David Madore's WebLog: Pour le oui ou pour le non

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(lundi)

Pour le oui ou pour le non

Je ne suis pas trop enclin à parler de politique dans ce blog, (essentiellement parce que je crois qu'il y a des gens qui savent exprimer bien mieux que moi des idées politiques intéressantes et je ne pense pas que j'éclairerais qui que ce soit à donner ma propre opinion). Je vais néanmoins tâcher de faire un peu le point sur ce que je pense du traité européen signé à Rome le 29 octobre 2004 dit Traité établissant une Constitution pour l'Europe (ou Traité constitutionnel européen, TCE) et du referendum français auquel est soumis le projet de loi autorisant sa ratification (par la France, donc), parce que je trouve que le débat est actuellement plutôt mauvais (pour ne pas dire que des arguments franchement idiots sont avancés d'un côté comme de l'autre). Afin de ne prendre personne en traître, je précise que je suis (mais modérément) partisan du oui ; je tâcherai cependant d'être objectif dans ce qui suit.

Les règles de base de fonctionnement de l'Union européenne sont actuellement déterminées par une succession de traités, entre le traité de Rome du 25 mars 1957 et le traité de Nice du 26 février 2001. Le TCE, s'il entre en vigueur, remplace l'ensemble de ces traités antérieurs par un texte unique. Pour autant que je sache, il est généralement admis par les partisans mais même aussi par les adversaires du Traité (du moins en France) qu'il représente, sur le plan institutionnel, un progrès par rapport au traité de Nice. Et il est souvent concédé par ses adversaires mais même aussi par ses partisans que ce progrès est insuffisant. Le débat n'est donc pas tellement là : le parlement européen dispose, sous le nouveau traité, de compétences accrues (les domaines de codécision sont étendus), la commission est resserrée, il est instauré une véritable présidence de l'Union, ainsi qu'un ministre commun des affaires étrangères, à la place de la présidence tournante qui ne donne satisfaction à personne. C'est en substance la partie I du Traité. Le Traité comporte également (en partie II) une charte des droits fondamentaux, dont on peut juger qu'elle est bonne ou insuffisante (ou les deux). Reste, la partie III, qui concerne les politiques de l'Union, qui provoque beaucoup plus de réticences. Il est à noter que cette partie reprend essentiellement des dispositions déjà en vigueur (notamment dans les traités qu'elle abroge).

Sauf erreur, donc, le TCE est rarement attaqué au motif qu'il représente un recul ou une détérioration par rapport au traité de Nice (du moins en France : la Pologne a sans doute un avis différent sur la question). Les partisans français du non, notamment ceux de gauche, s'opposent au Traité parce qu'ils trouvent insatisfaisant non simplement ce qui est dedans mais la situation actuelle sur l'établissement de laquelle leur avis n'a pas été consulté : la partie III, par exemple, n'est pas jugée inacceptable (trop libérale par exemple, pour les partisans de gauche) par rapport aux traités en vigueur actuellement mais pour elle-même : l'idée, donc, est qu'on n'a pas consulté les Français pour la plupart des traités antérieurs (sauf pour celui de Maastricht, qui, faut-il le rappeler, a été ratifié par referendum, fût-ce avec une courte majorité), et que comme l'occasion est donnée d'exprimer leur désaccord avec l'orientation générale de l'Union européenne, ils le feront. J'espère ne pas déformer trop grossièrement l'avis général des tenants du non.

Je pense qu'il y a eu une erreur tactique fondamentale. Appeler le traité Constitution, ce qu'il n'est pas, était destiné à susciter l'adhésion en excitant la fibre européenne des citoyens de l'Union (quoi de plus grandiose que se doter d'une Constitution commune ? quel plus beau pas dans la construction européenne ?). Seulement, (1) c'est un mensonge, et (2) cela fait peur au Français. (1) C'est un mensonge car le traité n'est pas la Constitution d'un État souverain, c'est un traité entre États souverains. J'ai d'ailleurs déjà souligné ce point : la Constitution des États-Unis d'Amérique commence par les mots We the People of the United States (d'ailleurs, le premier brouillon ne disait pas the United States mais listait les treize états séparé, et c'est presque un accident si la rédaction a été faite qui, en un sens, a changé le cours de l'Histoire) alors que le Traité constitutionnel européen commence par Sa Majesté le Roi des Belges. Autrement dit, il s'agit bien d'un accord entre les Hautes Parties contractantes, certainement pas de l'émanation d'un peuple souverain, donc ce n'est pas une Constitution. (2) D'autre part, une des craintes fréquemment exprimées par les partisans du non (mais parfois par d'autres) est l'idée qu'écrire ces règles dans le marbre d'une Constitution les rende plus fortes, plus difficiles à modifier, etc. Or, du moins sur le plan juridique, rien ne distingue ce traité des traités antérieurs, pour ce qui est de la force de son application ou de la difficulté à le modifier (pour modifier le traité de Nice, il faut aussi l'unanimité des États contractants). C'est bien le mot Constitution, c'est le symbole, qui fait peur (les Allemands ont d'ailleurs une Grundgesetz pour des raisons tout aussi symboliques de vouloir éviter de parler de Constitution).

