David Madore's WebLog: The Line of Beauty

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(mardi)

The Line of Beauty

J'ai souvent exprimé mon intérêt pour les fictions (ou semi-fictions) qui arrivent à capturer l'« esprit » d'une époque ou d'une année (surtout assez récente). De ce point de vue, The Line of Beauty d'Allan Hollinghurst, comme un tableau de l'Angleterre de Thatcher, est assez impressionnant : le personnage du Premier ministre (qu'on appelle généralement the Lady, avec un trémolo dans la voix), presque sans apparaître directement, plane sur l'histoire d'un bout à l'autre, et contribue certainement pour beaucoup à cette impression saisissante de réalisme.

L'histoire est celle d'un jeune homme anglais, Nicholas Guest, qui habite, entre 1983 et 1987, à Notting Hill, chez la famille d'un député (un empee) conservateur anglais, Gerald Fedden, dont il a rencontré le fils à Oxford. Il s'agit donc notamment d'une occasion pour peindre le portrait de la riche société anglaise des années '80, vue par quelqu'un qui l'admire mais qui n'en fait pas vraiment partie (ou qui essaie). Hollinghurst a un talent incontestable pour rendre la personnalité de ses héros, dont chacun a un caractère riche et finement analysé, aussi bien les personnages principaux (qui apparaissent comme plutôt sympathiques, ou en tout cas, très humains) que des caractères plus secondaires (parfois hauts en couleur, comme tel millionnaire libanais arrogant).

Quant à la maîtrise du style, elle est tout simplement époustouflante :

The service stairs were next to the main stairs, separated only by a wall, but what a difference there was between them: the narrow black stairs, dangerously unrailed, under the bleak gleam of a skylight, each step worn down to a steep hollow, turned tightly in a deep grey shaft; whereas the great main sweep, a miracle of cantilevers, dividing and joining again, was hung with the portraits of prince-bishops, and had ears of corn in its wrought-iron banisters that trembled to the tread. It was glory at last, an escalation of delight, from which small doors, flush with the panelling, moved by levers below the prince-bishops' high-heeled and rosetted shoes, gave access, at every turn, to the black stairs, and their treacherous gloom. How quickly, without noticing, one ran from one to the other, after the proud White Rabbit, a well-known Old Harrovian porn star with a sphincter that winked as bells rang, crowds murmured and pigeons flopped about the dormer window while Nick woke and turned in his own little room again, in the comfortable anticlimax of home.

Je vous rassure cependant : tout n'est pas dans ce genre, ce serait vite indigeste — mais l'auteur a manifestement une maîtrise exceptionnelle de la langue (qui tourne parfois à l'esthétisme, mais rarement à la lourdeur). D'ailleurs, si le livre a reçu le Booker Prize 2004, ce n'est sans doute pas un hasard.

Et une autre figure (à part Margaret Thatcher) qui plane sur le roman, c'est celle de Henry James (appelé, quant à lui, the Master), sur lequel le héros écrit une thèse, dont il (Nicholas Guest) cherche à copier le style jusque dans sa conversation (comme quand il décrit quelqu'un de chauve : a trifle too punctually, though not yet quite lamentably, bald), et dont il se demande régulièrement ce qu'il (le Maître) aurait pensé de telle ou telle situation. N'ayant pas, moi-même, lu d'œuvre de James, je ne sais pas exactement dans quel mesure Hollinghurst l'imite ou s'en inspire, mais je devine facilement que le regard porté sur la société anglaise a effectivement quelque chose de très jamesien.

Mais la décennie '80 est aussi dominée par le SIDA, et Nick, qui assume ouvertement, quoique timidement, son homosexualité, doit y faire face comme il doit faire face à des réactions d'intolérance ou d'incompréhension face à ce qui (les relations entre deux adultes consentants de même sexe) n'est plus un crime depuis '67 mais peut encore provoquer des scandales politiques. Ce n'est pas tant la vie gay londonienne qui est décrite (ou seulement obliquement, telle que la vivent, marginalement, Nick et son amant) que les petits mensonges hypocrites ou grosses mises en scène derrière lesquels on se cache pour éviter de dire qu'untel et untel couchent ensemble ou que si untel est en train de mourir c'est à cause du SIDA. Mensonges que la fille du député, Catherine Fedden, ne supporte décidément pas, elle dont la sensibilité politique va décidément heurter celle de sa famille.

Bref, un excellent roman. (Pourtant, normalement, je n'aime pas les pavés, et là il fait tout de même 500 pages. Mais on ne s'ennuie presque jamais.) En voici une critique par le London Review of Books.

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