Anderland et autres histoires

À propos de cette édition

Contenu

Ce qui suit est le texte complet des romans et nouvelles Le Livre de Ruxor, Anderland (le roman éponyme du cycle), Les Dialogues de Marc le Blanc et Castor et Pollux, écrits entre 1988 et 1993 par David Madore. Il n'a subi que des modifications de nature éditoriale (dans la conversion du format Sprint au format HTML) par rapport à la version envoyée en janvier 1994 à l'éditeur Denoël — lequel l'a refusée.

Note technique

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Copyright

Copyright © 1988–1999 David A. Madore.

La copie et la diffusion de cet ouvrage est permise suivant les termes suivants:

Table des matières condensée

Le Livre de Ruxor

Anderland

Les Dialogues de Marc le Blanc

Castor et Pollux

Table des matières détaillée

Le Livre de Ruxor

Anderland

Les Dialogues de Marc le Blanc

Castor et Pollux

Dessins

Des illustrations pour Le Livre de Ruxor et pour Anderland ont été réalisées par Laurent Penet (lpenet@ifremer.fr) et Romain Koszul. En voici la liste :

LE LIVRE DE RUXOR

Je remercie mes professeurs de lettres : Mesdames Briard, Dupray, Hars, Lépinard, Manzanarès et Régnaut et Messieurs Demeideros, Frot et Marandin.

Merci également à Monsieur Laurent Pénet pour m'avoir encouragé à écrire ce roman, pour en avoir publié la première partie et pour m'en avoir fourni des illustrations, à monsieur Romain Koszul pour d'autre dessins, et à tous ceux qui m'ont entouré et supporté moralement pendant ce temps.

Je dédie ce livre à tous ceux qui l'aimeront et à tous ceux précédemment cités.

Ceci est une œuvre de fiction. Toute ressemblance avec des personnages réels ne saurait être qu'une coïncidence.

David Alexandre Madore

L'Amitié Triomphera

Prologue

Ils étaient deux. À la lisière des forêts de Roxdor, dans le village de Tolkar, près du fleuve de Junas qui prend sa source dans les montagnes mystiques habitaient ces deux amis inséparables.

Le premier se nommait Elëxoros, cheveux noirs, yeux noirs, peau bronzée. Il était initié aux techniques de combat venues de toutes les contrées... Sûr de lui, il gardait toujours son sang froid, et utilisait sa grande force à bon escient. Il parlait peu, mais quand il parlait, l'Univers se taisait...

Le second, Erenus, cheveux blonds, yeux bleus aux reflets verts, teint vif. C'était un mage, un peu sorcier, enchanteur, hypnotiseur, astrologue, sage, magicien ; bref, il connaissait l'art de la magie. Maître de sa puissance, très intelligent, c'était un être bien singulier.

Ils avaient le même arrière-grand père. Ce dernier s'appelait Wsenoxor, et on a peu de trace de lui, mais son grand-père, Nisodrop était le fondateur de la guilde des nécromanciens ; Elëxoros et Erenus tenaient donc leurs pouvoirs de cet ancêtre.

Ils vivaient à l'écart du village, dans une hutte composée d'une salle commune, de deux chambres, d'une réserve d'armes, d'un laboratoire et d'une salle d'eau dans laquelle on trouvait un bac, créé par Erenus, qui restait toujours plein d'une eau propre et limpide.

Les richesses ne les intéressaient pas, et ils se contentaient du minimum vital. Puisqu'ils étaient des « forts », ils avaient décidé d'aider les « faibles » et attendaient le moment où un appel de détresse leur parviendrait...

Cet appel, d'ailleurs, n'allait pas tarder...

Trom

Un soir, en consultant les présages astraux, Erenus vit, dans la lumière pâle de Neptune l'appel de détresse qu'ils attendaient...

Tolkaron, chef et fondateur de Tolkar entendit frapper à sa porte ; il ouvrit et vit Elëxoros et Erenus. Qui s'assirent et lui décrivirent le présage.

Le lendemain, ils se préparèrent pour aller à Trom. Pour tout bagage, Elëxoros prit une tunique bleue et sa plus fidèle épée. Erenus, lui, prit un habit de lin blanc et un bâton d'ébène. Ils emportèrent également des provisions pour les trois jours que durerait le voyage.

Aussitôt prêts, ils sortirent du village et se dirigèrent vers le Septentrion.

Durant la première journée, il ne se produisit aucun incident notable. À midi, ils mangèrent en marchant une tranche de viande froide chacun. Le soir, il purent se réchauffer autour d'un bon feu en dégustant du poisson chaud et quelques légumes. La nuit, ils dormirent dans une grotte.

Le jour suivant, Erenus trouva par terre un curieux instrument mi-flûte mi-luth qui semblait avoir été perdu là par suite d'une bataille ; il essaya d'en jouer mais aucun son n'en sortit...

À l'issue de la troisième journée, Elëxoros et Erenus arrivèrent à un endroit où l'herbe, tendre, bien grasse et fraîche, poussait en s'étendant comme un tapis ; ils abordèrent une belle vallée verdoyante au fond de laquelle on voyait, resplendissante sous le soleil :

« TROM, la plus prodigieuse cité de l'Univers. »

[Illustrations: Trom, vue par Laurent Penet et par Romain Koszul]

Puis, de toute leur énergie joyeuse, ils dévalèrent la pente.

Windolf

Aussitôt rentrés dans la ville, ils furent abordés par leur ami Windolf qui les pria de venir chez lui.

Une fois à l'intérieur, ce dernier prit la parole :

« J'ai retrouvé les écrits de Tupacon, fondateur de Tupac, capitale du royaume, plus puissant magicien du monde, après Ruxor lui-même :

« En l'an mil après la fondation de ma ville, Tupac, une éclipse se produira derrière la montagne mystérieuse, et un rayon la frappera à l'endroit « où la roche est du cristal ». Le rayon sera dévié et il atteindra les eaux sombres du lac Mort...

Si, à ce moment, quelqu'un a réussi à y plonger les pierres représentant les trois forces, il deviendra Maître de l'Univers.

Cependant, si personne n'a réussi à accomplir cette tâche à temps, Whénezos, seigneur du chaos, gagnera ce titre et étendra sur toutes choses son Empire illimité. La seule façon d'empêcher cela est d »

Le reste a été déchiré...

Nous sommes à vingt jours du millénaire de Tupac ; vous comprenez, j'espère, la gravité de la situation ; je vais vous fournir or et vivres : vous devez partir sur l'heure pour le lac Mort. Ce lac est en plein territoire du peuple des cascades, et nul n'en est jamais revenu sauf Xindalf qui écrivit :

« Je suis maintenant devant le lac Mort ; je vois des vaguelettes, mais elles ne bougent pas : la surface semble dure comme du roc. Je n'ose pas la toucher, par crainte des maléfices qui règnent dans cet endroit. Derrière, sont les monts Yinang qui me séparent du monde inconnu où j'irai peut-être si un jour je peux revenir à Nedver. Ce paysage est si désolé que j'en oublie du coup la cruauté du peuple des cascades qui vit au bord de l'Énen. »

Il avait dressé un plan, mais nul ne sut jamais rien de plus car, de retour à Nedver, alors qu'on allait l'interroger, il tomba mort, d'une flèche en plein dos. Le plus terrible, c'est que l'assassin était un fou qui en voulait à Xindalf parce qu'il allait pénétrer dans le « domaine des dieux ».

Comme le voyage s'annoncera dur et que l'avenir de l'Univers est entre vos mains, je vous ai trouvé un compagnon (c'était le seul volontaire) : il se nomme Xanthin et c'est un Elfe. »

Elëxoros et Erenus n'avaient pas eu le temps de dire un mot tellement leur ami était allé vite, et ils étaient toujours bouche bée. Après avoir quelque peu réfléchi, Erenus demanda :

« Pourrions-nous partir de Tolkar ? J'aimerais dire adieu à quelques amis là-bas.

―Certainement, répondit Windolf. Xanthin ! »

Un Elfe beau comme un dieu apparut.

Le Départ

Trois jours plus tard, ils étaient à Tolkar.

Pendant qu'Erenus faisait ses adieux à tous ses amis et que Xanthin s'entretenait avec Windolf, Elëxoros rentra dans la hutte qu'il partageait avec Erenus et en ressortit après quelques minutes avec une fiole pleine d'un liquide transparent.

Windolf leur fit ses recommandations :

« Vous avez des vivres, un plan, des armes, votre magie, et surtout, votre courage. Je ne peux pas venir avec vous : je vais chercher à reconstituer la suite des écrits de Tupacon et tenter de comprendre comment empêcher Whénezos de régner sur le monde. Si j'en ai la moindre chance, je vous rattraperai à cheval. Allez ! Ne vous pressez pas : ce n'est pas le temps qui manque, mais les pierres, et j'ai idée que c'est dans votre tête qu'il vous faudra les trouver. Bonne chance, et que les dieux vous aident ! »

Il faisait beau et dix heures venaient de sonner au monastère de Chronina, dieu du temps ; les héros partirent.

Elëxoros ouvrait la marche, alors qu'Erenus et Xanthin parlaient gaiement derrière : Xanthin était un Elfe des bois, cependant, il était né à Trom et ne l'avait pas quittée. Ses parents vendaient des herbes médicinales, mais il ce métier ne l'avait pas intéressé. Il s'était donc retiré dans un temple où il avait adoré Sopho, dieu de la sagesse, et Natura, déesse de la nature. Il y avait appris la cartographie, la magie, les différentes religions et les arts de combats. Il avait toujours aimé l'aventure et la bonté et détesté la violence ; il s'était porté volontaire pour ces raisons.

Windolf lui avait donné quelques éclaircissements concernant la mission pour qu'il les communiquât à Erenus et Elëxoros :

« Il existe une philosophie qui divise symboliquement le monde en trois : la puissance, possibilité matérielle, la volonté qui pousse les êtres à agir, et la connaissance, source de toute sagesse ; les pierres que nous devons plonger dans le lac Mort correspondent à ces trois divisions nécessaires pour accomplir une action.

Windolf m'a confié celle de la connaissance, qu'il possède depuis toujours, et dont il ne sait que depuis très récemment ce qu'elle est. »

Il sortit une étoile de son sac...

Toute la compagnie tourna la tête et vit une merveille : c'était une pierre translucide qui envoyait partout ses beaux reflets ; elle était allumée de tous les tons de bleus du Monde. Elle semblait contenir un petit Univers d'une seule couleur. En la voyant, les héros se sentirent emplis d'un sagesse infinie venant de l'énergie de la Création et de la Destruction ; leur intelligence se démultiplia et la vie telle qu'ils l'avaient connue touchait à sa fin...

[Illustration: La Pierre Bleue, vue par Romain Koszul]

Le Voyage

Noiret

Elëxoros et Erenus ouvrirent les yeux pour la première fois dans un monde identique à celui qu'ils venaient de quitter, cependant infiniment différent.

« Amusant, non ? » demanda Xanthin, puis, voyant que personne ne répondait, il s'enquit « Ça va ? »

―Si l'on peut dire, répondit Erenus »

Après une ou deux minutes de repos, les aventuriers repartirent.

Au fur et à mesure qu'ils avançaient, l'écart entre Elëxoros et Erenus et Xanthin augmentait. À midi, ces deux derniers étaient si loin derrière qu'Elëxoros pouvait à peine les voir. Xanthin lui cria :

« Attend nous, Erenus et moi avons décidé de déjeuner ici ! »

Durant le repas, la conversation porta sur la fatigue d'Erenus et de Xanthin.

« Pourquoi n'avons-nous pas pris de chevaux ? demanda Xanthin. On nous a bien dit de ne pas nous presser, mais ce serait quand même plus pratique pour porter les vivres !

―Peut-être pourrions-nous appeler Noiret, suggéra Erenus

―Qui est-il ? demanda Xanthin.

―Attends ! » répliqua Erenus, qui, comme mû par une soudaine inspiration sortit l'instrument qu'il avait trouvé aux alentours de Trom, souffla dedans tout en faisant vibrer les cordes, et fit jouer au dit instrument un hennissement.

Après quelques secondes, les compagnons d'Erenus furent bien surpris de voir sortir de derrière quelques buissons un cheval...

[Illustration: Noiret, vu par Romain Koszul]

« Et voici, déclama Erenus, qui n'avait pas même regardé l'animal, mesdames et messieurs, Noiret, un cheval noir jais pesant un poids très respectable : mille livres aus bas mot (il est très musclé), mesurant une toise au garrot. Voici le destrier préféré du seigneur d'Odoc qu'un écuyer perdit et ne put jamais retrouver, n'osant entrer dans la forêt ; estimant que c'était par sa faute, il décida de devenir prêtre à Trom. Malheureusement, il fut attaqué entre la lisière de Whitewood et Trom, tué et dépouillé. Ce curieux instrument devait servir à appeler le cheval ; les brigands, ne comprenant pas quel pouvait être son rôle, le laissèrent derrière.

―Mais, bredouilla Xanthin, comment au nom de Sopho as-tu pu savoir tout cela ? »

La Déduction

« Simple, répondit Erenus. J'avais trouvé, à côté de cet instrument le papier que voici, perdu, selon toute évidence, dans les mêmes circonstances :

« Seigneur, Je Vous informe que je n'ai pas pu retrouver Noiret. Il me semblerait qu'il fût parti vers la grande forêt de Whitewood : j'ai vu les traces de ses sabots. J'ai donc manqué à mon devoir. Votre cheval préféré est perdu par ma faute. Pour expier mon erreur, je pars sur l'heure à Trom. Je vais m'y exiler et y devenir prêtre.

Ce septième soleil.
Cette seconde lune.
Mil cinq cent trente neuf après la fondation de Nedver.
Canrac, premier écuyer de votre seigneur d'Odoc. »

Alors que nous étions revenus à Tolkar, j'avais fini par trouver comment marchait ce maudit instrument. Quant aux brigands, les traces de bataille là où étaient le papier et l'appeau à cheval ne laissaient aucun doute. Canrac a bien évidemment été tué : s'il était encore vivant il se serait bien douté de l'endroit où il a perdu la lettre pour son maître et serait retourné la chercher, avec l'instrument qu'il comptait bien entendu lui rendre. Et...

―Oui, mais la couleur, le poids, la taille, interrompit Elëxoros.

―Encore plus simple : on n'appellerait pas Noiret un cheval blanc, non ? De plus, j'ai trouvé quelques poils de cheval noirs. Le poids peut se voir à l'enfoncement des traces que voici. La hauteur, je l'ai vue à ce que les petites branches de ce sapin-ci en dessous duquel il est passé étaient brisées jusqu'à une hauteur déterminée.

―Et comment à tu su que c'était lui, Et qu'il était justement là ?

―J'ai remarqué un morceau de bride de haute qualité, qui indique que c'est un cheval de race appartenant à un noble ; de plus, il y a un N majuscule dessus. Quand à savoir qu'il est passé ici récemment, les traces sont très fraîches. Élémentaire, mon cher Xanthin...

―Je crois, dirent en chœur Elëxoros et Xanthin, que cette pierre t'a fait quelque chose. »

Autres Déductions

Nos joyeux amis n'eurent aucun mal à attraper Noiret, mais ils se décidèrent à continuer à pied, car un cheval ne pouvait pas porter trois personnes. Ils allèrent à ses côtés pour qu'il transportât l'équipement et en cas où ils trouveraient un second cheval. Ils furent bientôt sur leur route.

Cependant, alors qu'ils étaient arrivés à une dizaine de lieues de Tolkar, le soir tomba, plus vite qu'ils ne l'avaient prévu.

« Je crois, dit Elëxoros, que nous devrions faire halte ici.

―Oui, c'est une bonne idée, approuvèrent les deux autres. »

Ils préparèrent donc un feu et s'installèrent pour manger. Pendant le repas, la conversation alla de bon train, particulièrement entre Erenus et Xanthin. Ce dernier entra en matière en disant d'un ton mystérieux :

« Je me demande pourquoi Windolf n'est pas venu avec nous. Je me demande s'il ne nous cache pas quelque chose...

―Tu ne veux pas insinuer, coupa Erenus, que...

―Non, mais quand même, quelque chose m'échappe.

―Quelle route prendrons-nous ? demanda Elëxoros, pour changer le sujet.

―Voyons, voyons murmura Xanthin tout en cherchant sa carte. Ah ! la voilà. »

Il la déplia par-terre.

« Nous sommes par ici, dit-il tout en montrant sur la carte un point à l'ouest de Tolkar. Le plus simple et de continuer à remonter le long du fleuve Junas.

―Nous suivons le fleuve Junas ?

―Oui, nous nous en sommes écartés d'une centaine de pas pour suivre le chemin, mais il coule en réalité là-bas, au sud. Nous pouvons donc le suivre, jusqu'à ce qu'il se divise en deux (l'autre branche s'appelle le fleuve Tekh). Nous le traverserons alors et prendrons le pont sur le Tekh. Cela devrait nous demander encore environ quatre jours. Il nous en restera douze. Ensuite, je ne sais comment nous ferons. Nous devons nous efforcer de deviner où sont les deux autres pierres. En marchant vite, nous pourrions arriver du pont au lac en neuf jours, ce qui nous en laisse trois. Supposons que, arrivés au lac nous prendrons un jour pour nous défaire de notre tache. Il nous reste deux jours pour faire des détours. Essayons d'imaginer où sont les deux autres pierres. Nous verrons si nous pouvons passer par là en faisant au plus deux jours de détours. D'accord ?

―Non ! répondit assez vivement Erenus.

―Comment non ?

―C'est idiot ; nous ne pourrions jamais trouver les deux pierres et aller les prendre en deux jours !

―Soit, mais nous aurions dû avoir mille ans.

―Si les pierres étaient cachées n'importe où, même en mille ans c'eût été impossible. Tupacon était ennemi du chaos. Il doit donc y avoir une solution simple et rapide, mais demandant une grande réflexion.

―Mais, fit remarquer Xanthin, peut-être est-il facile d'empêcher le chaos de triompher, chose que nous ne savons pas faire, car le papier était déchiré, mais très difficile de devenir tout-puissant soi-même.

―Je ne crois pas, dit Elëxoros. Si c'était très facile, tout le monde pourrait le faire. Il faut que ce soit très difficile, mais pas trop, pour que ce soit possible. Or, pour la même raison, plonger les pierres dans le lac Mort l'est aussi, et il faut donc supposer que c'est la même chose. On devrait donc lire :

« Cependant, si personne n'a réussi à accomplir cette tâche à temps, Whénezos, seigneur du chaos, gagnera ce titre et étendra sur toutes choses son Empire illimité. La seule façon d'empêcher cela est de triompher par soi-même. »

―Je crois qu'il a raison, répondit Erenus. Mon argument est le suivant : il est dit que la seule façon d'y arriver est d... Comme nous proposons une méthode, si il y en a une seule, c'est celle là.

―D'accord, vous m'avez convaincu. Mais alors comment trouver ces pierres ?

―Je vous le dirai demain, en attendant allons nous coucher. »

Les Moines

Une Surprise

Pendant la nuit, nos héros firent des tours de garde. D'abord Erenus, puis Xanthin et enfin Elëxoros. À peine le soleil s'était il levé que Xanthin et Erenus furent réveillés par leur ami.

« Venez vite, cria celui-ci. »

Erenus fut le premier sorti. Xanthin le suivit de peu.

« Qu'y a-t-il ?

―Au lever du soleil, j'ai aperçu une ombre devant celui-ci, en arrière sur le chemin. Elle a disparu aussitôt.

―Moi-même, pendant que je veillais, dit Erenus, j'ai aperçu un homme dans cette direction, mais comme j'étais très fatigué, je me suis dit que je devais rêver.

―Allons vite voir ! »

Erenus et Elëxoros se précipitèrent dans la direction du soleil levant. Rapidement, ils revinrent.

« Alors ?

―Il y a les restes d'un campement, d'un foyer, derrière un buisson, sans doute pour que l'on ne puisse pas le voir.

―Mes amis, nous sommes épiés, conclut Xanthin.

―Mais qui pourrait faire cela ? demanda Erenus.

―Je ne vois qu'une solution répondit gravement Elëxoros : les hommes de Whénezos ! »

Le silence dura peut-être une minute.

Xanthin le brisa :

« Que devons-nous faire ?

―Nous tenir sur nos gardes, répliqua Elëxoros.

―Faire notre possible pour les trouver, ajouta Erenus, et pour l'instant, repartir. »

Le Pouvoir

Nos amis repartirent donc de bonne heure. Le temps passa progressivement du beau au merveilleux. Les oiseaux chantaient. Les bois s'illuminaient et les bancs de brouillard légers du matin devenaient si léger que l'on ne les voyait plus. L'ambiance se décontractait et l'on oubliait presque l'incident. Xanthin, qui se trouvait dans son élément naturel, bavardait gaiement. Soudain, il se souvint de quelque chose et demanda à Erenus :

« Au fait, tu ne nous a pas expliqué comment tu penses qu'il faut trouver les pierres.

―C'est vrai. Vous voulez que je vous propose mon idée ?

―Oui, répondit Elëxoros.

―Oui ! confirma Xanthin.

―Il était une fois un jeune enfant qui aimait jouer à cache-cache. Il mourut un jour, et alla au ciel. Le dieu du ciel l'accueillit. Ce dernier était un géant de mille pieds, assis sur un trône de platine encore beaucoup plus grand. Il se voyait depuis tout le ciel. L'enfant le supplia de le laisser revivre ; l'autre fut d'accord à une condition : « Nous allons jouer à cache-cache ; si tu gagnes, tu pourras revivre. » Il fut d'accord, et le Dieu alla se cacher en premier. L'autre pensait que ce serait facile de trouver un géant de mille pieds. Et pourtant, il ne le trouva pas et après cent ans de recherche, il abandonna. Savez-vous où était le géant ?

―Moi aussi, je m'avoue vaincu ; où était-il ? dit Elëxoros.

―Il était sur son trône, répondit Xanthin, à la place d'Erenus.

―C'est ça, admit Erenus, un peu déçu que Xanthin ait deviné.

―Mais, continua Xanthin, même si nous savons le principe, comment trouver où elles sont, en pratique ?

―Cherchons chacun pour nous, proposa Erenus. Cela doit être un endroit très simple, unique, visible de très loin, où Tupacon aurait naturellement caché une pierre, pour que tous la vissent, sans savoir ce qu'elle est.

―Comment sont-elles, demanda Elëxoros ?

―Celle du pouvoir est rouge, celle de la volonté est verte, répondit Xanthin. »

Ils réfléchirent pendant une heure, tout en marchant.

« Eurêka ! » cria soudain Elëxoros, et il courut vers un arbre, l'escalada et regarda de son pin vers le nord.

« J'ai trouvé la pierre du pouvoir !

―Où ça ?

―Venez voir ! »

Les deux autres furent rapidement en haut. Elëxoros pointa son doigt vers Tupac et ils virent en haut de la flèche du temple d'Ergo (dieu du travail et de la puissance), qui dominait la ville, une intense lueur rouge.

[Illustrations: La découverte de la pierre Rouge, vue par Laurent Penet et par Romain Koszul]

Intervention des Dieux

Les amis se regardèrent, puis se mirent à rire si bien qu'ils faillirent tomber de l'arbre.

« Ne crions pas sitôt victoire. Il ne faut pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué. Tupac est à soixante lieues. »

Cependant, comme si les dieux avaient compris leur dilemme, un éclair rouge se fit dans le ciel, et la pierre fut dans la main d'Elëxoros.

Toute la compagnie tourna la tête et vit une merveille : c'était une pierre translucide qui envoyait partout ses beaux reflets ; elle était allumée de tous les tons de rouges du Monde. Elle semblait contenir un petit Univers d'une seule couleur. En la voyant, les héros se sentirent emplis d'un puissance infinie venant de l'énergie de la Création et de la Destruction ; leur force se démultiplia et la vie telle qu'ils l'avaient connue touchait à sa fin...

Relov

Seconde Surprise

« Ça me rappelle quelque chose, dit quelqu'un.

―C'est merveilleux, mais je n'y comprend rien.

―Oui... »

Quand ils furent descendus et reposés, les héros repartirent.

Leur bonne humeur s'accrut encore. La journée se termina sans incidents.

La nuit se passa bien, mais le matin, il pleuvait.

« Sale temps, dit Xanthin, en rejoignant Erenus, qui avait fait son tour de garde le dernier. Quelles nouvelles ?

―Je n'ai vu personne. Mais avec cette pluie, la visibilité est très réduite. »

Elëxoros les rejoignit et ils partirent peu après. Elëxoros parlait encore moins que d'habitude et Erenus lui-même se taisait. Seul Xanthin bavardait sans cesse d'un ton jovial, sans être écouté.

Soudain, celui-ci poussa un cri, et tomba sans connaissance. Elëxoros et Erenus se retournèrent, le premier sortit son épée.

Relov

Ils virent un homme d'une trentaine d'années, petit, cheveux noirs, yeux noirs, sale, mal rasé, armé d'un gourdin au moyen duquel il avait frappé Xanthin. Il leur cria :

« Que faites-vous sur mon territoire ? Déguerpissez tout de suite ! »

[Illustrations: L'arrivée de Relov, vue par Laurent Penet et par Romain Koszul]

Elëxoros et Erenus restèrent de marbre. L'homme commença à les attaquer, en tentant de donner un coup à Elëxoros. Celui-ci s'esquiva calmement. L'homme devint fou de rage. Il commença à frapper avec une telle vitesse qu'Elëxoros avait du mal à parer. Alors il commença à riposter, pour faire reculer l'attaquant. Celui-ci voulut, profitant d'un moment d'inattention d'Erenus, changer de cible et le frapper. Mais ce dernier méditait et avait prévu ce que son adversaire allait faire. Il fit un mouvement de la main, et le gourdin devint mou comme du papier. L'attaquant prit alors une dague et s'apprêtait à s'en servir contre Elëxoros quand il tomba évanoui.

« Merci, Xanthin, dit Elëxoros. »

Celui-ci, s'étant réveillé, avait pris un bâton, s'était glissé derrière l'homme et l'avait frappé de toutes ses forces.

« De rien !

―Qu'allons-nous faire de lui, le laisser là ? demanda Erenus.

―Je suggère de l'attacher et de le mettre sur le cheval. Nous le questionnerons quand il sera réveillé, répondit Xanthin. »

Ils continuèrent donc avec le prisonnier. Il cessa de pleuvoir, et le soleil se mit même à percer.

Après une demi-heure, l'homme ouvrit les yeux. Il sauta à terre et se mit à genoux devant Elëxoros.

« Maître... dit-il.

―Comment ça, « maître » ?

―Dans ma famille, il est coutume que celui qui est vaincu au combat serve ensuite son vainqueur. Si vous le permettez, je vous accompagnerai et vous obéirai. Vous pouvez venir chez moi, si vous avez besoin d'y passer la nuit, de vivres ou d'un cheval. Ma maison n'est pas loin.

―Un cheval, ça tombe à pic, fit remarquer Erenus. »

L'Enlèvement

Ainsi, les amis suivirent le prisonnier (qui s'était présenté comme s'appelant Relov) dans sa maison. Pendant qu'il allait chercher de la nourriture et un cheval, le trio discutait :

« Doit-on lui faire confiance, demanda Xanthin ?

―Il me paraît trop soumis pour l'être réellement, répondit Elëxoros.

―Je suggère, dit Erenus, la chose suivante : je vais vous suivre par le chemin qui passe plus près du fleuve, qui apparaît un peu plus loin. S'il essaie de vous trahir, j'interviendrai. Je vous rejoindrai cette nuit si tout c'est bien passé

―D'accord, acquiesça Xanthin, mais cela me paraît inutile. »

Quelques minutes plus tard, Relov ressortit avec les choses promises. Son cheval s'appelait Lavehc ; il était blanc avec des taches brunes. Relov, remarquant l'absence d'Erenus, demanda :

« Mais où est votre ami ?

―Il est parti en avant en éclaireur, répondit Xanthin, il nous rejoindra cette nuit. »

Puis ils partirent, au trot. Elëxoros sur Noiret, Xanthin et Relov sur Lavehc. Ils rattrapèrent vite leur retard sur Erenus, ce qu'Elëxoros vit en regardant discrètement vers sa gauche. Il dit :

« Nous pouvons marcher au pas, nous ne sommes pas pressés.

―À ce propos, puis-je me permettre de vous demander où vous allez ?

―Vous pouvez, répondit Xanthin, mais nous ne vous répondrions pas. »

Ils arrivèrent à la bifurcation du fleuve à la tombée de la nuit.

« Établissons campement ici, ordonna Elëxoros. »

Profitant d'un moment où Relov faisait le feu, il s'écarta de lui, faisant signe à Xanthin de venir. Il lui chuchota :

« Erenus a été enlevé !

―Quoi ? demanda Xanthin, oubliant de chuchoter.

―Moins fort ! J'ai vu un groupe d'hommes en armes traverser le fleuve, le menacer avec une arbalète à bout portant et le forcer à les suivre.

―Mais que faire ? Ce sont peut-être les hommes de Whénezos !

―Nous verrons demain. »

Le Peuple des Grottes

Le lendemain, de gros nuages noirs couvraient le ciel et l'air était lourd. Tous les trois furent réveillés par un énorme éclair à quelques mètres, et par le coup de tonnerre correspondant.

Ils s'en allèrent vite pour ne pas rester dans la zone de l'orage.

« Notre ami Erenus ne nous a pas rejoint, dit Elëxoros à Relov, nous devons aller à sa recherche. Pouvons-nous traverser le fleuve a gué ?

―Oui, c'est justement le meilleur endroit. Le fond est très peu profond, lisse et plat. Il y a un petit sentier qui mène jusqu'au fleuve. »

Rapidement, le cours d'eau fut traversé. Les nuages se faisaient moins menaçants, et une pale lueur violette semblaient en sortir. En moins d'une minute, ils furent au pont du Tekh. Le pont était gardé par deux gardes.

Le premier était un Humain, le second appartenait au peuple des grottes, une race de Demi-orques.

Le premier les laissa passer, mais les prévint qu'ils avaient du courage.

Le second leur bredouilla quelque chose, dans la langue du peuple des grottes. Cela semblait être une question. Relov, qui comprenait traduisit :

« Que voulez-vous ?

―Nous ne voulons pas la guerre. Nous sommes pacifiques. Nous voulons juste traverser votre territoire. »

Relov commença à parler, mais le garde n'attendit pas. Il hurla quelques mots, et presque aussitôt, des cliquetis d'armes se firent entendre. Tout un groupe arriva. Le garde se mit à s'expliquer avec eux. La conversation dura longtemps. Soudain, profitant d'un moment d'inattention des Demi-orques, Relov fit un signe aux deux autres et ils s'enfuirent, laissant chevaux et vivres. Peu après, ils entendirent des bruits confus derrière eux : les soldats arrivaient. Ils continuèrent de courir. Les soldats prenaient de l'avance.

Combat, Explications et Départ de Relov

Ils arrivèrent dans une clairière, dominée par une colline. Le soleil avait totalement dissipé les nuages et il faisait luire les armures des combattants. Ils furent cernés de toutes parts et durent monter sur la colline. Les ennemis arrivaient de partout. Elëxoros pensa que c'était son dernier combat. Il hurla de désespoir :

« Si seulement Erenus était là !

―Ton souhait est exaucé ! lui répondit une voix terriblement familière derrière lui.

―Erenus !

―Tu m'appelais ? »

Erenus était là, avec une masse de guerriers humains et Elfes ; ils livrèrent bataille au peuple des grottes, qui fut rapidement maîtrisé.

« Partons vite, avant que d'autres ne viennent ! Je te raconterai après. »

Erenus, Elëxoros, Xanthin, Relov et les guerriers coururent donc vers l'ouest, quelques minutes, jusqu'à une petite forteresse. Dès qu'ils arrivèrent, on baissa le pont-levis et les laissa rentrer.

Erenus fit signe aux autres de le suivre, et il traversa un dédale de couloirs, jusqu'à de luxueux appartements. Il commença :

« Je crois que je vous dois quelques explications.

―Oui, je crois, dit Xanthin. Cependant, auparavant, j'aimerais que l'on réhabilitât Relov. Il nous a sauvé la vie. La lâcheté dont il avait fait preuve est excusée. Je crois que nous pouvons tout lui dire.

―D'accord, approuva Elëxoros. Erenus, tu es le meilleur conteur, raconte ! »

Et ainsi, Relov fut mis au courant de toute l'histoire, sans qu'on lui cachât rien. Lui même ajouta :

« Je dois dire que si j'ai frappé Xanthin, c'est que j'avais cru qu'il était un Demi-orque des grottes, qui m'ont causé tant de malheur.

―Confondre un Elfe et un Orque, murmura Xanthin, il faut avoir de l'imagination !

―Je sais, mais...

―Oublie cela, coupa Elëxoros, tu es excusé.

―Maintenant, je vais cous raconter ce qui m'est survenu, annonça Erenus.

―Ah ! fit tout le monde.

―Premièrement, lorsque je fus enlevé, c'était par erreur et à la place d'un autre. Cette communauté cherche à déloger le peuple des grottes des territoires qu'ils ont volés aux Elfes et aux hommes. C'est pourquoi elle est composée principalement de ces deux races. Il y a aussi quelques Nains. Récemment, un traître s'est échappé, et est allé livrer un nombre de secrets au peuple des grottes. Cependant, il a été chassé jusqu'à de l'autre côté du fleuve Junas. Ils m'ont donc pris pour lui. Ils m'ont ligoté, bâillonné, et transporté de force ici. Alors, ils se sont rendu compte de leur erreur. Ils m'ont juré de tout faire pour la réparer. J'ai seulement demandé qu'un détachement m'aidât à vous retrouver. Voilà.

―Messieurs, dit Relov d'une voix émue, je crois que ma place est ici. En effet, j'ai toujours lutté contre les Demi-orques qui forment le peuple des grottes. Je vais donc m'engager dans ces rangs. Vous m'avez ouvert les yeux. Jusqu'alors, j'étais déloyal, traître et sans rancune, mais cela va changer ! Je vous fais mes adieux, car je vais voir le chef sur l'heure. Adieu, mais nous nous retrouverons, c'est sûr, dans ce monde... ou dans le suivant. Vous serez de toute façon toujours dans mon cœur. Adieu et bonne chance. »

Et il les embrassa. Tous avaient les larmes aux yeux. Ils les regarda, peut-être savait-il que ce ne serait pas la dernière fois, loin de là... Il sortit, sans dire un mot de plus.

Les autres restèrent à se regarder, sans bouger, sans parler, pendant un très long moment. Il faut moins d'un jour pour faire un ami dont on ne pourra plus se séparer.

Les Nains

Autres Explications

Ils allèrent ensuite dîner, avec les officiers. Cela leur remonta un peu le moral, mais ils allaient prendre du temps à s'habituer à l'absence de celui dont ils s'étaient à peine habitués à la présence.

Après le repas, Erenus demanda à Elëxoros et à Xanthin :

« Donnez-moi, s'il vous plaît, vos deux pierres. J'ai une idée. »

La pierre de la connaissance contenait des formes colorées du noir au bleu le plus intense. Dans celle du pouvoir, elles allaient du noir au rouge presque fluorescent. Toutes deux étaient parfaitement sphériques. Il remarqua que les formes se ressemblaient. Il prit une pierre dans chaque main, et les rapprocha. Les pierres se pénétrèrent. Une fois qu'elles furent parfaitement unies, elles ne purent plus être séparées. Alors, les couleurs furent plus nombreuses. Il y avait le noir, les rouges, les bleus, mais aussi les mélanges des deux : les pourpres, les indigos, les violets, et encore bien d'autres.

« Et si nous pouvons ajouter la volonté, nous aurons toutes les couleurs, la lumière sera celle du soleil mélangée à celle de la lune, et l'essence sera la substance du lac Mort ! Ainsi, celui qui pourra faire la réunion deviendra Maître de ce qu'il viendra de Créer ou plutôt de Conserver ou même Détruire pour remplacer par un meilleur :

L'UNIVERS !

En revanche, si cette conservation n'est pas faite, le Chaos régnera. Voilà l'explication. »

Les Nains

Le commandant fit attribuer aux héros des chevaux ainsi qu'un régiment pour les escorter jusqu'à la frontière avec les Nains. Ils y furent après trois jours qui se déroulèrent sans incidents. Il ne leur en restait plus que dix. Ils se séparèrent de leur escorte à la limite territoriale au matin du quatrième jour. Celle-ci était gardée par trois Nains qui dormaient encore paisiblement, le soleil ne s'étant pas levé.

« Qu'allons-nous faire ? demanda Erenus, passer en secret, les réveiller ou attendre ?

―Nous sommes venus en paix, expliqua Xanthin, et n'avons pas de raison de fuir comme des voleurs. Les Nains n'aiment pas être réveillés. Attendons donc !

―Mais nous n'avons pas de temps à perdre non plus, répliqua Elëxoros. D'ailleurs, nous ne savons pas parler Nain.

―Si, je l'entends un peu, et je peux essayer de traduire, suggéra Erenus. D'ailleurs, en voilà un qui se réveille.

―Kuym gevotapetusi ? demanda le Nain, d'une voix très endormie et ennuyée.

―Que voulez-vous ? traduit Erenus.

―Dis-lui que nous voulons seulement passer par leur territoire.

―Gevotapemosi vegere tudi lokukatidipu.

―Vegepketusi mothe !

Le Nain leur fit un signe, les invitant visiblement à le suivre.

Le Palais

Ils suivirent donc le garde jusqu'à un petit bâtiment de bois qui était visiblement utilisé à des fins administratives. Là se reposait tranquillement un petit groupe de Nains. Le garde dit quelques mots à l'un d'entre eux et s'en alla. Ce dernier adressa alors la parole à Erenus, en langue commune :

« Quelle raison vous amène en territoire des Nains ?

―Nous voulons seulement traverser ce royaume en direction de l'ouest.

―Je ne peux pas vous laisser passer. Nous avons quelques problèmes avec le peuple des grottes. Vous vous expliquerez avec notre roi. Il n'est pas loin d'ici, et si vous avez de la chance, vous laissera passer sans vous retenir. »

Le trio fut donc escorté par un Nain jusqu'à la demeure du roi où ils arrivèrent le soir. Ce n'était pas vraiment un palais : plutôt une grotte sculptée en forme de palais sur le flanc d'une colline. On entendait des rires et de la musique sortir de l'intérieur, et il était tout illuminé de lumière. Le Nain leur fit signe de rentrer. Le plafond était bas et ils devaient se courber. Leur guide allait de plus en plus vite, traversait des couloirs qui donnaient sur diverses chambres, le plus souvent, vides. Ils arrivèrent enfin à la salle du trône. Celle-ci était, au contraire, très haute. Là se déroulait une fête. Toutes les races de Nains, quelques Humains, quelques Elfes et d'autres races moins nombreuses étaient représentés. Chacun buvait, riait, chantait, tous étaient heureux. Le Nain qui accompagnait nos amis les laissa sur le seuil. Ils pénétrèrent cette étrange pièce et virent le roi. Dans la partie la plus éclairée de la pièce se trouvait un petit podium couvert de peaux. Et sur ce podium se tenait un trône sur lequel était assis sa Majesté, une coupe de vin à la main, bavardant joyeusement avec un personnage visiblement important, à sa gauche. À sa droite, se tenait son épouse, la reine des Nains, qui regardait la salle, sans grand intérêt, un demi-sourire aux lèvres.

Seconde Rencontre avec les Moines

Les héros commencèrent donc à se frayer un chemin parmi la foule qui ne remarqua même pas leur arrivée. Ils arrivèrent donc devant le trône et saluèrent le roi des Nains. Ce dernier prit la parole avant eux :

« Tiens, des hommes avec un Elfe ! Tuxi ! Quel bon vent vous amène ici ? Comment va votre roi ? Asseyez-vous, buvez ! À votre santé !

―Nous aimerions nous entretenir avec votre Majesté si elle en a le temps, répondit Elëxoros.

