Lettre à un inconnu rencontré dans le métro

Mercredi 25 juillet 2001.

Il devait être autour de 20h30 quand j'ai pris la ligne 7, à Châtelet (à l'entrée située sur l'avenue Victoria), en direction de Mairie d'Ivry ou de Villejuif — je ne sais plus — pour rentrer chez moi. En fait, les quelques personnes stationnées sur le quai me semblaient déjà une foule et j'ai failli rebrousser chemin dès mon arrivée.

Mais le métro est arrivé rapidement, et j'y ai vu un garçon comme j'en vois rarement en-dehors de mes rêves. 26 ou 27 ans, je pense. Au corps parfaitement sculpté, au visage d'une symétrie exquise, et aux cheveux châtain s'éclaircissant vers le blond en surface comme imitant une décoloration artificielle. Bref, toi — à quoi bon pousser la description ? Tu étais habillé — comment, déjà ? Un tee-shirt rouge portant un logo noir Adidas, je crois, mais je ne saurais en dire plus : ce ne sont pas les vêtements qu'on regarde.

Je t'ai vu descendre, et je me suis de nouveau apprêté à rebrousser chemin, mais tu t'écartais seulement pour laisser descendre. Alors je me suis faufilé derrière toi.

Nous nous sommes trouvés face à face dans le wagon, de part et d'autre de ce pilier de métal que les voyageurs agrippent pour maintenir l'équilibre malgré les cahots du train. Il faut préciser qu'on était nombreux et entassés. Deux dames noires, somptueusement vêtues et infiniment dignes, restaient assises sur les strapontins, indifférentes à l'espace qu'elles accaparaient ainsi. Elles refusèrent de se lever lorsqu'une charmante demoiselle les en pria.

Je ne sais pas bien comment nos regards se sont croisés. Certainement je n'ai pas pu m'empêcher de te dévisager avec plus d'insistance que la bienséance ne l'eût admis ; et tes yeux noisette sont venus chercher les miens. D'abord quelques secondes : nous avons vite détourné notre vue, un peu embarrassés. Puis se retrouvant de nouveau, furtivement mais régulièrement. Un petit jeu de cache-cache, transparent mais si amusant : on scrute le plan de la ligne (rose), on jette un coup d'oeil à l'autre, juste le temps qu'il s'en aperçoive, puis on retourne son attention vers les stations ; repeat ad lib.

À un moment (à la station Jussieu, je crois), j'ai fini par oser sourire. Tu as fait de même, un peu timidement. Je suppose que je suis devenu fuchsia ; cela peut encore s'attribuer à la chaleur, qui n'était pas négligeable dans ce wagon. Le léger mouvement à peine discernable entre mes jambes (je portais un short léger) aurait cependant été plus difficile à attribuer à la chaleur s'il eût été remarqué, mais je ne le crois pas. En tout cas, le jeu des regards est devenu plus instistant, chaque croisement s'accompagnant d'un sourire entendu ou de l'ombre d'un clin d'oeil. Je n'avais pas cru qu'on pût tenir un langage aussi riche dans de simples regards : mille feux nés d'un seul coup de foudre s'y disputaient la parole.

Mais ce que tu ne m'as pas dit, toi, avec tes tendres yeux noisette, c'était que tu descendais à Gobelins. Traîtres Gobelins ! Cruels gnomes qui m'arrachez mon bien-aimé pratiquement de dans mes bras ! Et que n'ai-je réagi à temps, éberlué que j'étais, qui avais été persuadé que tu descendrais, comme « tout le monde » à Place d'Italie.

Sur le quai, tu t'es retourné pour me chercher de nouveau des yeux dans la foule. Ma moue devait clairement traduire mon désarroi. Tu y as répondu par un sourire complice, mais légèrement moqueur. Tendre et cruel à la fois.

Et le train est parti. Tu ne m'as rien laissé qu'un souvenir condamné à s'estomper — toi — toi — toi dont les yeux m'ont murmuré tant de mots doux, tant de promesses d'amour.

Peut-être n'était-ce qu'un rêve ?

Oui, de retour chez moi, j'ai chialé.