David Madore's WebLog: Quelques réflexions sur le mariage de couples de même sexe

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(lundi)

Quelques réflexions sur le mariage de couples de même sexe

Le 4 novembre, les Américains ne voteront pas seulement pour élire (ceux qui éliront) leur président et plein d'autres gens (le tiers de leurs sénateurs, tous leurs représentants et un certain nombre de gouverneurs) : il y a également des referenda locaux. Dans plusieurs États (au moins la Californie, la Floride et l'Arizona), cette année, une proposition est mise aux voix d'amender la constitution (de l'État en question) pour faire interdire le mariage des couples de même sexe. La proposition en Californie (connue sous le nom de Proposition 8) a sans doute le plus attiré l'attention puisqu'elle vise spécifiquement à rendre caduque une décision de la Cour suprême de l'État datant du 2008-05-15 et interprétant la constitution de l'État comme impliquant le droit de se marier pour les couples de même sexe. Avant de lire plus loin, on peut regarder les arguments des partisans et des adversaires[#] de l'amendement. Actuellement, les sondages semblent donner un très léger avantage au non (c'est-à-dire pour maintenir la constitution comme elle est, i.e., ne pas interdire le mariage de couples du même sexe), mais on ferait mieux de ne pas trop parier dessus.

Laissant de côté la question de l'adoption (mise à jour : voir l'entrée suivante), qui appartient sans doute à l'avenir (et qui concerne peu de gens, finalement), le combat contre le droit au mariage des couples de même sexe est indiscutablement un combat d'arrière-garde. Je veux dire, dans un sens purement objectif : ce droit finira par être conquis dans tous les pays où les droits de l'homme sont généralement respectés. Notamment, je n'ai aucun doute sur le fait qu'il arrivera en France, qui n'est pas sociologiquement très différent de la Belgique et de l'Espagne et qui peut s'inspirer de leur exemple — ce n'est qu'une question de temps, c'est-à-dire, du hasard du passage des majorités politiques, qui fait qu'en 1999 la France était plutôt en avance et que neuf ans plus tard elle est plutôt en retard. Tout ceci étant dit sans aucun jugement particulier (d'aucuns pourront trouver que l'avance et le retard dont on parle sont sur une voie de décadence et de dépravation des valeurs de la famille — on aura deviné que ce n'est pas mon avis).

Mais les États-Unis ont l'air d'avoir une façon différente de faire des progrès sur les questions sociétales : ce sont les juges et les cours de justice, plus que les hommes politiques, qui les font avancer. En France, le droit à l'avortement est venu avec la loi Veil de 1975 ; aux États-Unis, c'est une décision[#2] de la Cour suprême de l'Union (en 1973), et, de façon générale, cette même Cour suprême, sous les présidences Warren (1953–1969) et Burger (1968–1986), a fait faire au pays un grand nombre d'avances dans le domaine des libertés individuelles. Donc je n'étais pas surpris que ce soient, de nouveau, des juges[#3] qui aient constaté qu'il était discriminatoire de subordonner le droit au mariage au sexe des contractants. C'est sans doute à la fois la différence entre Common law et Jus civile qui joue mais aussi une différence entre Amérique et Europe (en Angleterre, le pays qui a inventé le Common law, c'est la loi qui a rendu l'avortement légal).

L'idée d'aller opérer sur la constitution de l'État pour résoudre une question politique et donner tort aux juges devrait être prise en général avec d'infinies précautions, et ici je la trouve particulièrement répugnante. J'attends encore de voir une seule raison pour laquelle deux femmes n'auraient pas droit de se marier alors qu'un homme et une femme (même s'ils n'ont pas l'intention, ou pas la possibilité, de procréer) l'auraient, qui ne se résume pas à Dieu l'a dit (ou, de façon presque équivalente, nous sommes plus nombreux que vous, argument qu'on peut camoufler sous différentes formes d'appels ad naturam).

Un ami (hétérosexuel) me disait il n'y a pas longtemps ne pas comprendre les gens qui s'opposent au droit au mariage des couples de même sexe, mais ne pas non plus comprendre ceux qui le revendiquent, et notamment ceux qui réclament à tout prix le terme de mariage (par opposition à un contrat civil qui en donnerait tous les droits, comme c'est le cas en Allemagne). En théorie, ce serait effectivement satisfaisant (quoique, en théorie, je voudrais sans doute en fait que la Loi ignore complètement le mot mariage). Mais en pratique les droits ne sont jamais égaux, on découvre qu'il y a toujours des petits caractères quelque part (la possibilité de l'acquisition de la nationalité pour le conjoint serait un exemple typique). Et même si la Loi ne fait pas de distinction de droit entre le mariage et tel type de contrat, des tiers peuvent en faire : que sais-je ? des contrats d'assurance, des offres commerciales, des conventions d'entreprises, ou toutes sortes de règles privées qui n'auraient pas le droit de faire de la discrimination selon l'orientation sexuelle mais qui auraient le droit d'en faire selon le type de contrat conclu — et il est plus simple pour la Loi d'uniformiser le mariage que de légiférer sur l'interdiction de différentier entre mariage et contrat d'union civile. De toute façon, il y a des tiers puissants contre lesquels on ne peut rien : les autres États ; et même si ceux-ci reconnaissent les mariages de couples de même sexe conclus ailleurs, ils ne les reconnaîtront que sous le nom mariage, donc le nom mariage est important, ce n'est pas qu'une question de principe : de nouveau, il est plus simple pour l'État d'uniformiser le mariage que de négocier avec toutes sortes d'autres États la reconnaissance au-delà des frontières de son contrat d'union civile.

Comme les émotions sont souvent plus aptes à convaincre que les arguments rationnels, voici une vidéo que je trouve assez émouvante (le maire républicain de San Diego témoigne de son changement d'avis sur la question des couples de même sexe).

[#] Toute similarité de cette dernière pub avec des pubs bien connues d'Apple n'est sans doute pas accidentelle : Apple fait partie de ceux qui soutiennent la campagne du non.

[#2] Indubitablement la plus célèbre et la plus controversée de l'histoire de cette Cour, et aussi la seule que sache citer certaine candidate à la vice-présidence des États-Unis.

[#3] Je suis modérément surpris, tout de même, que des juges de l'État de Californie aient osé ça. Car contrairement aux juges de la Cour suprême de l'Union, qui sont nommés à vie, et peuvent donc n'écouter que leur conscience (pour le meilleur ou pour le pire…), ceux de la Cour suprême de l'État de Californie peuvent être révoqués par les électeurs de l'État. (Le fait que les juges soient responsables devant les citoyens est, d'ailleurs, à mon avis, un grave problème, que je crois me rappeler que Tocqueville soulignait déjà : la Loi doit peut-être être l'expression de la volonté de la majorité, mais la Justice ne doit sûrement pas.)

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