―Bien sûr ! Une dernière coupe de vin et je suis à vous. Mais pas pour trop longtemps ! Oh ! Fileme ruthudonande ! »

Pendant ce temps, la reine regardait tour à tour les héros. Tour à tour, premièrement Elëxoros, puis Xanthin, enfin Erenus. Mais quand elle vit ce dernier, son visage s'assombrit.

Alors que le roi buvait — ce qu'il prenait très longtemps à faire, Elëxoros dit soudain à ses deux amis :

« Regardez, là-bas ! »

Il y avait à une table un groupe de trois personnages encapuchonnés comme des moines. L'un d'entre eux regardait les héros discrètement.

« Je suis sûr que la silhouette que j'ai vue au début du voyage était celle-ci !

―Et moi, ajouta Erenus, cette personne-là m'a l'air terriblement familière ! Je ne vois que deux yeux dans le noir, mais je suis sûr que je les ai déjà vu quelque part.

―Moi aussi ! confirma Xanthin.

―Ils nous ont donc suivi, conclut Elëxoros, l'air sombre.

―Mais nous croyons avoir déjà vu l'un d'eux, précisa Xanthin. Il ne peut donc pas s'agir des hommes de Whénezos. Qui peuvent-ils être ?

―Aucune idée, répondit Erenus. Mais cela ne me présage rien de bon. »

À ce moment les personnages se levèrent et partirent.

[Illustration: La salle du trône du roi des nains, vue par Laurent Penet]

« Il faut les rattraper ! cria un des héros.

―Nous ne pouvons pas, il faut parler au roi. »

Le roi, justement, venait de terminer sa coupe de vin.

Entrevue avec Sa Majesté

« Alors ? demanda le roi qui avait emmené les amis dans une pièce à part.

―Nous voulons vous demander l'autorisation de traverser votre territoire.

―Ce n'est que ça ?

―Oui, nous avons été contraints par les soldats à la frontière d'aller jusqu'ici !

―Nabogeni ! Les sots ! Mais d'où venez-vous ?

―Du territoire des peuples des grottes. »

À ces mots, le roi devint plus attentif et plus méfiant.

« Nous sommes plus ou moins en guerre avec eux. Qu'y faisiez vous ?

―Nous y passions. Nous avons été aidé par des ennemis de ce peuple. Puis-je vous signaler que les gardes à la frontière dormaient ?

―Ils auront des comptes à me rendre. Mais dites-moi, où allez-vous ?

―Au lac Mort ; en territoire des cascades. »

Peut-être Elëxoros avait-il prononcé cette dernière réplique plus forte, peut-être y avait-il eu une brève interruption dans les bruits de la salle voisine, toujours est-il que tout le monde l'entendit et qu'un silence de mort s'installa sur tout le palais.

Le bon roi qui était normalement rieur et débonnaire avait soudain la pâleur d'un homme qui vient d'entendre sa sentence de mort.

« Vous n'êtes pas aussi en guerre contre le peuple des cascades ? demanda Xanthin, indigné.

―Non... ce sont eux qui sont en guerre contre nous ! »

Sauf-Conduit

« Pas vraiment en guerre : nous avons tellement peur d'eux que une région de dix lieues de la frontière est totalement vide ! Et ils y viennent par moments.

―Qu'y font-ils ?

―Ils ramassent les richesses que nous entreposons là pour éviter qu'ils n'arrivent jusqu'à ici !

―Sont-ils si terribles ?

―Toute mon armée a du mal à battre un seul de leurs bataillons ! Mais pourquoi voulez-vous y aller ?

―Nous ne pouvons vous le dire ; il s'agit de l'ordre de tout l'Univers.

―Alors je vais vous fournir un sauf-conduit ; on dira encore que je suis faible de vous laisser repartir sans contrôler la véracité de vos paroles. Mais vous m'avez l'air sincères... Vous pourrez partir demain. »

Et il leur fournit un morceau de parchemin sur lequel était un message écrit en pattes de mouches, parfaitement illisible, même pour la plupart des Nains.

Après quoi, ils repartirent ensemble vers la salle où l'agitation avait repris.

La Nuit

Il passèrent la nuit au palais, très bien traités car ils avaient fourni quelques indications précieuses sur le peuple des grottes, dont le commandant leur avait longuement parlé.

Attenant le sommeil, ils discutèrent à voix basse des hommes qu'ils avaient vus.

« Récapitulons : il m'a semblé que la silhouette du premier m'était familière d'une certaine façon.

―Moi aussi !

―Et l'un des trois possédait une robe somptueuse, qui doit valoir très cher : le tissu était bien beau.

―Celui qui m'a le plus étonné était le troisième : son vêtement était d'un noir si pur qu'il m'a semblé rayonner !

―C'est vrai...

―Et toi, Xanthin, qu'en penses-tu ? »

Mais Xanthin dormait déjà, du sommeil des justes.

La Reine

Erenus fut réveillé quelques heures plus tard par la reine elle-même.

« Tuxume anigevotapemose ! »

Erenus fut surpris par un propos aussi direct et aussi radical.

« Quoi ?

―Je t'aime. Aime-moi ! Partons de ce trou de palais, vivons ailleurs. Je t'adore ! Quittons tes amis, quittons mon cocu de mari, quittons tout !

―Hein ?

―Mon amour, accepte, je t'en supplie !

―Mais...

―Tu ne veux pas de moi ? Nan mume gevotapetese ?

―Mais Votre Majesté, vous ne pouvez tout de même pas...

―Tu le regretteras ! »

Et elle sortit en courant et en criant « Au secours ! »

Erenus était trop fatigué pour comprendre.

Des cliquetis d'armes se firent entendre ainsi qu'une voix qui criait : « Attrapez les ! Ils ont voulu séduire ma femme ! Ils l'avaient enlevée ! Toxi potapekesemi ! »

Erenus comprit enfin, ainsi que les autres qui venaient de se réveiller (en tout cas, ils n'eurent pas de mal à deviner qu'ils étaient en très mauvaise posture, ce qui, à trois heures et demi du matin, n'était pas trop mal).

La Fuite

Cinq gardes entrèrent d'abord dans la chambre. Ils furent attaqués par surprise. Les deux premiers furent assommés. Les trois autres furent rapidement mis hors combat.

« Si les autres arrivent, nous ne pourrons jamais nous échapper !

―Comment sortir ?

―Par la fenêtre ! »

En effet la chambre qui se trouvait au troisième étage de la grotte comportait deux ouvertures destinées à la lumière, assez grandes pour que l'on pût passer.

« Mais nous pouvons nous blesser en tombant. Comme nous devons courir ensuite...

―Ne t'inquiète pas, Elëxoros, nous tomberons doucement »

Ce fut le cas, grâce à la magie d'Erenus.

Par un miracle inespéré, des chevaux les attendaient, déjà prêts à partir. Et ils partirent donc, juste quand les gardes arrivaient.

Les chevaux étaient des plus rapides. Ils parvinrent à l'aube au grand galop à la fatidique limite des dix lieues, sans aucun incident. Ils s'accordèrent un court repos.

« En fait, nous devons notre survie au peuple des cascades ! fit remarquer Xanthin.

―Et à la mystérieuse personne qui avait placé les chevaux là !

―Qui peut-elle donc être ?

―Moi, dit une voix derrière eux. »

Suite du Voyage

Retour de Relov

Ils se tournèrent et aperçurent devant le soleil levant une silhouette amie.

« Relov !

―C'est moi.

―Que fais-tu là ?

―Je vous suivais et j'ai d'ailleurs eu du mal à vous rattraper.

―C'est toi qui as mis les chevaux là ?

―Je vous l'ai dit !

―Mais comment savais-tu ?

―J'étais en ambassade auprès du roi des Nains. Je vous avais vus dans la grande salle, mais j'étais en conversation avec un ministre. J'avais repéré votre chambre, avec l'intention de vous voir dès l'aube. Alors que je passais devant, à une heure si tardive à cause d'affaires très longues, j'ai entendu ce que la reine a dit à Erenus. J'ai compris que vous auriez des problèmes et couru vers les écuries, pour faire sortir trois chevaux. Par bonheur, le garde dormait profondément. Je vous ai suivi dès que j'ai pu. Je quitte la communauté. Le commandant est mort immédiatement après votre départ, dans des circonstances pour le moins douteuses. Dans l'heure, un homme des plus vils a pris le contrôle. C'est pourquoi je me suis aussitôt débrouillé pour être nommé ambassadeur, dans l'espoir de vous retrouver. Je vais vous suivre. En attendant, je vous rend ce que vous aviez oublié chez les Nains : ceci ! »

Et il tendit la pierre ainsi que des vivres.

Les Marécages

Ils atteignirent au midi solaire la frontière. Il n'y avait personne. La végétation était de plus en plus clairsemée. Ils s'arrêtèrent et mangèrent. Ils discutèrent des problèmes.

« Il nous reste neuf jours, dit Xanthin, c'est suffisant, mais nous n'avons pas la pierre de la volonté.

―Et nous ne savons pas comment exactement accomplir notre devoir, ajouta Erenus.

―Ceci sans compter le peuple des cascades !

―Les terrains autour du lac mort sont des marécages. Nous ne pourrons peut-être pas avancer à cheval.

―Personne ne m'avait dit cela ! Il nous faudra au minimum quatre jours pour arriver au lac.

―Il nous en restera cinq. »

En fait il furent à la lisière de Whitewood au bout d'un jour. Il y avait effectivement des marécages. Ils passèrent un long temps, sans mot dire, à contempler la désolation des marécages. Un corbeau passa, suivi d'autres, en formation en V. Il y en avait treize.

Soudain, à l'horizon, ils virent les trois moines. Une bande du peuple des grottes s'approcha, mais un éclair les frappa, et les moines disparurent.

« Tu as vu ça, Erenus ?

―Fantastique !

―Que veulent au juste ces moines ?

―Rien de bon, je parie. »

L'Éclipse

Sauvetages

Après deux jours passés dans les marécages, après la mort d'un cheval, ils arrivèrent à pied au bord du lac Mort.

L'antichambre de l'enfer.

Les monts Yinang. Les chacals hurlant. Les corbeaux croassant. Le soleil rouge. La lune décroissant. Les vagues immobiles. La solitude. Le brouillard.

La peur.

[Illustration: Les berges du lac Mort, vues par Romain Koszul: partie gauche et partie droite]

Ils ne savaient quoi faire.

« Nous n'avons toujours pas la pierre de la volonté. La surface du lac est solide, impossible d'y plonger quoi que ce soit.

―Et nous n'avons que six jours. »

Les jours passaient, tous semblables. La lune rétrécissait.

La soif.

Ils avaient bu toute leur eau, et la soif devenait de plus en plus difficile à supporter. Un jour, n'en tenant plus, Erenus s'approcha de la limite de pierre du lac Mort. Elëxoros se souvint de quelque chose. Il lui donna la fiole qu'il avait prise au début de cette aventure. C'était de l'eau, inépuisable !

« Tu m'as sauvé la vie ! Je serais mort si j'avais touché ce lac. »

Celui qui patientait le plus était Relov. Mais une nuit, il partit vers les mont Yinang, en transe. Ce fut Erenus qui le sauva, en le retenant, au moment où il allait tomber dans une abysse.

Le peuple des cascades les laissait tranquilles, à une exception près : Xanthin, qui s'était éloigné des autres, fut attaqué par surprise par deux de ces créatures. Relov donna l'alarme. Il commença à combattre, puis les autres amis, entendant les cris, survinrent à la rescousse, mais les ennemis étaient les plus forts. Encore une fois, les moines apparurent, et d'un seul signe de main de l'un d'eux, les monstres disparurent.

La Volonté

L'éclipse.

L'éclipse tant redoutée survint.

Dans quelques heures, ce serait la fin. Elëxoros regardait désespérément le lac.

« Nous avons perdu ! La guerre est finie. Je vais me tuer ; mieux vaut encore mourir que vivre la victoire du Destin.

―Tu te trompes, Elëxoros, nous n'avons pas perdu, nous avons les trois pierres. Je vais y aller, je veux y aller, je peux y aller, je sais y aller ! »

Xanthin avança sur l'eau noire, la pierre violette dans la main. Soudain, le ciel fut illuminé par un éclair vert, sorti de sa poitrine : dans son autre main se trouvait la pierre verte.

Toute la compagnie tourna la tête et vit une merveille : c'était une pierre translucide qui envoyait partout ses beaux reflets ; elle était allumée de tous les tons de verts du Monde. Elle semblait contenir un petit Univers d'une seule couleur. En la voyant, les héros se sentirent emplis d'un volonté infinie venant de l'énergie de la Création et de la Destruction ; leur volonté se démultiplia et la vie telle qu'ils l'avaient connue touchait à sa fin...

Réussite

Xanthin réunit les pierres. L'Univers était prêt.

Il courut et rapidement disparut à l'horizon, mais les autres le voyaient toujours.

Il arriva au centre même du lac, attendit.

L'éclipse se produisit, la couronne du soleil illumina Yvaxen, au dessus des nuages éternels, frappa la roche de cristal, se divisa, réfléchit contre les trois pics sacrés qui furent illuminés chacun d'une couleur, se réunit, atteint Xanthin qui tenait la pierre dans ses bras levés, le força à la lâcher, et réunit celle-ci et le lac Mort.

L'eau devint liquide et cristalline. Xanthin coula.

Il se retrouva auprès de ses amis. Le soleil reparu brillait. Les oiseaux chantaient pour la première fois autour du lac Mort. Plus aucun nuage, plus aucun marécage, les monts Yinang étaient blancs.

Tous riaient.

Épilogue

Le Secret des Moines

« Mes félicitations, amis, je savais que je pouvais compter sur vous, leur dit une voix qu'ils connaissaient. »

Les moines étaient là ; l'un d'entre eux découvrit sa tête.

« Windolf !

―C'est toi ?

―En effet, mais vous allez voir qui est avec moi ! »

Le second enleva son capuchon.

Aussitôt, chaque tête fut baissée et chaque genou au sol.

« Alexandre le septième, Empereur du Monde, Gardien de la Porte, Maître de la Tour des Cieux, fils de Quentin le Grand et d'Anande des Elfes.

―Votre altesse...

―Le Maître de l'Univers est Xanthin, maintenant.

―Qui est le troisième ? »

Il jeta sa robe à terre.

Ruxor

Apparut un adolescent drapé d'une toge romaine. Son corps était si brillant que l'on ne pouvait le regarder sans être ébloui. Bien qu'elle fût plus lumineuse, tous les yeux convergeaient vers sa tête.

Je parlai d'une voix infiniment douce :

« Je suis Ruxor David, Magicien du Monde, Avatar du Destin, auteur de ce Livre.

―Vous vous attendiez à voir un vieil homme à barbe blanche, comme moi ? demanda Windolf. Vous désirez peut-être quelques explications ?

―Volontiers ! »

Explications finales

« Tout d'abord, sachez que nous vous suivons depuis Tolkar. Nous vous avons aidé trois fois : pour obtenir la pierre du pouvoir, pour endormir le garde de l'écurie du roi des Nains et enfin pour repousser le peuple des cascades de la quinzième cataracte de l'Énen.

La prophétie que vous avez accomplie à été fondée par Tupacon sous ordre des dieux pour contrer l'avance des démons du chaos. Nous n'avons pas pu faire autrement que de vous y envoyer : je ne pouvais moi-même pas intervenir car aucun magicien ne peut défaire un sortilège lancé par un autre. Nous ne pouvions pas vous téléporter directement ici, car l'aura magique nous en empêchait. Nous n'avions que le droit de vous suivre et de vous aider par trois fois. Et en tant que dieu, Ruxor s'était promis de ne pas intervenir directement dans le Monde, qu'il avait créé. Whénezos, qui n'a jamais existé, est le nom symbolique donné aux forces du chaos.

Je veux également préciser que celui que vous appelez Relov est en réalité, bien qu'il ne sache pas, Rajabhratri, le frère de son excellence. Il a été perdu dès son enfance. »

Il était très difficile de deviner ce que pensait Relov à ce moment.

Les Monts Yinang

Je fis un mouvement de la main et nous nous retrouvâmes tous sur les sommets enneigés des monts Yinang.

Je dis aux héros :

« Choisissez votre monde, celui-ci ou le suivant. »

À l'Est s'étendait le monde qu'ils avaient toujours connu : La grande forêt de Whitewood semblait scintiller sous le soleil. Au loin, on pouvait deviner Tupac, Trom, Tolkar et Nedver.

Mes compagnons tournèrent lentement la tête.

Et pour la première fois, quelqu'un vit le monde qui se situait au-delà des monts Yinang.

Au-Delà

Les montagnes cessaient brusquement. Derrière, on ne voyait que du noir parsemé d'étoiles polychromes. Une arche de cristal radiant s'élevait dans les airs et conduisait à une route stellaire qui s'éloignait dans le vide astral.

Mais par-devant le pont se dressait un portail au contours de bois d'ébène, au portes de miroir, et on ne pouvait accéder au pont que par la porte.

Je prononçai les paroles consacrées :

« Au nom de ton Gardien l'Empereur, ouvre-toi, Porte de l'Univers Céleste et laisse-le passer, et nous avec. »

Les charnières répondirent à mon ordre et la porte s'ouvrit.

Nous traversâmes le pont et suivîmes la voie sacrée.

Après un temps qui aurait pu être une seconde ou la vie de l'Univers, nous parvînmes à une tour.

La tour était blanche, d'une matière inconnue ; elle rayonnait de lumière. À la base se trouvaient deux portes immenses, ouvertes.

« La Tour Céleste ! »

L'Olympe

« Nous entrons dans le domaine des dieux, dis-je. Vos Altesses Sérénissimes doivent maintenant repartir ; Vous avez un monde sur lequel veiller. Je Vous donne ma bénédiction. Il ne Vous arrivera jamais malheur. Ne Vous inquiétez pas, Vous reverrez Vos amis.

Erenus, Elëxoros, Xanthin, Windolf, entrez chez vous ! »

Et je leur montrai la porte opposée.

Derrière s'étendait une prairie florissante.

Nous franchîmes le seuil.

Les mots humains ne suffisent pas à faire l'éloge de la beauté du paysage.

Au loin se trouvait un temple, et nous d'y aller.

C'était un temple blanc perché sur une colline verte. De grandes et majestueuses colonnes ioniques étaient la seule barrière avec l'extérieur. Deux sphinx semblaient monter la garde devant la bâtisse. Un long tapis rouge menait à l'intérieur.

Nous entrâmes.

Des deux côtés se trouvaient posés sur des socles respectivement en croissant de lune et en soleil, des globes de cristal. Dans l'un, Erenus put voir une personne lisant un livre intitulé « Le Livre de Ruxor ». Dans l'autre, Elëxoros me vit l'écrire.

Enfin, nous atteignîmes le bout du temple.

Sur un piédestal à forme de lion, était posé un Livre.

Le Livre

Il portait l'inscription suivante :

« Ouvrez-moi, je vous vois trembler d'impatience ! »

J'expliquai :

« Ce Livre contient la réponse à toutes les questions de l'Univers. Je l'ai écrit moi-même. Il est le Code Régulateur, le Gardien de la bonne marche du Monde. Ouvrez-le et lisez-le ! »

Mais le livre s'ouvrit de lui-même.

Nous en lûmes le contenu :

« Ô, toi, chercheur de Vérité, lis le contenu du Livre Suprême !

Lis ceci, trouve cela dedans,

Car la Réponse à toute Question y est.

Ceci est la Réponse Suprême, la Réponse même.

Le Monde en a été créé ; Il n'est pas plus cruel que toi, lorsque tu écris un livre.

Toi aussi, maintenant tu peux créer des mondes.

Tu es aussi un dieu, puisque tu es dans l'Olympe.

Mais que vienne l'Histoire de l'Univers :


Contenu du Livre

Ils étaient deux. À la lisière des forêts de Roxdor, dans le village de Tolkar, près du fleuve de Junas qui prend sa source dans les montagnes mystiques habitaient ces deux amis inséparables.

Le premier se nommait Elëxoros, cheveux noirs, yeux noirs, peau bronzée. Il était initié aux techniques de combat venues de toutes les contrées... Sûr de lui, il gardait toujours son sang froid, et utilisait sa grande force à bon escient. Il parlait peu, mais quand il parlait, l'Univers se taisait...

Le second, Erenus, cheveux blonds, yeux bleus aux reflets verts, teint vif. C'était un mage, un peu sorcier, enchanteur, hypnotiseur, astrologue, sage, magicien ; bref, il connaissait l'art de la magie. Maître de sa puissance, très intelligent, c'était un être bien singulier.

Ils avaient le même arrière-grand père. Ce dernier s'appelait Wsenoxor, et on a peu de trace de lui, mais son grand-père, Nisodrop était le fondateur de la guilde des nécromanciens ; Elëxoros et Erenus tenaient donc leurs pouvoirs de cet ancêtre.

Ils vivaient à l'écart du village, dans une hutte composée d'une salle commune, de deux chambres, d'une réserve d'armes, d'un laboratoire et d'une salle d'eau dans laquelle on trouvait un bac, créé par Erenus, qui restait toujours plein d'une eau propre et limpide.

Les richesses ne les intéressaient pas, et ils se contentaient du minimum vital. Puisqu'ils étaient des « forts », ils avaient décidé d'aider les « faibles » et attendaient le moment où un appel de détresse leur parviendrait...

Cet appel, d'ailleurs, n'allait pas tarder...


ANDERLAND

Avertissement

Le lecteur trouvera dans ce livre tout ce qu'il y désire ; celui qui veut y voir un tissu d'inepties, une caricature grossière de tout ce qui est sacré, un ramassis de fautes d'orthographe, de style et de logique, un plagiat infâme d'œuvres ainsi défigurées, une succession d'injures à des vivants, ou des morts, le pourra, et ce n'est pas moi qui l'en empêcherai. Que celui qui veut y voir autre chose le fasse...

Je remercie mes professeurs de lettres, à savoir mesdames Briard, Dupray, Hars, Lépinard, Manzanarès et Régnaut, et messieurs Demeideros, Frot et Marandin.

J'adresse également mes plus sincères remerciements à Antoine Allain, à Gilles André, à Philippe Clavel, à Nicolas Hée, et à Laurent Pénet qui l'ont lu avant qu'il ne fût fini, qui ont fait semblant, qui ont voulu le lire ou qui l'ont prétendu.

Je dédie ce livre à tous ceux qui souffrent dans l'Univers, et à ma petite sœur, puisque je n'en ai pas.

Ceci est une œuvre de fiction. Toute ressemblance avec des personnages vivants, ayant vécu, ou devant vivre un jour ne saurait être que le fruit d'une coïncidence extraordinaire...

David A. Madore

L'UNIVERS

Anderland

La Terre

Mon discours

« Mes pères les sénateurs,

Nous sommes aujourd'hui le 10 décembre 1991 au calendrier terrestre. Il y a 43 ans, soit 15705 jours, soit 376920 heures, soit 22615200 minutes, soit 1356912000 secondes, c'est à dire presque 1357 mégasecondes (à un jour vingt-six minutes et quarante secondes terrestres près), ou encore entre 135 et 136 années universelles, sur terre (galactos hodos, secteur universel 153 ZJ Gamma 8), à Paris (France), l'assemblée générale des Nations Unies adoptait, avec 48 voix et 8 abstentions, le texte proposé de Déclaration universelle des droits de l'homme. C'était un vendredi, nous sommes un mardi. Le jour était alors dédié à l'amour, il l'est aujourd'hui à la lutte.

Il y a 51431 ans (16297 terrestres), notre république démocratique fut proclamée. Depuis 40104 ans (12708), nous avons le Lozaire, Theôn Khrusos si utile. Depuis 36619 ans (11604), nous connaissons la paix. Depuis 35050 ans (11107), nous dominons tout l'Univers, pour nous être alliés aux civilisations assez avancées, et aux autres au fur et à mesure qu'elles germaient... Il y a 23898 ans (7573), en l'an 27533 (5583 avant Jésus-Christ), nous avons commencé à ressusciter tous ceux qui étaient morts depuis l'éternité, grâce aux facultés quasiment illimitées du Lozaire. En l'an 31056 (4466 A.V.J.C), nous avons aboli la dernière dictature. Notre histoire s'est alors arrêtée. Nous avons l'immortalité. Nous avons tout ce que nous désirons.

On ne dénombre pas plus que trois ou quatre formes de vies non encore ralliées à Anderland, ou au moins au Conseil des Nations dans l'Univers. La Terre en fait partie.

Les terriens ne connaissent leur propre planète que depuis l'an 1500 environ (pour nous, 50000 à peu près). Ils maîtrisent l'électricité seulement depuis 1900 (51100) environ. Il est vrai qu'en quatre siècles un progrès énorme a été accompli, mais c'est très peu par rapport au niveau technologique anderlandien.

Ce n'est pas pour cela que je m'exprime aujourd'hui à la tribune.

La situation politique de la terre est grave. Sur 179 pays, seule une fraction minime connaît la démocratie. Et ce n'est pas la démocratie dans le sens anderlandien... Cette déclaration est un appel à l'aide. Si les terriens connaissaient notre existence, ils nous supplieraient de les laisser partir de leur planète qui n'est somme toute qu'une prison. À quoi bon attendre leur mort pour les ressusciter ? La réponse trop répétée, trop usée est : pour ne pas perturber leur civilisation naissante. L'assemblée terrestre est délibérément obtuse. Si les hommes ne mouraient pas et que ceux qui finiront l'avènement technologique de la terre étaient les mêmes qui l'ont commencé, cet argument tiendrait ; mais tous les hommes seront un jour dépaysés, soient qu'ils meurent et se retrouvent à Anderland, soit qu'ils naissent dans une civilisation trop avancée pour ne pas l'être.

Jusqu'alors, l'assemblée terrestre avait fixé la date de l'« intervention » au 31 octobre 3048 (54767 environ). Soit presque mille cent ans après la Déclaration dont je parle. Répondre à un S.Ô.S. mille ans après, c'est de très mauvais goût.

Considérant [...] que l'avènement d'un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère à été proclamé comme la plus haute aspiration de l'homme,

puisque nous pouvons leur offrir ce monde, je vous demande de le faire !

Je vous demande de ratifier, en accord avec l'Assemblée de l'Univers et de la Galaxie d'Andromède et l'assemblée universelle, la dissolution définitive de l'assemblée terrestre. »

Les six cents membres du sénat universel étaient présents. Tous avaient écouté mon discours. Certains étaient terriens d'origine. Le vote fut ouvert, le président du sénat comptait les têtes couvertes. Cinq cent quatre-vingt-dix-huit. Gilles le président, et moi-même avions oublié de voter. Nous le fîmes. Le journal officiel indiqua : « Proposition accepté à l'unanimité ».

Les autres assemblées approuvèrent la décision sénatoriale à raison de quatre cent quatre-vingt-trois voix contre dix-sept à l'AUGA et cinq cent soixante-deux contre trois cent trente-huit à l'assemblée universelle. Le conseil permanent la déclara conforme à la Raison d'État, et le conseil constitutionnel à la constitution. Le gouvernement prit des décrets d'application. Moins de dix jours après que j'étais arrivé de la terre pour porter au Sénat Divin mon rapport d'Avatar, Anderland avait été convaincue et lançait les opérations.

Direction : terre

Le 21 décembre 1991, la délégation fut prête. Elle se composait de personnalités influentes. Le vaisseau était frappé des trois enseignes : le trèfle vert pour Anderland, le blason noir pour le conseil des nations, et la tour blanche pour le sénat divin. Suivait une navette, portant le symbole de l'Empire, la croix grecque noire sur fond bleu ; généralement, le fond était blanc, mais le bleu indiquait la présence là d'un personnage d'importance extrême... Personne n'avait remarqué la présence de cette navette. Enfin derrière suivait la flotte. On avait jugé bon d'emmener dix milliards d'hommes, soit le double de la population de la planète où l'on se rendait, puisque l'armée anderlandienne était en nombre pratiquement illimité. Suivaient donc dix millions de vaisseaux. Enfin venaient inaperçus cent millions de soldats impériaux.

La direction de la délégation avait été prise par François Nadir XVIII de Hannecourt, duc d'Upsilon à la pierre sanglante, vingt-troisième prince d'Éden, Dieu de l'Oraze, Seigneur Azoth, Chanteclerc d'Ini Om, membre du sénat divin. Il y eut beaucoup de délibérations et de discussions inutiles pour savoir quelle serait la marche à suivre une fois que nous serions sur terre. 26 myriasecondes plus tard, l'on se décida enfin à se téléporter. Un petit cube de dix centimètres de côté fut éjecté du vaisseau principal. C'était du Lozaire.

Par une fantastique coïncidence (le mot fantastique est infiniment trop faible), chaque particule de chaque vaisseau se retrouva, par le principe d'incertitude de Heisenberg à quelques millions d'années-lumières de son point d'origine. Toute la flotte fut en orbite autour de la terre.

Le vingt-quatre décembre 1991, le vaisseau se posa à moins de cent kilomètres de la base de Dumont d'Urville en Terre Adélie. En plein Antarctique. C'était l'endroit idéal pour favoriser l'action du Lozaire et rester cachés. Les dix millions de navires étaient regroupés à raison de un par hectare dans un carré de plus de trois cents kilomètres de côté.

« Je ne suis pas sûr qu'il ait été absolument nécessaire d'emmener tant d'hommes, dit Henri de Verle, membre de l'AUGA. Après tout, les hommes ne peuvent nous faire aucun dommage. »

« Peu importe, répondit quelqu'un, ils sont gratuits ! »

Opérations diverses

Après quelques préparatifs, nous radiodiffusâmes un message destiné à rassurer les habitants. Malheureusement, comme c'était le 25 décembre, personne ne le prit au sérieux. Nous demandions, bien qu'il fût minuit à New York, que l'assemblée générale des Nations-Unies se réunît à l'instant. Ce qui ne fut bien sûr pas fait. Mais nous ne le savions pas. Ainsi, quand nous ordonnâmes aux soldats de se mettre à deux pour contrôler chaque terrien, le résultat fut un gigantesque chaos sur toute la planète. Les autochtones étaient complètement bouleversés. Il y eut des millions de tentatives de suicide, immédiatement refoulées par l'armée, des millions de morts pour des causes diverses. La population de la terre fut pratiquement réduite à sa moitié. Quand nous arrivâmes au siège des Nations-Unies, le désordre était total. Nous attendîmes là plusieurs jours. Lorsque enfin l'ordre fut un peu revenu au milieu du carnage, attendant toujours (et nous allions attendre longtemps) la séance exceptionnelle de l'assemblée générale, nous décidâmes de parler à la Terre. C'est ainsi que, devant une foule gigantesque (bien que composée principalement de militaires anderlandiens), je commençai un discours, transmis par toutes les radios et télévisions de la terre, qui devait rester à jamais célèbre. J'expliquai à la population qui nous étions, ce que nous voulions, comment nous allions procéder.

...

C'est ce moment, au milieu de l'hystérie la plus totale, que choisit la navette impériale pour se poser. Je cessai de parler, intrigué. La porte s'ouvrit lentement.

En sortit un personnage drapé de noir de façon à ce qu'on ne pût pas voir sa figure. Il était suivi de vingt gardes du corps. Le silence fut soudain absolu. Et dans ce silence éclata une voix. Cette voix dit :

« Sa Majesté, L'Empereur de l'Univers ! »

Tous s'agenouillèrent. L'Empereur s'avança vers moi.

Il parla, d'une voix grave et majestueuse :

« I in Gringensaxi domum[*] ! »

Et il retourna sans un mot de plus dans le vaisseau.

Je chuchotai alors à Chanteclerc d'Ini Om de continuer sans moi. Je devais me rendre au château de Gringenstein sur le lac.

Gringenstein sur le lac

Le château

Je levai les bras et je fus dans les Jardins de l'Éden.

Devant moi se trouvait le château de Gringenstein.

Je gravis, entre les deux lions qui gardaient l'entrée de la Demeure de l'Infini, les marches de l'escalier de diamant menant à une aire rectangulaire entouré de colonnes torses de marbre qui supportaient un fronton orné de bas-reliefs représentant la Symphonie du Monde ; la réflexion de la lumière solaire sur le sol d'albâtre ou sur les rampes de cristal produisait un kaléidoscope de couleurs qui illuminaient les statues des sévères empereurs passés de l'Univers. Si les Jardins de l'Éden sont la Résidence du Sublime, Gringenstein est le Joyau de leur Couronne. Désert, il n'en était que plus beau ; le son de mes pieds nus sur le sol était amplifié par les murs, se réverbérait sur toutes les surfaces aux formes étranges et labyrinthiques des salles, et prenait si longtemps à s'affaiblir que j'eus l'impression qu'il y avait quelqu'un d'autre qui marchât dans le château. Chaque salle que je traversais était embaumée d'un parfum différent, parfois de la rose ou du muguet, parfois des senteurs d'orient ou des épices indiennes, parfois des odeurs plus subtiles encore, nées de mélanges savamment dosés. L'architecture de ce monument était de la plus curieuse qu'eut jamais imaginée l'esprit des savants architectes d'Upsilon ; les salles, en raison de la réflexion des murs, semblaient immenses ; le zénith et le nadir se confondaient dans une harmonie de miroirs ; les chambres se contenaient les unes les autres de façon inimaginable ; on ne savait pas comment la lumière parvenait du soleil, mais le palais tout entier rayonnait en un accord lucifère parfait ; depuis les hautes fenêtres orientales, on apercevait les Jardins de l'Éden jusqu'à des milliers de lieues. Les pièces étaient de toutes les couleurs de la création, l'une en marbre rose, l'autre en jade, celle-ci en quelque pierre cyan, celle-là en améthyste, la première en rubis, la suivante en émeraude, la troisième en glace, la quatrième en feu.

L'Empire Universel siége à trois endroits : Anderland, car c'est la capitale de l'Univers, d'Oméga, où de tous temps s'est situé le Palais Impérial et Gringenstein sur le lac (ou Gringensaxus super lacu), domus aurea des empereurs.

Sa Majesté

Je me dirigeai vers la salle du trône, la plus haute de toutes ; à même le mur ouest se trouvait un grand bloc de diamant. Et sur ce bloc, un gigantesque siège de Lozaire, sur lequel était majestueusement assise Sa Majesté L'Empereur de l'Univers. Il était toujours tout en noir, et portait sur la tête une couronne de lumière qui remplissait la pièce de mille feux.

Je me mis à genoux.

Je le saluai selon la coutume :

« Ô ègemon, agie die athanate turanne ! Pariturus moriturusque pro imperatoris mei gloria sum[*] ! »

Et lui de dire :

« Relève toi ! »

Ce que je fis.

« Je ne suis pas satisfait. »

« Les ennuis commencent » pensai-je.

« La planète Terre a été envahie par les forces anderlandiennes et je n'ai été mis au courant que plusieurs jours après la dissolution de l'assemblée terrestre. »

« Mais, Votre Altesse... »

« Silence ! Tu vas donc ordonner immédiatement à Chanteclerc d'Ini Om de cesser les opérations. »

« C'est trop tard, Votre Altesse. »

« Peu m'importe ! »

Et le trône pivota, pour disparaître dans le mur.

Petits ennuis

Préparatifs terrestres

De retour sur Terre, je constatai la situation : les habitants étaient bien plus calmes et Henri de Verle prononçait un discours aux Nations-Unies, discours qui faisait sensation. C'était effectivement trop tard, et j'ignorai l'ordre impérial pour le moment.

Les préparatifs portaient sur un nouveau découpage administratif et sur l'élection d'assemblées qui devaient régler les problèmes dans les domaines politique, économique, militaire et judiciaire. En effet dans chaque domaine de nombreux points étaient à préciser. Je restai donc 26 décamyriasecondes sur terre.

Présentation d'Anderland

Je me rendis au palais royal Anderlandien, à d'Alpha. Son Altesse Royale était, disait-on, de bon conseil. Le grand chambellan m'apprit qu'il était au siège du Gouvernement d'Anderland, et j'y allai donc.

Le terme Anderland désigne à la fois le pays et la planète. Cette dernière est située sur le bras spiral majeur de la galaxie d'Andromède. Lorsqu'on s'en approche, on peut constater que c'est une planète en rotation complexe autour d'un système d'étoiles binaire (une bleue-blanche et une jaune), de diamètre similaire à la terre (précisément 12839334 mètres en moyenne à l'équateur), de période de rotation sidérale de 73802 secondes. Sa surface est occupée par des océans d'eau à 85.675 pour-cent. Sa masse est de 5862 mégaexagrammes ce qui lui fait une gravité à la surface et à l'équateur de 9.4912 newtons par kilogramme soit de 3.15 pour-cent de moins que la terre. Son atmosphère est composée à 66 pour-cent de diazote, à 20 pour-cent de dioxygène, à 10 pour-cent d'hélium, à 3 pour-cent de néon et pour le reste d'autres gaz, tels que l'argon, le dioxyde de carbone, etc. La température moyenne à la surface avoisine les 24 degrés à l'équateur et 15 aux pôles (en raison du système binaire et de la place importante des océans, l'amplitude thermique est faible). Les formes de vie sont exactement génétiquement compatibles avec celles de la Terre (par une coïncidence extraordinaire).

La surface des terres, soit 73.86 mégamètres carrés est bâtie à 36.51 pour-cent. Cette surface bâtie est constituée de complexes administratifs, d'aires de loisirs, de culture, et en faible partie de résidences privées. En effet, les Anderlandiens préfèrent vivre dans des bulles de verre spécial de dix à vingt kilomètres de diamètre remplies de terre dans leur partie inférieure imitant ainsi un sol planétaire, qui ont la possibilité de se mouvoir dans l'atmosphère de la planète, voire dans l'espace. Mais Anderland, si elle n'est pas le centre résidentiel est indiscutablement le centre politique, économique, culturel, artistique et scientifique de l'Univers.

Toutes les constructions sont faites dans un polymère plastique céramiquoïde non polluant qui recouvre tout, y compris les rues, par souci de propreté, à l'exception des espaces verts, ou non bâtis. L'architecture anderlandienne recherche principalement les formes rondes, si bien que l'ensemble des constructions, vu d'en haut, prend un aspect très futuriste.

Du point de vue sociologique, la civilisation anderlandienne surprend au premier abord. Tout y est régi par la volonté de confort. L'argent a perdu tout son intérêt : si l'unité anderlandienne est cotée par les tables anderlandiennes de standardisation des taux d'échange terrestres (TASTET) à 40 unités par franc suisse, en se basant sur les prix, on utiliserait plutôt la valeur de cent milliard de francs suisses par unité, et inversement, en se basant sur les fortunes, on compterait dix puissance vingt-et-un unités par franc suisse. Plus personne ne travaille, en raison de la robotisation extrême de tous les moyens de production, si ce n'est par plaisir, ce qui explique qu'Anderland fasse toujours des découvertes scientifiques. Mais c'est dans le domaine démographique qu'Anderland est le plus surprenant : chacun peut changer de corps à volonté, la natalité est pratiquement nulle en raison du très faible nombre de mariages, et la mortalité l'est absolument. Les Anderlandiens s'intéressent principalement à la politique, à l'art ou à la science. Ils occupent leur journée à aller et venir dans les rues de la capitale, ou à rester paresseusement chez eux. Par moments, ils partent avec leur résidence voir une autre planète belle ou réputée telle, quoique peu d'entre elles le soient plus qu'Anderland même. Le calendrier anderlandien est d'une complexité extrême : on utilise généralement les multiples décimaux de la seconde (qui est, par un hasard inimaginable la même que la seconde terrestre), mais pour rester en accord avec les jours anderlandiens, les années universelles, qui valent dix mégasecondes (soit 115 jours terrestres, 17 heures, 46 minutes et 40 secondes), sont divisés en 135 ou 136 jours tant bien que mal. La complexité de l'orbite autour du système binaire rend les choses absolument incompréhensibles et l'informatique est heureusement là pour afficher à tous les coins des rues l'heure et la date dans les différents systèmes, et pour différentes planètes. Quant à l'habillement, les Anderlandiens gardent sur eux en permanence une combinaison qui les recouvre intégralement, qui permet l'accès à tous les services informatiques, qui protège également des relativement abondantes intempéries de la planète et qui fait qu'il est pratiquement impossible de reconnaître quiconque dans la rue car le casque cache trop bien la tête ; les « personnes respectables », c'est à dire les hauts fonctionnaires d'État, portent un habit semblable à la toge romaine, ce qui est fort gênant lorsqu'il pleut.