Pour résumer et simplifier : on aurait présenté le traité (avec exactement les mêmes règles institutionnelles et politiques) comme un nouveau traité dans la continuité du traité de Nice, je pense qu'il n'aurait soulevé aucune opposition particulière en France, il n'y aurait pas eu de besoin particulier de le faire approuver par referendum, bref, tout ce serait passé comme pour Amsterdam et Nice ; au lieu de ça, on parle de Constitution, on fait peur aux gens, ils se rendent compte maintenant que l'Europe qu'on leur offre n'est pas celle de leurs rêves, et ils refusent de signer. (D'autant plus que le gouvernement qui soumet le projet est extraordinairement impopulaire !)

Qu'espèrent, donc, les partisans du non ? Ils ne veulent pas (du moins, pour la plupart d'entre eux) en rester au traité de Nice : ils souhaitent une renégociation du Traité pour aboutir à un résultat plus conforme à leurs souhaits. Et c'est là qu'à mon avis le bât blesse : car si le oui a une certaine unité — celle du consensus autour d'un texte, fût-il un compromis imparfait eu égard à ce que l'on voulait, le non est insaisissable. S'il existait dans l'Europe tout entière une initiative citoyenne qui aurait produit un texte alternatif suscitant l'adhésion, alors il faudrait évidemment voter non au motif que voici le texte que nous voulons : mais personne n'a proposé, même comme preuve du concept, un texte alternatif, parce que personne n'est capable de susciter une large adhésion autour d'un unique texte, ou alors ce texte serait un compromis comme l'est, justement, le TCE.

La notion de compromis est difficile à accepter, mais sans elle il n'y a pas de diplomatie possible, et c'est toujours de diplomatie qu'il est question tant qu'on est encore dans des traités entre États souverains. Car : si renégociation il doit y avoir, sur quelles bases sera-t-elle menée ? Il ne s'agit pas seulement de tenir compte des souhaits des Français, il faut encore que ces souhaits soient portés par une voix (laquelle ?) et qu'ils convainquent les citoyens des vingt-quatre autres pays de l'Union. Or, si un certain nombre de Français trouvent l'Europe actuelle trop libérale, un nombre correspondant d'Anglais la trouvent pas assez libérale : il faut pourtant arriver à concilier les uns et les autres si on veut que la construction européenne continue.

Je ne crois pas aux prédictions catastrophiques de certains partisans du oui au cas où le non l'emporterait : il n'y aura pas de guerre et je ne crois même pas que la France sera vraiment marginalisée (même si elle perdra certainement de l'influence face à l'Angleterre, mais je n'ai que très peu à faire de ces considérations-là ; à tout le moins, la France perdrait en pouvoir de décision au sein du Conseil européen, mais à la limite peu importe). Je crois qu'on en resterait pendant un moment au traité de Nice, puis qu'on ferait quelques petits aménagements sur celui-ci, probablement dans le sens du TCE enterré, mais sans doute de nature plus timide. Rien de dramatique, donc, à mes yeux, mais une occasion manquée de donner plus de clarté aux textes européens (on reproche souvent au TCE d'être trop long, mais les textes actuellement en vigueur sont bien plus complexes !), sans doute quelques bonnes mesures perdues, ainsi que vraisemblablement beaucoup de temps, et surtout, rien de gagné. (Sur le plan de la politique intérieure française, il pourrait y avoir des conséquences importantes, en revanche ; je pense que Nicolas Sarkozy est quasiment certain d'être élu président en 2007, si le non l'emporte. Mais bon, ce n'est pas le lieu ici de spéculer à ce sujet, ni de dire ce que je peux penser de M. Sarkozy.)

Si je ne crois pas aux menaces de certains partisans du oui, je crois encore moins à celles de certains partisans du non : l'Europe, notamment, ne sera pas plus libérale avec le TCE, et son libéralisme ne sera pas plus profondément ancré, qu'avec le traité de Nice. Si l'Europe sociale doit se faire, je ne pense pas que ce soit en refusant les progrès de l'Europe économique et politique qu'elle le fera : que ceux qui veulent faire faire des progrès à l'Europe en dépit de ses dirigeants s'engagent dans l'écriture d'un vrai texte qui rassemble dans cette direction, et qui rassemble dans vingt-cinq pays. Tant que ce texte ne sera pas écrit, contentons-nous de ce que nous avons, dans les domaines où nous l'avons.

Au final, je pense que l'enjeu du referendum n'est pas aussi énorme qu'on veut le faire paraître. Mais je conclus en répétant ce qu'a dit Robert Badinter : on a le choix entre un oui de raison et un non de désamour ; qu'est-ce qui est le plus fort, la raison, ou le désamour ?

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