1871 prescrit : Le Président de la République, en cas d'absence ou d'empêchement, délègue à l'un des ministres le droit de convoquer le conseil et de le présider. Le ministre délégué portera le titre de Vice-président du Conseil des ministres. Et de fait, jusqu'en mars 1876, sous les présidences de Thiers et MacMahon, c'est ce titre de vice-président du Conseil des ministres (le seul mentionné par les lois constitutionnelles de 1875) qui a été porté par Dufaure, de Broglie, de Cissey et Buffet ; puis, le 9 mars 1876, suite aux élections législatives ayant donné une majorité à la gauche républicaine, Dufaure revient avec cette fois le titre de président du Conseil (qui avait existé sous la Restauration et la Monarchie de Juillet, et disparu en 1849), et qui sera utilisé jusqu'à la fin de la IIIe et sous la IVe Républiques. Thiers avait démissionné en 1873 n'ayant pas pu s'entendre avec une Chambre royaliste, MacMahon démissionne en 1879 faute de pouvoir soumettre une Chambre républicaine : désormais, ce sera le président du Conseil le véritable chef du Gouvernement… même si c'est le président de la République qui formellement préside le Conseil [des ministres]. Le Club contexte salue toutes ces péripéties, donc.

Comme il n'était au départ qu'un ministre parmi d'autres (délégué, si on en croit le décret de 1871 cité ci-dessus, à remplacer le président de la République en cas d'absence ou d'empêchement), le président du Conseil avait, sous la IIIe République presque toujours et sous la IVe parfois, un portefeuille ministériel : généralement les Affaires étrangères (fréquent en 1879–1893 puis à partir de 1913 pour des raisons évidentes, voire la Guerre) ou l'Intérieur, parfois un autre (Finances, Justice, et pour Jules Ferry on sait que ça a été l'Instruction publique). Le premier président du Conseil sans portefeuille, fut Poincaré en 1928, et c'est devenu commun avec le Front populaire (Blum en 1936 était président du Conseil sans portefeuille) : à ce moment-là, on se remit à avoir aussi un vice-président du Conseil, avec un portefeuille (commençant en 1936 avec Daladier, à la Défense nationale et à la Guerre). Sous les gouvernements pléthoriques de la IVe République, il pouvait y avoir un président du Conseil sans portefeuille, plusieurs vice-présidents du Conseil eux aussi sans portefeuille, voire aussi plusieurs ministres d'État sans portefeuille (destinés à faire entrer au gouvernement toute la coalition au pouvoir), mais il arrivait quand même que le président du Conseil garde un portefeuille (comme Mendès-France, les affaires étrangères en 1954) : ce n'était plus la norme, mais ce n'était pas rare. Avec la Ve République, cette pratique est devenue l'exception (il n'y a eu que Barre, et encore, seulement jusqu'en 1978), je suppose qu'on peut dire qu'elle a complètement disparu sauf peut-être pour assurer un intérim (Bérégovoy a été brièvement ministre de la Ville en 1992 pour remplacer Tapie).

Il est par ailleurs intéressant de s'attarder sur le titre de président du Conseil et ses différents équivalents. L'Italie a aussi un presidente del Consiglio [dei ministri], tandis que l'Espagne a un président du gouvernement : presidente del Gobierno. L'Allemagne a, comme on le sait bien, un Chancelier [fédéral] ([Bundes]kanzler) — enfin, en ce moment, une Chancelière (Kanzlerin : je note d'ailleurs qu'ils ont pris le domaine bundeskanzlerin.de, ce qui est un peu idiot parce qu'on se demande ce qu'il va se passer le jour où ce sera de nouveau un homme ; ils auraient pu utiliser simplement le nom de Chancellerie fédérale, Bundeskanzleramt) : je ne vais pas rappeler le contexte des différents régimes qu'a connus l'Allemagne, c'est un peu compliqué, mais sous le Saint-Empire, le Chancelier de l'Empire, ou Archichancelier (parce que l'Empereur ne saurait avoir en ses princes électeurs que des archiserviteurs, par exemple un Archiéchanson — en la personne du roi de Bohême — pour lui servir le l'archi-vin, ou un Archimaréchal — en la personne du duc de Saxe — pour conduire ses archi-armées) était un titre partagé entre les archevêques de Mayence et de Cologne, respectivement sur les territoires d'Allemagne et d'Italie ; on va dire que c'est une sorte d'archinotaire (s'occupait-il des archi-ves de l'Empire ?). L'Autriche aussi a un Chancelier à la tête de son gouvernement (et la Suisse a aussi un Chancelier fédérale, qui d'ailleurs est aussi une Chancelière, mais il ne fait pas partie du Gouvernement, en l'espèce le Conseil fédéral, ou du moins, n'y a pas le droit de vote). Mais les Länder allemands — à l'exception de Berlin, Hambourg et Brême — ont à leur tête un poste dont le nom est semblable à celui de président du Conseil : Ministerpräsident (comprendre : ministre-président, au sens de président du Conseil des ministres du Land) ; c'est aussi le titre des chefs de l'exécutif des régions et communautés de Belgique, et aussi du royaume des Pays-Bas (mais pas des Länder autrichiens).