La tour du Gouvernement

Arrivé à Anderland, je me rendis à la présidence de l'Univers pour voir les nouvelles et annoncer officiellement au président du sénat universel, Gilles, membre du sénat divin, que j'étais rentré, et qu'il pouvait cesser d'exercer l'intérim, bien qu'il le sût déjà, puisqu'il avait entendu mon discours ; il n'était pas là, on me dit qu'il s'était rendu au Gouvernement.

Je traversai donc la voie principale, en direction de la tour du Gouvernement universel. Celle-ci se tient sur une place publique (la place de la fontaine), légèrement en-dessous du niveau de la rue, à son extrémité. Cette place est remplie d'eau et couverte de petits ponts. L'eau s'échappe en tombant en cascade le long d'une falaise perpendiculaire à la rue qui sépare la place d'un jardin public de plusieurs dizaines de kilomètres carrés, réplique d'une partie des Jardins de l'Éden. La tour elle-même, de plus de mille mètres en hauteur, porte à la proportion d'or de sa hauteur, un tore de rayon externe de 200 mètres et interne de dix mètres, relié à elle par cinq fins couloirs. C'est dans ce tore que siège le Gouvernement universel, et c'est dans ce tore que je me rendis. Effectivement, je trouvai tous ceux que je cherchais : Gilles, Chanteclerc d'Ini Om, Sa Majesté le Roi d'Anderland, Sa Majesté la Reine, Henri de Verle, Marcus Tullius Cicéron, premier ministre de l'Univers et Madame Sarloux, présidente de l'assemblée universelle.

Discussion

« Votre Majesté, Votre Majesté, mesdames, messieurs, salut ! »

Je fis une révérence au couple royal.

« Bonjour, David, assieds-toi. Qu'as-tu à nous dire ? »

« J'apporte des nouvelles de Sa Majesté l'Empereur de l'Univers. Et il n'est pas content de notre petite intervention sur Terre. »

« Mon dieu (ce à quoi Gilles répondit « Oui ? »), avions-nous besoin de ce problème supplémentaire ? »

Je remarquai que les yeux de Gilles brillaient étrangement.

« Et que nous reproche-t-il ? » demanda Henri de Verle.

« Je n'en sais pas, mais il veut que nous annulions tout. »

« C'est trop tard, objecta François Nadir XVIII de Hannecourt, nous en sommes trop loin ! »

« Allez lui dire ! »

« Ignorons simplement ses menaces : que peut-il faire ? »

Sa Majesté s'exprima pour la première fois depuis mon arrivée. Il avait un sourire amusé aux lèvres et parlait d'une voix douce :

« Il peut provoquer une crise, ou même une guerre civile, bloquer l'appareil constitutionnel, et forcer le Sénat Divin à dévoiler le Codex. Et c'est ce qu'il fera, car il détient le serment d'obéissance du Conseil Permanent, dont il a déjà une fois fléchi la volonté et que par ailleurs c'est son seul moyen d'action. »

À ce mot, le silence fut sans égal. Le Codex, secret des dieux, kruptos theôn biblos, jalousement gardé par la guilde des Nécromanciens et le Sénat Divin, caché dans un endroit impénétrable de l'Univers, inconnu de tous sauf de moi et de Gilles, que l'Empereur avait réussi à apercevoir, mais n'avait, au dernier moment pas osé lire.

« Et que devons-nous faire ? » demanda Henri de Verle.

« Attendre qu'il agisse, répondit Cicéron, puis, s'il fait bien ce que Sa Majesté a prédit, David prendra les pleins pouvoirs et nous nous poserons de nouveau la question. »

Tous partirent, sauf le couple royal. Gilles avait l'air plutôt amusé que troublé.

« David, toi qui écris ce livre, demanda la Reine, pourquoi nous infliges-tu cela ? Et pourquoi sembles-tu impuissant ? »

« Si je lui est confié le suprême imperium et le potestas absolu, si je l'ai nommé Empereur de l'Univers, si je l'ai couronné moi-même, je Dois lui obéir, même étant son auteur. Les voies du Destin sont impénétrables, Votre Majesté. » Puis je rajoutai mystérieusement : « Et d'ailleurs j'ai une autre raison... »

De charybde en scylla

Gros problèmes

Interlude

La constitution anderlandienne contient plus de mille volumes. Il n'est donc possible que d'en donner un résumé très résumé. Le pouvoir législatif est détenu par trois assemblées : le sénat universel, de 600 membres, élu par quarts tous les 3 ans, où chaque siège est pourvu au suffrage universel direct à un tour, l'AUGA, de 500 sièges, renouvelable tous les 2 ans par cinquièmes, où les 500 personnes ayant obtenu le plus de voix sont élues et l'assemblée universelle, 900 élus, renouvelable par tiers tous les 5 ans, élue au scrutin de liste proportionnel, et qui ont toutes un pouvoir à peu près égal. L'exécutif est détenu par un président élu pour 10 ans au suffrage universel, par élimination successive des candidats ayant obtenu le moins de voix. Le gouvernement possède le pouvoir qui porte ce nom ; il est renouvelé très fréquemment, à chaque élection législative ou présidentielle. L'AUGA peut dissoudre le Sénat Universel, qui peut, lui, demander un référendum dans le but de faire tomber le président, qui, lui, peut dissoudre l'AUGA ; le premier ministre peut dissoudre l'assemblée universelle, mais les autres assemblées contrôlent le gouvernement. Parallèlement, Anderland est divisée en cinq collectivités locales, dites d'ordre 1, elles-mêmes divisées en 5, etc. Chaque collectivité élit un président, qui doit être choisi parmi les cinq présidents des collectivités plus petites, et ainsi chacune compte un président, un « conseil des cinq » formé des cinq présidents des collectivités de niveau inférieur, un conseil des 25, une assemblée des 125, une assemblée des 625, et une cour des 3125, qui ont les pouvoirs de diriger, de gouverner et de faire exécuter les lois, de proposer les lois, de les voter, de les ratifier et de contrôler l'organisation ainsi que de rendre la justice. Anderland a copié pour sa constitution tous les régimes politiques qu'elle a pu observer, ce qui explique le nombre d'assemblées et d'organes inutiles ainsi que la longueur du texte.

Autres personnages

Elëxoros bailla. Depuis son arrivée dans les Jardins de l'Éden il y a environ cinq cents ans, il s'était somme toute bien peu passé. Au début, Erenus et lui avaient découvert, émerveillés, des lieux dont la beauté dépassait les bornes de leur imagination. Mais avec le temps, ils s'étaient lassés. Puis ils avaient erré au hasard dans les Jardins. Un jour ils avaient retrouvé Xanthin[*], leur ami de longue date, qu'ils avaient perdu de vue. Alors ils avaient de nouveau pris goût à la vie. Mais rapidement l'ennui les avait gagné encore une fois.

Elëxoros était de plus en plus hanté par cette question : comment étaient-ils arrivés là ? Étaient-ils devenus des dieux ? Ils avaient lu un livre, le Codex, mais ils avaient « oublié » son contenu, sitôt qu'ils étaient arrivés dans ce monde. Avaient-ils vraiment changé de monde ? Les monts Yinang, une porte, une route céleste, une tour blanche, des jardins, un temple, un livre. Puis ils étaient ici. Il y avait bien une tour blanche, mais plus de temple, ni encore moins de voie stellaire. Et les portes de la tour étaient fermées.

Soudain il ne tint plus et décida enfin d'aller voir cette tour, pour demander à quelqu'un ce qu'il en savait. Erenus le suivit, intrigué, accompagné de Xanthin. Windolf avait décidé de changer de corps pour se distraire ; mais il avait eu un petit contretemps.

Rencontre

Je heurtai Elëxoros au détour d'une allée.

« Excusez... Ruxor ! »

« Ah, Elëxoros ! Je te cherchais. Voici la Princesse Anya de Bergonde, fille de l'Empereur de l'Univers »

« Votre Majesté. »

Il s'inclina et la princesse rougit légèrement.

« Moi aussi, je vous cherchais. C'est au sujet du Codex... »

« Oui, c'est du Codex qu'il est question, répondis-je distraitement. Et c'est très important. Le père de cette jeune fille va probablement déclencher la guerre civile, ou même pire encore. Suis moi. Et va chercher Erenus et Xanthin. »

Ce qui ne fut pas nécessaire.

« Quant à Windolf... »

J'hésitai, puis choisis de ne pas terminer ma phrase.

Nous arrivâmes à la cour d'Éden, grand socle de Lozaire horizontal occupant le sommet d'une colline. Et sur ce socle se trouve, unique morceau de Théochryse blanc de l'Univers la tour d'Éden, ou siège le sénat divin, non à l'intérieur, mais en haut, sur un plateau qui se détache de la tour. Les portes de la tour sont fermées.

Arrivé là, je leur dis :

« C'est tout simple : amenez l'Empereur à Anderland, recouvrez le Codex, et apportez-le, surtout sans l'ouvrir, au Conseil des Nations. Prenez un billion d'hommes et envahissez Anderland, et en particulier le centre des résurrection, mais ne tuez personne. Empêchez un coup de force des troupes impériales, à Anderland, à d'Alpha, à d'Oméga, et sur Terre. Trouvez et consultez l'oracle de l'ermite. Convainquez le Seigneur Noir de se joindre à nous, ou vainquez le, et l'Empereur de se rendre. Localisez la grotte Dorée-Scintillante et le Cristal. Libérez Marc le blanc qui vient d'être fait prisonnier par l'Empire. Faites le tout dans l'ordre qui vous plaira, et rendez compte de vos actions au Sénat Divin. »

« C'est tout ? »

« Non, évitez de vous faire trop remarquer !

Vous trouverez deux vaisseaux des plus modernes juste à quelques mètres en contrebas, et six billions de soldats prêts à vous obéir sur la sixième planète du système 4 du secteur universel 923 KN Psi 7. »

Je partis sans leur laisser dire un mot de plus.

Départ

Sans doute n'eusse-je pas dû négliger le fait qu'aucun d'entre eux n'avait jamais piloté un vaisseau.

Erenus et Xanthin montèrent dans celui qui portait le numéro 5483392124J et Elëxoros et Anya dans le 5483392125B.

Une fois entrés, ils furent surpris de la simplicité des instruments. Au poste de commande, il n'y avait, pour chacun des pilotes qu'un terminal d'ordinateur, trois manettes et quelques glissières. L'ensemble semblait conçu pour offrir un maximum de confort, et ressemblait plus à un appartement qu'à un vaisseau spatial. Ils allumèrent donc les ordinateurs, et un dessin du navire apparut en perspective. Ils choisirent alors, parmi les diverses commandes qui étaient proposées, la commande « décoller », et se virent flottant à quelques dizaines de centimètres au dessus du sol. Puis ils essayèrent de tourner les manettes vu qu'aucune option ne correspondait plus. Ceci eu pour effet qu'un vaisseau failli s'écraser contre la colline et que l'autre fit un tour complet, verticalement. Mais rapidement ils maîtrisèrent le pilotage des engins. À plusieurs centaines de kilomètres de la surface des Jardins de l'Éden, ils se téléportèrent vers la planète signalée.

La guerre est déclarée

Premier coup

De retour à Anderland, j'appris de la bouche de Cicéron que le ministère des affaires extérieures avait reçu un message de l'Empire ordonnant à tous les citoyens anderlandiens de tenter de recouvrer le Codex que David avait « volé » (alors même que je suis son auteur). L'AUGA venait de se réunir de plein droit, et l'ambassadeur d'Anderland à d'Oméga d'être rappelé. Je me rendis donc à l'Assemblée. La discussion fut longue mais n'aboutit à rien. On envisagea de me confier les pleins pouvoirs, pour redresser les révoltes qui naissaient déjà, mais cette mesure ne fit pas unanimité car certains me reprochaient d'être déjà assez tyrannique, et par ailleurs on pensait également à rétablir temporairement la monarchie absolue. Je remarquai que Gilles était absent.

Ce fut un coup dur pour la Terre qui venait d'achever la première étape pour l'installation de l'ordre nouveau. Bien que les répercussions ne fussent pas trop grandes à court terme, il était sûr que, à moins que l'ordre ne se rétablît rapidement à Anderland, celle-ci subirait un second bouleversement, et pas pour le bien.

Mais la Terre était la source de tous nos problèmes. De retour à Éden pour quelques mois, je me plongeai dans une réflexion profonde sur la situation actuelle.

Me tira de ma méditation l'arrivée d'un messager l'air troublé. Le fait qu'un message eût été confié à un homme plutôt qu'envoyé par les réseaux informatiques pourtant très sûrs prouvait qu'il devait être d'importance extrême

Un message terrible

Il s'agenouilla devant moi.

« Je ne suis ni Empereur ni Roi, lui dis-je. Relève-toi et délivre-moi ton message. »

Il me donna deux papiers scellés portant pour l'un les armes d'Anderland, et pour l'autre l'insigne du Sénat Divin et de la Guilde des Nécromanciens. J'ouvris le premier, il contenait le message suivant :

« David,

Anderland a été envahie ! Deux inconnus nommés Elëxoros et Erenus sont arrivés avec au moins huit cents milliards d'hommes. Ils se sont déclarés dictateurs. Je te demande ton aide divine si tu peux nous l'accorder. Tu es notre seul espoir.

Henri de Verle,
Membre de l'AUGA. »

C'était plutôt une bonne nouvelle. Je déroulai donc le second :

« David,

Nous, François Nadir XVIII de Hannecourt, duc d'Upsilon à la pierre sanglante, vingt-troisième prince d'Éden, Dieu de l'Oraze, Seigneur Azoth, Chanteclerc d'Ini Om, membre du sénat divin, Aragnir des Lacs, dix-huitième prince d'Éden, Dieu du Soleil, président du sénat divin, Berthioth le Grand, trentième prince d'Éden, Dieu de Gringenstein, président de la guilde des Nécromanciens et Airionde de Bernie, premier prince d'Éden, vicomte d'Exel sur Éden, Seigneur des Justes, membre et président du conseil permanent et membre du Sénat Divin t'annonçons une nouvelle qui vient de nous parvenir de son Altesse la princesse Anya de Bergonde, fille de Sa Majesté l'Empereur de l'Univers et de Xanthin, qui cherchaient à l'apporter au Conseil des Nations, et qui nous a mis dans l'effroi le plus grand :

Le Codex a été dérobé ! »

SUNSET ON GRINGENSTEIN

La grotte Dorée-Scintillante

En position d'infériorité

De nouveau à Gringenstein

Je me rendis de nouveau au château de Gringenstein. L'Empereur n'avait pas bougé.

« Alors, vous avez volé le Codex ? »

Il sourit ; je ne le vis pas mais le sentis.

« Qu'allez-vous faire maintenant ? Allez-vous le lire ou bien exiger quelque chose en échange ? »

Il sourit de nouveau.

« Attention, nous ne sommes pas si faible que vous pouvez le penser. Nous avons votre fille. Et n'oubliez pas qui je suis ! »

Il rit.

« Ma fille ! Que pensez-vous qu'elle pèse contre le Codex ? Et croyez-vous vraiment que je ne sais pas que vous vous êtes juré de ne pas employer votre puissance absolue ? »

« Ah oui ? »

Je fermai les yeux un instant et quand je les rouvris, une statue me représentant couronnant l'Empereur apparut. Il ne s'émut pas.

« Et bien, je vous constitue mon prisonnier. Mieux : je vous nomme comme un de mes garde du corps. Voyons comme vous utiliserez votre Pouvoir à votre défense ! Voyons comme l'auteur d'un livre peut être emprisonné par ses propres personnages ! »

Vingt soldats arrivèrent et me forcèrent à revêtir l'uniforme de garde impérial. Je ne fis rien pour les en empêcher. Je dis simplement :

« Kai su, teknon[*] ! »

Parole qui, sans que je n'y fisse alors attention, était prophétique.

C'est ainsi que je disparus de la scène.

Les yeux de la princesse

Erenus, Elëxoros, Xanthin et Anya de Bergonde, après avoir envahi Anderland et confié le pouvoir discrètement à Cicéron, et constaté que le Codex n'était pas là où il eût dû être, décidèrent de se mettre à la recherche de la grotte Dorée-Scintillante, sans avoir la moindre idée de ce dont il s'agissait. Ils allèrent donc au Sénat Divin pour recevoir des instructions.

Ils trouvèrent à la cour d'Éden Chanteclerc d'Ini Om, qui se dirigeait, d'un pas pressé, vers le château de Gringenstein.

« Excusez-nous, Votre Divinité, nous cherchons David... »

« Gilles et David ont disparu ! Trouvez la grotte Dorée-Scintillante et rapportez le Cristal et l'Anneau du Monde. »

« Mais où aller ? »

« Demandez à l'oracle de l'ermite. »

« Mais où est-il ? »

« Sur la planète du système 8 du secteur universel 448 JJ Delta 4. Ne vous trompez pas en... »

Le reste de sa phrase fut perdu car il s'en allait.

Tandis qu'Erenus et Xanthin partaient à la recherche de Marc le Blanc, Elëxoros et Anya se rendirent donc dans le vaisseau et se dirigèrent vers la planète indiquée.

[Illustration: La planète de l'oracle de l'ermite, vue par Laurent Penet]

Son sol était rouge, son ciel était rouge, son étoile était rouge, ses lunes étaient rouges. Le vaisseau se posa, point rouge dans l'immensité rouge, et ils sortirent, taches noires, du vaisseau rouge perdu sur la planète rouge. Un vent tiède soufflait. Une voix, semblant sortie du ciel retentit alors :

« Nous sommes un sable blanc sur une plage noir,
Nous sommes les yeux de l'Infini,
Nous sommes des paillettes multicolores dans les bras des déesses du lait,
Qui sommes nous ? »

Elëxoros s'arrêta, regarda autour de lui et cria :

« Les étoiles ! »

Rien ne se passa. Ils continuèrent d'avancer.

Après qu'ils eurent passé plusieurs heures à la surface de la planète, la voix posa une seconde question :

« C'est une étincelle mystérieuse,
C'est une voix qui chante, une lumière qui illumine
Tout ;
Et quand cette étincelle s'éteint,
Quand cette voix se tait,
Quand cette clarté s'obscurcit,
C'est
FINI.

Qu'est-ce ? »

Un animal passa. Anya répondit :

« La vie ! »

Ils continuèrent leur marche sur la planète désolée et arrivèrent à un petit abri. Ils y allèrent et la voix leur demanda :

« Ce sont deux boules de cristal,
Dans lesquelles on voit tout,
Ce sont des pierres qui brillent
D'un éclat mystérieux,
Ce sont le soleil et la lune, l'eau et le feu,
Ils se ferment sur l'obscurité et s'ouvrent sur
La lumière.
Que sont-ce ? »

Elëxoros regarda Anya. Il s'écria soudain :

« Les yeux ! »

À Anderland

Anderland avait été envahie alors que l'AUGA se réunissait en séance plénière. Elle n'avait pas trop hésité, vu l'importance de la force armée à prononcer la dictature. Erenus et Elëxoros avaient ensuite délégué leurs pouvoirs à Cicéron, avec pour mission d'empêcher tout union de la population avec l'Empire. Celui-ci désira que se réunît de nouveau le petit comité qui avait le premier appris la situation, pour leur dévoiler ce qui s'était réellement passé. Je n'étais pas là, bien entendu, pas plus que Gilles, qui s'était mystérieusement volatilisé, ni que Chanteclerc d'Ini Om qui était à Gringenstein sur le lac. Mais était également venu Son Altesse Alexandre VII, précédent Empereur de l'Univers. Quand les autres entrèrent, ils s'agenouillèrent devant lui. Il les pria de se relever.

« Je suis venu ici pour vous apporter un élément qui jouera peut-être un rôle capital. Je l'ai inscrit dans ce parchemin scellé. Je vous demande de ne l'ouvrir qu'en cas d'extrême urgence, son contenu n'étant pour l'instant connu que de moi-même, de mon fils l'actuel Empereur, de David et de Gilles. Et aucun de ceux-ci n'aimerait que l'on le dévoilât. »

Il leur tendit donc un rouleau portant son sceau.

Sa majesté le Roi prit alors la parole :

« Rappelons que le principal but de cette guerre est de retrouver le Codex et d'empêcher l'Ennemi de s'emparer des sites stratégiques. Pour cela, David a envoyé Erenus, Elëxoros, Xanthin ainsi qu'Anya de Bergonde d'abord envahir Anderland, puis chercher la grotte Dorée-Scintillante afin de nous approprier le Cristal, et libérer Marc le Blanc qui pourra nous être un auxiliaire fort utile. Notre rôle est simple : nous devons maîtriser toute la planète et même quelques autres. Avec tant d'hommes cela ne pose aucun problème. »

Marc le Blanc

D'Oméga

Erenus et Xanthin arrivèrent à d'Oméga, au complexe militaire, déguisés en soldats impériaux. Je leur avais préalablement fourni un laissez-passer pour aller aux archives impériales et un ordre de transfert de prisonnier où le numéro de la cellule avait été laissé en blanc. Mais cet ordre avait été indiqué comme donné par un officier de rang de capitaine car tous les ordres supérieurs étaient contrôlés personnellement par l'Empereur. D'autre part ils n'avaient aucun justificatif pour expliquer leur arrivée et encore moins leur départ, même s'ils s'étaient vu attribuer des codes internes de soldats.

Ils atterrirent donc avec un groupe et se cachèrent pour pouvoir partir sans être vus. Ils se dirigèrent vers le bâtiment des archives. Ils n'eurent pas de mal, grâce à leur laissez-passer à compulser les documents informatiques.

« Alors, est-il enfermé ici ? »

« Il y a bien un Marc le Blanc dans les prisons de l'Empire, mais il est à Gringenstein ! »

« Mais alors nous ne pourrons jamais l'en sortir ! »

« Parle moins fort ! Attends, un certain Cnalb el Cram est prisonnier ici : allons voir ! »

« Pourquoi Cnalb el Cram ? »

« Réfléchis ! »

Ils retranscrivirent donc discrètement le numéro de la cellule sur l'ordre de transfert et se dirigèrent vers les prisons. Le garde refusa de les laisser passer.

« J'ai reçu l'ordre formel de ne laisser passer personne, et votre papier n'est pas contresigné par le capitaine de la section ! »

Dernière énigme

Elëxoros et Anya décidèrent d'attendre dans le pauvre petit abris de bois qu'une nouvelle question fût posée. Après fort longtemps, comme rien ne se passait, ils décidèrent de se remettre en route. Ils se retournèrent et virent un petit vieillard qui les regardait d'un air amusé.

« Qui êtes-vous ? » demanda Elëxoros, surpris au plus haut point.

« Peu importe mon nom... Je suis celui que vous cherchez. »

« Vous êtes l'ermite ? »

« Posez votre question. »

« Qu'est-ce que la grotte Dorée-Scintillante ? »

« Il y a bien longtemps, plus d'un milliard d'années avant l'avènement d'Anderland, régnait sur l'Univers une civilisation intelligente et florissante. Si scientifiquement, ils n'étaient guerre plus avancés que la roue et le feu, ils connaissaient entièrement l'art de la magie.

Chacun de leurs royaumes possédait une merveille. Il y en avait une multitude : un Cristal, deux Anneaux, une Flamme, une couronne, deux arbres, vingt anneaux, une pierre, une baguette, pour n'en citer que quelques-uns. Ou bien avait sur son territoire un lieu sacré : l'Arbre de l'Univers, le Volcan du Temps, la Tour de Cristal, etc.

Un jour, tous les royaumes furent regroupés sur ordre de David, sous la direction d'un homme qui règne aujourd'hui sur l'Univers, votre père, Madame. Alors toutes les merveilles furent regroupées dans une grotte, et des téléporteurs y furent placés qui permissent d'aller aux lieux sacrés. Qui s'appela la grotte Dorée-Scintillante, et qui fut soigneusement cachée.

Quand l'immortel Seigneur Noir eut découvert l'emplacement de la grotte, il s'empara des merveilles et, en raison de son avarice et de sa cupidité, détruit la civilisation qui l'avait engendré. Ce n'est que bien des années plus tard qu'il replaça les merveilles dans leur grotte. »

« Mais où est-elle ? »

« Sous l'Olympe,

Sous un cygne blanc sur un lac noir,

Dans les entrailles de gè,

On y entre par le cou du cygne. »

Et l'ermite se précipita derrière Elëxoros et Anya de Bergonde. Quand ceux-ci se retournèrent, il avait disparu.

Faux et usage de vrai

Xanthin regarda alors le garde dans les yeux (bien que ce fût difficile en raison des casques) et lui dit :

« Je suis le capitaine de la section ! »

« Vous n'avez pas les insignes du grade. »

« Et pourtant, je suis le capitaine. »

« Oui, mon capitaine ! »

Et il se mit au garde-à-vous.

« Et maintenant, ouvrez. »

« Oui, mon capitaine. »

Il ouvrit. Erenus et Xanthin pénétrèrent la cellule.

Marc le Blanc était là.

« Suivez-nous ! »

Ils lui mirent des menottes et l'entraînèrent hors de la cellule. Ils n'eurent pas non plus de difficultés pour quitter la planète.

« Pourrais-tu m'expliquer comment tu as fait ? » demanda Erenus à Xanthin.

« Comment penses-tu que j'ai obtenu la pierre de la volonté[*] ? »

Révélations

Elëxoros et Anya de Bergonde

« Nous avons tout de même appris beaucoup, résuma Elëxoros : en dehors de cette énigme, nous savons que votre père n'était pas le fils du précédent Empereur, mais qu'il est bien plus vieux que ça, et nous en savons maintenant plus sur le seigneur noir. Reste cependant à trouver icelle grotte.

J'ai quelque chose d'autre à vous dire. »

« Je sais. » répondit Anya.

Ils rougirent.

Erenus et Xanthin

« Il serait peut-être temps que nous nous introduisissions », dit Erenus à Marc le Blanc. Ils lui ôtèrent ses menottes et retirèrent leurs casques.

« Je suis Erenus, et voilà Xanthin. »

« Marc le Blanc. Je vous connais déjà. » répondit l'autre d'un ton enjoué.

« Vous êtes au courant de la situation ? »

« Bien sûr, je sais beaucoup de choses que vous ne savez pas... »

« Pourquoi étiez-vous enfermé sous le nom de Cnalb el Cram ? »

« Parce que c'est mon nom à l'envers. »

« Merci, je sais ; mais qui est alors Marc le Blanc ? »

Il leur dit et ils furent fort surpris.

Chanteclerc d'Ini Om

Chanteclerc d'Ini Om se rendit à Gringenstein. Il fut arrêté à la porte du palais par deux gardes : j'étais d'entre eux, mais il ne me reconnut pas. Nous le conduisîmes à la salle du trône.

« Hoc est ultima mea appellatio ! Redde Caesari quae sunt Caesaris et quae sunt Dei Deo[*], sans quoi le Sénat Divin entrera en guerre. »

« Cet argument eût pu valoir si le Codex n'eût pas été entre mes mains. De quoi suis-je censé avoir peur ? Prosblepson tautèni tèn Bublon[*] ! »

Il tendit un bras maigre et osseux et désigna un piédestal sur lequel était posé le Codex.

« Tènde airoumai[*]. » dit Chanteclerc d'Ini Om. Il s'approcha et le saisit.

L'Empereur fit un signe de la tête, nous nous précipitâmes sur lui et lui ôtâmes le livre des mains.

« Bellum igitur habebis[*] ! Mais nous nous reverrons bientôt et j'aurai des arguments plus frappants. »

Ils se saluèrent et le dieu sortit.

Découverte sur fond bleu

Pendant ce temps, Elëxoros, Anya de Bergonde, Erenus, Xanthin et Marc le Blanc se retrouvèrent à la cour d'Éden. Ils ne tardèrent pas à se mettre au courant les uns les autres de ce qu'ils avaient appris. L'information la plus surprenante fut de loin celle que Marc le Blanc avait révélé.

Quand on parla de la grotte et de l'énigme, ce dernier se mit à rire.

« Nous avons compulsé les données de l'ordinateur, mais nous n'avons trouvé aucun « lac des cygnes » près d'une montagne. » avait dit Xanthin.

« Pourtant, vous êtes en train de le regarder juste en ce disant. »

Marc se retourna. La tour d'Éden se dressait fièrement, blanche sur la cour noire. Les dieux se tenaient en conseil olympien.

Peu de temps après, ils avaient pénétré la tour et descendu par un escalier dans les entrailles de la terre. De déboucher sur une porte, de l'ouvrir et de trouver derrière :

« La grotte Dorée-Scintillante ! »

Sombres matières

Le seigneur noir

Merveilles

Il y avait là des objets en quantité inépuisable. Sur les murs, des fenêtres donnaient sur des lieux mystérieux.

« Prenons le Cristal et l'Anneau du Monde et chacun une merveille qui pourra nous servir. Nous restituerons le tout au Sénat Divin la guerre civile terminée. »

Erenus choisit un livre, Elëxoros une épée, Xanthin une couronne. Anya de Bergonde prit un miroir.

Marc le blanc ouvrit une porte dans le fond de la grotte. Au-dessus d'une flamme ardente sur le sol, flottait un immense diamant taillé en icosaèdre. En son cœur brillait un éclat mystérieux. Au-devant du diamant il y avait une petite boite. Ouverte, elle fut vue contenir un anneau.

« Voici le Cristal, au-dessus de la flamme de l'Infini, et l'Anneau du Monde. »

Marc, avant qu'ils ne partissent enflamma une torche au feu magique.

Ils n'eurent pas de problèmes pour déplacer le cristal : celui-ci glissait dans l'air sans aucune difficulté.

Ils apportèrent le tout à la cour d'Éden.

Rencontre

Chanteclerc d'Ini Om les félicita :

« Bravo ! Allons maintenant vaincre ou convaincre le Seigneur Noir. »

Il siffla trois notes et un nuage passa au-devant du soleil.

« Ydimevegeke, naboozanduxu[*] ! »

Un tourbillon de poussières apparut devant eux. Qui bientôt se matérialisa. Le seigneur noir était là, majestueux et menaçant.

« Tu m'as appelé, dieu de l'Oraze, de la connaissance. »

Il était en armure de pied en cap, l'épée sortie, à la main et dirigée vers le sol. Noire était sa couleur.

[Illustration: L'apparition du Seigneur Noir, vue par Laurent Penet]

« Vois cet Anneau ! »

François Nadir XVIII de Hannecourt lui montra l'Anneau d'or qui luisait au soleil.

« C'est l'Anneau du Monde, l'Anneau Blanc, l'Œil de Dieu, l'Alpha rayonnant. »

« Et tu as l'Anneau du Vide, l'Anneau Noir, l'Œil du Néant, l'Oméga tout-puissant. Alors acceptes-tu de t'allier à nous ? »

« Voilà ma réponse ! »

Il leva l'épée, brisa l'anneau qui devint un cercle de feu, et s'éteint avec moultes fumées, et lui-même disparut comme il était arrivé, en criant :

« Je vous reverrai dans une heure à Gringenstein ! »

Tous à Gringenstein

Cicéron lut le papier qui lui avait été confié par Alexandre le Septième. Il fut si surpris de ce qu'il y trouva qu'il se dirigea à l'instant vers Gringenstein.

Tous s'y retrouvèrent donc.

Première révélation

Le Seigneur Noir gardait le trône de Gringenstein

« Nous savons qu'est détenu ici un prisonnier fort important... »

« Vous avez donc réussi à percer ce secret ? C'est assez impressionnant ! Quel dommage, j'aimais bien me faire passer pour lui. »

« ...l'Empereur de l'Univers ! »


« En fait, il n'est pas tout à fait mon prisonnier : il est ici. »

Un des gardes s'avança et se découvrit. Chaque genou fut au sol et toutes les têtes baissées.

« Votre majesté... »

Il sourit et ce sourire fut comme un rayon de soleil qui rentrait dans la salle.

Seconde révélation

« Et son père se trouve aussi ici ! » annonça Cicéron.

« C'est bien moi ! dis-je en retirant mon casque. Toi aussi mon fils ? »

« Oui, mon père. » répondit l'Empereur.

« Enfin, je garde le Codex, même si je perds deux gardes importants, soupira-t-Il. Et j'ai l'alliance du Seigneur Noir. »

Nous sortîmes du château impérial.

Troisième rencontre

En sortant, nous nous trouvâmes nez-à-nez avec Gilles.

« Gilles ! Où étais-tu donc ? Tu avais disparu ! »

« J'étais où le Destin avait conduit mes pas » répondit l'interpellé.

Je le connaissais assez pour savoir qu'il n'y aurait pas plus à en tirer.

NIGHT OVER EDEN

Sterne

Aldébaran

Histoire

« Oui, c'est mon fils. Je le créai avec l'Univers et ses dieux, et je le confiai à Chanteclerc d'Ini Om qui ne lui révéla sa véritable identité qu'après qu'il était devenu empereur à la succession d'Alexandre VII. »

« Mon père, vous eussiez pu constater que ce n'était pas moi qui trônais. »

« Mon fils, je le savais : vous n'avez pas de garde à Gringenstein. »

Tous en restèrent bouche-bée.

« Mais alors... »

« ...pourquoi... »

« ...n'avoir... »

« ...rien fait ? »

« Car je désirais savoir qui Il était. »

Les yeux de Gilles se mirent à étinceler.

« Et qu'as-tu trouvé ? » me demanda-t-il.

« Rien : vous êtes venus trop tôt. »

« Alors vous êtes mon grand-père ? » demanda Anya de Bergonde.

« Oui, mademoiselle, je suis votre ancêtre. Et d'ailleurs celui de tout le monde. »

Question

« Et que faire maintenant ? »

« En tout cas, vous n'avez plus besoin de moi, dit Gilles. Je me retire. »

Lui parti, nous montâmes à la tour d'Éden.

Le Sénat Divin ne siégeait pas alors.

Le Cristal avait été posé sur le plateau de la Tour. Je fis un mouvement léger de la main et apparut une image de la salle du trône de Gringenstein. Trônait, à côté du Seigneur Noir, un squelette.

« Un squelette ! Très spirituel ! Et bien, Toi, que veux-Tu en échange du Codex ? »

« L'Univers. Je veux le pouvoir absolu ! »

« Tu l'auras, Claudius ! Tu auras la couronne de celui pour lequel Tu T'étais fait passer. Rends-Toi dans deux jours sur Terre, à la galerie des glaces du château de Versailles. »

Tous ceux qui étaient là étaient stupéfaits.

« Vous n'allez tout de même pas, mon père, lui céder l'Empire ! »

« Si, Votre Majesté, et bien plus que cela. »

« Alors

There is something rotten in the state of Denmark ! »

Betelgeuse

La réunion eut lieu à l'endroit établi.

La délégation anderlandienne arriva la première. Ils portaient le drapeau au trèfle vert. Elle se composait de trois ministres, dont Cicéron, de cinq sénateurs universels, et de trois députés de l'Univers et de la galaxie d'Andromède.

Puis arriva Sa Haute Magnificence le roi d'Anderland et son épouse la Reine. Tous firent une révérence.

Ensuite rentrèrent dans la salle les députés de l'Assemblée Générale du Conseil des Nations et le Secrétaire Général, portant le drapeau noir.

Suivirent le Sénat Divin, le Conseil Permanent et la Guilde des Nécromanciens. Ils apportaient le drapeau de la Tour Blanche.

Son Altesse l'Empereur de l'Univers et le Conseil Impérial pénétrèrent la salle avec la croix noire sur fond bleu.

Puis vinrent le Seigneur Noir, Erenus, Xanthin et Elëxoros.

Enfin arrivâmes Lui et moi. Son drapeau était un G et un thêta, moi un alpha et un oméga. À notre entrée tous se prosternèrent devant Lui.

« Mesdames et Messieurs, dis-je, je ne souhaite pas faire un long discours. Le temps presse, venons-en aux faits.

Nous sommes cinq ici à avoir lu le Codex... »

Il y eut beaucoup de remue-ménage à cette annonce et je dus attendre longtemps avant de pouvoir continuer.

« Nous sommes cinq, donc, à connaître (ou avoir connu) la Science Suprême. Je désire cependant que le Codex lui-même me soit restitué.

Je Lui propose donc d'échanger le Suprême Livre contre le Pouvoir Absolu. »

Il acquiesça d'un signe de tête, sortit le livre des plis de sa robe tandis que je lui remettais un parchemin scellé aux armes du Démiurge.

Il le déroula et le lut :

« Egô, pantos Demiourgos, legô[*] :

J'ordonne divinement que désormais les Choses et les Êtres du monde devront obéir en tout point à la Volonté du Possesseur de ce Parchemin.

Toutefois, il sera fait exception dans cet Ordre et Commandement Suprême pour les Merveilles de l'Univers et leurs Détenteurs, car il est de leur Nature de n'obéir à aucun Supérieur.

Qu'Ainsi Soit Fait, car telle est Ma Volonté ! »

« Tu m'as trompé ! s'écria-t-il. Pourquoi les détenteurs des merveilles ne doivent-ils pas m'obéir ? »

« Trompé, lui répondis-je, trompé ? Écoutez le contenu du Codex :

« Article 11734B.448. La chambre haute peut, sur proposition de la chambre basse et avec l'agrément des cinquante-huit deux cent trente-sixièmes du parlement réuni, appeler les électeurs à s'exprimer sur une question dont il serait de sa compétence de conseiller le gouvernement et la faire proclamer, avec l'accord des dits électeurs, loi. »

Les Anderlandiens seraient fiers de savoir que le volume 117 de leur constitution est en réalité le Codex !

Mais je ne possède pas de merveille et il vaut donc mieux que je disparaisse !

Adieu, adieu, adieu. Remember me. »

Je me volatilisai alors, à la surprise totale de tous les membres de la réunion.

Mond

Feu de camp

Étincelles dans la nuit

La tour du Sénat Divin, dont les portes januaires furent ouvertes, devint rapidement un îlot de résistance. Les dieux, privés de l'aide de Gilles et de moi-même avaient les pires ennuis. Seule Sa Majesté le roi d'Anderland, qui s'était exilé, restait de bonne humeur.

Chanteclerc d'Ini Om passait des journées entières dans la chambre la plus haute avec le Cristal. Les autres dieux tenaient des réunions interminables. L'Empereur contemplait les splendeurs des Jardins de l'Éden du haut de la tour. Sa Majesté le roi jouait aux échecs, Erenus et Xanthin trépignaient d'impatience à cause de leur longue inaction, Elëxoros et Anya se lamentaient ensemble, et Marc faisait des remarques sarcastiques à leur sujet.

« Roi en E5 prend tour en D4, échec et mat par échec à la découverte, dit un jour le roi à Xanthin. Comme promis, par le roi ! Mais tu as bien joué. »

« Vous serez toujours le plus fort, Votre Majesté ! »

« Tu as le temps de t'améliorer. Tu as même beaucoup de temps. »

« Je me demande combien de temps nous allons rester ici. Je me demande même si nous allons sortir un jour de cette prison de Théochryse. Nous ne savons rien sur l'extérieur. »

« Nous pouvons combler nos lacunes par la déduction. Un jour, m'as-tu raconté, David L'a appelé Claudius. Demandons-nous pourquoi... »

« Peut-être s'agit-il du cinquième César ? »

« Je ne pense pas qu'il s'agisse de l'Empereur de Rome, mais plutôt... »

L'Empereur de l'Univers venait de passer en prononçant :

« To be, or not to be, that is the question :

Whether 'tis nobler in the mind to suffer

The slings and arrows of outrageous fortune[*], »

Le roi fronça les sourcils.

« Il m'est venu une idée à l'esprit... Non, c'est trop ridicule... »

Il refusa par la suite d'en parler.

Counsel for the defense

Tous les rebelles se réunirent le lendemain.

Berthioth le Grand et Chanteclerc d'Ini Om présidaient la séance.

« Depuis l'arrivée du Seigneur Noir, annonça Berthioth, Il (et nous L'appellerons désormais Claudius) a transformé le castel de Gringenstein en antre du noir.

Il est notre Devoir et Sacré d'empêcher l'avenue de la malédiction que serait la conquête par le Lieutenant du Mal de l'Aiguillon des dieux.

Rétablir la Paix et la Justice dans l'Univers, apporter une nouvelle ère de Bien, nous devons.

Je vous demande de nous offrir tous votre concours tant épique que dramatique pour cela. »

Anya prit alors la parole :

« Mes compagnons et moi nous tenons en tous les cas à la disposition du conseil... »

Marc l'interrompit :

« Vous vouliez dire « Mes compagnons, mon compagnon et moi... » ? »

Elle lui lança un regard bleu et continua :

« ...pour toute opération, puisque nous possédons des merveilles prises dans la Grotte. »

« En tout cas, nous n'arriverons à rien à rester dans cette tour, fit remarquer Erenus. Nous devons agir. Sortons d'ici ! »

« Très commode en effet, répliqua Marc. Si nous montrons le bout de notre nez, Il nous emprisonnera immédiatement. »

« Et d'ailleurs, continua le roi, il nous faudrait garder des merveilles en permanence sur nous. Très commode en effet ! »

« Nous pouvons sortir en cachette par les portes de la grotte dorée-scintillante, répondit Erenus. Et de toute façon nous aurons besoin des merveilles. »

« Et que pouvons nous faire, « de toute façon » ? » demanda Marc.

« Nous verrons bien... » répondit Xanthin.

L'Empereur sourit.

« J'ai une petite information à apporter, dit alors Cicéron. J'avais envoyé quelques espions en secret sur Terre et ils m'ont rapporté que Claudius n'avait pas utilisé son pouvoir nouveau sur cette planète, contrairement à ce qu'il a fait ailleurs. »

« C'est étrange. » commenta Airionde de Bernie.

« La Terre doit posséder une merveille ! » ajouta le Roi.

« Quelqu'un a-t-il quelque chose à ajouter ? » demanda alors Chanteclerc d'Ini Om.

Départs

Un rêve

Son Altesse Impériale rêva de moi.

Je lui disais :

« List, list, Ô list !

If thou didst ever thy dear father love[*] — »

Il répondit :

« Ô God[*] ! »

Je continuai :

« Revenge his foul and most unnatural murder[*]. »

« Murder[*] ! »

« Murder most foul, as in the best it is,

But this one most foul, strange and unnatural[*]. »

« Haste me to know't, that I with wings as swift

As meditation or the thoughts of love

May sweep to my revenge[*]. »

« I find thee apt.

And duller shouldst thou be than the fat weed

That roots itself in ease on Lethe wharf,

Wouldst thou not stir in this. Now, Hamlet, hear.

'Tis given out that, sleeping in mine orchard,

A serpent stung me — so the whole ear of Denmark

Is by a forged process of my death

Rankly abus'd — but know, thou noble youth,

The serpent that did sting thy father's life

Now wears his crown[*]. »

« Ô my prophetic soul ! My uncle[*] ! »

Et il se réveilla là...

Départs

On chargea Elëxoros d'aller espionner le château, Erenus de tenter de voler le Codex et Xanthin le « parchemin de pouvoir absolu ». Anya de Bergonde devait aller pourparler avec Claudius et Marc le Blanc n'avait pas reçu d'ordre précis. Ils ne devaient pas rester en groupe car ils attireraient trop d'attention.

Aragnir des lacs leur remit à chacun un morceau de Lozaire.

« Servez-vous en bien, leur dit-il. Et ne sous-estimez jamais ses pouvoirs. Les capacités du Lozaire sont à la mesure de ce que vous pensez qu'elles sont. Elles n'ont aucune limite.

Sachez aussi que vos merveilles ont toutes le même pouvoir, celui de révéler la vérité. »

Vous sortirez chacun vers un lieu sacré : la Tour est bel et bien assiégée.

Elëxoros

Elëxoros était vêtu d'ocre. Il avait dans son fourreau l'Épée du Destin (bien qu'il ne sût pas qu'elle s'appelait ainsi). Comme il ne connaissait pas les lieux sacrés, et encore moins ne savait lequel était le plus proche de Gringenstein, il choisit la fahrfenster en dessous de laquelle était écrit :

« Pelokya Thukimeoruclejunyda. »

Ce qui signifie en vieil anderlandien « Plaines du Feu », mais Elëxoros ne le savait pas et d'ailleurs ces plaines, même si elles étaient à peu près vides de végétation, étaient fort belles, comme tout ce qu'on trouve dans les Jardins de l'Éden.

Il dit donc adieu à tous ses compagnons et sortit.

Erenus

Erenus portait des vêtements bleu clair. Il avait avec lui le Livre de la Vérité. Il choisit un endroit qui lui semblait particulièrement beau :

« Kifithudobeuhijyen Sotyda. »

Ce qui se traduit par « Puits de la Connaissance » ou « Puits de la Lumière ».

Xanthin

Xanthin, habillé en vert foncé, portait la Couronne des Dieux. Il n'eût pas de mal à choisir « Kiziveryen Gabeçyda », l'Arbre de l'Univers.

Anya de Bergonde

Elle était en cyan, et détenait le Miroir de la Justice. Un endroit lui plut tout de suite : c'était le « Zyvizysimyen Gawinyen », la Balance Céleste.

Marc le Blanc

Marc le blanc, vêtu du pourpre, et soutenant la Flamme du Temps, choisit le « Thudomeoruclejunyda Vataganthutamenapenyen Tulyda » (« Volcan du Temps »).

Dunkelheit

Lieux

Les Plaines

Le soleil se levait sur les plaines désertes.

Ne sachant où aller, Elëxoros se dirigea au hasard vers l'est. Moins d'une heure après, il arriva au bord des plaines. Un petit escarpement sud-sud-ouest nord-nord-est se trouvait à ses pieds et plus loin, il frissonna devant la beauté de ce qu'il vit.

Il y avait là mille petits sentiers qui serpentaient entre des bosquets ou des parterres, qui traversaient, sur de minuscules ponts les ruisseaux qui coulaient dans ce jardin féerique, qui montaient par de jolis escaliers vers de charmantes plate-formes où l'on pouvait se reposer si l'on le désirait, et qui rencontraient d'autres petits sentiers pour former non pas un labyrinthe mais une artistique composition horticole. Se trouvaient là les plantes les plus exotiques, mais aussi les plus charmantes, de la création ; toutes avaient leur nom écrit sur une petite plaque d'argent à leur pied. Des fontaines à tous les points de rencontre des chemins déversaient des jets délicats de liquides inconnus bleus, rouges, jaunes, verts, blancs, argentés, dorés ou même lumineux, mais jamais noirs. Le jardin avait la forme d'un disque dont le centre, légèrement plus au sud, était occupé par

Le Palais de Gringenstein sur le Lac.

Le lac lui-même, situé au nord-est du palais, était d'un bleu et d'une pureté incomparables.

Elëxoros se rendit compte que tout ce qu'il avait tenu pour superbe jusqu'alors, y compris ce qu'il avait vu des Jardins de l'Éden même était pâle et triste comparé à ces jardins resplendissants.

Au moins...

Il fut tiré de ces pensées par une voix qui l'interpellait :

« Eh, vous ! »

Il se retourna vivement.

C'était un garde de Claudius. Probablement une personne respectable qui avait été contraint de rejoindre l'Armée Noire. C'est pourquoi Elëxoros ne voulut pas l'attaquer.

« Que faites-vous ici ? Vous ne devez pas y être ! »

« Si vous me laissez passer, personne n'en saura jamais rien et ce sera mieux ainsi. En revanche, si vous me bloquez le passage, je devrai vous tuer. Croyez-moi, j'en suis capable. »

Mais le garde rit et Elëxoros remarqua qu'il portait une médaille pour actes courageux et donc renonça à l'intimider.

Il sortit l'Épée.

À ce moment, le garde devint vert de peur et s'enfuit aussi vite qu'il le pût.

Elëxoros voulut le suivre de crainte qu'il ne parlât à quelqu'un, mais il courait trop vite. De toute façon, il n'avait pas intérêt à trop en dire.

Le Puits

Erenus était arrivé sur une petite colline verdoyante. Il y avait là un puits. Sur ce puits était gravé :

« Pie tode to hudôr[*]. »

Erenus puisa donc de l'eau. Elle était claire et limpide.

Il la but et se sentit mystérieusement attiré vers le nord-est. Il atteint alors une route qu'il suivit. Elle tourna vers l'est mais il continua vers le nord-est et traversa de merveilleux jardins. Il vit bientôt, resplendissant sous le soleil, devant un lac étincelant, le palais de Gringenstein.

L'Arbre

C'était une charmante petite prairie. Et au milieu de cette prairie se dressait un arbre.

C'était un arbre comme Xanthin n'en avait jamais vu : ses feuilles étaient d'argent, ses fleurs d'or. Il portait des fruits semblables à des rubis, des émeraudes, des saphirs et même des diamants.

Xanthin n'osa pas cueillir quoi que ce soit.

Il se dirigea tranquillement vers le nord, en suivant le vent. Il fut vite arrivé à une route est-ouest qui tournait, plus loin à l'ouest vers le sud-ouest et qui bifurquait vers un sentier qui menait au nord.

Xanthin le suivit. Il se rendit rapidement compte que ce chemin le menait vers le château de Gringenstein...

La Balance

Anya était arrivée dans l'endroit le plus étrange qu'elle eût jamais vu. Dans l'air se trouvaient des sphères en métal, en verre ou en nacre (à ce qui lui semblait), qui restaient absolument immobiles, dans une disposition apparemment quelconque. Elle-même était assise sur une des plus grosses, à quelques dizaines de mètres du sol. Heureusement, elle n'eut pas de difficulté à descendre.

Elle se dirigea alors vers le nord-ouest, traversa quelques prairies, atteignit une route et ultimement Gringenstein.

Le Volcan

Il était éteint ! Ironie ! Le Volcan du Temps... Éteint...

Pas de doute, le cratère était bien bouché (d'ailleurs, Marc allait nageant dans le lac qui l'occupait).

Partout autour régnait une végétation luxuriante. Cependant un petit chemin menait à l'ouest.

Marc le suivit. La végétation devint moins dense. Il aperçut un lac plus loin, légèrement sur la droite. Plus loin encore, il y avait un... palais !

(Més)Aventures

I

Anya marcha jusqu'à l'entrée même de Gringenstein. Bien qu'elle fût la fille de son légitime propriétaire, elle n'avait jamais pénétré l'imposante bâtisse. Deux gardes étaient à la porte. Dès qu'elle les eût atteints, ils ouvrirent la porte sans mot dire. Anya fut encore plus fascinée par l'intérieur que par l'extérieur. Elle pénétra dans la salle d'honneur. La porte se referma sans bruit derrière elle. Une flèche phosphorescente bleue apparut alors sur le sol d'albâtre. Elle la suivit et une autre apparût, puis encore une autre. Elle arriva bientôt à la salle du trône.

« Mademoiselle Anya de Bergonde ! Que me vaut votre excellente visite ? »

Elle fut fort surprise, personne n'étant là.

« Vous ne pouvez pas me voir. Ne soyez pas si étonnée. Mais vous ne m'avez pas répondu. »

« Je suis venue vous voler le Codex, Claudius ! »

« Claudius... Vous m'avez appelé Claudius... Sauriez-vous ?... Non, ce n'est pas possible... Vous avez du entendre David...

Me voler le Codex ? Mais je vous en prie, faites ! »

Anya s'approcha, surprise, du Livre.

Elle le toucha, et soudain elle vit Claudius, trônant.

« Vous voyez l'immense pouvoir du Théobible. Par son seul contact, il révèle l'invisible.

Allez plus loin ! Lisez-le ! Vous connaîtrez alors mon visage ! »

Il fit un geste de la main et le Devapustakam s'ouvrit.

La clarté qu'il émettait était si intense qu'Anya dut fermer les yeux.

« Auriez-vous peur de la vérité ? Lisez ! »

Anya s'apprêta à regarder, mais ma voix retentit dans sa tête :

« Anya, tu ne dois pas savoir ce que nous sommes deux dans l'Univers à connaître ! »

Elle hurla :

« Non ! »

Et le livre se referma.

Claudius abandonna alors le ton calme qu'il avait eu.

« Comment ! hurla-t-il. Pourquoi ? »

Anya pensa que si seuls Gilles et moi-même avions lu le Codex, c'était que Claudius n'avait pas non plus osé.

« Mais vous-même, répondit-elle donc, vous ne l'avez pas lu ! »

Il devint alors pensif.

« Si. Je l'ai lu. J'ai eu tort. Mais le mal est fait ! »

II

Elëxoros s'approcha. En raison de la douceur du climat, les fenêtres n'avaient pas de vitres. Il rentra dans un long couloir tout en miroirs.

Il se fut tôt perdu dans l'immensité labyrinthique du château. Par malheur, il finit son périple dans la salle du trône où était déjà Anya. Bien sûr, il ne vit pas Claudius et rentra sans précautions.

« Anya ! Que fais-tu là ? Où est Claudius ? »

« Ici ! » lui répondit une voix caverneuse.

Il sursauta, et sortit l'Épée.

« Vous possédez une merveille ? Quelle dommage, je vais être contraint de recourir à la force ! »

Dix gardes entrèrent alors, comme par magie...

Ils devinrent blêmes sous leurs casques à la vue de l'Arme, mais ils attaquèrent tout de même.

III

Erenus décida, avant d'entrer, d'essayer de lire le Livre qu'il avait pris. Il lui sembla malheureusement indéchiffrable...

Il avança au hasard dans le dédale et, grâce au Devaçila, arriva devant la salle du trône.

Il vit Claudius (mais, ne sachant pas qu'il devait être invisible, il ne fut pas étonné), Anya, Elëxoros, une dizaine de gardes, mais surtout le Codex !

Il sa cacha donc derrière un pilastre avec la ferme intention d'attendre le temps qu'il faudrait... sauf si Elëxoros avait réellement des ennuis.

IV

Xanthin revêtit la couronne, puis s'approcha de l'entrée principale.

Les gardes voulurent l'arrêter mais il les repoussa d'un geste de la main. Il en fut lui-même surpris...

Ne sachant où aller, il s'en remit au Théochryse, et arriva lui-aussi à la salle du trône. Erenus lui indiqua de ne pas entrer.

V

Marc pénétra par le côté est du château, par l'Entrée Solaire. Il se dirigea au hasard, jusqu'à ce qu'il atteignît le Hall principal. Ne sachant que faire, il s'attarda à contempler les statues des Empereurs.

« Nadenazir Primus, Imperi Fundator[*] » était écrit sur le socle de la statue d'un homme sévère. Marc se demanda soudain comment les Impériaux de l'époque pouvaient connaître le latin.

L'intriguèrent surtout les trois dernières statues. L'antépénultième me représentait, et sur son socle, la mention « Orbis Creator[*] » avait été rayée d'un simple trait noir et remplacée par l'unique nom « Hamlet ». La pénultième représentait Claudius (on ne pouvait voir sa tête) ; sur le socle, le nom gravé avait été détruit et la mention « Clauem Libri Ante Veritatis Diem Iuppiter Vnicam Sumpsit[*]. » le remplaçait... Enfin la toute dernière statue représentait l'Empereur légitime et son inscription était « Alas, poor Yorick. I knew him, Horatio[*]. ».

« Il doit y avoir une Raison à tout cela, pensa Marc. Mais je ne peut pas imaginer. Qui donc aurait intérêt à réécrire ces noms ? Sûrement pas Claudius lui-même : il n'aurait pas présenté David et Sa Majesté comme Hamlet, mais plutôt aurait retiré leurs statues. Et pourtant il ne l'a pas fait. Que peut donc signifier « Jupiter prit l'unique Clef du Livre avant le jour de la Vérité » ? »

Tout en réfléchissant, il continuait d'avancer...

VI

Dès qu'Elëxoros eut touché un garde, son uniforme disparut, il devint fort vieil homme et avant de succomber dit :

« La faute de ma mort de retombe pas sur toi, Elëxoros. C'est moi qui ai commis une erreur en rejoignant les troupes de... »

Et il mourut. Les autres, ce voyant, s'enfuirent.

« Il allait me trahir, dit Claudius d'un ton presque effrayé.

L'Épée du Destin ! La force irrésistible a rencontré l'objet immuable.

Je ne puis plus lutter, tu ne peux rien me faire,

Mais si tu veux ainsi conquérir tout l'Empire,

Par ta valeur, ta force et ce si précieux fer,

Tu rencontreras bien quelque chose de pire !

Enfin, je suppose que je vais perdre la partie. Malheureux, savez-vous ce que vous perdez vous-mêmes ? »

Il disparut alors pour de bon. Naturellement, Xanthin et Erenus n'attendaient que cela et coururent dans la salle. Erenus saisit le Codex.

VII

Pour retrouver le Parchemin, il n'y eut aucun problème : grâce au Lozaire, ils allèrent jusqu'à la chambre privée de Claudius, Xanthin ordonna au garde de les laisser passer, ce qu'il fit, et ils purent prendre ce qui était placé sur la table.

SUNRISE ON THE WHITE TOWER

Out of Gringenstein

Encore un détail...

...mais si petit !

Marc les rejoignit à ce moment. Il leur décrivit les statues qu'il avait observées.

À ce moment, le livre d'Erenus se mit à briller, et cet éclat ce propagea à Erenus lui-même. Il sembla rentrer en transe, et dit lentement :

« Gringensaxum delendum est[*] ! »

Il courut alors vers le Hall, abaissa le bras que la statue de Claudius tenait levé au ciel, et un mécanisme se déclencha qui fit que des pierres commencèrent à tomber.

« Erenus, qu'as-tu fais ? Nous allons être emmurés ici ! »

« Je... je ne sais pas... »

« La sortie est encore libre ! Allons-y ! »

Mais entre eux et la fatidique porte se matérialisa une forme disant :

« Vous devrez auparavant écarter un petit obstacle : moi-même ! »

« Le Seigneur Noir ! »

Fin...

Xanthin brandit le Parchemin du Pouvoir et dit :

« Ôte-toi de là... »

Mais le Seigneur Noir montra son anneau et répondit :

« J'y suis, j'y reste ! »

Elëxoros commença en conséquent de lutter avec lui, mais aucun des combattants ne pouvait obtenir de supériorité réelle. Alors Anya sortit son Miroir et cria :

« Seigneur Noir, regarde ta tête alourdie de péchés ! »

Le reflet était d'une laideur inimaginable. L'on eût dit un homme ayant dû mourir depuis dix mille ans qui ne tenait debout que par quelque miracle de la nature.

Il hurla :

« Non ! Pas cela ! »

et disparut en fumée.

...des fins

« Je suppose que nous allons mourir victorieux. Avec de la chance, Anderland pourra nous ressusciter, si tant est que l'armée de Claudius est battue... »

« Mais non, Anya, nous avons le Lozaire ! »

Et c'est ainsi qu'ils furent sauvés.

Une rencontre bien étonnante

Paradis ou enfer ?

« Nous sommes morts n'est-ce pas ? »

« Bien sûr. Un bloc de vingt tonnes nous est tombé sur la tête. »

« D'ailleurs l'endroit ressemble-t-il à Gringenstein en ruines ou à tout autre endroit des Jardins de l'Éden ? »

L'endroit était un temple grec flottant dans le néant, entouré de points de lumière qui pouvaient fort bien être des étoiles.

« Non. C'est vrai. Et bien nous sommes morts. »

« Dommage, je t'aimais, Anya. »

« Moi aussi. Enfin, n'en parlons plus et soyons morts. »

« D'accord. »

« Heureusement, dans notre mort, nous avons encore le Codex... »

« ... et le parchemin du pouvoir... »

« ... et toutes nos merveilles... »

« ... et même vos vies ! » dit une voix derrière eux.

« J'en dirais même plus : ...et vos vies mêmes ! » dit une autre.

 ? ? ?

Ils se retournèrent et virent un autel, et derrière, deux trônes, sur lesquels siégeaient les deux frères démiurges : Gilles et moi-même.

« Heureusement qu'Aragnir des Lacs a pensé à vous donner du Théochryse ! » dit Gilles.

Mais il n'avait pas l'air si content.

« Vous avez rapporté le Codex ! m'écriai-je alors. À jamais Anderland pourra se glorifier de connaître des héros comme vous ! »

Je saisis le Codex et le replaçai sur l'autel.

« Voilà l'endroit qu'il n'eût jamais dû quitter.

Vous êtes dans le Temple du Codex, son emplacement premier, la Résidence des Démiurges.

À présent, retournons à la Théotyrsis. »

Nous fûmes devant la Tour d'Éden.

De Rebus

Triomphe

I

Je hurlai :

« Victus est Claudius[*] ! La liberté restaurée ! Fermez les portes de Janus ! Vae victis ! Gloria victoribus[*] ! »

Les dieux sortirent alors tous et les vainqueurs de l'Ennemi eurent droit à un triomphe impromptu.

Chanteclerc d'Ini Om :

« Vous êtes les plus grands héros qu'a jamais connu, dit-il, ou que connaîtra jamais Anderland ! Recouvrer le Codex et se saisir du Parchemin de Pouvoir est une tâche qu'aucun autre n'eût pu accomplir. »

On apporta à Aragnir des lacs une boite d'ébène.

« Aucun cadeau ne pourrait se montrer à la hauteur de ce que vous avez accompli. Cependant, en ma qualité de président de la Très Haute Institution, je désire vous offrir ceci.

À genoux ! »

Ils obéirent.

Aragnir ouvrit la boite et en sortit cinq médailles blanches brillantes, en Lozaire. L'Hymne Divin se fit entendre.

« Pour actes de courage et de dévouement, et en gage de la reconnaissance éternelle du Sénat Divin, je vous décore Chevaliers de l'Ordre Divin, fais Elëxoros, Erenus, Xanthin, Anya de Bergonde et Marc le Blanc dit également Windolf le Sage, dieux du Pouvoir, de la Connaissance, de la Volonté, de la Justice et du Temps, vous nomme Maître des Plaines du Feu, Détenteur du Puits, Druide le l'Arbre, Glaive de la Balance et Prêtre du Volcan, vous anoblis Comte de Sinzigur, Vicomte d'Énirale, Marquis d'Arquois, Duchesse d'Alzévir et trentième Prince d'Éden, et vous demande d'accepter de faire partie du Sénat Divin. Relevez-vous. »

Explications (II)

Je donnai alors à Marc l'ordre, qui lui parut curieux, d'aller brûler avec la Flamme de l'Infini les restes de Gringenstein. Il le fit et revint, m'annonçant que le Volcan du Temps s'était réveillé et avait recouvert le palais de magma.

Je dis alors :

« Si vous voulez savoir pourquoi Claudius s'est appelé Jupiter, venez avec moi à Gringenstein. ».

« Gringenstein ? Mais je viens de vous annoncer qu'il n'en reste rien ! »

« Vous voulez rire ! »

Nous sortîmes en informant Sa Majesté le Roi que nous allions arrêter Claudius et le livrer à la Justice Anderlandienne.

Hê peri tou Klaudiou alêtheia

Peri tês tou Klaudiou alêtheias

Gringenstein-le-Phénix était en effet comme reconstruit.

Alêtheia alêtheiôn kai panta alêtheia

Dans le Hall principal se tenait, près de la statue de Claudius qui cette fois avait la tête découverte, le vrai Claudius :


Gilles !

DAY OF ANDERLAND

Trial

Libération d'Anderland

Une surprenante déduction

« Oui, Anya, dit-il en nous apercevant, nous nous revoyons dans une toute autre situation ! Gloria victis ! Gilles et Claudius n'étaient qu'un ! Eli, eli, lamma sabacthani[*] ? »

Pourtant, son regard était calme, lucide et heureux.

Arrivés à la Tour, je lui dit d'attendre que je prévinsse les dieux sans leur annoncer la nouvelle en un seul coup.

Sitôt que nous fûmes montés, Sa Majesté le Roi me demanda :

« Pourquoi n'avoir rien fait plus tôt, alors que tu savais que c'était Gilles et que tu savais donc qu'il avait, de toute façon connaissance du Codex ? »

Je sursautai.

« Comment avez-vous su ? »

« C'est toi qui nous l'a dit en l'appelant Claudius, frère d'Hamlet Senior, oncle d'Hamlet Junior. D'ailleurs, si c'eût été quelqu'un d'autre, tu fusses rentré avec lui, et ne l'eusses pas laissé à la porte pour que nous ne le vissions pas, afin que nous ne fussions pas surpris par son identité. Enfin, son drapeau est un G pour Gilles et un thêta pour Theos. »

Fin de l'Armée Noire

Il ne fut d'aucune difficulté pour le Sénat Divin de constituer de nouvelles troupes, et de vaincre celles de l'Armée Noire qui restaient fidèles à leurs chefs.

Le 2 février 1992, Anderland était libérée.

Un défilé fut organisé et, pour la première fois, les rues d'Anderland furent pleines.

Procès

I

Gilles, pendant ce temps, était traité plus en roi qu'en criminel. Il fallut cependant qu'on l'écartât de son poste de président du Sénat Universel.

On ne savait trop si l'on devait le juger ou non, mais il fut finalement décidé que, malgré sa nature divine, il comparaîtrait devant la Haute Cour.

Comme j'avais décidé de plaider pour lui, je ne pus pas présider, et ce fut Anya d'Elzévir, Glaive de la Balance et déesse de la Justice qui fut Présidente de Séance.

Conformément à la constitution, les membres du parlement devaient élire les cinq juges, et les douze jurés.

Chanteclerc d'Ini Om, Berthioth le Grand, Airionde de Bernie, Henri de Verle et Madame Sarloux furent nommés juges.

Alexandre VII, Leurs Majestés le Couple Royal, Cicéron, Marc le Blanc (qui, curieusement, avait été considéré comme suffisamment peu impliqué dans l'affaire), Albert Einstein (qui était également très célèbre à Anderland), trois autres députés de l'AUGA (François Lénieau, William of Edinburgh et Éniaure d'Élie), deux sénateurs du Sénat Universel (Karl von Stahlberg et Éliandre Acciraze) et un membre de l'assemblée universelle (Jëni Llochjklas) furent jurés.

Le haut juge élu fut Chanteclerc d'Ini Om et le président du jury, Jëni Llochjklas.

Anya déclara :

« Ce 10 février 1992, sixième jour du quatrième mois année universelle 51432, le procès de Gilles, ancien président de l'Univers, ancien président des trois assemblées, rapporteur de la Commission Permanente, ancien délégué au Conseil des Nations, membre du Sénat Divin, vingtième proconsul du Présidium de l'Assemblée des Anciens, vicomte de Kallistophore en Éden, marquis d'Aryas sur Oméga, duc de d'Alpha, commence. La séance est ouverte. »

« Gilles, vous êtes accusé de Haute Trahison, et du vol du Codex. Allez-vous plaider coupable ou non coupable ? Je vous rappelle que vous n'êtes pas tenu de répondre. »

Mais Gilles répondit :

« Non coupable, Votre Honneur. »

II

André Sargghos était avocat public. Son plaidoyer fut long et ennuyeux, mais convainquant. Il demandait au moins dix puissance quatre-vingt-seize années de prison.

Anya déclara alors :

« La parole est à la défense. »

« Votre Honneur, Messieurs les Juges, Messieurs les Jurés, considérez-vous qu'un homme qui vole ses propres biens est coupable de vol ? Pensez-vous qu'une personne qui détruit tout ce qu'il possède doit être accusée ? Certainement pas ! Gilles est donc indiscutablement innocent du vol du Codex : il n'a été que prêté au Sénat Divin.

Vous dites qu'il a déclenché une guerre ? La belle affaire ! Prenez n'importe quel terrien (car les terriens ont souvent beaucoup de bon sens) et dites-lui que nous avons eu une terrible guerre. Il vous demandera, combien de morts. Voyez comme il vous rira au nez lorsque vous répondrez « Aucun. » !

Messieurs, toute cette affaire est ridicule ! Traîner un dieu en justice est déjà inconsidéré, mais mon frère, le démiurge ! C'est insensé !

Mon plaidoyer n'est pas bref, c'est l'affaire qui l'est. »

« Êtes vous bien sûr, David, d'avoir bien fini ? »

« Je le suis, Votre Honneur. »

Les jurés se retirèrent pour délibérer...

III

Peu de temps plus tard, ils rentraient dans la salle d'audience.

On joua l'hymne anderlandien.

« Avez-vous rendu votre verdict ? »

« Oui, Votre Honneur. »

Tout le monde était extrêmement tendu, sauf Gilles.

« Ce verdict est-il unanime ? »

« Il l'est, Votre Honneur. »

« Et ce verdict est ?.. »

« Non coupable, Votre Honneur. »

Une clameur retentit dans la salle : mon plaidoyer avait semblé si simpliste que personne n'eût dit qu'il allait être écouté.

De omnium Ratione

Claudi Ratio

Questions

« Nonce, si me le permets, Gille, je veuille te roger : « Que hece fis ? » Que Alteterre peine détruiste ? Quelle fut la Ration qui te ite feci ager ? Odistène le Deore Sénat ? Tu ipse, qui créaviste le Munde, que vouluste em déler ? Ne comprende ! Que dédiste déinde la mains, quand posses étiantun pugner ? Voulustène le Munde salver, quand voulusses (vèle velles) em déler ? Nun vouluste vère em déler ? Vèle tante nous der timeur ? »

Je traduis les paroles d'Axcanize l'Ancien, car peu pouvaient comprendre cette langue ancienne :

« Maintenant, si vous me le permettez, Gilles, je voudrais vous demander : « Pourquoi avez-vous fait cela ? » Pourquoi avez-vous failli détruire Anderland ? Quelle fut la Raison qui vous fit agir ainsi ? Détestez-vous le Sénat Divin ? Vous-même, qui créâtes le Monde, pourquoi voulûtes-vous le détruire ? Je ne comprends pas ! Pourquoi vous rendîtes-vous ensuite, alors que vous pouviez encore combattre ? Voulûtes-vous sauver le Monde alors que vous aviez voulu (ou vouliez) le détruire ? Voulûtes-vous vraiment le détruire ? Ou bien seulement nous faire peur ? »

Marc murmura alors :

« Je crois que je sais... »

« Tu sais ? Comment ? » demanda Erenus, interloqué.

« C'est toi qui devrais savoir, dieu de la Connaissance ! Je suis dieu du Temps. Justement, le temps... »

« Oui, répondis-je, c'est bien cela, le temps... »

Réponses

« Omnia a Tempore delentur delebunturve, sed ipsum Tempus ab Alteraterra caeditur[*] ! » : voila la pensée de chaque Anderlandien. Hérésie ! Tuer le temps, quel crime abominable ! Et pourtant, il est pratiqué en permanence... Or le Temps est le seul à pouvoir détruire le monstre terrifiant qu'il l'engendre :

« Quoiqu'il ne pousse ni grands gestes ni grands cris,

Il ferait volontiers de la terre un débris

Et dans un bâillement avalerait le monde ;

C'est l'Ennui ! »

J'ai voulu montrer que le Temps ne pouvait pas se consommer ! J'ai provoqué la chute de l'Empire, j'ai volé le Codex qui symbolise la Vérité immortelle et donc supérieure au Temps. J'ai volé l'unique clef du livre de la Vérité avant le jour, donc pendant la nuit... J'ai tué mon frère Démiurge, j'ai épousé sa femme la Puissance et pris la place de leur fils, Hamlet, Empereur de l'Univers. Gringenstein, Immortel Joyau de l'Empire devait être détruit par le Volcan du Temps, pour renaître de ses cendres en Phénix rayonnant. Seul Celui qui a pu traverser les Plaines du Feu sans se rendre compte qu'il marchait sur un fleuve de lave, Celui qui a eu le bonheur de boire au Sources de la Science, Celui qui a eu assez de volonté pour ne pas rester sa vie auprès de l'Arbre de l'Univers, Celle qui a pu seoir sur la Balance sans être plus lourde que l'air fin et Celui, porteur de la Flamme qui allait réveiller le Volcan du Temps pouvaient me vaincre. Mais la Justice ne pouvait pas me juger, car justice est fille de vérité et vérité fille du temps. Grâce à moi, Atropos, déguisée en chevalier noir, aura pu revoir un court instant le jour... »

Ratio mea

Questions

« Et quant à toi, David, tu savais tout, n'est-ce pas ? Pourquoi n'avoir pas agi ? Pourquoi avoir avoué ta défaite pour apparaître ensuite à ton fils et lui ordonner de te venger ? Que signifie ce double jeu ? »

Réponses

« Oui, je savais tout. Et je voulais coopérer avec mon frère. Mais il fallait qu'on rétablît l'ordre. Ce n'est pas un double jeu : c'était nécessaire. D'ailleurs, sans cela, mon livre eût été bien peu intéressant ! »

Épilogue

Prélude

« Maintenant, Gilles, déclara Anya de Bergonde, vous allez nous parler d'Anderland, nous mener la visiter ! »

Dans ce qui suit, j'ai indiqué les passages écrits par Gilles Lui-Même entre cornets, puisque Sa Parole détermine, aussi bien que la Mienne, la Vérité du Monde, et puisque lui-même a lu et Écrit dans le Théobible.

<Je leur indiquai de s'asseoir. Ils s'attendaient tous à ce que je commençasse à parler. Je n'en fis rien.>

<Son Altesse Sérénissime, Hamlet, Empereur de l'Univers me dévisageait avec bonté et intelligence. C'était un vieil homme érudit, mais aussi un guerrier prêt à venger son père.>

<Sa Haute Majesté, Charles XII, Roi d'Anderland portait, lui, un petit sourire moqueur ; son regard trahissait clairement malice et amusement.>

<Chanteclerc d'Ini Om le Très Vénérable, Vétéran du Sénat Divin attendait, comme pour entendre ce qu'il savait déjà.>

<Aragnir des Lacs le Tout-Puissant, Président du Sénat Divin adoptait parfaitement l'attitude qui seyait à son rang.>

<Elëxoros de Sinzigur, resté debout auprès du siège d'Anya d'Alzévir, avait l'air d'un guerrier Antique, avec sa Pourpre et son épée.>

<Erenus d'Énirale ressemblait à s'y méprendre à Archimèdes.>

<Xanthin d'Arquois montrait une expression de volonté et de détermination implacable.>

<Anya de Bergonde gardait les yeux fermés, juge assise auprès de son bourreau.>

<Windolf le Sage, ayant, comme moi, dévisagé les attitudes de tous les autres, se mit à rire.>

Mais qu'attendait donc Gilles pour commencer ?

Enfin il parla :

« Messieurs, Madame, préparez-vous car vous allez faire un petit tour dans le temps et dans l'espace ! »

<Après que j'eus dit cela, ils eurent connaissance d'événements qui se produisirent il y a quelques milliards d'années.>

Pantogonie

Création

La Symphonie du Monde

<Au commencement était David. Et David était auprès de Moi. Et David était Moi.>

<Et David décida d'écrire un Livre. Et je décidai de créer un Monde. Et ainsi fut-il.>

<La logique, puis le mathématiques, puis enfin la physique : tout fut créé tour à tour. Le monde prit forme en une gigantesque explosion.>

<Et le Dessein des Créateurs se manifesta en la complexité de ce qui allait naître en huit mille points différents de l'Univers : la VIE.>

Biogonie

<Huit mille vies apparurent dans l'immensité périastrale. Mais, à travers le Théochryse, et par volonté des Théotyrans, seules quatre formes différentes existaient, et donc plus de deux mille vies étaient pareilles exactement. Ainsi la Terre et Anderland.>

Anthropogonie

<Pendant ce temps, les planètes sur lesquelles la vie exponentiait étaient en pleine mutation géologique. Du Cambrien on passa à l'Ordovicien, de l'Ordovicien au Silurien, du Silurien au Dévonien, du Dévonien au Carbonifère, du Carbonifère au Permien, du Permien au Trias, du Trias au Jurassique, du Jurassique au Crétacé, du Crétacé au Danien, du Danien au Paléocène, du Paléocène à l'Éocène, de l'Éocène à l'Oligocène, de l'Oligocène au Miocène, du Miocène au Pliocène, du Pliocène au Pleistocène et du Pleistocène à l'Holocène. Ainsi, sur la Terre, sur Anderland et sur quelques deux mille autres planètes, furent créés les embranchements Protozoa, Porifera, Archaeocyatha, Coelenterata, Mollusca, Annelida, Onychophora, Arthropoda, Bryozoa, Brachiopoda, Echinodermata, Pogonophora, Hemichordata et Chordata. De l'embranchement Chordata naquirent les sous-embranchements Urochordata, Cephalochordata et Craniata, d'où naquirent les divisions Agnatha et Gnathostomata. De la division Gnathostomata naquirent les classes Placodermi, Acanthodii, Holocephali, Elasmobranchii, Actinopterygii, Dipneusti, Crossopterygtii, Amphibia, Reptilia, Aves et Mammalia. De cette dernière descendirent les sous-classes Prototheria et Theria, laquelle engendra les infraclasses Trituberculata, Metatheria et Eutheria, laquelle engendra les ordres Insectivora, Rodentia, Chiroptera, Édentata, Pholidota, Lagomorpha, Taeniodonta, Hyaenodonta, Carnivora, Condylarthra, Cetacea, Tubulidentata, Pantodonta, Artiodactyla, Dinocerata, Litopterna, Astrapotheria, Pyrotheria, Notoungulata, Perissodactyla, Proboscidea, Sirenia, Desmostylia, Embrithopoda, Hyracoidea et Primates. Puis, de l'ordre Primates le sous-ordre Simiens d'où la super-famille Hominoïdes, d'où la famille Hominides d'où la sous-famille Homines, d'où le genre Homo, l'espèce Sapiens, la sous-espèce Sapiens.>

Dieux et Univers

Théogonie

<Les êtres vivants, pour tenter de comprendre le monde qui les entourait, inventèrent des dieux, à leur image. À côté des dieux qui avaient été créés pour assister à la création, d'autres dieux prirent place dans le panthéon divin, les anthropogones. Et tous tiraient leur puissance du Théochryse. Mais les dieux se firent trop nombreux. Chaque vie en créait entre mille et trois mille. En tout, le nombre de dieux s'élevait à dix-sept millions, trois cent trente-huit mille sept cent trente-deux. Alors par la Théoboulie, un milliard de kilomètres cubes de Lozaire vinrent se former un un gigantesque parallélépipède rectangle d'un kilomètre de profondeur et de dix mille sur chacun des autres côtés. Ainsi naquit le « plan » des Jardins de l'Éden. Et là les dieux vinrent habiter.>

Sénat divin

<De plus, sur les dix-sept millions de dieux, on en élut mille qui formeraient un sénat, pour régner sur l'Univers, en attendant l'Avènement de la vie en général et de l'homme en particulier.>

Le Codex

Fin des premiers écrits de Gilles

<Et David, qui voulut que les hommes devinssent un jour des Dieux et qu'ils pussent, eux aussi, créer des mondes, écrit, avec moi, Toute la Vérité dans un Livre. Et ce livre il nomma le Théobible, le Hiérobible, le Devapustakam, le Wiydalan, le Codex. Et nous cachâmes le Livre dans un plan, le plan Bibliphore. Un conseil fut créé, la Guilde des Nécromanciens, ainsi nommée car ils se servaient de guerriers morts ressuscités pour garder le Codex, avant que cette pratique ne fut interdite par le Sénat Divin, considérant que personne n'ayant inventé le vol interstellaire, personne ne pouvait venir voler le Codex. Le Conseil Permanent remplaça alors pratiquement la Guilde des Nécromanciens pour garder le Théobible. La Guilde ne servit plus qu'à donner les autorisations de consulter le Livre (d'ailleurs aucune ne fut jamais donnée).>

<Voilà donc les premiers faits dont eurent connaissance tous ceux qui étaient présent.>

Question à Ruxor

Alors Erenus me demanda :

« Mais n'avons nous pas déjà lu le Codex, Elëxoros, Xanthin, Windolf et moi[*] ? »

« Si, bien sûr ! »

« Nous ne sommes pas, je crois, devenu aussi puissant que toi ? »

« Pas dans ce monde ; mais dans le monde où vous étiez jusqu'alors, si. »

Le Livre de Ruxor se matérialisa dans l'air, devant Erenus.