Mais ce sont nos amis les Anglais qui sont incontestablement les maîtres du Club contexte, avec leur constitution non écrite qui accumule les organes vestigiaux tels que le cœlacanthe passerait pour un symbole de modernité. Le Royaume-Uni, donc, a à la fois un président du Conseil (le Lord President of the [Privy] Council) et non pas un mais deux chanceliers (le Lord [High] Chancellor, et le chancelier de l'Échiquier ou Chancellor of the Exchequer), et aucun des trois n'est le chef du Gouvernement. La raison est que le Royaume-Uni tend à fabriquer des postes constitutionnels nouveaux à partir de ceux qui existent déjà, et ne supprime jamais vraiment des postes : comme le Saint-Empire avec ses archiserviteurs, le Royaume-Uni a un certain nombre de grands officiers, c'est-à-dire des fonctions officielles de l'État, dont certaines sont tombées en désuétude (il n'y a plus de Lord Grand Intendant du Royaume-Uni), d'autres ont été scindées (il n'y a plus un Lord Grand Trésorier, mais deux Lords du Trésor, le premier étant le Premier ministre et le second étant le chancelier de l'Échiquier), et encore d'autres sont devenues des titres plus ou moins automatiquement liés à certaines fonctions ministérielles (de même qu'en France le ministre de la Justice est également Garde des sceaux et garde effectivement le Grand Sceau de France). De même, l'ensemble du Gouvernement de Sa Majesté a une existence en tant que Cabinet, c'est-à-dire un des comités constituant le Conseil privé (Privy Council) du souverain ; c'est de ce Conseil privé qu'est formellement président le Lord Président du Conseil, mais de nos jours ce titre semble ne plus avoir une autre fonction qu'honorifique pour accompagner un ministère important (le titulaire est le vice-premier ministre Nick Clegg). Le Lord Chancelier et gardien du Grand Sceau du Royaume-Uni est ministre de la Justice, et, jusqu'à ce que des réformes récentes (effectuées notamment sous la pression de la Cour européenne des droits de l'Homme qui n'appréciait pas trop que la Chambre des Lords mélange des fonctions de pouvoir législatif, exécutif et judiciaire[#]), il cumulait aussi des fonctions à la chambre des Lords et des fonctions judiciaires.

Mais le chef du Gouvernement de Sa Majesté n'est ni le Lord Chancelier ni le Lord Président du Conseil, c'est le Premier ministre (Prime Minister) : un titre qui pendant longtemps n'a même pas existé officiellement, le titre vraiment officiel étant alors, comme je l'ai dit, celui de premier Lord du Trésor (First Lord of the Treasury), et c'est d'ailleurs sous cette fonction-là que le chef du Gouvernement occupe actuellement la résidence du 10 Downing Street à Londres. Il y a pu avoir jusqu'au 19e siècle quelque flottement sur l'équation entre Premier ministre et premier Lord du Trésor, mais elle est maintenant bien établie (ainsi que celle entre second Lord du Trésor et chancelier de l'Échiquier).

Le français ne permet pas la distinction entre Prime Minister et First Minister, mais les deux existent, et les Premiers ministres d'Écosse, du pays de Galles, et d'Irlande du Nord s'appellent First Minister. Pour donner encore plus de contexte, les chefs du gouvernement des différentes provinces canadiennes s'appellent Premier en anglais, ce qui est toujours Premier ministre en français, mais le terme anglais diffère donc de celui (Prime Minister) utilisé pour le Premier ministre de l'État fédéral du Canada.