« Écris, dis-je, « Après cinq cents ans ans, Relov, qui, après le départ de son frère au-delà des monts Yinang, était devenu Empereur du Monde à sa succession, suivit lui-aussi les traces de ses amis et de son frère. Lui aussi lut le Livre et lui aussi devint un Dieu. » »

Erenus obéit. À cet instant je fis Relov apparaître, quelque peu surpris. Pendant que Gilles lui expliquait ce qui s'était passé, je continuai.

« Alexandre VII, lui aussi, est venu à Anderland depuis longtemps. Revenu devrais-je dire car c'est son monde originel. »

« Peut-on donc aller et venir à sa guise entre les mondes ? »

« Bien sûr ! Écris maintenant « Par moments, Erenus revenait dans ce monde pour vérifier que tout allait bien, et pour aider ceux qui étaient en détresse. » »

Après qu'il l'eut fait, j'ajoutai :

« Voilà. Tu es revenu à ton monde de naissance quelque temps. Simple, non ? »

« Tous les mondes ont-ils un Codex ? »

« Non, hélas. Aucune Vérité commune ne s'applique à tous les mondes. Bien peu d'entre eux ont cet honneur... »

Anderland

Données physiques

<Le système Anderlandien se trouve sur le bras spiral majeur de M31, à 230 milliards de milliards de kilomètres du centre théorique, et à 560 millions de milliards de kilomètres au-dessus (en prenant le sens de rotations comme étant la main droite vers le haut). Sa rotation autour du centre se fait à une vitesse de 250 kilomètres par seconde, soit un milliardième de milliardième de radian par an.>

<Le système se compose de six planètes : trois telluriques et trois joviennes, dont seule Anderland est habitable, nommées Évangile, Kakangile, Anderland, Thébasile, Astrophore et Hadès, pour traduire en grec les noms anderlandiens. Le cœur du système est un couple binaire en rotation serrée mais sans tansfert de masse. Les orbites sont compliquées mais très stables et périodiques.>

<Les étoiles sont de types spectraux B2 et G1, de masses 9.3 et 1.05 fois la masse solaire, de rayons 1.12 et 0.97 fois le rayon solaire.>

<Le diamètre équatorial d'Anderland est de 12839 kilomètres et le diamètre polaire 12797 kilomètres. Sa masse est de 5862 mégaexagrammes, ce qui fait une densité moyenne de 5307 kilogrammes par mètre cube, et une gravité moyenne à l'équateur de 9.49 newtons par kilogrammes et au pôles de 9.55.>

<La période de rotation sidérale est de 73802 secondes, soit 20 heures 30 minutes et 02 secondes. La vitesse angulaire de rotation est donc de 85.14 milliradians par seconde, et la vitesse linéaire de 546.54 mètres par seconde. Le moment d'inertie est de 96.64 kiloexaexagrammes mètres carrés, ce qui donne une énergie cinétique de rotation de 700 gigaexajoules.>

<Anderland possède deux lunes, Thanasie (rebaptisée Univerla) et Biode, de diamètres respectifs 3329 et 3518 kilomètres, de masses 80.3 et 82.8 mégaexagrammes. Leurs densités sont de 4157 et 3632 kilogrammes par mètre cube. Leurs gravités de surface sont de 1.93 et 1.79 newtons par kilogramme. Elles sont situées aux distances respectives de 381 et 698 mégamètres. Leurs périodes de révolution (et de rotation) sont de 2362637 et 5858583 secondes, soit 32 et 79 jours (sidéraux) anderlandiens. Les forces de marée qu'elles génèrent sont de 193.8 et 32.5 femtonewtons par kilogramme par mètre. Leur apparence depuis Anderland est celle de deux disques de diamètre angulaire de 8.73 et 5.04 milliradians, soit 30 minutes et 2 secondes d'arc et 17 minutes et 20 secondes, et elles occupent 60 et 20 microstéradians de la sphère céleste.>

<L'atmosphère anderlandienne est constituée de 66 pour-cent de diazote, de 20 pour-cent de dioxygène, de 10 pour-cent d'hélium, de 3 pour-cent d'autres gaz. La température moyenne à la surface est de 290 kelvins.>

Géographie

De l'Univers

<Les principales planètes de l'Univers sont Anderland, d'Alpha, d'Oméga, d'Upsilon, Akara, Hydrogê et la Terre.>

<D'Alpha est située à 4.3 années-lumière d'Anderland et fut la première à être colonisée. C'est là que s'installa la cour royale, car Damien VI, alors roi, trouvait qu'elle convenait parfaitement au luxe et au faste dont il aimait à s'entourer.>

<D'Oméga est, et a toujours été, le Siège Impérial, dont l'origine remonte à la nuit des temps. Toujours est-il que lorsque les Anderlandiens débarquèrent sur d'Oméga, ils laissèrent en place l'Empereur qui s'était autoproclamé Empereur de l'Univers, et lui prêtèrent serment d'obéissance et de fidélité, nul ne sait pourquoi.>

<D'Upsilon, aujourd'hui porteur de la Bibliothèque, fut la planète natale d'une civilisation qui domina l'Univers, ayant découvert le Lozaire, plus d'un milliard d'années avant Anderland et qui, elle aussi, prêta allégeance au Souverain. Mais elle ne connut pas l'immortalité. Et tous furent victimes d'Atropos. Pour être ressuscités mille millions d'années après. C'est donc d'Upsilon qui porta, avant qu'ils ne furent transférés aux Jardins de l'Éden, toutes les merveilles et tous les lieux sacrés.>

<Akara, inhabitée à l'origine, et qu'Anderland ne colonisa jamais, fut choisie, en raison de sa neutralité, pour être le siège du Conseil des Nations.>

<Hydrogê est entièrement recouverte d'océans. Les primates n'ayant pas pu s'y développer, les cétacés y sont rois. Et c'est parmi eux qu'on trouve la seule race intelligente de la planète, les Delphinoïdes.>

<Anderland et d'Alpha se trouvent dans la galaxie d'Andromède, M31. D'Oméga dans la galaxie du triangle, M33. D'Upsilon se situe si loin de la terre que sa galaxie porte le triste numéro anderlandien XGT8746R4. Akara et la Terre sont dans la Voie Lactée. Hydrogê est située dans le petit nuage de Magellan.>

D'Anderland

<Les 73.86 mégamètres carrés de terres émergés sont 31.24 dans l'hémisphère nord (contrairement à la Terre, sur Anderland, le pôle nord géographique et le pôle nord magnétique ne sont pas inversés : une boussole terrestre, à Anderland, indiquerait le sud ; en contrepartie, il est inambigu de parler de pôle nord) et 42.61 dans l'hémisphère sud. Il n'y a qu'un continent et un grand nombre d'îles de toutes les tailles. Le siège du gouvernement se situe (sur le continent, tout près de la côte ouest) à 17 degrés 24 minutes de latitude sud et à 0 de longitude (par définition). Le siège du sénat universel est sur une île, à 24 degrés 11 minutes sud et 13 degrés 29 minutes ouest, soit à une distance de 1600 kilomètres de la tour du gouvernement.>

Histoire

<On notera que, hormis sur terre, où l'année a pu sans problème être définie, et sur d'Oméga, les dates sont données en années universelles. Cette unité fut d'ailleurs choisie par les dieux eux-mêmes, qui les communiquèrent à d'Upsilon et, plus tard à d'Anderland. Elle vaut dix millions de secondes, soit 115 jours, 17 heures, 46 minutes et 40 secondes, la seconde ayant été elle-même définie à l'identique sur bien des planètes. Les dates pour d'Oméga font exception et ont été données en années Domégayennes qui valent exactement trois années universelles.>

D'Oméga

<La première trace écrite trouvée sur d'Oméga et officiellement reconnue est le testament de Rélien CCCLXII qui désigne comme son successeur Hadrien le Jeune, qui régnerait sous le nom d'Hadrien CCCLXXXIX, et qui date de deux mille trois cent vingt-trois millions d'années avant notre ère. Vu qu'un règne dure (les impériaux, vu la clémence de leur planète, ont la vie longue) cents ans en moyenne et vu que d'Oméga connaît plus de cinq mille noms pour les empereurs, le premier empereur à deux milliards et demi d'années avant notre ère. Ceci est confirmé par le fait que le prédécesseur d'Alexandre VII portait le nom d'Argzos MMMMCMXXXII, successeur d'Herblès MMMMMMCCCXIV. La légende, elle, le situe à 2785791812 années avant nunc, et l'appelle Alexandre I, ce qui explique que le nom d'Alexandre ait été donné à extrêmement peu de Domégayens. Il fut aussi nommé Nadénazir I, comme Nadénazir signifie immortel en anderlandien.>

<Aucune civilisation n'a eu de vie aussi longue que d'Oméga. Pour le reste, il ne se passe jamais rien à d'Oméga. La population en hommes de la planète n'a jamais dépassé trois millions d'habitants, il n'y a jamais eu de guerre. L'héritier du trône est nommé dans son testament par l'Empereur ou l'Impératrice, selon des critères d'intelligence, de sagesse et de capacité politique. Les empereurs ont un pouvoir absolu sur tout l'Univers (depuis que Gréxin MMDCXL, héritier de Sophie MCMXXXIII a déclaré qu'il régnait Urbi et Orbi), mais ils ne peuvent en aucune façon l'exercer. Les lois, peu nombreuses, et la Justice sont faites par un Conseil Impérial, dont cinq membres sont élus, cinq nommés par l'Empereur et cinq choisis au hasard parmi la population.>

D'Upsilon

<La civilisation Dupsilienne est née entre un milliard et un milliard cent millions d'années avant Anderland.>

<Vers cent mille ans Ab Homine Nato, les Dupsiliens découvrirent le Deivokhryse. Les petites tribus cessèrent alors de se faire la guerre, et devinrent des cités-états, qui se consacrèrent aux arts. Il y eut sur d'Upsilon mille fois Florence. Puis vinrent les merveilles. En l'an 1238 A Devaureo Invento, ils partirent à la conquête de l'Univers. Partout où ils passaient, ils laissaient leur empreinte sous la forme d'un tétraèdre de cristal de cent kilomètres de côté ; les Anderlandiens prirent d'ailleurs fort longtemps à comprendre l'origine de celui qui se trouvait sur leur planète. En l'an 1541 ADI, Théophile le Grand arriva sur les Jardins de l'Éden. Il fut accueilli en grande pompe par le Sénat Divin, qui lui proposa de transférer les merveilles sur ce paradis, sous condition qu'il ne révélât à aucune autre civilisation le Secret du Lozaire. Théophile accepta. En l'an 1609 ADI, les Dupsiliens débarquèrent sur d'Oméga. Ils prêtèrent aussitôt serment de fidélité à l'Empereur et lui construisirent un château merveilleux à Éden, qui fut nommé Gringenstein sur le lac. L'Empereur lui-même ne pouvait pas être instruit de l'existence du Théochryse et donc ne devait pas voir cette œuvre avant mille millions d'années, mais les Dupsiliens pensaient, avec raison, qu'un jour, les Domégayens découvriraient le Lozaire eux-mêmes et pourraient aller à Gringenstein. Ils placèrent dans le Hall principal des statues exécutées selon leur imagination, qui se trouvèrent être, par un fantastique hasard, les statues des principaux empereurs de l'Univers depuis Alexandre I jusqu'à Hamlet, et celle de David. Pour les inscriptions, ils tracèrent des traits au hasard, qui formèrent les lettres des noms en latin, en grec, en anderlandien, ou en d'autres langues qui leur étaient inconnues. En 1803, ils cessèrent la pratique des tétraèdres pour placer de véritables merveilles sur les planètes. Sur la Terre, sur laquelle la vie n'en était qu'au carbonifère, ils placèrent la Couronne de Kalochronie, qui m'empêcha, il y a quelque temps, d'utiliser le pouvoir que David m'avait donné pour agir sur Terre. Cette couronne ne fut pas recouverte par des sédiments. Aussi fut-elle trouvée en Afrique par quelque homme préhistorique à l'aube de l'avènement de l'humanité. Elle fut ensuite amenée en Mésopotamie, dont elle détermina l'essor. Par des jeux encore inconnus, elle tomba dans les mains des Athéniens, puis des Spartiates, un court temps des Thébains, puis des Macédoniens. Lorsqu'Alexandre le Grand mourut, la couronne (qui avait le don de prendre mille forme la rendant méconnaissable) fut divisée. Une moitié partit pour la Chine et l'Inde où elle resta jusqu'à ce que Genghis Khan s'en emparât. L'autre partie alla à Rome. Elle resta cachée sous on ne sait quelle forme sur le forum ; en 673 U.C., Iulius Caius Caesar se l'appropria. Elle passa ensuite entre les mains d'Auguste, de Tibère, de Caius, de Claude, de Néron, de Galba, d'Othon, de Vitellius, de Vespasien, de Titus, de Domitien, de Nerva, de Trajan, d'Adrien, d'Antonin, de Marc-Aurèle, de Verus, de Commode... Constantin la scinda en deux, mais une partie fut perdue en 476 A.D. L'autre moitié fut conservée fort longtemps ; elle passa aux mains de l'empire Turc-Ottoman en 1453. On retrouva quelques morceaux de couronne un peu partout dans le monde. Le Portugal et l'Espagne se la disputaient au XVIè siècle. La France en posséda une grande partie au début du XIXè. Pendant toute la fin de ce même siècle, ce fut l'Angleterre qui la détenait presque en entier. Enfin à la fin du XXè, l'Organisation des Nations Unies s'efforça de la reconstituer.>

<Pour revenir aux Dupsiliens, en 2000 ADI, pour commémorer le bimillénaire de la découverte du Lozaire, David proposa que tous les royaumes se soumissent à l'autorité d'un même souverain, et qu'une constitution fût écrite. Il proposa son propre fils, Hector Amulius Marcus Laurens Élysius Titus comme Grand Prince. L'Empereur accepta, ainsi que la population dupsilienne. La grotte dorée-scintillante fut créée. D'Upsilon était à son apogée.>

<Mais ils étaient mortels. Et en 2701, sous l'ordre de Némésis, Atropos s'incarna dans un des Dupsiliens, vola l'Anneau du Néant, puis successivement toutes les autres merveilles, et détruit totalement la brillante d'Upsilon.>

Anderland

<En l'an cent mille Ante Rempublicam, fut fondée sur Anderland la première ville, cinq kilomètres au sud de la seconde cataracte de l'Hydrophore, là où se trouve aujourd'hui le siège du Gouvernement Universel. Elle fut appelée Bernie-la-Belle. Le peuple jusqu'alors nomade des Berniens devint sédentaire et développa une grande civilisation. Elle étendit sa domination, sans toutefois répandre le sang, sur toute la côte ouest du continent, sur une largeur de mille cinq cent kilomètres.>

<D'autres peuples à leur tour fondèrent des villes, ayant été émerveillés de la grandeur de Bernie. Ainsi furent fondées Gardrin, Saramec, Perflor et bien d'autres. En l'an 425 Ab Urbe Condita, Bernie déclara la république. Les sciences avançaient. En 439, Érègre de Sipour découvrit la notation décimale. En 451, Philidor d'Alias inventa la vis d'Archimèdes ; en 464, Phraïn imagina le levier ; en 483, Philidor posa le principe du mouvement uniforme ; la même année, Érègre calcula la circonférence d'Anderland et celles de Biode et de Thanasie quinze ans plus tard, pendant qu'Arvie de Kardak proposait au Conseil les plans d'une première lunette astronomique. En 504, Janon et Phraïn posèrent les bases du calcul infinitésimal. Toute la mécanique classique, dont la Terre allait prendre vingt-quatre siècles (depuis la période hellénistique) à découvrir, fut établie en moins de trois cent ans.>

<En 848, alors juste qu'Awanos avait suggéré la théorie de la tectonique des plaques pour expliquer les séïsmes et les chaînes de montagne, et que Thex de Malos inventait simultanément la théorie des nombres (finis et infinis) et la théorie des ensembles, Ferdinand III de Saramec, allié à Jean II de Perflor, se mit en guerre contre Bernie. À la suite d'un long siège, Bernie fut prise et brûlée en 856. Ferdinand III se proclama Roi du Monde. Les années noires commençaient.>

<En 1634, Ferdinand V rendit leur indépendance au royaume de Bernie et à celui de Gardrin qui avait, entre temps, été conquis. Mais la blessure que son prédécesseur avait laissé demeura indélébile et devait laisser sa marque pour mille siècles. Bernie était désormais une monarchie, les hommes s'étaient détournés des sciences ; cependant, les arts continuèrent de fleurir.>

<En 1817, le royaume de Gardrin tomba, miné par la corruption. Sarlie V de Bernie le prit. En 1884, Sarlie VI libéra les comtés de Narchie, de Parwel et de Cathie de la domination de Saramec, mais il devint leur protecteur, puis en 1890 leur roi. Merguil Premier, son successeur, fut sacré roi de Bernie et Empereur d'Anderland. En 2320, Saramec fut rasée, en 2406 Gardrin et en 2428 Parwel.>

<En 2841, Garamond VIII dissolut le Conseil de Bernie. Il exécuta trois cent personnes qui entendaient s'opposer à lui. Comme l'un d'eux était savant, il interdit à tous de pratiquer la science. Ainsi pendant presque deux mille ans Anderland resta au point mort.>

<En 4613, lorsque, par le décret d'Eugnotie, Jérôme XIX rendit la science à la légalité, on commença à réapprendre tout ce qui avait été perdu. En 4906, on inventa une technique minière révolutionnaire et le platine devint plus abondant. La société cessa d'être axée sur la terre pour tourner autour des métaux précieux. En 5545, Léon IV s'entoura d'une cour et se fit construire le château d'Eukalie à Bernie. Il fut un mécène très actif et, sous son règne, on atteint presque le niveau de la Bernie antique.>

<Son successeur, Jérôme XX, régnait en despote éclairé, lorsque, en 5602, un groupe de contestataires religieux eût la mauvaise idée de mélanger du soufre, du carbone et du salpêtre. La guerre fut terrible. En 5700, l'unité d'Anderland était compromise. En 5821, le calme était revenu, mais plusieurs états indépendants existaient désormais. S'il est vrai que la Nouvelle-Bernie et l'Île de Cadzwik étaient des républiques en 5880, l'Euthéie, la Gardrinie et presque tous les autres étaient des monarchies sanguinaires.>

<En 5974, quelques aristocrates de tous pays se mirent à imaginer les droits sociaux. Ils proposèrent au tyran de Kélèbre, en 6000, pour marquer l'avenue du septième millénaire après la fondation de Bernie-la-Belle, de faire élire une assemblée. Philippe XXIII refusa d'abord, mais, devant le mécontentement du peuple, gagné par ces idées nouvelles, il dut plier. En 6042 seulement, le projet fut effectivement mis en application. Mais le peuple demandait toujours plus, au début par la voix de la riche bourgeoisie qui voulait le pouvoir législatif à l'assemblée et qui exigeait la liberté de presse, ensuite par la colère de toutes les couches sociales réclamant le suffrage universel. En 6218, les Kélèbres renversèrent leur tyran. Un vent de liberté souffla alors sur Anderland : on dénombra trente révolutions du même genre en moins de cinquante ans. Mais en 6270, la république Kélèbre devint, sous la poussée des extrémistes une nouvelle tyrannie. En 6520, les royalistes y firent un coup d'État.>

<Pendant trois millénaires, tous les états qui étaient devenus des républiques subirent le même sort. À la fin du dixième millénaire, seule l'Île de Cadzwik était encore une république.>

<En 10000, Grégoire XLII, régnait sur la Nouvelle-Bernie. C'était un nationaliste fou, qui ne s'était jamais consolé de ce que l'unité anderlandienne eût pu être perdue. Il se lança donc à la reconquête de ce qu'il considérait comme son empire. Au fur et à mesure que les royaumes tombaient entre les mains de la Nouvelle-Bernie, elle devenait de plus en plus autoritaire et policière. En 10980, Siltaos III considérait son pourvoir comme insuffisant. Il se proclama non pas empereur mais Dieu.>

<Alors commença la Théocratie. Le Dieu vivant était le monarque le plus absolu qu'il soit possible d'imaginer. Faisait-il un reproche si léger qu'il soit à un homme, le lendemain l'homme de mourir. Pensait-il un instant qu'une ville, une région contînt un seul individu qui s'opposât à sa Volonté, le jour suivant la ville ou la région était rasée, réduite en cendres. Le Dieu vivant n'était tenu par aucun code, aucune loi, aucune tradition, aucune obligation, aucun devoir si minimes fussent-ils. Tout se faisait par lui, et sa parole était la Vérité elle-même.>

<La Théocratie dura dix-huit millénaires, plus qu'aucun autre régime politique ne l'avait jamais fait. Mais rien ne changea pendant ce temps.>

<En 29581, à la mort d'un Dieu vivant (ils avaient cessé de prendre des noms), se produit le plus grave acte de désobéissance qui fut jamais vu. Au lieu de suivre les instructions laissées dans le testament, l'exécuteur se présenta au balcon d'Eukalie et annonça solennellement que la Théocratie était achevée et que serait élue une assemblée constituante.>

<Contrairement aux espoirs qui étaient portés vers elle, l'assemblée choisit de proclamer l'Empire Anderlandien.>

<Les cinq premières dynasties impériales, de l'an 29585 à l'an 33640, s'efforcèrent de restaurer un contexte semblable à celui du sixième millénaire.>

<Les huit dynasties suivantes dotèrent le pays d'une excellente administration centralisée destinée à maintenir l'Empire en place aussi longtemps que possible.>

<De la quatorzième dynastie (39792) à la trentième (41941), les Empereurs augmentèrent encore le luxe dont ils étaient entourés. Eukalie s'étendit progressivement pour occuper, en 40019, toute la ville de Bernie.>

<L'Empire, de la trente-et-unième à la quarante-sixième dynastie (41941–57045) était devenu tellement riche que chaque habitant, même les plus humbles, pouvait s'offrir une tonne de platine. Pour une raison inconnue, on appela alors l'Empire « Royaume des Poires ».>

<De la quarante-septième à la cinquante-deuxième dynastie (de l'an 57045 à l'an 62736), il y eut une récession et l'empire perdit une forte partie de sa richesse. L'année la plus noire fut celle de l'Empereur Fou qui fit exécuter plus de cent millions d'Anderlandiens, si bien que le Sénat Divin lui-même fut forcé d'intervenir (discrètement) et mettre fin à son règne en 60367.>

<De la cinquante-troisième à la quatre-vingt-sixième dynastie (62736 à 95664), l'Empire, qui devenait de plus en plus libéral, perdit progressivement son pouvoir et se scinda en petits royaumes.>

<Lors des dernières dynasties, de la quatre-vingt-septième à la quatre-vingt-dix-huitième (95664 à 98823), l'Empereur devint une figure absolument symbolique à côté du roi de Nouvelle-Bernie qui unifiait derrière lui tous les royaumes.>

<En 98823, à la mort du dernier Empereur, le roi se nomma Roi d'Anderland. Mais la royauté continua sur les traces de l'Empire, si ce n'est qu'elle n'était de loin pas aussi libérale.>

<En 99057, les Anderlandiens élurent une assemblée.>

<En 99850, je m'incarnais, ainsi que mon frère, pour la septième fois.>

<En 99900, je glissais, non sans mal, une note à Sa Majesté, lui demandant de venir me voir. Il eut peine à croire un enfant de cinquante ans, mais il finit par accepter ce que je lui annonçai. Je le prévins que les Anderlandiens allaient bientôt exiger le pouvoir législatif pour l'Assemblée d'Anderland, et lui demandai ce qu'il comptait alors faire ; comme il me répondit qu'il allait s'empresser de déléguer tous ses pouvoirs avant même qu'on lui fît cette demande, je vis qu'il était bon gouverneur. Je lui promis donc ma protection à condition qu'il jurât fidélité à Son Altesse l'Empereur de l'Univers (qui était présent) et qu'il promît de charger David (qui l'était aussi) d'écrire la constitution. Ce qu'il jura et promit.>

<En 99950, l'Assemblée Constituante fut élue. David proposa alors son projet en mille cent onze volumes. Il fut accepté à l'unanimité (bien que tous les membres ne l'eussent pas lu dans son intégralité).>

<En 100000, Sa Majesté proclama, sous les acclamations de la foule en délire, du haut de la tour du palais d'Eukalie, l'avènement de la République Anderlandienne.>

La République Anderlandienne

<Ainsi donc, la République fut proclamée. Le roi gardait son titre mais pas ses pouvoirs. Les sciences reprirent leur développement.>

<En l'an 1934, l'Électricité fut découverte, en 2042, la radioactivité, qui devint exploitable comme source d'énergie en 2699. En 1866, le vaccin était inventé, suivi par les antibiotiques en 1985. En 3387, la fission nucléaire était exploitable. En 3768, suite aux fantastiques progrès de la médecine, l'espérance de vie atteint 600 ans (soit 190 ans terrestres). En 2844, le premier anderlandien marcha sur Thanasie et en 2850 sur Biode. En 3215, Kakangile était atteinte par un robot, en 3391, Évangile. En 3903, on marchait sur les lunes de Thébasile. En 4094, on savait que d'Alpha était habitable. En 4188, on l'atteint. Damien VI y installa sa cour en 4909. En 4796, tous les problèmes écologiques, sociologiques et politiques semblaient résolus. En 5166, la relativité générale fut établie, en 5191, la mécanique quantique. En 5327, la science manquait de moyens ; elle s'arrêta. Seule la technique et la médecine progressaient. En 5363, le cancer fut vaincu. L'espérance de vie était de mille ans en 5876. En 6245, toutes les planètes à une distance de 30 années-lumières (95 années-lumières-universelles, soit trois cent mille milliards de kilomètres) d'Anderland étaient colonisées. En 8521, l'espérance de vie atteint deux mille ans. En 9033, les travaux de reconstructions d'Anderland commencèrent. Tout fut recouvert d'un plastique céramique très propre. Le palais d'Eukalie fut fortement réduit, puisque le roi était à d'Alpha, pour laisser de la place à la nouvelle tour du Gouvernement, et à toute la ville qui se développait autour. Le nom de Bernie paraissant démodé, on l'appela Anderland-Centre. Le Sénat Anderlandien, futur Sénat Universel fut placé sur l'île de Cadzwik. Un pont fut construit entre eux, d'une longueur inimaginable sur Terre. Les travaux furent achevés en 9934. En 10000, pour célébrer le dixième millénaire de la République, tout était prêt. L'espérance de vie était de cinq mille ans alors, mais ceux qui y étaient ne devaient pour la plupart jamais mourir.>

<En 11327, cent huit siècles (terrestres) avant Jésus-Christ, un savant mit la main sur un matériau noir très étrange. Il résiste à toute réaction chimique, ne fond pas, ne se déforme pas, parait au microscope comme une simple absence de molécules, et même de lumière (ce qu'il est), comme si, par un hasard extraordinaire, aucun photon, aucun atome ne pénétrait dans ce volume. On fut alors très intrigué, mais on ne chercha pas trop loin. En 12458, on commençait tout juste à comprendre les propriétés du Lozaire. En 13956, on devint pratiquement immortel. L'espérance de vie fut évaluée à cent cinquante millénaires. Les Anderlandiens furent bien moins prompts que les Dupsilliens à comprendre ce qu'ils pouvaient faire du Théochryse.>

<En 14812, on mit fin à une petite guerre de sécession, qui fut la dernière de toutes les guerres que devait jamais connaître Anderland pour 36619 années. En 15016, le même qui avait découvert le Lozaire (Karl von Stahlberg) cria Eurêka, 93 siècles avant Archimèdes. Il avait trouvé comment se téléporter. La vraie conquête de l'Espace commençait. On découvrit avec stupéfaction d'autres formes de vie, on s'allia avec celles qui connaissaient le Lozaire ou aux autres dès qu'elles le découvraient.>

<En 16381 était fondé le Conseil des Nations qui marquait le glas de la conquête spatiale. De 17000 à 27000, trois morts seulement furent enregistrées de toute la population d'Anderland. Sa Majesté était désormais vassal de l'Empereur de l'Univers. Mais c'est aussi en 16381 que les Dieux révélèrent aux hommes les Jardins de l'Éden, et qu'une réplique partielle en fut construite à l'est du siège du gouvernement universel, qui figurait la Tour d'Éden. 16381 s'appela la Grande Année.>

<Pendant 11152 ans, rien ne bougea à Anderland. Mais en 27533, quelqu'un eut l'idée de ressusciter toutes les pensées, idées, informations perdues depuis la nuit des temps. Les morts furent eux-aussi rappelés à la vie. Ainsi Anderland fit-elle la connaissance d'Upsilon. Bien sûr, pour loger toute cette population, Anderland avait besoin d'un bon millier de planètes. Mais ce n'était aucunement un problème.>

<En 31050, alors que la Terre touchait à la fin du mésolithique, Kerzax de Saramec devint président de l'Assemblée d'Andromède. Le jour suivant, il renvoyait du Sénat Universel les membres qui s'opposaient à lui. En 31051, il se nomma Président de l'Univers. Sa dictature ne fut abolie qu'en 31056. Mais il laissa derrière lui certains amendements importants à la constitution. C'est depuis lui que l'Assemblée d'Andromède s'est vu donner le titre d'AUGA, qu'elle dispose du droit de dissoudre le Sénat Universel, et que son président est Président de Séance de la Haute Cour. Fut aussi voté après son règne que l'on ne pouvait pas être président de l'AUGA, du Sénat Universel et de l'Univers à la fois.>

<La dernière date importante de l'histoire d'Anderland est celle de 43740 où, pendant que Périclès était stratège à Athènes, l'inflation cessa définitivement, et où l'unité fut enfin fixée. Puis l'histoire anderlandienne se résume à une galerie de Présidents de l'Univers et à l'histoire de la Terre : de 1939 à 1945, par exemple, Madame Sarloux était Présidente, et elle fit tout pour empêcher les atrocités commises, mais elle ne le put pas car l'assemblée terrestre s'opposa à ce qu'on envoyât quiconque sur Terre.>

Économie

<Que peut-on dire de l'économie anderlandienne ? L'unité est, depuis 43740, librement convertible en platine, à raison de 40000 tonnes par unité. Mais les fortunes se comptent en décaexasuperunités (une superunité vaut cent mille milliards de milliards de milliards de milliards de milliards d'unités), et donc l'Anderlandien moyen pourrait obtenir en platine la masse de deux milliards de milliards de milliards de milliards de galaxies de taille moyenne, ou encore un cube de platine dont le côté serait de deux cent quatre vingt millions d'années-lumières. Grâce au Lozaire, on pourrait réussir à créer une telle masse, mais il faudrait augmenter la taille de l'Univers, ce serait très compliqué et personne n'en voudrait...>

<Depuis 47039, toutes les entreprises anderlandiennes sont d'État, non que l'État les ait rachetées de force (la constitution lui interdit de se mêler des affaires des entreprises autrement qu'en en créant lui-même et en concurrençant les autres, pour les forcer à respecter les règles) mais car les grands propriétaires se trouvaient assez riches (que pouvait importer un zéro de plus à leur capital ?) et avaient autre chose à faire que de diriger une grande société qui, le plus souvent, avait perdu sa raison d'être !>

<D'ailleurs, l'Énergie D'Anderland a cessé d'être depuis que l'on sait tirer de l'électricité de la matière elle-même, la Société Générale des Communications et de l'Informatique ne sert plus qu'à fixer des normes et des standards puisque chaque citoyen possède un ordinateur et des robots capables de fabriquer d'autres ordinateurs. Seule la Société de la Matière existe encore réellement (elle ne fait que distribuer gracieusement de la matière aux Anderlandiens, qui pourront soit la transformer en n'importe quelle autre matière, soit en tirer de l'énergie), depuis la chute de la Compagnie Générale du Lozaire quand on a découvert que le Théochryse pouvait se répliquer à l'infini...>

<Somme toute, sur le plan économique, chacun vit en autarcie chez lui.>

Politique

<La politique est à peu près la seule chose qui fonctionne encore à Anderland ; qu'on ne croie pas qu'elle a un but quelconque : elle ne sert à rien. Quelle loi aurait besoin d'être ? Mais on prend plaisir à voter presque tous les deux jours pour élire telle ou telle assemblée dont personne n'avait jamais entendu parler, ou encore pour décider par référendum si une somme de cinquante-trois unités doit être allouée à la terraformation d'une planète horriblement reculée ou à la création d'un comité de recherche sur la philologie comparée du Lygkrate ancien et du Meguil moderne.>

<Toujours est-il que le corps des institutions anderlandiennes est encore convoqué et que seul lui parvient à donner une cohésion nationale au pays.>

<Ceci est dommage, car la constitution est fort bien imaginée, car elle offre une décentralisation très poussée (ce qui est bien nécessaire vu la taille de l'État) et pourtant une forte unité nationale.>

Les Institutions

<Le pouvoir législatif est tenu par trois assemblées.>

<Le Sénat Universel comporte 600 membres. Il est renouvelé par quarts tous les trois ans. Chaque siège est pourvu au suffrage universel direct à un tour parmi toute la population. Il dispose de l'initiative des lois, de la prérogative lors du vote du budget, du droit de contrôler et de révoquer les ministres, du pouvoir de faire appel au corps électoral contre toute loi passée par les deux autres assemblées sans son accord, contre tout veto présidentiel, ou même contre le Président lui-même. Chacun de ses membres peut déposer une proposition de loi, peut saisir le conseil constitutionnel ou le conseil permanent. Son président siège au à la Commission d'État et peut déclarer un référendum. Il assure l'intérim en cas de maladie ou d'absence du Président.>

<L'Assemblée de l'Univers et de la Galaxie d'Andromède compte 500 sièges renouvelable tous les deux ans par cinquièmes. Le mode d'élection est très particulier : chaque électeur vote pour un seul candidat et les cinq cent à obtenir le plus de voix sont admis à l'Assemblée. Pour cette raison, l'AUGA est restée longtemps un organe inactif, car elle ne pouvait jamais recueillir assez de voix pour passer une loi, et à plus forte raison pour renverser le Sénat Universel. Mais quand les partis ont plus ou moins disparu d'Anderland, et que la politique est devenu une politique de personnages, l'AUGA a vu son rôle s'accroître considérablement. Si elle peut être dissoute par le Président, elle dispose cependant du pouvoir de révoquer le Sénat Universel (à la majorité des trois cinquièmes). Elle a aussi l'initiative des lois. Ses membres peuvent proposer des textes et par groupes de vingt convoquer le conseil constitutionnel. Son président dispose des mêmes compétences que celui du Sénat Universel, avec de plus la possibilité d'opposer un veto suspensif d'un quart d'année à toute loi passée par les deux autres assemblées.>

<L'assemblée universelle se compose de 900 membres, renouvelables par tiers tous les cinq ans, élue au suffrage proportionnel par scrutin de liste. Elle dispose de l'initiative des lois (par groupe de trente députés, ou par commission). Quoi qu'elle ne puisse pas révoquer le gouvernement, elle a le droit d'annuler tout décret, toute circulaire, toute ordonnance en émanant. S'il est vrai, comme ses membres sont élus pour longtemps, qu'elle peut être dissoute par le Président ou le Gouvernement, cette dissolution peut tout de même être cassée par une des autres assemblées. Curieusement, le président de cette assemblée n'est pas élu par l'assemblée mais directement par le corps électoral, ce qui lui donne des compétences vastes : il siège à la Commission d'État, il peut déclarer un référendum, promulguer certains décrets, saisir le conseil constitutionnel et le conseil permanent, convoquer la Haute Cour, etc.>

<Pour qu'une loi soit promulguée, elle doit avoir été votée par la majorité des membres d'au moins deux assemblées. Les lois votées par le Sénat Universel et l'AUGA s'appellent lois statuaires, celles votées par le Sénat Universel et l'Assemblée Universelles lois pantophores, celles votées par l'AUGA et l'Assemblée Universelle lois plébéiennes et celles votées par toutes les assemblées lois pantarchiques. Le Président peut appliquer un veto définitif contre les lois pantophores, un veto suspensif d'un an contre les lois statuaires. Il ne peut que demander relecture d'une loi plébéienne et n'a aucun appel contre les lois pantarchiques.>

<L'exécutif est confié à un président élu pour dix ans par élimination successive des candidats. Il est assisté par un vice-président et un bureau exécutif, élus avec lui. Il dispose de pouvoirs très étendus, et ne peut être révoqué que par un référendum appelé par le Sénat Universel.>

<Le gouvernement est nommé par le président du Conseil, lui-même nommé parmi les assemblées par le Président. Généralement, le président du Conseil se nomme Premier Ministre, mais ce n'est absolument pas nécessaire. Le gouvernement est responsable devant le Sénat Universel et l'AUGA.>

Vie des hommes illustres

Hamlet

<Hector Amulius Marcus Laurens Élysius Titus, fils de David est né en 1893 ADI (au calendrier Dupsilien). Il a été choisi comme Grand Prince de d'Upsilon en 2000. Il mourut pour la première fois en 2224 ADI. En 11589 Reipublicae, Chanteclerc d'Ini Om le ressuscita, et se fit passer pour son père. À peine trois ans plus tard, Alexandre VII mourut, le nommant comme son successeur. En 16091, Anderland découvrit d'Oméga. Il fut l'instigateur du Conseil des Nations. En 16381, je lui appris sa véritable naissance. Lors de la dictature de Kerzax de Saramec, il mit tout ses efforts en œuvre pour convaincre le Sénat Divin et le Conseil des Nations d'intervenir à Anderland. Il y parvint avec mon aide en 31056.>

Charles XII

<Charles XII est né roi d'Anderland en 9518. On ne peut pas dire qu'il ait vécu une vie très mouvementée. Pendant la dictature, il ne fit que se réfugier en Éden, et passa son temps à écrire des pamphlets sur Kerzax.>

Anne-Beatrice de Taniaze-sur-Éden, duchesse des Landes Bleues

<Sa Majesté la Reine d'Anderland a probablement joué un rôle historique plus important que son mari. Pendant la dictature, elle tint ouvertement tête à Kerzax, qui dut la faire emprisonner. Par la suite, elle s'intéressa de près à l'histoire de la Terre, et, pour tenter de la détourner du pire, s'incarna de nombreuses fois en bien des personnages qui par la suite restèrent célèbre. Je ne les citerai pas ici, car elle tient à le garder secret. Elle aida Madame Sarloux dans sa lutte entre 1939 et 1945, et lorsque le Sénat Divin choisit d'envoyer des Avatars sur Terre, elle fut parmi les élus.>

Anya de Bergonde

<Anya de Bergonde est née en 50979, fille unique d'Hamlet et d'Ophélie d'Elseneur. Sachant que son père ne mourrait jamais, elle abandonna le titre d'héritière de l'Empire et cacha sa naissance. En 51000, elle visita une grande partie de l'Empire, mais décida de rester habiter les Jardins de l'Éden. En 51431, elle joua un rôle essentiel dans la guerre contre moi, et c'est elle qui présida mon procès.>

<« Ça, nous le savons ! » remarqua Erenus.>

Elëxoros

<Elëxoros est né en 972 après la fondation de Tupac, dans un autre monde. En 999, il accompagna Erenus et Xanthin dans leur quête pour immerger dans le lac mort les trois pierres[*]. Il pénétra en Éden avec mon frère, y resta cinq cent ans. En 51431, il lutta dans la guerre avec David. En 51433, il épousera Anya de Bergonde...>

<« Eh ! coupa Erenus, ça ne s'est pas encore produit ! »>

<« Pardon » répondis-je.>

Erenus

<Il est né en 975 a Tupaco condita, cousin du second degré d'Elëxoros. Il participa, lui aussi à la sauvegarde de son monde et vint en Éden avec ses compagnons. Son rôle dans la Guerre du Codex fut décisif.>

Xanthin

<Xanthin est né en 412 après la fondation de Tupac. Il accompagna, à la demande de Windolf, Erenus et Elëxoros jusqu'au lac Mort, et c'est lui qui leur permit d'obtenir la pierre de la Volonté. Entré en Éden, il fut élu membre du Conseil Permanent pour trois cent ans, et, son mandat expiré, retrouva ses amis. Il fut, après la guerre, incorporé au Sénat Divin. En 51462, il se mariera avec la sœur de Chanteclerc d'Ini Om, déesse de...>

<« Suffit ! » interrompit Erenus.>

Marc le Blanc

<Marc naquit, sous le nom de Windolf, en 316 de Tupac. Il suivit, avec Alexandre VII et mon frère, de loin, la progression des trois héros qu'il avait dépêché. Il pénétra en Éden avec eux et les aida pour leur seconde Quête, mais sous un autre nom et avec un autre corps. En tant que dieu du Temps, il aidera...>

<Et je fus à nouveau arrêté.>

Nikra

<Sa naissance est resté toujours très obscure. Certains la voient fille de Jupiter, d'autres de naissance terrestre, d'autres encore la croient autogène. On la dit la femme la plus belle de l'Univers ; ce qui est sûr, c'est qu'elle a nonné naissance à plusieurs centaines d'enfants, et qu'elle aurait pu en avoir des centaines de milliers... Mais les mœurs sont, à Anderland, d'une liberté inconcevable.>

Françoise Sarloux

<Elle naquit en 1891 à Paris, fit de brillantes études de mathématiques, mais mourut en 1926, dépressive après avoir vu son mari tomber en 1914 sur le front. À Anderland, elle connut une ascension fulgurante. En trente-huit ans (anderlandiens), elle fut élue Présidente de l'Univers. Elle créa un Sénat Terrestre, chargé de s'occuper véritablement des intérêts de la planète, pour faire contrepoids à l'assemblée terrestre. Lorsqu'en 1940 elle voulut qu'Anderland fît cesser la guerre, elle se heurta à une vive résistance de Lord Byron of Newcastle, président du Sénat Universel et de Samfrois Rélien, instigateur de l'assemblée terrestre. Fin 1944, à l'expiration de ses fonctions, elle se rendit personnellement au Sénat Divin, pour les supplier d'agir. Elle obtint du Conseil des Nations en 1945 qu'ils favoriseraient la fondation de l'ONU.>

Société

<Les chiffres sur la société anderlandienne sont suffisamment significatifs. Laissons les parler d'eux mêmes.>

<98% des Anderlandiens déclarent s'ennuyer. 81% étudient pour chasser cet ennui. 62% exercent une tâche officielle quelconque. 76% possèdent une connaissance approfondie des mathématiques, 62% de la physique, 46% de la biologie. 95% des Anderlandiens connaissent le grec, 93% le latin, 91% l'allemand, 91% aussi le français, 90% l'anglais, 88% le russe, 87% l'arabe classique, 85% le chinois mandarin ; et il va de même pour les langues de bien d'autres planètes. 93% des Anderlandiens a suivi plus que 150 années d'études, 51% plus que 400 ans. 71% affirment avoir lu l'intégrale des pièces de Shakespeare, 80% avoir écouté toutes les œuvres de Brahms. 45% estiment avoir visité plus de deux mille planètes.>

Vie courante

<Les résidences à Anderland sont des sphères de verre spécial, d'une dizaine de kilomètres de diamètre, remplies de terre en leur moitié inférieure. Elles sont aménagées de manière à apporter à leur propriétaire un confort le plus luxueux possible. Généralement, une dizaine de kilomètres carrés est aménagé en un petit lac dans lequel on se plaît à nager. On trouve fréquemment aussi un verger, une forêt, une serre, quelques champs, une petite zone de montagnes, quelques plaines et quelques collines verdoyantes, un coin de désert, etc.>

<La maison elle-même est toujours plus spacieuse que nécessaire, même s'il est vrai que l'on a souvent de nombreux invités. Le tout est relié à un réseau informatique extrêmement dense : chaque chambre compte parfois jusqu'à huit terminaux.>

<La journée d'un Anderlandien moyen est généralement très peu chargée. Après son réveil, il passe une ou deux heures à consulter son ordinateur, d'abord pour consulter les médias, puis simplement par amusement. Le premier repas de la journée est plus un prétexte pour manger copieusement qu'une occasion sociale. S'il a une fonction officielle, il s'y rend alors ; ou bien s'il enseigne, s'il écrit, il se met alors au travail (sans pour autant sortir de chez lui) ; sinon, il lit probablement. Le second repas ressemble plus à un en-cas. L'après-midi est passée à faire le tour du domaine, à se promener, à nager, à faire du ski, à voler (après tout, pourquoi pas ?), ou bien à faire la sieste. Le troisième repas est le plus souvent simplement une grande quantité d'amidon, mêlée à des liquides gustifères. La soirée est souvent passée à regarder des films, ou bien encore à lire. Enfin un dernier repas, pris en famille, vient clôturer la journée.>

Technologie

<Toutes les techniques matérielles d'Anderland ont été remplacées par le Lozaire. La technologie ne concerne donc que les techniques de communication. Celles-ci reposent exclusivement sur l'usage extensif de l'informatique, dont le matériel a enfin été complètement standardisé et relié totalement par un réseau, AnderNet.>

<Mais les Anderlandiens n'ont pas compris encore la puissance du Lozaire (et c'est là la différence entre un homme et un dieu), et alors qu'il existe dans l'Univers un ordinateur dont la puissance est absolument sans limite, de même que sa vitesse, ils n'ont pas réussi à en percer le secret...>

Archives

<« Ara ethelete elthesthai eis to Upsilon[*] ? » demandai-je alors. « Boulometha[*]. » répondit Anya.>

<Nous fûmes alors devant un grand hall, supporté par des colonnettes corinthiennes. Au centre se trouvait une petite fontaine. Au fond, on apercevait deux tableaux : l'un représentait Alexandre le Grand, en pharaon égyptien. L'autre était le portrait d'un dieu hybride entre Pluton et Osiris : Sérapis. Mais rien de tout cela n'intéressait ceux qui étaient présents : ils avaient les yeux rivés sur les milliers de rouleaux de papyrus disposés sur des étagères.>

<« Incroyable ! » cria quelqu'un.>

<Et moi : « La Grande Librairie d'Alexandrie. »>

<« Ce n'est hélas qu'une reconstitution, mais tous les volumes sont là tels qu'ils y étaient il y a quelques siècles. Mais ce n'est pas tout ; suivez-moi. »>

<Je sortis, traversai un patio, gravis une colline et s'offrit à nos yeux une immense plaine, parsemée de bâtiments de forme et taille différentes. Chacune était une bibliothèque.>

<« Voici la Bibliothèque. Ici sont entreposés tous les livres jamais écrits depuis la création de l'Univers. »>

<« Et devant être écrits jusqu'à sa destruction ! » ajouta David.>

<Toutes les informations de l'Univers, la position et la vitesse de chaque particule depuis l'Origine a été enregistrée dans le Lozaire des Archives Anderlandiennes.>

Armée

<On aurait encore récemment dit que l'armée anderlandienne n'a plus aucun intérêt si les événements de toute dernière date n'avaient pas fait mentir cette affirmation. Elle est produite par clonage grâce au Théokhryse, et les soldats sont bien plus des robots que des hommes.>

<Périodiquement, un groupe de députés pose sur le bureau de l'Assemblée une proposition de loi pour abolir l'armée, ou, au moins, de ressusciter les soldats morts.>

<Mais les arguments que j'y oppose sont les suivants : d'une part, si l'armée était révoquée, les soldats ne pourraient vivre seuls, car il leur manque une conscience, et donc le pouvoir de prendre des décisions : ils sont nés pour obéir et pour mourir ; à plus forte raison, on ne peut les ressusciter, car cette opération consiste à intégrer la conscience (d'aucuns auraient dit l'âme) d'un homme dans un —autre— corps.>

La Vie dans l'Univers

Les Anthropoïdes

<La forme de vie sans conteste la plus importante de l'Univers est celle de laquelle nous faisons tous partie : les Anthropoïdes. En effet, Anderland, d'Oméga, la Terre et d'Upsilon la portaient, et les Anderlandiens ont donc ressuscité les morts dans des corps humains, ce qui leur a assuré la majorité.>

<Parmi les planètes où ils vivent, l'espèce dominante est presque toujours l'Homme. Sur Hydrogè, ce sont les Delphinoïdes, cousins des mammifères marins terriens ou anderlandiens. Sur Pyrogè, curieuse planète en éruption volcanique permanente, les Salamandrins, reptiles très évolués sont les dominateurs. Enfin sur Aerterre, des oiseaux d'un genre curieux (mais ils ne sont pas tout à fait aussi intelligents).>

Les Organosilicieux

<La seconde forme de vie est également biologiquement basée sur le carbone, mais les macromolécules contiennent ici également du silicone, ce qui les rend légèrement plus instable mais qui augmente fantastiquement leur variabilité.>

<Les organosilicieux ont une variété biologique extrême. Ils sont en moyenne cinq à dix pour-cent plus intelligents que l'Homme, mais leur durée de vie est deux à trois fois plus courte. Leur taille varie selon les planètes entre huit décimètres et onze décamètres.>

Les Sulfureux

<La troisième forme de vie se nomme les Sulfureux. Ils sont basés sur une biochimie sulfureuse, et vivent dans une atmosphère saturée en dioxyde de soufre, à basse température et haute pression, très légèrement au dessus du point de liquéfaction. Ils stockent l'énergie par le système d'oxydoréduction entre ions sulfuriques et sulfureux.>

<La diversité de cette forme de vie est moins grande que chez les Anthropoïdes. Ils sont généralement plus petits en taille, et de durée de vie plus courte, puisque leurs macromolécules sont plus facilement sujettes à perturbation. Leur forme de vie la plus évoluée a cependant atteint une intelligence très légèrement inférieure à celle des Hommes.>

Les Photobiens

<La dernière forme de vie, la plus rare, est également la plus étrange, et reste jusqu'à aujourd'hui pratiquement inexpliquée.>

<Elle ne se développe que sur des planètes qui d'une part contiennent une quantité non négligeable de Lozaire en elles, d'autre part sont riches en silice, et enfin sont portées à une température très élevée. La silice forme alors du quartz qui, en raison du Lozaire, est doué de propriétés optiques absolument extraordinaires, et notamment son coefficient de réfraction change en présence d'une lumière vive.>

<Il se produit alors un phénomène fort étrange : des rayons lumineux pénètrent dans la couche translucide de la planète, et s'y retrouvent piégés. Ils suivent des trajectoires si complexes que, par des effets inconnus, ils finissent par devenir vivants !>

Postlude

Elëxoros se maria peu de temps après à Anya de Bergonde. La cérémonie se déroula en grande pompe sur la rue principale d'Anderland. Bien des personnalités étaient présentes et elle resta éternellement dans les mémoires. Le couple partit en lune de miel faire un tour de l'Univers pour cinquante ans, puis passa une éternité bien paisible.

Erenus fut élu président de l'Univers à ma succession, puis membre et enfin président du Sénat Universel ; il sut donner un peu plus d'intérêt à la vie politique à Anderland. Plusieurs siècles plus tard, comme président de la guilde des Nécromanciens, il tenta de convaincre le Sénat Divin de dissoudre cette même assemblée et de dévoiler la connaissance suprême du Codex à tous, mais il se heurta à une opposition farouche des Princes d'Éden et de Gilles. Il resta toujours célibataire, ce que Marc commenta sarcastiquement, quoi que lui-même fît pareillement.

Xanthin épousa, trente ans plus tard, Évéthèle d'Upsilon, sœur de Chanteclerc d'Ini Om. Il représenta plusieurs fois Anderland au Conseil des Nations et fut fréquemment réélu au Conseil Permanent, mais il refusa d'accorder son soutient à Erenus. Plus tard, il devint écrivain, et excellent joueur d'échecs. Il passa son temps alors à naviguer entre les monde et en créa même un, Étherna, où le temps n'existe pas. Mais il y eut des petites difficultés.

Anya épousa donc Elëxoros, et lui donna deux fils jumeaux et deux filles jumelles, nommés Castor, Pollux, Hélène et Clytemnestre. Par la suite, elle commença d'écrire des pièces de théâtre qui firent sensation.

Marc ne se maria jamais, malgré bien des regards portés à Nikra. Il partit plus tard sur une planète déserte avec comme intention d'y compter les grains de sable... Il joua un rôle essentiel autre part, avec Relov, Castor et Pollux, Hélène et Clytemnestre, mais dans une autre histoire.

All is well ended, if this suit be won,

That you express content ; which we will pay,

With strife to please you, day exceeding day :

Ours be your patience then, and yours our parts ;

Your gentle hands lend us, and take our hearts[*].


Dialogues de Marc le Blanc

Cette nouvelle fait suite au Livre de Ruxor et à Anderland, qu'il faut avoir lu pour l'apprécier.

Je n'ose pas remercier ici mes professeurs de lettres, qui se sentiraient —à juste titre— peu flattés.

Je dédie ces dialogues à tous ceux qui aiment le mauvais français, l'humour plutôt bas, la phobosophie et à ceux qui ont eu le courage de lire de bout en bout les deux premiers livres.

David Ivanovitch Alexandre Madore Ruxor VI esquire,
Président de l'Univers, Président de l'Assemblée
de l'Univers et de la Galaxie d'Andromède,
Membre du Sénat Universel, Membre du Sénat Divin,
Membre du Conseil Permanent et de la Guilde des
Nécromanciens, etc. etc.

Introduction

« Où en étais-je ? se demandait Marc le Blanc. Où en étais-je arrivé ? »

Il s'approcha d'une table couverte de papiers, lesquels auraient été blancs si tant de nombres n'était pas écrits dessus. Marc remua les papiers avec sa main et beaucoup d'impatience.

« 44296328 ? Non, c'était hier ! 44285975 ? Avant-hier ! »

Il fouilla ainsi approximativement autant de temps que s'est écoulé le 12 février 1428 entre 17 heures 25, 13 secondes et 18 heures 25, 13 secondes.

Puis il fit exactement la même tête qu'Anya de Bergonde avait fait lorsqu'Erenus lui avait annoncé qu'il n'aimait pas ses tartes à la fraise, et il dit avec une voix qui indiquait clairement une résolution définitive :

« Cela n'a pas d'importance. Je vais tout recommencer depuis le début. »

Il regarda quelque chose de très petit par terre, et annonça :

« Un ! »

Puis retourna se coucher.

Par une coïncidence extraordinaire, l'orateur qui parlait au Sénat Universel (je ne sais pas de quoi : je m'étais endormi depuis longtemps) éternua au moment exact où Marc s'endormit, ce qui suffit à dévier très légèrement Anderland de son orbite, donc à perturber la trajectoire d'une astéroïde qui ne heurta pas la planète comme elle l'aurait fait mais continua sa course dans l'espace. Ceci n'a, bien sûr, strictement aucune importance.

Marc fut réveillé par l'ordinateur qui lui annonçait qu'une astéroïde venait de s'écraser à deux cent kilomètres, produisant entre deux et trois mille grains de sable.

« J'ai bien fait de recommencer à zéro alors ! » commenta-t-il, et fit un sourire dont on aurait dit qu'il cherchait à se mordre la queue (le sourire, pas Marc).

Un vaisseau atterrit, mais Marc avait coupé l'ordinateur pour mieux dormir, et car il n'aimait pas sa couleur (celle de l'ordinateur).

Au moment exact ou Marc franchit la porte de sortie avec un plateau surchargé de tartines de foie de salamandre qu'il comptait manger dehors (le plateau, qui était en sucre glace ; le le foie de salamandre était destiné à son chat), quelqu'un la franchit en sens inverse.

Au moment du choc, le quidam disait :

« Non, je ne vais pas frapper. »

Marc regarda le quidam, les miettes, le quidam, les miettes et finit par déclarer :

« Non, ça ne compte pas. »

Le quidam fut si surpris qu'il resta absolument paralysé.

« Quelle statue hideuse ! J'espère qu'elle ne s'effritera pas ; cela me donnerait du travail en plus ! »

Quand il s'aperçut qu'il était vivant (pas Marc), il lui demanda :

« C'est ce que vous appelez ne pas frapper ? Je ne voudrai pas vous voir vous battre... »

Enfin, il s'accroupit et examina les traces de sables laissées par l'autre.

« Un. Peut-on (deux) savoir (trois) comment vous (quatre) vous appelez ? Cinq. »

« Je suis tout seul, Marc. Je réponds au nom de Kerzax de Saramec. »

« Quelle question vous a-t-il posée ? »

« Pardon ? »

« Il n'y a pas de quoi. »

Kerzax de Saramec

Il lui fit un signe qui pouvait signifier soit qu'il entrât, soit qu'il trouvât le plus proche diplodocus enrhumé et qu'il le tuât. Comme la planète ne portait pas de diplodocus, Kerzax le suivit.

Ils traversèrent une pièce d'un rose très douteux.

« Je me rends ici dès que je pense à Nikra. »

« Parce que le rose vous la rappelle ? »

« Oui, c'est la couleur de l'habit indescriptible qu'elle portait, qui me décida à ne plus jamais la revoir. »

Ils s'assirent dans le salon, dont les murs étaient en miroirs.

« Une vieille habitude, commenta Marc, je regarde toujours la personne la plus intelligente présente. »

« Asseyez vous, ajouta-t-il. Alors, quel est votre nom ? »

Kerzax le dévisagea longuement.

« Mon nom est Kerzax de Saramec » lui rappela-t-il finalement.

« Et qui êtes-vous ? »

L'autre se souvint que « le calme et la sérénité sont les trois vertus du sage », et répondit très calmement :

« Kerzax de Saramec. »

« Vous êtes visiblement terriblement égocentrique, et imbu de vous-même. Vous devriez prendre exemple sur Moi, le Dieu du Temps. Il ne me surprendrait pas que vous fussiez dictateur ! »

Après une courte réflexion, il fronça les sourcils.

« Kerzax de Saramec ? C'est vous ? »

L'autre, très sereinement :

« Oui. »

« Excusez-moi si ma conduite a pu vous paraître bizarre, mais I am but mad north-north-west. When the wind is southerly, I know a hawk from a handsaw[*]. »

De la politique

« Ainsi vous avez pris le pouvoir pour châtier le mœurs ? »

« L'inconvénient de la démocratie est que les faiblesses populaires se répercutent à toute la classe dirigeante. Les élus ne peuvent pas, du fait de leur situation, voter à l'encontre de la volonté du peuple, qui n'est pas forcément la meilleure pour ses intérêts. »

« Pourtant, de votre pouvoir, votre conduite n'a pas été... exactement... irréprochable... »

« Hélas, oui, le pouvoir corrompt ! Je doute que quiconque puisse y rester sain plus d'une semaine. »

« Si : un fou. »

« En réalité, je n'ai pas quitté le pouvoir parce que le Sénat Divin m'y avait forcé. La Suprême Institution ne m'a que donné un avertissement. Je me suis rendu compte que ma conduite était néfaste pour l'État Anderlandien. »

« Pour l'État Anderlandien ? Vous oubliez les milliers de morts ? Ou est-ce que vous rapportez tout à la Raison d'État ? »

« Oui, la Raison d'État est le Suprême Intérêt, mais elle ne doit pas effacer l'Individu. L'Histoire nous apprend que c'est alors la Liberté qui meurt ; la Raison d'État doit diriger sans opprimer, doit conduire sans interdire, doit régner sans tuer. »

« Utopie ! »

« Parfaitement, utopie ! All' ou toutou heneka, hin' apodeiksômen hôs dunata tauta gignesthai[*]. Le régime politique d'Oméga s'est approché du Régime Idéal, ou encore la nécrocratie : les citoyens votent dans leur testament, et l'expérience montre que ceux qui vont mourir sont toujours plus sages que les vivants. »

« Mais encore ? »

« À présent, le régime d'Anderland a enfin atteint la perfection, et je suis heureux d'avoir apporté ma pierre à cet édifice. »

« Pourtant, la constitution n'a que très peu changé depuis sa fondation... »

« Mais il y a un monde de différences ! La constitution, justement, est maintenant lettre morte. Quel est, d'après toi, celui ou ceux qui dirigent en ce moment l'Univers ? »

« Le Président de l'Univers ? Le Sénat Universel ? L'AUGA ? Le Conseil des Nations ? Le Sénat Divin ? L'Empereur ? »

« Tu n'y es pas ! L'Univers se dirige lui-même. Nous vivons dans L'Oudécratie. La Raison d'État a sombré, et la politique avec elle. »

Anya de Bergonde

« 12843, 12844, 12845, 12846... » compta finalement Marc.

« Bip, bip ! » fit l'ordinateur.

« Oui, je sais, mes tartines sont prêtes ! Tais-toi ! » lui hurla-t-il.

Le terminal s'enfonça tristement dans le silence.

Marc avait eu tort.

Quelques minutes plus tard, un vaisseau atterrit à deux mètres de lui et souleva un vent qui balaya les grains de sable.

Marc devint rouge, puis très pâle, puis légèrement bleuté, vert pomme, orange citron, de la couleur du gâteau au chocolat qu'il avait préparé le matin (c'est-à-dire rose crème), et enfin reprit son teint normal, quoique très légèrement transparent.

Il ouvrit la bouche pour dire quelque chose, la referma parce qu'il n'avait rien trouvé d'intelligent, la rouvrit pour crier, et hurla.

Il disait, en termes quelque peu grossiers, que le propriétaire de ce vaisseau...

Anya sortit, entendit ce qui ne lui semblait à juste titre pas être un compliment, et s'en retourna. Marc eut bien du mal à la retenir.

« Madame Anya de Bergonde, comtesse de Sinzigur, duchesse d'Alzévir ! Que me vaut votre excellente visite ? »

De vita morteque

« Faire cesser les résurrections ? Sont-ils devenus fous ? »

« Ils prétendent que l'immortalité a commis plus de mal que de bien à Anderland : elle a créé, par exemple, l'ennui. Elle a estompé la différence entre dieux et hommes. Les citoyens, disent-ils, ne sont plus Vertueux. Si vitae necesse res una, mors est[*]. »

« La mort ! la mort ! que savent-ils sur Elle ? Je gagerai que ceux dont nous parlons ne sont pour la plupart jamais morts ! L'ennui ? L'ennui n'est pas un mal ! c'est un combat que nous devons livrer à chaque instant, nous devons en être capables ; et c'est l'issue de ce combat qui détermine la différence entre hommes et dieux. Pourquoi serais-je sur cette planète à compter les grains de sable sinon ? La vertu ? Mais il ne suffit pas d'être mortel pour être vertueux ! Ceux qui vivent à ce moment dans l'Univers seraient presque tous des crapules. To be honest, as this world goes, is to be one man picked out of ten thousand[*]. Non, ces gens ne sont que des couards qui n'osent affronter la vie ; la mort n'est pas nécessaire à la vie, elle la rend plus supportable. Ils ont fondé leurs arguments sur le fait qu'ils s'ennuient, qu'ils se prennent pour des dieux, et qu'ils sont des misérables vauriens ; ce qui est vrai, mais il ne faut pas généraliser sur des exemples... »

« Soit. Mais ils prennent maintenant à leur compte la guerre du Codex. C'est Gilles qui a rappelé la Mort à la vie. »

« Sais-tu ce qu'est le Phénix ? »

« Oui. »

« Oui, bien sûr ! Nous sommes tous des Phénix. Périodiquement, nous mourons et sommes recréés. Certains se comportent comme s'ils n'étaient pas morts. Qui pourrait ainsi éviter l'ennui ? J'étais Windolf le Sage, je suis Marc le Blanc. Suis-je vraiment le même ? Non, pas du tout ! Le Phénix qui renaissait sortait de l'Œuf ! J'ai tout repris à zéro. Ce n'est qu'en reprenant perpétuellement tout au départ que l'on peut véritablement progresser. Gilles l'a dit : Gringenstein, Immortel Joyau de l'Empire devait être détruit par le Volcan du Temps, pour renaître de ses cendres en Phénix rayonnant. Ce qui fut fait. Et s'il doit être refait, je suis prêt ! »

Erenus

Anya passa la nuit chez Marc. Ce n'est que par amitié pour Elëxoros qu'elle ne coucha que chez Marc.

Marc se leva très tard.

« Tu vas avoir un nouveau visiteur... » lui annonça Anya.

« Les visiteurs pullulent ici ! Il ne manque plus que le Président de l'Univers. Qui est-ce ? »

« ...le Président de l'Univers. »

Marc toussa quelque peu.

« Le Président de l'Univers. Ah ! Qui est-ce au fait ? »

Anya avait bon nombre de rides. Non qu'elle fût très âgée, mais elle tenait son sourcil droit assez éloigné de la position où il aurait du être. Elle finit par répondre :

« C'est le chef de l'État anderlandien. »

Marc éclata en une violente quinte de toux.

« Tu devrais te soigner. »

« Bon. Qui est-ce ? »

« Erenus d'Énirale. »

Marc regarda un terminal d'ordinateur pour tenter de savoir combien de temps encore il allait avoir la paix, se perdit dans les menus, obtint que l'ordinateur lui donnât son poids et le prénom de son arrière-grand-mère. Il ne décida pas de ne pas l'éteindre.

Il sourit un sourire qui aurait fait se glacer les os du plus valeureux guerrier de la planète d'Eupolémophile.

« J'aime être prévenu au moins une heure avant l'atterrissage des vaisseaux ! Je suis si content ! »

« Dans combien de temps arrive-t-il ? »

« Deux minutes. »

Il lui lança un regard enflammé, puis s'allongea sur sa chaise.

« Enfin, l'important est de rester parfaitement calme, et... »

« Et ? »

« Et ce n'est absolument pas mon cas. »

Deux minutes plus tard, l'ordinateur reçut un poids d'un kilogramme sur le terminal.

Marc alla à la porte et l'ouvrit.

Quatre soldats anderlandiens se mirent au garde-à-vous.

Marc franchit le seuil, marcha jusqu'à un vaisseau frappé du trèfle vert, et aborda le petit personnage qui en descendait.

Il lui souhaita un « Bienvenue ! » qui signifiait exactement le contraire de ce qu'il signifiait.

Puis il lui serra cordialement la main, quoique très légèrement trop fort :

« Monsieur le Président de l'Univers... »

« Marc ! »

« Chère vieille chose ! »

« Je suis venu apporter ma protection à ma cousine. »

« Je te jure que... »

Erenus jugea bon de retirer sa main de celle de Marc.

« Bien sûr. »

« Tu as bien fait d'apporter des gardes du corps. »

« Je ne suis pas totalement stupide. »

« Ah ! bon ? »

Ils rentrèrent.

Erenus baisa la main qu'Anya lui tendait.

« Madame la Duchesse. »

« Monsieur le Vicomte. »

« T'arrive-t-il, Marc, de lire les journaux ? »

« Utiliser l'ordinateur ? Jamais ! »

« Kerzax de Saramec a publié un article sur toi : il paraît que tu t'ennuies. Tu peux t'attendre à avoir quelques visiteurs impromptus. »

Marc n'eut pas l'air... précisément... ravi...

« Je suis... habitué... »

De scientia

« J'apprends que tu passes ton temps... »

« Mon temps est le Temps de l'Univers ! »

« ...à compter les grains de sable de cette planète ! »

« Je sais. »

« J'espère bien que tu sais encore ce que tu fais ! Mais pourquoi le fais-tu ? N'as-tu rien de plus constructif, intelligent, utile, beau ou enrichissant à faire ? »

« Non. »

« Il y en a 127 323 954 753 523 132 233 630 exactement. »

« Je sais. »

Erenus le regarda comme un entomologiste regarde une mouche à sept pattes.

« Tu sais qu'il te prendrait cent millions de milliards d'années à les compter tous ? »

« Oui. Et quand j'aurais fini... »

« L'Univers ne sera plus ! »

« Non, Anderland ne le laissera pas mourir. Quand j'aurais fini, je recommencerai. »

« Pourquoi n'essaies-tu pas de t'instruire ? »

« M'instruire ? rugit Marc. M'instruire ? Je lirai une lettre d'un livre à chaque fois que j'aurai compté un milliard de milliards de fois tous les grains de sable de la planète ! Reviens me voir quand j'aurai lu tous les livres jamais publiés de l'histoire de l'Univers. »

« Pourquoi ? »

« Es-tu dieu de la connaissance ? »

« Oui. »

« Alors tu devrais savoir ! »

« Je sais, mais je veux l'entendre de ta bouche. »

« Nous sommes immortels ? »

« Oui. »

« Exactement. Tout ce que nous pouvons faire n'est que futilité. Lire un livre. Quand tu les auras tous lu, que feras-tu ? Le temps est une succession infinie de grains de sable dans un sablier toujours retourné, une répétition éternelle. Demande à Anya ce que je lui ai dit au sujet du Phénix. »

« Je sais. Mais tu sembles te contredire ! »

« Non. La science ne peut nous intéresser que si nous oublions tout, renaissons et réapprenons. Mais alors, quel est son intérêt ? »

« Elle est certainement plus amusante que de jouer à Sisyphe ! »

« De gustatibus... »

« D'ailleurs, il y a toujours plus à apprendre en science, plus à découvrir. »

« Peut-être. Que m'importe ? Si nous avons encore une infinité à apprendre, nous nous tenons toujours à la même distance de l'Omniscience. Alors pourquoi apprendre ? »

« Tu es cynique. »

« Je suis réaliste. L'éternité, c'est long ; surtout vers la fin. »

Xanthin

La voix électronique de l'ordinateur se fit entendre.

« Marc... » fit-elle.

« Oui, je sais, Xanthin va venir. »

Anya entra dans la salle quelque temps plus tard.

« Marc... » dit-elle.

« Oui, je sais, Xanthin va venir. »

Erenus arriva.

« Marc... » dit-il.

« Oui, je sais, Xanthin va venir. »

Plus tard, Marc partit explorer la vaste maison, qu'il n'avait jamais totalement parcourue. Il découvrit un laboratoire de chimie très complet.

Xanthin rentra et reçut un litre d'acide sulfurique concentré sur la tête. Ce ne sembla pas l'affecter.

« Bonjour ! » dit-il joyeusement.

Marc ne put soutenir son regard.

« Xanthin d'Arquois. »

« Madame, Messieurs. »

Puis il ajouta :

« Marc, j'ai un bloc de deux kilogrammes de soude caustique pure avec moi, et je pourrais très bien te le lancer dessus ! »

« Comptes-tu le faire ? »

Xanthin parut surpris.

« Bien sûr que non ! Pourquoi enverrais-je de la soude sur un ami ? »

« Très juste. »

Peri tou khronou

Xanthin regarda Marc.

Marc regarda Xanthin.

Xanthin regarda Marc, yeux dans les yeux.

Esprit dans l'esprit.

Les yeux de Xanthin étaient immobiles, imperturbables, immuables. Imagination ? Il sembla à Marc qu'il y voyait des gouttes de sang tomber perpétuellement dans une mer rouge. Puis dans un mouvement bleu comme l'azur le sang se fit sable, la mer désert. Les grains s'ajoutaient un par un, sans commencement ni fin. Puis le regard s'enflamma. Marc failli bien ne pas le soutenir ; mais ce fut Xanthin qui brisa l'illusion et le silence.

« Vois-tu ce que tu es, Marc ? »

« Tu fus plus convainquant qu'Erenus. »

« Sua cuisque arma[*]. »

Elëxoros

« Je parie mille unités qu'Elëxoros va venir. »

« Exact » répondit l'ordinateur.

Mille unités apparurent.

Marc toussa très fort en direction du terminal mais ne trouva rien à lui envoyer. En revanche, en cherchant de la main un objet lourd, il éparpilla bien des grains de sable.

« Le monde m'en veut-il tant ? » demanda-t-il.

« Non » lui répondis-je.

La seule fois qu'un être vivant avait été aussi furieux que Marc l'était à ce moment là était le jour où Garglexlot le Petit avait vu la femme dont on lui avait imposé le mariage.

Il alla se rafraîchir les idées dans la chambre froide.

Quelques minutes plus tard arriva Elëxoros.

Il serra la main de Xanthin et de son cousin, et embrassa sa femme.

« Où est donc Marc ? »

« Juste à côté du mammouth congelé. »

« Je peux devenir fou tout de suite si vous voulez. Ça simplifiera les choses. »

« Devenir fou ? »

Il se rendit tout de même à la chambre froide.

« Bonjour, Marc ! »

La colère de Marc s'était quelque peu apaisée. Elëxoros parvint à éviter le mammouth qui lui fut lancé dessus.

« Comment vas-tu ? »

« Considérant que j'ai quatre invités et que je ne suis qu'au bord du suicide (hélas impossible), ça va plutôt bien. »

« Peut-être pourrais-tu sortir d'ici. »

Marc toussa.

« Qu'ai-je dit ? »

« Rien, répondit Anya. Il a vraiment un rhume maintenant. »

De omni re scibili

« Comment peux-tu perdre ton temps sur cette planète ? »

« Perdre mon temps ? »

« Il y a un univers à l'extérieur. »

« Vraiment ? Il serait bien mieux à ne pas y être. »

« Marc ! Cesse d'être ainsi replié sur toi-même ! Sors ! Agis ! Écris, dessine, peins, compose ! Invente ! Lis ! Vis et sois toi-même ! »

« Je suis moi-même. »

« Hélas. Tu meurs et es toi-même. Vis, te dis-je. »

« Ma religion me l'interdit. »

« Ta religion ! Ha ! Quelle religion est-ce donc ? »

« La mienne. »

« La tienne. »

« La religion du Temps. Le Temps tue et c'est s'y opposer que de vivre. Qui s'oppose à un dieu est indigne du jour. Je ne peux pas mourir, je compte les grains de sable. Cela revient au même. »

« Qui s'oppose à un dieu ? Le dieu de la Puissance t'ordonne de vivre. »

« Je lui désobéis. Je n'aurais jamais dû naître. Donc je ne dois pas vivre ! »

« Marc ! »

« Je ne suis pas là. »

« Si. »

« Fort bien. Je ne compterai plus les grains de sable. »

Elëxoros sourit.

David

« J'espère au moins que je n'aurai plus de visiteurs maintenant... »

« Erreur ! » corrigeai-je.

La lumière baissa légèrement. Quelques fumées apparurent au centre de la pièce, qui se firent de plus en plus nombreuses. Une masse lumineuse et une masse sombre se matérialisèrent, rentrèrent l'une dans l'autre et se confondirent en un tourbillon rapide. Un bourdonnement grave se fit entendre, et devint progressivement un sifflement strident, pendant qu'une odeur de formaldéhyde et d'acide formique se répandait dans la salle. Une fanfare de trompettes résonna tandis que les fumées se condensaient à la sortie du tourbillon, et c'est ainsi que je me matérialisai.

Je retirai mon casque et saluai ceux qui étaient présents.

Ils me regardèrent avec le regard que les visiteurs portent sur l'océan de la planète d'Atkkalknostz. Il est vert foncé à rayures rose fluorescentes, et quelques points bleu-gris.

« Vous n'avez pas aimé mon entrée en scène ? »

Silence.

« Je me suis peut-être trompé sur l'odeur. »

« En effet ! » répondit Marc. Il cessa de tenter désespérément d'obtenir de l'ordinateur qu'il ouvrît les fenêtres et le fit à la main.

« Voulez-vous que je la refasse ? »

« Non merci. »

Anya toussa un peu.

« Ce doit être contagieux. »

Et quibusdam aliis

« Quel bon vent amène Votre Divinité ? »

Marc eut l'air écœuré. Il ne pensait pas vraiment que le vent fût bon.

« Le même qui vous a tous réunis ici. »

« C'est-à-dire ? »

« Ma Volonté. »

Xanthin sourcilla. Il était venu de son plein gré.

« Non, Xanthin. C'est moi qui t'ai amené ici. C'est moi qui ai décidé que vous parleriez tous tour à tour à Marc, et que finalement vous le convaincriez de cesser de compter les grains de sable. »

« Je pourrais recommencer » objecta Marc.

« Mais tu ne le feras pas. »

« Très juste. »

« Mais pourquoi, demanda alors Anya, avoir choisi cela ? D'ailleurs, en général, pourquoi avoir créé un monde si complexe ? »

« Oseriez-vous vouloir connaître la Raison du Destin ? »

« Pardon, mais si je Vous pose cette question, c'est par Votre Volonté. »

« Bien sûr. Tu veux savoir le Pourquoi de l'Univers. »

« Oui. »

« Pour m'amuser. J'aurais pu le faire encore terriblement plus incompréhensible. J'aurais pu changer des millions de choses. J'aurais pu ne pas créer l'ennui. Ne pas créer le temps. Ne pas créer les nombres même. Ne pas créer la Vérité. J'aurais pu. Je ne l'ai pas fait. Ce n'est pas à vous de remettre Ma Décision en question. Vous ne le pouvez d'ailleurs pas. »

« Mais le Codex ? »

« Le Codex contient la Vérité. Mais vous savez déjà cette Vérité. Votre Moi réel qu'est votre Conscience refuse simplement de l'accepter. Elle s'imagine infiniment moins puissante que Moi, ce qu'elle n'est pas. Elle se contente de lire ce que J'écris. Quand elle se sera émancipée, quand elle écrira par elle-même, tu auras lu le Codex.

Imagine un auteur écrivant et des hommes autour de lui qui lisent ce qu'il invente. Il écrit leur histoire. Ils se contentent de lire, et de s'identifier aux personnages dont ils lisent l'histoire. Notre auteur peut fort bien écrire que le personnage devient un dieu et donner au lecteur correspondant un papier et lui dire « Écris ! ». Le lecteur peut aussi en prendre un de Sa Propre Volonté et écrire pour lui. »

Puis j'ajoutai :

« Transporte nous en Éden, Anya. »

Anya cligna à peine des yeux.

Nous fûmes dans un lieu charmant.

Dans un verdoyant jardin à l'anglaise se trouvait une délicate petite clairière où l'herbe semblait former un tapis. Nous nous tenions près de la fontaine en son milieu.

Erenus fit apparaître une table. D'un signe d'Elëxoros des chaises furent autour. Xanthin pourvut aux couverts et Marc à la nourriture. Nous nous installâmes autour du délicieux banquet ainsi apparu.

« Quand vous aurez réalisé vos pouvoirs... »

Mais je m'interrompis.

« Non, j'aurai encore besoin de vous. »


Castor et Pollux

Je remercie tous mes professeurs, à savoir Mesdames, Médemoiselles et Messieurs Anglade, Aubert, Bénony, Bernard, Bézy, Birot, Bosselut, Bouzouane, Boussard, Bucher, Briard, Chapel, Cochet, Coulié, D'Almagne, Dargent, Demeideros, Descoins, Deslandes, Desmadryl, Drouault, Dupray, Duverger, Fernandez, Flament, Frot, Gama, Girard, Goldstein, Hars, Hinder, Itic, Jasselin, Jean-Louis, Laveau, Lefur, Legein, Legoff, Lépinard, Libert, Manzanares, Marandin, Marr, Maxime, Michaud, Molin, Monet Descombey, Mouget, Parent, Patou, Péret, Peybernard, Piérini, Prioul, Régnaut, Rémilleux, Rolland, Roffi, Ruda, Sigli, Straub, Tran, Trinquand, Vaiarello, Vass et Vincent (j'espère n'avoir écorché le nom de personne... si je n'ai pas inclus mes institutrices de maternelle, c'est simplement que je ne me rappelle pas leur nom).

Je remercie aussi tous mes amis, mais là je ne vais pas essayer d'établir une liste exhaustive.