Voilà pour le chef du Gouvernement. Ne croyez pas que l'œuvre du Club contexte s'arrête là.

Prenons les rangs ministériels : en France, l'ordre protocolaire suit l'ordre du décret de nomination du gouvernement, et on trouve essentiellement les rangs suivants : ministre d'État, ministre, ministre délégué, secrétaire d'État, sous-secrétaire d'État. Cette liste est un peu artificielle : il semble que les ministres délégués soient apparus après que les sous-secrétaires d'État avaient complètement disparu. Et rien n'oblige un gouvernement à faire usage de ces rangs : le gouvernement nommé hier ne compte pas de ministre d'État (uniquement des ministres et des ministres délégués), et je crois comprendre que l'intention est de ne pas nommer de secrétaires d'État non plus ; on peut aussi innover, par exemple Martin Hirsch avait été nommé Haut-commissaire dans le gouvernement de François Fillon, j'imagine qu'un président et un Premier ministre facétieux pourraient ajouter des titres comme Grand Argentier de France pour le ministre des finances et Chancelier de France pour le ministre de l'Économie, ce n'est pas plus ridicule que Garde des sceaux… Ou encore créer des délégué extraordinaire, chargé de mission spécial, vizir, etc. : ça ne prêterait pas plus à rire qu'un ministère du redressement productif (exemple choisi complètement au hasard). La différence entre ministre d'État et ministre semble être uniquement honorifique ; celle entre ministre et ministre délégué vient de ce que le ministre délégué ne dispose pas d'un véritable portefeuille ministériel (avec des départements) mais seulement d'une autorité subordonnée à celle d'un ministre de plein exercice (qui peut être le Premier ministre). Enfin, les secrétaires d'État n'assistent pas, en principe, au Conseil des ministres, mais j'imagine que celui-ci est convoqué spécialement à chaque fois donc qu'il n'y a aucune règle absolue. De toute façon, tout dans la composition du Gouvernement dépend de calculs politiques, de sensibilités à flatter et de messages à envoyer : je disais plus haut que sous la IVe République on a vu des ministres d'État sans portefeuille (sans portefeuille étant ici au sens fort, c'est-à-dire non seulement sans départements ministériels affectés mais même sans intitulé précis), dont le seul rôle semblait être d'assurer que la coalition parlementaire soutenant le Gouvernement fût reflétée dans celui-ci. Ça devait être assez reposant, d'être ministre d'État sans portefeuille : pour le coup, je pense que je ne refuserais pas.

Si en France les ministres (et a fortiori les ministres d'État) sont au-dessus des secrétaires d'État, c'est le contraire au Royaume-Uni : un Minister of State est en-dessous d'un Secretary of State, ce dernier étant le titre usuel d'un ministre du gouvernement du Royaume-Uni qui n'a pas un titre spécial, ou en plus d'un titre spécial. Soit dit en passant, il y a actuellement au Royaume-Uni une ministre d'État sans portefeuille (la baronne Sayeeda Warsi). Les sous-secrétaires d'État parlementaires sont encore en-dessous (et ne font pas partie du Cabinet).

Dans le genre, ce que je trouve le plus rigolo au Royaume-Uni, et qui bat largement le coup du ministre d'État sans portefeuille, ce sont les postes de Steward of the Chiltern Hundreds et Steward of the Manor of Northstead : en effet, on n'a pas le droit de démissionner de la Chambre des Communes, alors on a trouvé un artifice juridique pour le faire quand même, c'est de nommer ceux qui veulent démissionner à un poste complètement pipo (quoique réel), ou en fait deux en alternance, qui ont pour vertu d'être incompatibles avec le mandat de membre des Communes.

Ajout () : Parmi les postes bizarres du gouvernement britannique (que je ne connaissais pas en écrivant le reste de cette entrée), et pour faire encore un chancelier qui ne soit ni le Lord Chancelier ni le Chancelier de l'Échiquier, il y a le titre ridicule de Chancelier du duché de Lancastre, à l'origine chargé de l'administration du duché de Lancastre (un domaine privé du souverain britannique), mais devenu maintenant une sinécure et le nom d'une sorte de ministre sans portefeuille.