Je dédie ce livre à mes personnages, avec mes excuses pour leur faire subir tout ce qu'ils vivent alors que je pourrais les laisser tranquillement dans le bonheur, à ma petite sœur (je n'en ai toujours pas), à mes zéro grands frères, à tout ceux précédemment cités, à tous mes ennemis jurés, à ma famille (et en particulier à mes cousins issus de germain, dont certains me sont inconnus), à tous ceux qui souffrent dans l'Univers, à quelqu'un en général, à mon ordinateur, aux dodos disparus, à sir Edward Elgar, à Virgile, à Dante Alihghieri, à Homère (avec mes excuses), à Socrate, à Dieu (s'il existe), au Diable (s'il n'existe pas), au chat de mes voisins (et aux voisins eux-même, en passant), à Achille et la Tortue (tant ceux de Douglas Hofstadter que de Zénon d'Élée), à mon réveil-matin, au nombre 1729 (qui, entre parenthèses, est le plus petit à être expressible de deux façons différentes comme la somme de deux cubes), à toi, lecteur, et à deux ou trois milliards d'autres personnes.

Ceci est une œuvre ( ?) de fiction : toute ressemblance avec des personnages (vivant, ayant vécu, devant vivre un jour, ou même imaginaires), des objets réels, des idées d'un quelconque intérêt, d'autres œuvres (déjà écrites ou futures) ne saurait être que le fruit d'une coïncidence extraordinaire et inimaginable, ou de votre imagination délirante.

Que le lecteur (s'il en est un) voie ici tout ce qu'il veut. Si son cerveau dérangé veut y trouver une quelconque qualité littéraire, ne surtout pas le contrarier.

Et toutes les autres choses que j'ai à dire...

David Alexandre Madore
(et tout ce qui suit)

Juin 1993 ou dans les parages

Nouement

1

Samedi 11 mai 2013. Southenham : un petit village perdu au nord de l'Angleterre, deux cent maisons, une pharmacie, un minuscule supermarché, un bazar. Quatre cent trente âmes.

À six heures deux du matin, Roger Simpson sortit à pas lents de chez lui. Il regarda le ciel d'un œil soupçonneux, rouvrit la porte, déposa son parapluie, ressortit, hésita quelques minutes, sortit de la poche de son gilet un petit portefeuille en cuir fortement usé par le temps, chercha quelques instants dedans, prit un trousseau de clef, en essaya deux ou trois, trouva la bonne, verrouilla la porte, rangea le trousseau puis le portefeuille, jeta un regard circulaire autour de lui, hésita encore un temps, murmura un mot peu assuré, s'approcha lentement du portillon de son jardin, l'ouvrit méticuleusement, le traversa, le referma tout aussi soigneusement, regarda sa voiture comme s'il ne l'avait jamais vue de sa vie, ouvrit la portière avec une clef qui lui fut tout aussi difficile à trouver, mit le contact et démarra aussi lentement qu'il le pouvait.

Roger Simpson était né le premier janvier 1968 à Southenham. Sa mère, Ursula Elsmore, femme de fort caractère qui tenait autrefois le bazar, avait épousé Richard Simpson, un petit comptable sans fortune. Ils eurent deux enfants : Lucy en 1965 et Roger en 1968. En 1978, Richard mourut d'un cancer. Sa femme le suivit (d'une crise cardiaque) trois ans après. Lucy fut confiée à un oncle à Londres pour qu'elle continuât ses études. Roger alla à l'école à Liverpool chez une grand-tante tyrannique. Celle-ci mourut en 1991 deux jours avant l'arrivée des Anderlandiens. Roger continua ses études de médecine. En 1996, il obtint son doctorat (les réformes venues d'Anderland étaient encore inappliquées). Il retourna dans son village natal et y ouvrit un cabinet, sans grand succès. Mais les subventions anderlandiennes compensaient le manque de clients. Il épousa Jane Richmond en 1999 : elle le quitta en 2002.

Roger avait toujours eu un caractère très faible, hésitant. Mais aujourd'hui il avait pris une décision qui marquerait à jamais sa vie.

À onze heures quatorze, il arriva en vue de Londres. Il se dirigea non pas vers la ville historique mais vers la cité nouvelle qui avait été construite à quelque distance à l'ouest sur le modèle anderlandien.

Roger n'était jamais allé à Londres, encore moins à New London, et il était quelque peu apeuré par les grands bâtiments gris ou beiges surmontés de coupoles.

Il parka sa voiture au garage, lui jeta un regard nostalgique avant de sortir. Une fois dehors, il demanda d'une voix timorée à un passant où se trouvait l'astroport. L'autre lui donna sèchement des explications pour le moins embrouillées. Roger se perdit, dut redemander (alors que cette fois-là un panneau gigantesque indiquait la direction qu'il cherchait), se perdit encore, et arriva enfin à l'endroit qu'il cherchait à midi moins six.

« Excusez-moi monsieur, savez-vous quand la prochaine navette part pour Anderland ? »

« Chuboboselelkativ ! »

Roger eut soudain une peur bleue : il ne connaissait pas l'anderlandien ! Il allait embarquer pour Anderland sans connaître un mot de la langue ! Il devait simplement s'en retourner...

Son angoisse devait se lire sur son visage car un quidam le rassura :

« Ne vous inquiétez pas, il blague ! Tous les Anderlandiens parlent anglais ! »

L'autre confirma :

« Dans cinq minutes. »

Quelle chance ! Il arrivait tout droit de Southenham et la navette hebdomadaire partait juste quand il fallait.

« Où est-elle ? »

« Punkap. »

Il fit un geste vague dans une direction.

« Merci. »

« Rankuph ! »

Roger trottina vers l'endroit désigné. Près de la navette, qui ressemblait étrangement à un concombre si ce n'était sa couleur gris-bleu, un écriteau portait la mention « Anderland » et au-dessous trois symboles mystérieux : une demi-ellipse inférieure, quatre traits horizontaux empilés et un petit carré.

La porte du vaisseau servait d'escalier pour permettre aux voyageurs de rentrer. Le cœur serré, Roger monta les cinq marches métalliques. Un petit bonhomme grassouillet tendit une main vers lui et demanda :

« Ngapen ? »

Avant qu'il n'ait pu traduire en anglais voyant que son interlocuteur ne comprenait pas, le passager qui suivait immédiatement Roger, le même qui tout à l'heure l'avait rassuré, le fit pour lui :

« Il vous demande votre ticket. »

Roger cessa de respirer.

« Mon... ticket... ? »

« Vous n'en avez pas, n'est-ce pas ? Et vous n'avez pas de monnaie Anderlandienne sur vous ? »

Il faut dire que l'unité monétaire s'était heurtée à toutes sortes de difficultés bureaucratiques.

Le quidam poursuivit :

« Cela ne fait rien, je vais payer pour vous. »

Il se tourna vers le contrôleur.

« Me doni ; besh chukuj ? »

« Chulag. »

« Tesun. »

Il lui donna une petite pièce d'argent.

Puis à Roger :

« Si vous tenez absolument à me rembourser, c'était un penny. »

Ils s'assirent ensemble, Roger à côté du hublot.

« Nous serons à Anderland dans vingt minutes. »

« Vingt minutes ! »

« C'est long, n'est-ce pas. »

« Long ! ! ! »

« On pourrait s'y rendre instantanément. Mais pour permettre aux voyageurs d'admirer la beauté du... paysage, ils effectuent des millions de minuscules téléportations par seconde, à la vitesse de pointe de trois jours lumière chacune. Cela dit, c'est beau. »

Le décollage eut alors lieu, sans une secousse.

« Vous voyez : nous sommes physiquement à l'arrêt, donc il n'y a aucune accélération. Ils en produiront une une fois que nous serons dans l'espace pour maintenir une certaine pesanteur. »

« Fantastique ! »

La planète bleue s'éloignait maintenant tranquillement, s'enfonçait très lentement dans les ténèbres astrales.

« En attendant, voulez-vous quelque chose à boire ? »

« Je ne vais pas vous demander de me prêter encore de l'argent. »

« Pensez vous ! Tout est compris dans le prix du voyage ! »

Roger fut évidemment bien surpris mais n'en dit rien.

« Avez-vous déjà goûté de l'Eau de Clair anderlandienne ? C'est infect, mais vous devriez essayer au moins une fois. »

« Soit. »

« Tenuch ! Gevotas klerthudon senuv ! »

Un robot apporta aussitôt un verre d'un liquide opalescent.

Robert en essaya une gorgée et fit une tête qui trahissait clairement ce qu'il pensait de la boisson.

« On dirait de l'alcool à 90° avec beaucoup de sucre et un peu de poire... »

« C'est une solution éthylique de glucose et d'éthanoate de pentyle. »

Un ange passa.

« Je suppose que vous n'êtes jamais allé à la capitale ? »

« Non. C'est la première fois que je quitte la Terre. »

« Alors vous n'êtes pas au bout de vos surprises. Permettez que je vous donne mon adresse en cas où vous auriez besoin d'aide. »

Il appuya sur un bouton et du siège placé devant lui sortit un terminal d'ordinateur. Il pianota quelque peu et une petite imprimante sortit une jolie carte de visite. Curieusement, il y avait une adresse mais pas de nom.

« Il est absolument impossible de se procurer un stylo de nos jours ! » commenta-t-il.

Puis il ajouta :

« Vous devriez échanger de l'argent dès que vous arriverez. Deux livres sterling feront cent quatre-vingts unités. Cela suffira très largement pour quelques millénaires. Achetez-vous une maison. Pas plus cher que soixante... »

« Soixante millions d'unités ? »

« Bien sûr que non. Soixante unités ! »

« Mais c'est à peine soixante-dix pence ! »

« Garth. Autre chose : habillez-vous à l'anderlandienne. Il n'est pas nécessaire que tout le monde voie du premier coup d'œil que vous n'êtes pas d'ici. Pour la langue, ne vous inquiétez pas, vous l'apprendrez tôt ou tard, et ce sera beaucoup plus simple qu'il peut y paraître. »

Roger se tourna de nouveau vers le hublot, qui d'ailleurs était plutôt une baie vitrée. Le spectacle était saisissant : ils venaient de quitter la Voie Lactée qui dévoilait à eux sa spirale gigantesque. Toute notion de taille et de vitesse avait absolument disparu.

« Vatathoks ! murmura son voisin dans sa langue maternelle. Thoksus gatud besh winusit. »

Il continua en anglais :

« J'ai vu des milliards de fois ce spectacle et toujours j'en suis aussi ému. Pensez ! Combien de milliers d'étoiles ? »

Déjà le vaisseau se perdait dans l'obscurité intergalactique.

« Vous savez vous servir d'un ordinateur ? »

« Non... »

« Personne ne sait jamais. Le truc consiste à faire exactement le contraire de ce qui semble correct et ça marche presque toujours. »

« ... »

Quelques minutes plus tard, ils changèrent le sujet de conversation :

« Je n'ai pas l'air vieux, n'est-ce pas ? Pourtant, mes arrières-petits-enfants vont bientôt avoir vingt ans terrestres. Permettez-moi de vous inviter à leur anniversaire. Dans douze jours. À cette adresse. »

Il lui tendit une autre carte de visite. Le nom indiqué était « Castor et Pollux ».

« Hélène et Clytemnestre aussi, bien entendu. »

« Mais... ? »

« Ah ! nous y voilà ! »

La galaxie d'Andromède fonçait vers eux à une vitesse inimaginable.

« Ils font cela pour ceux qui aiment les émotions fortes. »

En un éclair ils pénétrèrent le disque galactique, s'approchèrent d'une étoile particulière, ralentirent...

Ils se dirigeaient vers la troisième planète de ce système, se mirent en orbite.

« Mesdames et Messieurs, nous sommes arrivés à Anderland. Zanduchi beshepemi Okamenonkatip. » dit une voix sirupeuse pendant que les hauts parleurs lançaient à un volume étourdissant « Land of Hope and Glory ».

La planète tournait silencieusement sous leur pieds. Quelques nuages d'ouate éthérée couvraient une immensité d'un bleu profond. Sur cet océan immaculé un continent se dessinait fièrement : il était vert sombre sauf pour une large zone autour de la cote occidentale et quelques îles.

« Là, c'est l'île de Cadzwik, le siège du Sénat Universel. »

Enfin ils atterrirent à l'astroport principal d'Anderland.

« C'est là que nos routes se séparent... Au revoir ! »

2

Roger sortit de la navette. Il posa lentement le pied sur le sol d'Anderland. C'était la première fois de sa vie qu'il quittait l'Angleterre, et pour aller où ! Il posa l'autre pied, fit un pas. Quelle joie ! Il avait peine à réaliser où il était. Anderland... N'était-ce pas un rêve ? Il fit un autre pas. Non, le sol était bien ferme sous ses pieds.

Il releva la tête et regarda le ciel. Le soleil brillait de tout son éclat. Mais quelque chose n'allait pas... Roger détourna son regard et vit un autre soleil ! Ce dernier était encore plus brillant que le premier... Il regarda ailleurs Quelques nuages maculaient l'azur ; nuages floconneux, aériens s'il en est, dont les assemblages fantasmagoriques changeaient paresseusement à la lenteur des vents. Roger scruta plus attentivement le ciel. Étrange, de petites sphères lointaines, minuscules billes de nacres en apparence, jouaient à cache-cache parmi les vapeurs.

Presque honteux d'avoir tant attendu, Roger dirigea de nouveau son regard vers le sol. Les autres passagers de la navette étaient déjà presque tous partis. La plupart, après s'être changé pour le costume ordinaire anderlandien, empruntaient de petits appareils qui se mouvaient dans les airs. Roger les suivit des yeux et constata qu'ils se dirigeaient vers les sphères aériennes. Les autres se rendaient d'un pas plus ou moins assuré vers un moyen de locomotion public ressemblant à un croisement entre une rangée de divans et un bus, car il était muni de roues, chose à Anderland fort rare.

Étonné de n'avoir pas à passer de contrôle de douane ou autre, Roger se hâta vers le bus. Le trajet fut cette fois moins confortable, d'abord car les accélérations se sentaient, et se sentaient très nettement, et aussi parce que le bus roulait à une vitesse légèrement trop grande au goût de notre héros, surtout comme il n'avait aucun pare-brise. Mais Roger regardait plutôt le paysage autour de lui. Il n'arrivait pas à distinguer si la végétation était naturelle ou bien plantée. Bien qu'il connût la plupart des espèces présentes, certaines ne ressemblaient à aucune poussant sur Terre. De nombreux animaux vivaient en liberté autour de la route ; tout était prévu, y compris les passages sous-terrains pour leur éviter d'avoir à la traverser. En pensant à la route, Roger la regarda alors de plus près. Elle n'était pas en macadam, mais en un matériau beige qui lui était inconnu. Elle était plate et droite à un point incroyable, bordée d'un muret bas. Tous les cent mètres, un terminal d'ordinateur offrait ses services au passant. Derrière eux, au loin, on apercevait encore la large étendue de l'astroport d'Anderland et les vaisseaux qui décollaient et atterrissaient fréquemment. En quelques minutes apparut devant le bus un assemblage hétéroclite de tours encore plus hautes que celles de New London. Un panneau indicateur signalait :

« Anderland Centre ».

Le bus s'arrêta, quelque peu brusquement. Ne sachant où il était ni où il devait aller, Roger descendit. Il se tenait maintenant juste à la limite entre Anderland et la campagne environnante. Au sud (mais il ne savait pas que c'était cette direction), la route par laquelle il était venu continuait sa trajectoire rectiligne sur des centaines de kilomètres. Au nord, la campagne vallonnée sur des milliers d'hectares. À l'est et à l'ouest, la limite de la Ville, dont on ne voyait pas la courbure.

L'angoisse de Roger croissait à chaque instant. Perdu dans un monde étrange, privé de tout ses points de repères ordinaires, il regrettait amèrement sa décision.

Enfin il s'enhardit à demander des renseignements à un passant...

3

Le Dieu du Pouvoir, Elëxoros, comte de Sinzigur, duc d'Alzévir, Maître des Plaines du Feu, Chevalier de l'Ordre Divin accueillit son cousin le Dieu de la Connaissance, Erenus, vicomte d'Énirale, Détenteur du Puits.

« Tu es un peu en avance. La fête est dans douze jours. »

« J'ai pris un congé. Je ne te dérange pas, j'espère ? »

« Pas du tout ! Reste. »

Depuis l'emplacement où le vaisseau d'Erenus s'était matérialisé, ils traversèrent de somptueux jardins par un petit chemin poudré bordé d'arbres fruitiers, puis ils parvinrent à la demeure proprement dite. Comme pour rappeler un ancien souvenir, elle était sculptée sur le flanc d'une colline. La porte franchie, ils furent dans large couloir aux murs d'ébène. Un trou vertical percé dans le sol permettait de voir, plusieurs milliers de mètres plus bas, la cité d'Anderland. Pendant qu'Erenus tentait d'y reconnaître les différentes rues (et peut-être de voir un terrien y errer, perdu), Elëxoros s'approcha d'un terminal encastré avec art dans le mur, pressa quelques touches et déclara :

« Tu logeras dans la chambre bleue. »

« Ma couleur fétiche. »

Ils poursuivirent le très long couloir, tournèrent à droite pour emprunter un grand escalier en spirale dont le marbre glacial s'harmonisait somme toute bien avec la chaleur du bois. Ils montèrent quarante-huit marches, pénétrèrent un corridor disposé d'un côté (à gauche) en baie vitrée et de l'autre en aquarium immense dans lequel nageaient librement une vaste palette de poissons exotiques ; le plafond et le planchers étaient en miroir ce qui produisait une sensation de vertige inévitable.

Au bout de cette avancée, une porte dérobée donnait sur une délicate chambre faite tout dans des coloris bleus. Devant la fenêtre extérieure pendaient des rideaux turquoise ; les murs étaient cyan, le sol recouvert d'une profonde moquette marine ; les meubles dans une pierre céladon opalescente paraissaient teintés de bleu ; sur une petite table basse recouverte d'une nappe aigue-marine, un vase en béryl supportait un bouquet de pervenches fraîches ; les draps du lit étaient colorés outremer ; dans un coin, une petite fontaine laissait s'échapper un mince filet de Liquide Cristallin Bleu qui retombait dans une vasque saphir ; seul le plafond était blanc, ce qui contribuait à renforcer les autres teintes.

« La dose en est un peu forte ! »

« En veux-tu une autre ? »

« Penses-tu ! »

Erenus s'installa donc là. Quelques minutes plus tard, il retrouva Elëxoros.

« Qui d'autre est invité ? »

« David ne pourra pas venir, pas plus que Son Altesse. J'ai naturellement invité Marc : il viendra peut-être. Xanthin, lui, est introuvable. Relov est arrivé ce matin. Viendront également Henri et Madeleine de Verle, Sébastien et Françoise Sarloux, William et Agatha of Edinburgh et peut-être Sarah Darielle. David a invité un terrien que je ne connais pas. Il s'appelle Roger Sompson, ou quelque chose du genre. Il vient d'arriver à Anderland, et il ne parle pas même l'Anderlandien. Je me demande bien pourquoi... Peut-être a-t-il une petite idée... »

Tout en parlant, ils arrivèrent au salon. Anya était allongée sur le canapé et lisait un livre. À leur entrée, elle se leva gracieusement. Sa robe semblait être une étoffe sans commencement ni fin. Elle écarta ses longs cheveux dorés d'un mouvement élégant de la tête, souhaita la bienvenue à Erenus, lui tendit la main qu'il baisa.

« Mais où sont donc les principaux intéressés ? »

Hélène entra juste à ce moment. Sa beauté était extraordinaire, et absolument indescriptible (par conséquent je ne ferai aucune tentative de la décrire). Elle répondit d'une voix de princesse :

« Castor et Pollux sont au jardin. »

4

Roger allait pénétrer pour la première fois dans sa nouvelle demeure. L'émotion nouait sa gorge. Il se téléporta comme on lui avait enseigné...

...il ne s'était jamais attendu à quelque chose d'aussi vaste. Une surface immense était emprisonnée sous une gigantesque bulle de quelque fin matériau transparent. À un mètre derrière lui, c'était le vide, le vide sur des kilomètres. Il eut un vertige et avança d'un pas. Il se tenait sur une pelouse recouvrant au bas mot deux hectares, une pelouse absolument unie, une pelouse qui aurait fait rêver le meilleur des jardiniers de la Terre, une pelouse, qui, bien sûr, n'avait besoin d'aucun entretien. Un petit chemin de briques menait à travers elle et menait à un délicat bassin dans lequel une fontaine d'obsidienne sculptée en lion rejetait de fins filets d'une eau de cristal. À la gauche de la pelouse, on apercevait une forêt mixte qui poussait sans restriction et dans laquelle de nombreux animaux vivaient en liberté. À droite, un immense lac agité de vagues dont l'eau était la plus pure que Roger eût jamais vue, bordé d'une plage d'un sable immaculé, scintillant sous le soleil. Tout droit, la pelouse se transformait en un merveilleux jardin japonais.

Très loin on pouvait apercevoir la maison elle-même. Elle était une sphère dans une sphère. Roger se hâta vers elle. Il traversa ainsi la pelouse, puis suivi le chemin qui continuait vers le bois. Enfin il parvint à —et sa surprise fut fort grande à ce moment— une gare ! Il n'y avait aucun doute : à côté d'un bâtiment de meulière en style XIXè siècle s'étendait un long trajet ferroviaire et sur ce parcours un petit train dans un genre assez douteux. Roger monta dedans et il démarra à toute allure en direction de la maison, qu'il atteignit en huit minutes environ. Pendant le trajet, Roger leva la tête et failli tomber à la renverse en voyant une chaîne de montagnes !

Enfin, le véhicule stoppa net devant la résidence même. Elle devait bien mesurer trois kilomètres en diamètre, et avait la forme d'une boule dont la surface semblait être un gigantesque verre sans tain. La porte d'entrée, de la forme d'un portique grec, était gardé par deux statues, représentant Roger lui-même, en tenue d'empereur et de centurion romain. Quand il s'approcha de la porte, elle s'ouvrit d'elle-même dans le silence le plus absolu.

5

Xanthin relisait ses anciens manuscrits. Il s'était isolé du reste du monde et désirait qu'on le laissât à ses rêveries.

« Le Vent de la Désolation avait sifflé, cruel bourreau des mondes, sur les plaines du Nord, forçant leurs habitants à partir, migrer vers la brûlant Sud, vers le Soleil de la Fin du Monde. Ils avançaient, tués par la pensée que le monde avait été un paradis et que maintenant, à cause de leur folie, c'était un enfer. Ils avançaient, tués et repoussés par le Néant, le Vide qui les terrorisait. Les soleils, le Blanc à l'ouest, et l'horrible Rouge au sud, jadis astre unique, dispersaient autrefois leurs doux rayons sur la verdure. Désormais, il ne restait plus qu'une affreuse plaine brunie. Soudain, la nuit Fut. Autrefois, le soleil se couchait et venait le crépuscule, clarté ténébreuse, pureté du cristal. Désormais, les soleils disparaissaient pour laisser place à une nuit emplie de graves, lourds et bas nuages rougeâtres, qui ne disparaissaient qu'avec la venue des deux soleils immobiles, tandis qu'autrefois apparaissait une faible lueur à l'Orient qui faisait enflammer le ciel de blancs des plus colorés, qui éveillait les oiseaux dans leurs nids, qui portait les muses aux poètes... Mais mieux valait ne pas penser au passé.

Un jour arrivèrent de l'horizon oriental deux hommes. L'un d'entre eux était un majestueux vieillard, portait une barbe blanche et ses yeux semblaient pétiller. L'autre riait. On n'avait pas entendu rire depuis des millions d'années. Qui êtes-vous ? Le Créateur et le Conservateur... »

« To carve, with my own, with my very own, with my very own proper fingers the way to Heaven or the path to Hell. Down, deep into the very depths and bowels of the bones of earth, into the dark stygian deeps of the Abyss, digging and digging, evermore penetrating the lower levels of Pandemonium, raging inferno, everlasting turmoil ; stairs without end leading to darkness, through the heart of stones, caves and caves again, tunnels descending in, in and only in, gates to pass, one-way for Éternity ; entering the brazen Door : the doors of Heaven and Hell are adjacent and identical. To find what ? Lo, what lies beyond the very threshold of human words, where Death itself's empire grab no soul, where the sole foul light be that of the burning heart of the volcano, for never did a sun-beam cross the limit of the churchyard, yes, what ? The Styx and the Lethe, hold no doubt, my friend, Charon's boat, and the Throne of the Lord of the World, Baal, Lucifer, Pluto, Hades ; the Well of Souls. Or perhaps is it Heaven, symphony of Beauty, Climax of the Zenith found at the Nadir, Gardens of Éden, pantheon of the Creator, the Conservator, even the Destructor ? No, neither, and what lies beyond the Portal of Adamant, neither fire nor earth, nor water nor air can only be...[*]

...light ![*] »

« Nageusolokkap gawiomens : besh kleyoun luthoutakssit. Doneulsit winshoum rekt gatd. Shed nabozâd pot sen : reks denazit. Mu lkativ touls nathansit.[*] »

« Du wirst, mein Freund, die Prüfung der Götter entdecken : die Sünden deiner Seele werden offen dargelegt werden. Das reinigende Feuer wird aus dem Himmel zu dir springen und deine Fehler verschlingen. Du wirst leiden und nichts mehr erdulden können wenn dein Leib zerfleischt werden wird, wenn das Tor der Hölle, der immerwährenden Schmerzen, des ewigen Verbrennens dir erscheinen wird. Ob du dadurch mußt oder nicht hängt davon ab, ob du die Angst spüren wirst...[*] »

« Le joloyakkeuru Pholœburus prekolojette ses rekakkeyolons de crekistakkel, ses lurumièrekes et ses colouruleurureks qurui se reképerekcurutent akkeurux colonfins les plurus rekecurulés de l'Urunivereks de lakke Colonnakkeissakkence, illuruminakkent toloururek à toloururek les Gakkelakkexies qurui colommencent akkeinsi leururek dakkense sakkens fin, tolourupies duru Démiururekge et phakkerekes bakkelisakkent le noloirek colosmiqurue. Le vide akkestrekakkel est entrekakkeîné, akkevec tolourute lakke makketièreke éthérekée quru'il polorekte, dakkens ce bakkellet de lakke Crekéakketiolon, dakkens cette dakkense sakkens fin... »

« Laka grakandene fororcene corosmiliquzuene pénètrene lenes êtrenes juzusquzu'akauzu proroforondeneuzurs ilinsorondakablenes dene leneuzur corœneuzur. C'enest enellene quzuili règlene lenes rorouzuakagenes lenes pluzus ilintilimenes dene laka makarchene ilintenernene dene l'uzuniliveners, quzuili filixene lenes règlenes quzuene suzuilivenent lenes horommenes, lenes akanilimakauzux, lenes plakantenes, lenes orobjenets. Torouzut émakanene d'enellene enet torouzut renevilienendraka à enellene. Uzunene foroilis lakancéene, rilienen nene peneuzut pluzus l'akarrêtener. Énellene corontilinuzuene à jakamakailis enet porouzur jakamakailis ; lene Lorozakailirene enest uzunene fenenêtrene orouzuvenertene suzur cenettene Puzuilissakancene... »

« Nicté ès contreforts del'Himalaya, tecte del Munde, perdite per aéternites à sapiens del'Homme, l'urbe de l'infinites érige su turres de crystal usques als alteurs éhérées del çael, custodie della janue, della vie qui duct usques alla cave aurée-scintillante, laquelle essa mamme includ cor del Kosmos, Crystal delquel fragments sunt aédifiées turres de hèce urbe.[*] »

(Il s'agit de la Ville de Cristal dans laquelle les Dupsilliens avaient prévu de placer la couronne de Kalochronie, mais qui finalement avait été abandonnée, ignorée de tous, dans l'Himalaya.)

« Per meam totam vitam deorum Rem quaesivi. Nesciebam ubi esset, quomodo videretur, quo ire deberem. Denique, postquam totum orbem terrarum scrutatus eram, domum redii, ac tum intellexi Eam hic esse, ubi starem, ubi fuissem, ubi forem, ubi semper futurus essem. Mihi fuisse, esse et semper fore. Quia id comprehendissem, me Eam uti posse. Sic deus factus sum, atque Eam Theochryson vocavi...[*] »

« Hê tou Theou kheir khronos estin, hosper pantas tous anthrôpous gegennêka alla phoneusei. Pherei kai hairei. Tou Kosmou basileus estin. Ô tou khronou theos tôn theôn theos estin. Autôi ta panta eperkhountai kai aperkhountai.[*] »

« Durant toute ma vie j'ai cherché l'Achéron,
Le Styx et le Léthé, l'Eunoé, les eaux sombres,
Le feu du Phlégéthon, les murs du roi des ombres,
La Cité de Dité, le trône de Pluton,

J'ai parcouru Gaia, les mers de fond en fond,
Visité des pays dont je ne sais le nombre,
Où Sagesse, Vertu, et Bien dans l'oubli sombrent,
Mais des Enfers rien vu : j'ignorais où ils sont.

Alors je me tournai vers la dive lumière
En espérant trouver le Paradis sur Terre :
Je parvins enfin à une porte en diamant.

De chercher les enfers me fut insupportable
Aussitôt que je vis ce portail scintillant,
Je le franchis et eus le regard sur... le Diable ! »

Ça c'était bien...

« Un rêve bien souvent occupa ma pensée :
Un monde était figé, instant d'Éternité,
Monde devant lequel le nôtre est la risée
Des Dieux de l'Univers, des Démons de Dité.

Un monde si parfait que je voulus y vivre.
« Tu nos creavisti[*] ! » me criaient mille voix.
« Tu es Dieu de la Tour et la joie nous enivre
D'être là, sous tes yeux, sur la plaine, avec toi. »

Mais je refis le rêve et tout y était rouge :
Les cadavres par cents, par mille et par millions
Couvraient de sang carmin le sol que nous foulions.

Nous marchions par la plaine et toujours rien ne bouge,
Les mourants et les morts, le regard suppliant.
Le mal, le vent sifflant en tempête de sang. »

« Dieux du ciel, donnez-moi un monde de lumière,
Un monde de radiance, un monde de couleurs,
D'éclairs, de pluie solaire, un monde lucifère,
Un monde de science, gloire, espoir et valeur,

Un monde d'harmonie parfaite, de musique,
Étincelle des dieux, temple de la beauté,
Fait pour l'éternité, royaume du statique,
Ignoré de l'ennui, canon de Vérité.

Se dresserait au centre une Tour d'Émeraude,
Et tout autour la plaine constellée de canaux
S'étendrait, immortelle, âme et esprit du Beau ;

Fleuves impétueux, artères d'une eau chaude,
Couleraient des montagnes, en descendant leur lit,
Parviendraient enfin à... la mer de l'Infini ! »

Xanthin soudain eut une idée merveilleuse...

6

Elëxoros et Erenus parvinrent au jardin. Deux jumeaux étaient effectivement assis sur la margelle d'un puits et parlaient ensemble. À l'arrivée de leur père et de son hôte, ils se levèrent pour les saluer.

Erenus les dévisagea longuement. Ils étaient exactement du type « dieu grec », et auraient pu former le canon de la beauté masculine.

« Erenus, Castor, Pollux » introduisit Elëxoros.

« Mon père ! C'est le contraire ! » objecta Castor.

« Pardon. Vous vous ressemblez tellement. »

De fait, ils étaient plus semblables l'un à l'autre que Zeus à lui-même.

Ils allèrent se promener tous les quatre dans le jardin.

« Ainsi donc vous avez soixante-trois ans. »

« C'est cela, nous sommes nés le 23 mai 1993. »

« Soit en 51436. »

« Oui, monsieur le Président de l'Univers »

« Je ne suis plus Président de l'Univers : je l'ai été de 51450 à 51489, suppléé par David entre 51470 et 51479 et par Gilles entre 51480 et 51489. »

La constitution interdit en effet à un Président d'effectuer plus de deux mandats effectifs de suite : s'il est réélu, il doit nommer un suppléant qui prend le rôle effectif de Chef de l'État.

« Et maintenant, compléta Elëxoros, David est réélu, depuis quelques jours ; il sera le premier président du 516è siècle... »

« ...et aujourd'hui même il forme un nouveau gouvernement... »

« ...dont les membres entreront en fonction en 51500, dans soixante-dix jours. »

« On dit qu'il va de nouveau former un gouvernement composé uniquement de Terriens. »

« Probablement avec Périclès comme Premier Ministre. »

« Il va nous donner un superbe discours d'investiture... »

« ...en grec ancien... »

« ...qu'il ne faudra surtout pas manquer. »

« Changeons de sujet. Marc va-t-il finalement venir, père ? »

« Oui, il vient de m'envoyer note. Depuis qu'il ne compte plus les grains de sable... »

« ...c'est-à-dire depuis 51479, depuis vingt ans... »

« ...il est beaucoup plus sociable. Sarah Darielle viendra bien, et Évéthèle d'Upsilon aussi (peut-être sait-elle où est son mari). »

« Et sais-tu quelque chose de plus sur le Terrien ? »

« Il vient d'acheter une maison et... Tiens, voici Relov ! »

Effectivement, il s'approcha du petit groupe. »

« Bonjour Erenus, bonjour Elëxoros, bonjour Castor et Pollux. »

« Pollux et Castor. »

« Pardon. Comment allez-vous ? »

« Très bien et toi, cher arrière-grand-oncle ? »

« Arrière-grand-oncle ? Je suis votre arrière-grand-oncle ? »

« Bien sûr. Vous êtes frère d'Alexandre VII, comme fils de Quentin le Grand (ou Argzos MMMMCMXXXII), lui-même père spirituel de Hamlet, dont nous sommes les petits-fils par notre mère Anya de Bergonde. »

« C'est juste. Mais alors Xanthin aussi, puisqu'il est le beau-frère de Chanteclerc d'Ini Om. »

« Ce qui ne nous empêche pas d'avoir perdu toute trace de lui. »

« Il a publié des livres très étranges récemment. »

« Ce qui n'explique rien. »

« Je n'ai pas dit ça. »

« Qui reconnaîtrait encore en lui l'Elfe des bois qu'il était à l'origine ? »

« Temporis omnia mutantur[*]. »

« Pardon, mais il m'étonnerait fort que Xanthin fût changé par le temps. Primo, c'est un Elfe, donc de toute façon immortel. Secundo, c'est lui qui vainquit le Temps au lac Mort. Tertio, il nourrit quelque rivalité avec Marc. »

« Il a tout de même deux mille quatre cent vingt-trois ans ! Nous avons tous beaucoup changé. »

« Moins que lui, même. Sauf peut-être Windolf. »

7

Roger osa enfin essayer le terminal d'ordinateur qui trônait dans la chambre qu'il s'était fixée. Il chercha longtemps un interrupteur d'alimentation mais ce fut finalement un léger mouvement de la souris qui illumina l'écran.

L'écran était brun pâle, et une barre de menus (en anglais) en occupait la rangée supérieure. Ne sachant trop ce qu'il désirait, Roger choisit « Utilitaires ». Un sous menu d'une quarantaine de rubriques se lista. Roger choisit « Impressions », puis « Divers », puis « Locaux », puis « Temporels » puis « Planning ». Une petite fenêtre bleue lui demanda s'il souhaitait modifier quelque chose. Il répondit par la négative et une feuille de papier sortit d'une fine fente ménagée sur le côté de l'appareil, donnant un planning des trente jours à venir. Il fut ainsi rappelé que neuf jours plus tard il était invité chez Elëxoros, comte de Sinzigur, duc d'Alzévir, Maître des Plaines du Feu, Chevalier de l'Ordre Divin. Le reste du mois était à peu près vide. Roger, impressionné, retourna au menu « Impression », choisit la clef « Ouvrages », et s'afficha une très longue liste de sujets sous ses yeux. Il eut alors l'idée d'apprendre l'Anderlandien et sélectionna « Langues », « Méthodes », « Anderlandien », « Grammaire et lexique anderlandiens pour débutants ». Les soixante pages sortirent en moins d'un dixième de seconde. Fasciné par la puissance de l'engin, et désirant se documenter sur le pays où il avait atterri, Roger fit imprimer un atlas d'Anderland, une histoire universelle, un résumé de la constitution et de la législation du pays, une étude des mœurs, le roman « Anderland : mes premières impressions » d'un illustre inconnu et quelques autres livres.

Au bout d'une heure, une fenêtre lui signala un préavis de référendum et lui demanda s'il approuvait ou non l'allocation d'un montant de cent cinquante mille milliards d'unités à verser au gouvernement unifié de la Terre à Genève. C'est alors qu'il se rendit compte, non sans quelque fierté, qu'il disposait de la citoyenneté anderlandienne. Il approuva le projet.

Trois heures plus tard, il comprit qu'il pouvait, de son réseau, communiquer avec n'importe quel point de l'univers. Il téléphona à sa sœur qui ne crut pas qu'il fût réellement parti pour une autre galaxie.

Encore deux heures après, il réussit à commander un repas qu'un robot lui porta sur un plateau.

Puis, après une heure, il réalisa que de son terminal il pouvait commander l'intensité des lumières n'importe où dans la maison, mais aussi l'opacité, l'éclairement ou la couleur de la voûte sphérique qu'il habitait. Il commanda un coucher de soleil pour quatre heures plus tard.

Enfin, alors que le soleil déclinait, il réussit à obtenir l'inventaire des objets disponibles. Il fit venir une combinaison anderlandienne pour laquelle il changea ses habits terrestres (qui, d'ailleurs, n'étaient plus si propres).

Il continua ainsi jusqu'à très tard dans la nuit. Tellement tard que lorsqu'il se coucha enfin, il s'endormit sur le champ.

8

Le jour tant attendu arriva.

Roger se téléporta, non sans angoisse, à l'adresse indiquée.

Il se matérialisa sur une vaste terrasse, un sol de marbre perché au sommet d'une colline d'où l'on dominait les environs. Il y avait là une quarantaine de personnes debout ou assises sur des sièges d'or massif, toutes un verre à la main, parlant tranquillement ensemble. Nul ne sembla s'apercevoir de son arrivée. Il se dirigea vers un groupe au hasard.

« Bonjour ! Je suppose que vous êtes Roger Simpson ? » lui demanda une femme d'une beauté prodigieuse.

Roger acquiesça d'un signe de tête.

« Je suis Clytemnestre. Je vais vous présenter. »

Elle montra une autre femme qui lui ressemblait énormément, mais encore plus belle.

« Hélène, ma sœur. Roger Simpson. »

Elle fit un petit signe de tête.

« William of Edinburgh, ancien membre de l'AUGA. »

Il lui tendit la main. Roger la prit, demanda :

« Un compatriote ? »

L'autre sourit.

« Je ne suis pas écossais malgré mon nom. C'est presque un jeu ici que de se donner des noms aux consonances étranges. Les neuf dixièmes des noms à particule que vous pouvez entendre sont simplement là par euphonie. Cependant, vous avez raison, nous sommes tous deux Anderlandiens. »

Clytemnestre continua, montrant une petite femme aux cheveux blancs qui regardait Roger d'un œil sévère

« Sabrina von Stahlberg. Roger Simpson. »

Elle passa à un autre groupe.

« Azie de Courneuille, membre de l'AUGA. »

Un petit homme chauve, l'air sympathique, le salua.

« Françoise Sarloux, présidente de l'Assemblée Universelle pour la première fois il y a 238 ans et sans interruption depuis deux siècles. »

Il baisa sa main, assez maladroitement. Elle sourit largement.

« Sébastien Sarloux, son mari, mort pour la France en 1914. »

Un grand homme maigre et pâle lui envoya un regard semblable à celui d'un squelette.

Clytemnestre changea encore de groupe.

« Georgeo Allundi, Pakir Azmil, Marina Stépanovna Grouznin, Alexandra Sini, Francis Blake, Samfrois Rélien, Roger Simpson. »

On fit à Roger un sourire franc cette fois.

Clytemnestre s'approcha du bord de la terrasse.