Aux États-Unis (où le président est également chef du Gouvernement, et où les ministères ne peuvent être modifiés que par une loi), une seule personne porte le titre de secrétaire d'État (Secretary of State), c'est le ministre chargé des affaires étrangères (actuellement Hillary Clinton), les autres ministres ayant le titre de secrétaire (Secretary), à l'exception du ministre de la Justice qui est appelé Attorney General (Procureur général ?) ; il y a cependant des gens qui ne font pas partie du Cabinet et n'ont pas le titre de Secretary mais qui ont en pratique un rang semblable à celui de ministre (et ne dépendent que du président), par exemple Administrator of the Small Business Administration.

Si on veut trouver des titres amusants aux États-Unis, on peut chercher à l'intérieur des administrations : par exemple, dans le ministère de la Justice, au-dessous du Attorney General, il y a un Deputy Attorney General, un Associate Attorney General, plusieurs Assistant Attorney General, plusieurs Deputy Assistant Attorney General parmi lesquels un Principal Deputy Assistant Attorney General, et il y a aussi parfois un Principal Deputy Associate Attorney General (mais pas en ce moment), et n'oublions pas le Solicitor General et toutes sortes d'autres jeux combinatoires sur le même thème.

Revenons de nouveau en France. Un autre domaine où le Club contexte peut exercer son pouvoir, c'est les étiquettes données aux actes juridiques. Il y a moins de fantaisie dans le domaine que dans les étiquettes des personnes que j'ai citées ci-dessus, et surtout que par le passé : on ne fait plus de nos jours d'édits, de sénatus-consulte, de rescrits ou de ces autres noms pittoresques qui eurent servi par le passé, plus guère de décrets-lois, et pas tellement d'ordonnances ; le Conseil constitutionnel rend des décisions, les tribunaux qui portent le nom de cour (plus la section du contentieux du Conseil d'État, et le Tribunal des Conflits) rendent des arrêts, et les autres tribunaux des jugements, et il doit y avoir aussi un certain nombre d'institutions qui émettent des avis, délibérations ; en droit européen, il existe des directives et des règlements communautaires ; le parlement vote des lois (organiques ou simples) et ratifie les traités internationaux préalablement signés, et le pouvoir exécutif prend des décrets, arrêtés, circulaires, instructions, notes de service. Je crois avoir à peu près tout listé. Les circulaires, instructions et notes de service (la distinction de nom semble assez arbitraire) servent uniquement à informer les services de l'Administration sans pouvoir créer de droit (autre qu'interne). La distinction entre décret et arrêté, en revanche, est plus intéressante, d'autant que les livres de droit que j'ai trouvés sont assez obscurs sur cette question.

Les décrets eux-mêmes sont subdivisés en décrets en Conseil d'État (ce qui signifie en fait, pris après avis du Conseil d'État), décrets en Conseil des ministres (signés du président de la République mais soumis à contreseing ministériel), et décrets simples, les arrêtés étant hiérarchiquement inférieurs à tous ceux-ci. On explique généralement que le président de la République et le Premier ministre prennent des décrets alors que les autres ministres (ainsi que les préfets, maires, etc.) prennent des arrêtés. C'est sans doute globalement vrai, mais c'est simplifié. Par exemple, le JO d'aujourd'hui (17 mai 2012) liste, pour le règlement pris par le Premier ministre, à la fois un décret et deux arrêtés, tous deux portant délégation de signature : le décret donne délégation à M. Serge Lasvignes, secrétaire général du Gouvernement, à l'effet de signer, au nom du Premier ministre, tous actes, arrêtés, circulaires et décisions, à l'exclusion des décrets (et idem pour ses adjoints) ; les arrêtés (1 et 2) donnent délégation à M. Christophe Chantepy, directeur du cabinet du Premier ministre pour l'un et à M. Jean-Pierre Guérin, chef de cabinet du Premier ministre (le Club contexte tient à saluer bien bas la distinction entre un directeur de cabinet et un chef de cabinet) pour en gros la même chose. Donc apparemment non seulement le Premier ministre prend bien parfois des arrêtés, mais en plus il délègue à d'autres gens le pouvoir de les signer, et d'ailleurs dans certains cas il le délègue par décret et dans d'autres cas, justement, par arrêté (alors que ça a l'air d'être exactement le même genre de choses). Est-ce juste une façon de dire que le secrétaire général du Gouvernement est quelqu'un de plus important qu'un directeur/chef de cabinet du Premier ministre ? A contrario, les ministres autres que le Premier ministre prennent normalement des arrêtés, et je crois comprendre que parfois ils prennent des décrets dans des cas explicitement prévus par la loi ou par d'autres décrets (cas trouvé par hasard dans Google, le décret nº63-1104 du 30 octobre 1963 relatif au régime d'allocations viagères des gérants de débits de tabac, précise que le taux de cotisation des gérants peut être modifié par décret du ministre chargé du budget, alors que d'autres choses sont fixées par arrêté : la valeur d'achat du point et la valeur de service du point sont fixées chaque année par arrêté du ministre chargé du budget). La logique est sans doute simplement que si un texte juridique supérieur (la Constitution, une loi, un décret) prévoit un certain type de règlement, c'est ce qui sera pris, et si le règlement est autonome ce sera normalement un décret s'il est pris par le Premier ministre ou un arrêté s'il est pris par un autre ministre (le président ne peut, si je comprends bien, prendre des décrets que dans un petit nombre de cas prévus par la Constitution) ; quant à la logique qui préside au fait que la norme supérieure prévoie un décret en Conseil d'État, un décret en Conseil des ministres, un décret simple, ou un arrêté, c'est sans doute lié à l'importance de la mesure envisagée et au degré de réflexion juridique qu'on veut lui imposer (un décret en Conseil d'État ne risquera pas risquera moins d'être annulé par le Conseil d'État ; un décret ne peut pas être pris par délégation de signature).

Ajout () : Comment ai-je pu, en écrivant cette entrée, oublier de parler de l'Union européenne ? Par exemple, l'Union européenne a un Conseil [de l'Union européenne] et un Conseil européen, qui se ressemblent beaucoup et ont essentiellement le même logo, mais ne sont pas la même institution, et qui n'ont par ailleurs rien à voir avec le Conseil de l'Europe ; voir cette entrée. Mais ce n'est pas tout ! L'Union européenne est régie par deux principaux traités, qui s'appellent, de façon inimaginablement « contextuelle », le Traité sur l'Union européenne et le Traité sur le Fonctionnement de l'Union européenne (et dont les articles ne sont pas numérotés de façon disjointe, comme pour maximiser la confusion). Je pourrais aussi mentionner la Cour de justice de l'Union européenne, institution regroupant plusieurs tribunaux dont l'un s'appelle la Cour de justice (non, ce n'est pas une blague : la Cour de justice [de l'Union européenne] fait partie de, mais n'est pas identique à, la Cour de justice de l'Union européenne ! — celui qui a eu cette idée mérite vraiment une médaille).

[#] Je tire cette information d'un article de Lord Mance (membre de la nouvelle Cour suprême du Royaume-Uni) sur la constitution non écrite du Royaume-Uni, et qui décrit ainsi la réforme de section d'appel judiciaire la chambre des Lords (je recopie tout le passage parce que le lien est cassé au moment où j'écris) : The Lord Chancellor had for centuries occupied a central, although anomalous, position at the cusp of the three arms of state. He was a member of the Cabinet, Speaker of the legislative House of Lords, and Head of the English and Welsh Judiciary able to sit in and entitled to chair the Appellate Committee of that House. In Gilbert and Sullivan's Iolanthe, the Lord Chancellor enters, singing The Law is the true embodiment of everything that's excellent. It has no kind of fault or flaw. And I my Lords embody the Law. He was largely responsible for judicial appointments, though acting on advice and in accordance with increasingly formalised procedures. He was responsible for judicial conduct and discipline, although increasingly in conjunction with the day-to-day chief justices of the three United Kingdom jurisdictions, England, Scotland and Wales. The Strasbourg authorities were starting to focus on the anomalies of his position. Influential voices had also suggested that the Law Lords, although consisting of experienced judges and operating entirely non-politically, might be better understood if constituted into a separate Supreme Court.

↑Entry #2047 [older| permalink|newer] / ↑Entrée #2047 [précédente| permalien|suivante] ↑

[Index of all entries / Index de toutes les entréesLatest entries / Dernières entréesXML (RSS 1.0) • Recent comments / Commentaires récents]