« Marna de Topi, Lord Byron of Newcastle, Jean Defranc, Sarah Darielle, Agatha of Edinburgh, Roger Simpson. »

Vague acquiescement du regard.

Encore quelques pas :

« Teknor et Illia van Dernet, Comte de Nivrone, Madeleine de Verle, Roger Simpson. »

On le regarda avec bienveillance.

Puis Clytemnestre s'approcha des personnes visiblement plus importantes.

« Éliandre Acciraze, membre du Sénat Universel. »

« MacMilkins, membre de l'AUGA. »

« Frédéric IX, roi de Ligune. »

« Duc de Courteville, conseiller de Sa Majesté. »

« Gean de Lik, président de collectivité locale. »

« Jules de Cardeuf, membre du Conseil d'État. »

« Albert Einstein, ministre de la culture... »

Roger sursauta à ce point. Il n'aurait pas osé reconnaître le célèbre scientifique si l'on ne lui avait pas nommé.

« ...pour quelques jours encore. »

« Sophocle, célèbre tragédien. »

Roger croyait rêver.

« Francis Bacon, vicomte de Saint-Albans. »

Il faillit protester, mais imaginant que ce pouvait ne pas être une plaisanterie stupide (ce n'en était effectivement pas une), il se tut.

« Hermès, dieu des marchands et messager des dieux. »

Là, pensa Roger, c'en était vraiment...

« ...trop ? demanda Clytemnestre qui avait deviné ses pensées. Non, c'est vrai, il s'agit bien du dieu grec. Vous savez, à Anderland, les dieux sont extrêmement fréquents. »

Enfin, ils se dirigèrent vers les proches du maître de maison.

« Relov d'Etênnoh, président de l'Assemblée de l'Univers et de la Galaxie d'Andromède. »

Un homme apparemment d'âge moyen (en réalité, il avait presque deux cents ans), barbu, aux cheveux et yeux noirs, lui tendit cordialement la main.

« Marc le Blanc ou Windolf le Sage, chevalier de l'Ordre Divin, dieu du Temps, Prêtre du Volcan, trentième Prince d'Éden, membre du Sénat Divin. »

Un homme aux yeux bruns, aux cheveux blonds, un homme à qui on n'aurait pas pu donner d'âge, car il semblait à la fois très jeune et très vieux (il avait huit cent soixante-quatre ans terrestres), lui fit un sourire légèrement ironique mais tout de même agréable.

« Henri de Verle, membre de l'Assemblée de l'Univers et de la Galaxie d'Andromède. »

Un homme aux yeux verts, aux cheveux châtain, et au regard particulièrement perçant lui fit un signe de la tête.

« Évéthèle Nadir V de Hannecourt, Duchesse d'Upsilon à la Pierre Azur, marquise d'Arquois, déesse de l'Honneur. »

Une grande femme aux yeux bleus et aux longs cheveux châtain enroulés en chignon, formant comme une couronne autour de sa tête lui fit un salut dans une langue qui ne semblait être rien de connu.

« Erenus d'Énirale, chevalier de l'Ordre Divin, dieu de la Connaissance, Détenteur du Puits, membre du Sénat Divin, Président de l'Univers. »

Un homme, semblant jeune, cheveux blonds, yeux bleus aux reflets verts, lui annonça sans transition : « Vous, vous serez bientôt Ministre. » Personne ne sembla y prêter attention.

« Elëxoros de Sinzigur, chevalier de l'Ordre Divin, dieu du Pouvoir, Maître des Plaines du Feu, membre du Sénat Divin, membre du Sénat Universel, et accessoirement le maître de maison, mon père. »

Un homme brun lui souhaita la bienvenue dans son humble demeure.

« Anya de Bergonde, comtesse de Sinzigur, duchesse d'Alzévir, déesse de la Justice, Glaive de la Balance, membre du Sénat Divin, Princesse Impériale, ma mère. »

Une femme aux longs cheveux bruns et au regard doux lui sourit gentiment.

« Et enfin mes frères, Castor et Pollux. »

« C'est correct. Je suis Castor et lui c'est Pollux. »

Ces deux adolescents étaient exactement semblables à ceux du musée du Prado.

« Voilà, je crois vous avoir présenté tout le monde. »

9

« Alors, demanda Relov, vous débarquez ? »

« Effectivement, je suis ici depuis seulement dix jours. »

« Moi, depuis soixante-sept ans. Ce n'est encore rien par rapport à Erenus et à Elëxoros qui sont apparu ici il y a presque six siècles. »

« Pourtant, vous êtes déjà Président de l'Assemblée de l'Univers et de la Galaxie d'Andromède. »

« Tout le monde réussit à avoir une fonction officielle ou une autre. On se demande encore comment presque cent mille milliards d'êtres vivants peuvent tous être célèbres. Mais nous ne sommes pas la « crème ». Le monde n'est pas grand. »

« Vous venez de vous contredire. »

« Non. Ce n'est pas le nombre d'habitants qui compte mais son logarithme de base le nombre de personnes que l'on connaît en moyenne. »

« Pardon ? »

« Le monde est connexe de niveau 4 : pour chaque personne que vous pouvez trouver, vous êtes à peu près sûr de connaître quelqu'un qui connaît quelqu'un qui connaît quelqu'un qui le connaît. »

« Parmi cent billions d'êtres, cela me semble impossible. »

« Ce n'est pas impossible du tout, pour la bonne raison que c'est vrai. Chacun de nous connaît bien vingt mille personnes, tant il y a de personnes à connaître. Vingt mille puissance quatre font cent soixante millions de milliards. Étant donné que les échantillons ne sont pas aléatoires, ce chiffre est réduit d'un facteur vingt environ. Mais c'est tout de même quatre-vingt fois toute la population de l'univers. »

« Enfin quand même, l'univers est vaste. »

« Le degré de connexion dépend peu de la taille du système. Prenez Paris : il y a beaucoup moins de monde que dans l'Univers, mais alors on en connaît aussi beaucoup moins. Quand bien même le monde serait réduit à Paris, le degré serait sensiblement le même. »

« Paris est tout petit pour ceux qui s'aiment comme nous d'un aussi grand amour. »

Relov sourit mais parut ne pas saisir l'allusion.

« Tout ceci pour tenter d'expliquer comment tout le monde réussit à être célèbre. Tenez, vous-même serez Ministre, Erenus vous l'a annoncé. »

« Je pensais qu'il plaisantait. »

« C'est que vous ne l'avez jamais entendu plaisanter. Tout ce qu'il dit qui semble vrai est faux et vice versa. Personne ne le croit jamais. Il est Cassandre des bonnes nouvelles. »

« La guerre de Troie n'aura pas lieu ! »

« Non effectivement, Ménélas n'a pas encore été trouvé. Ça pourrait bien être vous, d'ailleurs... »

« Moi ? »

« Les noms qu'on vous donne ici découlent de ce qui peut vous arriver et non le contraire ! »

« Pourquoi pas vous ? »

« ... »

« Mais encore ? »

« Vous n'êtes pas n'importe qui ! Regardez qui vous a invité ici... »

« Qui est-ce ? Il ne s'est pas présenté ! »

Relov eut du mal à retenir un sourire.

« Mais c'est David ! »

« Qui ? »

« Le Destin. L'Auteur de ce Livre. David Alexandre Ivanovitch Ruxor VI esquire, Président de l'Univers, membre et ancien Président du Sénat Divin, Dieu de l'Univers. C'est le Démiurge. »

Roger regarda Relov avec l'air de la plus totale et absolue incompréhension.

« Voyez-vous... »

Relov fut soudain interrompu par un robot qui annonça :

« Monsieur Roger Francis Simpson est prié de se rendre instamment au terminal AnderNet 3251 de cette maison ou de contacter dans les plus bref délais la Présidence de l'Univers. »

Roger suivit l'androïde qui le mena à un poste.

« Monsieur Roger Francis Simpson ? » demanda un homme à l'écran.

« Lui-même. »

« Voulez-vous être Ministre ? »

Roger était surpris que la prédiction d'Erenus se fût révélée exacte et pourtant il se doutait bien de ce dont il s'agissait. Mais la question lui brûlait les lèvres :

« Mais Ministre de quoi ? »

« Des affaires terrestres. »

« Je n'ai absolument aucune expérience politique. »

« Écoutez, je ne fais que retransmettre les ordres présidentiels. Mais il faut, me semble-t-il, un début à tout. Le Président de l'Univers sait ce qu'il fait. »

« Soit. J'accepte. »

« Vous faites bien. Vous prononcerez votre discours d'investiture demain, à 11 kilosecondes, au Sénat Universel. Votre entrée en fonction est prévue pour dans soixante jours. »

Il coupa la communication aussi sec.

Roger s'en retourna, quelque peu remué.

« Alors, l'apostropha Elëxoros, vous êtes un ami intime du Président ? »

« C'est que... »

Pendant ce temps, Erenus parlait à Évéthèle d'Upsilon :

« Ne savez-vous donc pas plus que nous où est votre époux, ce cher Xanthin ? »

« Non, il m'a quittée il y a de cela un an et demi, et je ne l'ai pas retrouvé. »

« Il semble vous manquer... »

« ...énormément ! » lança-t-elle ironiquement.

À ce moment, Anya demanda l'attention de toute l'assistance.

« De Son Altesse l'Empereur de l'Univers. »

Tous se mirent sur un genou.

« Sur les conseils de Sa Divinité, Gilles Nadenazit le Grand, membre fondateur du Sénat Divin, j'ordonne à Relov, à Hélène et Clytemnestre, à Castor et à Pollux, ainsi qu'à Roger Simpson, ici présents de m'obéir et de Lui obéir en cette mission dont je vous charge présentement :

trouvez Xanthin ! »

10

Les interpellés furent surpris de ce message, mais lorsque l'Empereur de l'Univers donne un ordre, on doit lui obéir.

Pendant que Roger se rendait au Sénat Universel, les autres s'apprêtaient donc pour la recherche.

Relov, Hélène et Clytemnestre se rendirent au dernier domicile connu de Xanthin.

Castor et Pollux penchèrent pour des études informatiques. Ils consultèrent tous les documents qu'il leur était donné de consulter, envoyèrent des avis de recherche sur AnderNet. Le canal de Xanthin était indiqué comme clos depuis vingt ans. Curieux que personne ne l'ait cherché depuis lors. Il tenta, sans succès de s'imposer grâce au mandat impérial pour lire les fichiers. Somme toute, il ne découvrit pas grand-chose. Quant aux communications que Xanthin avait eu le plus récemment, elles étaient avec Marc le blanc. Ils l'appelèrent et l'interrogèrent. Mais il affirma que Xanthin ne lui avait pas semblé anormal, qu'il lui avait simplement demandé s'il désirait lire son dernier roman. Marc avait refusé, car il savait que Xanthin et lui-même avait des goûts quasiment opposés.

Relov, Hélène et Clytemnestre n'eurent aucun mal à pénétrer chez Xanthin. Ils fouillèrent la maison et réussirent enfin, après plusieurs kilosecondes à trouver le mot de passe de l'ordinateur. Ils consultèrent les fichiers et furent fort surpris par ce qu'ils y découvrirent.

11

Pendant ce temps, Relov se rendait sur l'île de Cadzwik. Le Sénat Universel siège dans un curieux bâtiment absolument sphérique : l'hémisphère inférieur est couvert de gradins où siègent les Sénateurs sur la moitié de la périphérie tandis que l'autre moitié est occupé par « la tribune » où montent le Président du Sénat Universel et l'orateur du moment ; l'hémisphère supérieur, translucide, sert de plafond à l'ensemble.

Roger s'approcha, se demandant comment la situation allait évoluer, comment il allait pouvoir improviser un discours.

À l'heure dite, il était aux portes de l'État. Les gardes le laissèrent passer sans mot dire.

Il entra dans l'assemblée. Sur des degrés de marbre étaient assis (et presque allongés) six cents personnages respectables, portant une toge romaine ; tous discutaient bruyamment avec leurs voisins.

Il s'assit aux bancs inférieurs, réservés aux membres du gouvernement.

Au bout de quelque temps entra le Président, Gilles, drapé de pourpre. Il gravit les marches et prit la parole pour dire d'une voix grave, riche et pleine de majesté :

« La six millions neuf cent soixante dix-huit mille cent trente-et-unième séance du Sénat Universel de l'État d'Anderland, de la Galaxie d'Andromède et des Myriades Céleste, est ouverte. La Parole est à Sa Divinité David Alexandre Ivanovitch Ruxor VI esquire, Président de l'Univers. »

David, le seul qui disposât d'un véritable fauteuil, se leva et monta à la tribune. Roger avait du mal à reconnaître en ce vieillard celui qui avait voyagé avec lui.

Je parlai lentement, calmement, attirant toute l'attention de l'Assemblée. Relov, malgré sa connaissance encore très limitée de la langue, n'avait pas de mal à comprendre ce que je disais.

« Mes Pères les Sénateurs,

Je me fais un honneur de présenter aujourd'hui à votre jugement les nouveaux membres du gouvernement que j'ai choisi de donner à notre pays. Encore une fois, c'est la Terre qui est au centre des problèmes actuels et c'est pourquoi j'ai nommé un gouvernement composé exclusivement de Terriens, et que j'ai créé un nouveau ministère chargé des affaires terrestres. J'espère sincèrement que vous me gratifierez de votre soutien afin que je puisse continuer, avec cette nouvelle équipe, le travail que j'ai commencé pour aider la Terre dans son développement vers Anderland. Je compte sur vous. »

Gilles enchaîna :

« La parole est à Monsieur le Premier Ministre. »

Périclès fit un long discours duquel Roger ne comprit pas un mot, car il était en grec ancien. Il conclut, curieusement en anglais :

« Tout individu à droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne. »

Puis Gilles appela Roger à venir parler.

Il monta, regarda longuement la salle. Les maîtres de l'État s'étaient maintenant tous tus et un silence respectueux régnait sur l'Assemblée.

« Mes Pères les Sénateurs,

Je tiens à exprimer ici mon étonnement à ce que j'aie été choisi comme Ministre, alors que je n'ai aucune expérience politique ni à Anderland ni ailleurs. Cependant je ferai de mon mieux pour aider la Terre à finir son redressement social, économique et industriel. Il est vrai que j'y suis né et que je suis donc à ce titre bien placé pour savoir de quelle manière il convient d'agir... »

Il continua ainsi pendant un long moment. Il lui semblait qu'il était très médiocre. Pourtant, il eut droit à des applaudissements assez prolongés et finalement le gouvernement reçut l'appui du Sénat Universel.

Après la séance, je rappelai à Relov qu'il entrait en fonction dans soixante jours.

Il s'en alla donc rejoindre les autres.

12

Tous se retrouvèrent chez Xanthin.

Hélène lut la lettre qu'elle avait trouvée :

« Chers amis,

Je me doutais bien que vous partiriez un jour à ma recherche. Vous ne devriez pas. Mais je suppose qu'il est inutile de tenter de vous convaincre par écrit. Inutile de vous dire que ce sera très dangereux : vous ne me croiriez pas et même si vous me croyiez, vous iriez quand même. À vos risques et périls. Pourtant, vous mettez en danger votre vie. Non, c'est vrai, ce n'est pas une plaisanterie. Enfin, puisque vous trouveriez de toute façon, autant que je vous dise comment me rejoindre : lisez sur l'ordinateur tous les fichiers du répertoire ÉTHERNA, puis empruntez la porte derrière le cèdre centenaire... Mais je vous aurai prévenu !

À bon entendeur, salut !

Xanthin. »

Ils lurent donc les fichiers que Xanthin leur avait laissé, ces mêmes fichiers que lui-même avait lu il y a quelques jours.

Puis ils se dirigèrent vers l'endroit indiqué.

Un immense portail d'ébène, grand ouvert, les accueillait. Dessus était sculpté le mot « ÉTHERNA ».

Il n'y avait rien de particulier derrière la porte, mais la franchir conduisait à un autre monde ! Sans hésiter, les héros firent le pas...

Siderum bella

1

...et furent dans Étherna. À cet instant aussi ils entendirent une voix. Ou plutôt à cet instant, il leur sembla qu'ils avaient déjà entendu une voix, la voix de Xanthin, dire :

« Bien, vous êtes là. Quelle erreur j'ai commise ! Ou plutôt, pardon, je commets. Hélas ! Mais heureusement ma lettre ne vous a pas détourné.

Déçu par Anderland, j'ai choisi de créer mon propre monde. Mais je choisis un monde où le temps n'existe pas, sauf pour vous bien sûr. Regardez autour : rien ne bouge. Cela ne l'empêche d'ailleurs pas d'avoir un passé, et un passé fort riche. Cependant, malgré cet exploit, je n'ai pas suffisamment cru en mon pouvoir de Dieu. Et les Forces du Mal ont pris, pardon, ont pouvoir. Ils m'ont enfermé, pardon, je suis enfermé dans la Tour d'Émeraude. Tous les habitants sont soit massacrés soit en esclavage, soit dans leur armée, soit réfugiés dans des abris... Une chape de plomb s'est abattue sur un monde parfait, par l'erreur du Démiurge, moi-même. Quelle horreur ! Dire que j'ai dit que vous risquiez la mort pour tenter, tentative ridicule, de vous tenir à l'écart, et que j'ai échoué dans mon mensonge et pourtant dit vrai !

Sachez qu'ici la magie existe, qu'elle est toute-puissante, apanage des Seigneurs. Le niveau technologique est extrêmement poussé. La mort n'est pas vaincue : elle est partout, même si cela peut vous paraître curieux vu l'absence de Temps.

Voilà la marche que vous devrez suivre pour me sauver, et, par la même occasion, vous sauver, car c'est votre seule issue de ce monde maudit. Vous devez tout d'abord réunir la Gemme du Temps qui est brisée ; ainsi vous lancerez véritablement votre Quête. Le Vieillard Blanc se réveillera alors. Vous devez obtenir son aide, ou celle du Seigneur des Cieux. Il vous apprendra la magie.

Faites très attention, car dès que le Temps sera libéré, vous serez vulnérable aux attaques de l'Empire du Mal.

Vous devez réunir dans votre offensive tous les alliés que vous pourrez trouver contre les Forces du Mal. Je sais qu'Erenus Elëxoros, Marc le Blanc, l'Actuel Empereur de l'Univers et peut-être Alexandre VII sont dans ce monde. Vous serez ainsi treize. Ce qui n'est pas de trop ; mais espérons que Judas ne conduira pas à votre perte !

Formez une armée ; mais là ne doit pas être votre principal vecteur pour parvenir à vos fins car les troupes de l'Empire du Mal sont bien trop nombreuses, trop bien armées et trop bien organisées pour que vous puissiez les vaincre. Attaquez-vous au contraire au cœur du Mal.

Vous devez vaincre ses deux principaux agents : le Lieutenant du Mal et son Maître le Seigneur de la Mort. Le Lieutenant du Mal, ou Seigneur Noir, est un Maître de la magie, et un redoutable guerrier. Mais il n'est pas traître : il ne vous mentira jamais quoi qu'il arrive, ne vous prendra pas de dos... Je ne sais pas grand-chose sur le Seigneur de la Mort, l'Empereur du Mal, le Grand Maître des Forces Obscures ; il semble régner sur ce monde avec une plus grande aisance que moi-même : je ne parviens pas à lire dans son âme, je ne sais pas s'il est Maître de la magie. Mais je sais qu'il utilisera contre vous une arme redoutable : il tentera de vous convaincre de vous joindre à lui ; et ses arguments seront très puissants. Je vous en supplie, résistez ; de toute votre force, résistez. Il a réussi à me convaincre que je ne possédais pas le pouvoir de me sortir de là moi-même, il ne faut pas qu'il en soit de même de vous.

Sachez cependant une chose : si un serment vous est fait « Au Nom du Soleil et de la Lune, au Nom de la Tour d'Émeraude, au Nom du Dieu-Démiurge, au Nom de Xanthin Lui-Même, au Nom Tout-Puissant d'Étherna », il sera nécessairement porté à accomplissement sous peine de mort.

Sachez aussi qu'en créant ce monde j'ai nécessairement, consciemment ou non, puisé mes idées dans mes lectures passées ou d'autres sources de ce genre. Votre culture peut vous sauver, ne négligez pas l'aide qu'elle vous propose.

Pour la technologie, vous serez avant tout concernés par les armes. À savoir, le pistolet magnétique. Ne cherchez pas à comprendre les lois de la physique : il n'y en a pas. Ou elles sont sorties tout droit de mon imagination.

Depuis la disparition, et la mort présumée de l'Empereur du Bien, l'Empire du Bien se bat désespérément pour sa survie. Il est au bord de l'effondrement. Ne le désappointez pas.

Au secours Castor, Clytemnestre, Hélène, Pollux, Relov, Roger ! Vous êtes mon seul espoir ! »

Le silence qui suivit ce message dura peut-être quelques minutes.

« Comment allons-nous faire ? » demanda Pollux.

« Comme il nous l'a indiqué, tout simplement. » répondit Relov.

« Mais, objecta Castor, où se trouve donc la Gemme du Temps ? »

« Regardez autour de vous ! » intervint Clytemnestre.

Le ciel était divisé en deux moitiés, occupées respectivement par Nyx et Héméra ; le soleil et la lune.

La terre était absolument plate d'horizon à horizon, à une exception près. Partout elle était recouverte de cadavres encore fumant. Partout les mourants regardaient les cieux l'air suppliant. Partout des vivants dont les yeux se faisaient avec une clarté céleste le reflet d'une infinie tristesse que l'espérance avait à jamais abandonné. Partout les troupes de l'Enfer, l'Empire semait la Désolation, la Haine, la Mort. Partout l'Espoir s'enfuyait. Partout la nuit occupait une place plus importante. Crépuscule mauvais.

Au centre de la plaine, si l'infini a un centre, une tour qui, si jamais elle avait été verte, était maintenant noire. Une tour qui de son sommet vers le sol progressivement s'élargissait et se confondait de plus en plus avec le sol. Une tour comme éclose d'une montagne.

De petits ruisseaux en sortaient, puis fusionnaient en rivières, en torrents, en fleuves, reliés entre eux par un réseau de canaux d'une complexité qui dépassait le pouvoir de réalisation de l'esprit humain, et qui enfin tous se rejoignaient à une distance infinie en un océan houleux qui entourait la plaine de toutes parts. Mais l'eau n'y était plus et maintenant les délicates bouches vomissaient un sang pourpre dans lequel flottaient pêle-mêle des restes, des entrailles humaines.

Tout cela était absolument immobile, sauf en un endroit, à quelques kilomètres de la tour où une lumière bleue fantomatique semblait trembler, vibrer, pulser à un rythme irrégulier.

« Idjomtje gdje migajet etot goluboj svjet. Tam vrjemja roditcja[*]. » proposa Clytemnestre.

« Jesli toljko svjet etogo svjeta byl by mirom etomu miru[*] ! » soupira Castor.

« Mirom budjet[*]. » répondit Relov.

« Édepol, utinam verum dicas[*] ! »

« Ibimus, videbimus, vincemus[*] ! »

« Attention !

There are more things in heaven and earth, Horatio,

Than are dreamt of in your philosophy[*]. » prévint Hélène.

« Je suis prêt à tout. »

« Espérons-le. »

Roger, lui, regardait la lumière vacillante d'un œil morne.

Il commenta :

« J'ai un étrange pressentiment... »

2

Ils avancèrent jusqu'à l'endroit désigné.

Un plateau d'argent soutenu par trois griffons ailés et trois anges auréolés supportait une poussière d'éclats de cristal, qui étaient la source de la clarté tremblante.

Près du plateau, un tombeau de marbre blanc portait l'inscription : « Le Vieillard Blanc ».

Au moment où ils s'apprêtaient à toucher le cristal, une voix grave et sinistre, mais infiniment calme et majestueuse, résonna dans leur tête.

« Vous êtes venus au secours de Xanthin, je suppose, et désirez pour cela reconstituer la Gemme du Temps. Comme c'est touchant. Mais sachez qu'à l'instant exact où vous poserez la main sur les fragments de la Gemme, vous mettrez en marche une succession d'événements que vous pourriez fort bien avoir à regretter. Pensez au nombre de morts que vous occasionnerez, à la chance que vous nous donnez de tuer votre ami, à votre vulnérabilité. En revanche, si vous acceptez de repartir maintenant, il ne vous sera fait aucun mal, Xanthin ne mourra jamais, ni personne d'autre d'ailleurs ; il vous suffit de prononcer « Adieu, Étherna, à tout jamais, Adieu ! », et vous serez sains et saufs à Anderland. Je vous le jure, au Nom du Soleil et de la Lune, au Nom de la Tour d'Émeraude, au Nom du Dieu-Démiurge, au Nom de Xanthin Lui-Même, au Nom Tout-Puissant d'Étherna. »

À cette annonce, Castor prit un air comme s'il cherchait à se rappeler quelque chose, Pollux semblait ne pas avoir entendu ; Hélène sourit légèrement et regarda son frère, Clytemnestre resta de marbre, Roger ouvrit la bouche comme pour dire quelque chose et la referma aussitôt, Relov fit un clin d'œil à Hélène qui détourna la tête.

« Allons-y » ordonna Clytemnestre.

Castor s'approcha du plateau, toucha les éclats. À l'instant, ils se mirent à se déplacer d'eux-même tandis que le sol trembla en profondeur. Un éclair balaya le ciel et la Gemme fut reconstituée, la lune disparut et le soleil fut seul aux cieux. Le cercueil s'ouvrit lentement.

Un vieil homme à barbe blanche, portant une longue robe brune en sortit.

« Vous m'avez réveillé : que voulez-vous ? »

« Apprendre... » commença Relov.

Clytemnestre le coupa :

« Taisez-vous, s'il vous plaît. »

Puis, se tournant vers le vieillard :

« Vous apporter nos respects. »

L'autre sourit légèrement.

« Soyez les bienvenus. »

Il les fit entrer dans une habitation troglodyte située non loin de l'endroit.

« La Balance du Cosmos est menacée par les forces du Mal. Je vais vous aider, afin de la remettre en place, et car vous avez instauré la marche du Temps. »

« Nous voudrions apprendre la magie. »

« La magie ? On n'apprend pas la magie : on la découvre en soi, on l'appelle et elle vient, on l'apprivoise, on la maîtrise, elle devient votre alliée. Nous verrons cela demain. En attendant, il est temps de dormir : la nuit tombe déjà. »

En effet, les ombres s'allongeaient.

3

Ils furent réveillés par une voix qui leur cria :

« Pas un geste ou je tire ! »

Un groupes de soldats armés de pied en cap les menaçaient de leurs armes. Ils ne purent que se rendre : on les fit sortir.

Dehors, au milieu de trois ou quatre autres gardes se tenait un homme étrange : il était tout habillé de noir, portait des gants et de lourdes bottes de cette couleur et était recouvert jusqu'à mi-mollet d'un drap sans aucune ouverture, pas même pour les yeux, ce qui ne semblait d'ailleurs pas le gêner : ils n'eurent pas de mal à reconnaître en lui le Seigneur Noir, le Lieutenant du Mal. Il parla de la même voix qu'avaient entendue les héros auprès de la Gemme du Temps :

« Le Vieillard Blanc ! Je vous croyais mort depuis fort longtemps. »

« Quant à moi, j'avais des raisons suffisantes de ne pas penser pareil de vous, Seigneur Noir ! »

Il se tourna vers les autres.

« Quelle belle prise ! Les seuls qui eussent pu s'opposer à notre puissance en un seul coup. Mon Maître sera content. »

Ils les fit monter sur des véhicules qui flottaient à quelques centimètres du sol, chacun étant escorté par un garde. Les engins démarrèrent et se dirigèrent vers la Tour d'Émeraude. À mi-chemin, profitant d'un moment d'inattention de leurs gardes, Castor, Relov et le Vieillard Blanc se rendirent silencieusement maîtres d'eux et prirent leurs armes. Le Seigneur Noir se retourna à l'instant. Ils tirèrent, mais il arrêta tous les coups de la main, sans paraître en être affecté. Ils sautèrent alors. Un soldat les visa mais le Seigneur Noir le retint de la main en disant :

« Ils n'iront pas loin... D'ailleurs, ils reviendront. »

Pollux, Hélène, Clytemnestre et Roger furent, pendant ce temps, conduits sous garde renforcée à la Tour d'Émeraude. Dès que les engins approchèrent, une porte fut ouverte dans le flanc de la tour. Les hommes qui la gardaient se mirent au garde-à-vous et les laissèrent passer.

Tous furent surpris de la taille qu'avait la tour : elle jetait son sommet à quelques milliers de mètres au moins, et son diamètre au point le plus bas en était d'au moins autant. Pourtant, elle était très bien illuminée, soit, à la périphérie, par la lumière solaire qui filtrait par les murs eux-mêmes et par de hautes et larges fenêtres qui y étaient ménagées, soit, plus à l'intérieur, par un éclairage puissant.

Les vaisseaux se posèrent dans un gigantesque hangar et les héros descendirent. Un soldat s'approcha du Seigneur Noir :

« Seigneur, Son Altesse demande à vous voir, avec les prisonniers. »

Il ne répondit pas, fit un signe impérieux de la tête : huit garde, l'arme au poing, encadrèrent les héros, et leur indiquèrent de suivre. Il se dirigea alors, d'un pas majestueux et très décidé, vers un large ascenseur, qui les fit monter jusqu'au sommet même de la tour.

4

Ils sortirent dans une salle basse et sombre, bien qu'une immense baie vitrée permît de voir l'extérieur, jusqu'à la Mer.

Devant cette baie était le Trône du Mal, sur lequel était assis un personnage de petite taille, l'Empereur du Mal, le Seigneur de la Mort en personne. Ils ne pouvaient pas voir sa tête car il était dans l'ombre.

« Je vous ai apporté les prisonniers comme vous me l'avez demandé, mon Maître. »

« Parfait. Gardes, laissez-nous. » répondit l'Empereur, d'une voix tremblante et sifflante. Les soldats s'exécutèrent sans mot dire.

« Alors, vous êtes venus à la recherche de votre ami ? »

Tous restèrent muets.

« Êtes-vous timides ? Non, ce n'est pas la peine de répondre : je sais. Votre Empereur, Hector Amulius Marcus Laurens Élysius Titus, vous a envoyé cherché Xanthin. Mais Xanthin est ici, dans un monde qu'il s'est choisi, dans une situation dans laquelle il s'est mis tout seul. Oh ! J'ai bien peur qu'il vous soit parfaitement impossible même de vous acquitter de votre tâche, et d'ailleurs je ne sais pas si vous pourrez rentrer l'annoncer à qui voudra l'entendre... »

« Vous êtes répugnant ! » lança Hélène.

« Répugnant, vraiment ? Sur quoi comptez-vous ? Vous voulez peut-être vous dispenser de ma charmante compagnie en m'insultant ? Ce n'est pas exactement une bonne tactique, ma chère demoiselle. »

« Et qu'allez-vous faire de nous ? » demanda Clytemnestre.

« Dans un premier temps, vous ferez un remarquable appât pour vos petits amis... Quand je vous aurai tous pris et que j'aurai éliminé le Vieillard Blanc, plus personne ne pourra se mettre en travers de ma route. Alors je verrai ce que vous deviendrez. Peut-être mes serviteurs, comme mon Lieutenant là (Il désigna le Seigneur Noir, resté parfaitement immobile pendant ce temps), peut-être mes esclaves, peut-être des soldats de mon armée, peut-être un petit tas d'ossements ! Peut-être aussi me servirai-je de vous... pour préparer ma prochaine invasion de votre chère Anderland ! »

Clytemnestre se roidit, fronça les sourcils.

« Vous pensez peut-être que votre David ou votre Gilles m'arrêtera ? » Il rit jusqu'à faire les héros se glacer les os. « Vous faites une grave erreur : d'abord si je pénètre son monde, c'est par sa volonté. Ensuite, David est prêt à tout pour rendre ses ouvrages moins ennuyeux. Enfin, j'ai eu le Dieu de ce monde, Xanthin, alors pourquoi pas un autre ? »

Le sang de Roger se glaça.

« Je sens la peur monter en vous, la haine, la furie. Vous vous rendez-compte enfin de la gravité votre erreur à la Gemme. Le Seigneur Noir vous a pourtant prévenu. Peut-être ne ferez-vous plus la même erreur par la suite ! Quoi que je doute que vous en ayez jamais l'occasion... »

Pollux serra ses poings.

« Pollux ! Il faudra que je te parle seul à seul par la suite. Tu aimerais bien me tuer, n'est-ce pas ? Vas-y ! Le Seigneur Noir ne fera rien pour t'en empêcher. N'est-ce pas ? »

« Non, mon Maître » répondit celui-ci, en inclinant légèrement la tête.

« Et bien, je vous l'annonce : celui qui me tuera deviendra Empereur du Mal à ma succession ! Je ne me défendrai pas. Y a-t-il un candidat ? »

Silence.

« Quel dommage ! »

Il tourna son trône vers les fenêtres.

« Voyez-vous ce monde ? Il était beau autrefois. Quel carnage maintenant ! Mais tout ce sang versé ne sera pas inutile. Vous verrez, si vous l'acceptez, ce que donne un monde régné par le Mal. Vous-mêmes serez mes fidèles et loyaux sujets, et des alliés puissants, ou... »

Il retourna de nouveau son siège.

« ...vous mourrez ! »

Il se redressa quelque peu mais demeura dans l'ombre.

« Seigneur noir, faites-les sortir tous sauf Pollux. »

L'autre inclina légèrement la tête et obtempéra.

« Alors, cher Pollux ? Cher, très cher Pollux... Approche ! »

Pollux vit quel était le visage de l'Empereur du Mal.

5

Castor et surtout Relov s'étaient fait fort mal en tombant des appareils. Le Vieillard Blanc les aida à se relever.

« Comment vous sentez-vous ? » demanda-t-il.

« Ma jambe... » commença Relov.

Le Vieillard Blanc ferma les yeux, leva lentement la tête vers le ciel, expira, puis rouvrit les yeux.

« C'est passé ! s'exclama Relov. Cela ne devait pas être grave... »

« Une simple fracture. »

Relov regarda l'autre très attentivement, mais il ne sourit pas. Un instant plus tard, il annonça :

« Nous devons nous dépêcher. Le Seigneur Noir ne va pas tarder à nous retrouver sinon. Nous pourrons peut-être nous procurer un véhicule au village de Tekina : les mercenaires neutres y abondent... Nous tenterons de nous cacher près de la côte : l'Empire n'a pas encore conquis ces régions. En attendant, nous devons courir. »

Ils se mirent donc à fuir de toutes leurs jambes.

« Prend ces jumelles ! dit à Pollux le Seigneur de la Mort. Regarde donc détaler tes amis. Cela fait une demi-heure qu'ils courent... Tu sais qu'à tout instant je peux appeler mes gardes et les faire rattraper ; ce ne sera même pas nécessaire : c'est eux qui viendront vous sauver. Tu ne voudrais pas la mort de tes amis, n'est-ce pas ?... »

6

Roger, Hélène et Clytemnestre furent enfermés dans une cellule minuscule ne comportant que trois lits.

« Maintenant quoi ? » demanda Hélène.

« Tu as bien entendu les plans du Seigneur de la Mort. »

« Oui, trop bien. Mais je suis sûr que Castor et Relov pourront organiser une révolution et nous sortir de là. La population ne se laissera pas esclavager : elle secouera le joug qui l'opprime, j'en suis sûre. »

« Tu es bien optimiste, Hélène. »

« En tout cas, nous n'avons rien à faire. Essayons de nous reposer, et... »

La porte s'ouvrit subitement. Le Seigneur Noir entra avec deux soldats. Il sembla dévisager tour à tour les trois occupants de la cellule. Puis il fit signe à Clytemnestre de le suivre. La porte se referma derrière eux, devant Hélène qui criait :

« Non ! Qu'allez-vous faire d'elle ? »

Mais la porte resta sourde à ses prières. Elle s'assit tristement sur un lit, en murmurant :

« Ah ! Xanthin ! »

Pendant ce temps, Roger était resté immobile, consterné, le regard blanc.

Quelques minutes passèrent.

Soudain, Hélène hurla de douleur.

7

Castor, Relov et le Vieillard Blanc étaient presque arrivés à Tekina. Soudain, Castor poussa un rugissement et s'effondra.

« Castor ! Qu'y a-t-il ? »

« J'ai senti une terrible douleur. Clytemnestre ! »

Le Vieillard Blanc eut l'air grave.

« Oui, Clytemnestre. Nous devrons peut-être passer à l'action plus tôt que prévu... »

« Cela marchera. » commenta le Seigneur Noir, semblant poser un regard froid sur le corps évanoui de Clytemnestre.

« Ils se sont arrêtés. » murmura l'Empereur du Mal.

« ...mais je redoute un piège, continua le Vieillard Blanc. C'est risqué. »

« Je dois les sauver, je le dois. »

« Tu apprendras d'abord la magie. »

« Oui. »

« Et toi, Relov ? »

« Ce n'est pas mon truc. »

Ils reprirent leur course et arrivèrent à Tekina aux environs de midi.

8

Ils y trouvèrent sans difficulté un véhicule, qu'ils achetèrent pour un bon prix. Ils furent cependant surpris de ce que les troupes impériales les laissassent passer sans jamais les interroger.

Grâce à leur engin, ils parvirent à la tombée de la nuit à un abris.

« Nous passerons la nuit ici. Je commencerai dès demain ta formation, Castor. »

Et ils s'endormirent.

9

« Ils se sont arrêtés à trois mille kilomètres d'ici, mon Maître. » annonça le Seigneur Noir.

« Je sais. » répondit le Seigneur de la Mort.

« Dois-je les faire prendre ? »

« Non, il serait dommage de ne pas laisser au Vieillard Blanc la possibilité de commencer ce que nous terminerons. D'ailleurs, ils viendront d'eux-même. De plus, le Vieillard Blanc pourrait être dangereux : il vaut mieux que ce soit lui qui vous attaque ici ; avec lui partira la dernière menace pour notre Puissance, le dernier Seigneur de la Magie hormi vous-même. »

« Et quels sont vos ordres relatifs aux prisonniers ? »

« Prenez bien garde à eux. Ils ne doivent pas parvenir à communiquer à Castor ou au Vieillard Blanc qu'ils sont l'appât d'un piège. Je veillerai à ce que Xanthin ne puisse rien faire. »

« À vos ordres, mon Maître. »

Il salua l'Empereur et se retira.

Dans leur cellule, Hélène et Clytemnestre eurent du mal à dormir, se levant fréquemment en sursaut. Roger, lui, resta éveillé.

Dans sa demeure de glace, le Seigneur des Cieux ouvrit un œil. Il sentait que les étaient agités et qu'on aurait bientôt besoin de lui.

« Je ressens soudain un principe nouveau. » murmura le Seigneur Noir, vaguement inquiet.

Le Vieillard Blanc esquissa un sourire.

Relov et Castor s'enfoncèrent dans un lourd sommeil sans rêves.

Xanthin, dans le bloc d'émeraude qui lui tenait lieu de prison, fit un très léger mouvement.

Pollux avait était bien trop excité pour dormir.

10

« Tu es un avec l'Univers, tu fais partie intégrante du tissus cosmique. Tu dois sentir en toi les étoiles lointaines. L'Énergie du Démiurge est partout. La magie est déjà en toi, il ne tient qu'à toi de la découvrir. Ferme les yeux. Tu dois voir avec les yeux de ta pensée. La cornée ne peut que limiter la perception. Je suis aveugle, le Seigneur Noir s'est bandé les yeux. Vois-tu la Plaine s'étendre sous toi ? Vois-tu simultanément tous les points du monde ? Sens-tu palpiter le cœur de chaque être vivant, battre le sang de tes frères ? »

« Oui. »

« Maintenant, canalise toute cette énergie en une arme. Crée une flèche contenant la force de tout l'Univers. »

Castor ouvrit la main ; il s'y forma une lumière indistincte qui commença de se matérialiser.

« Il a commencé sa formation, mon Maître. » dit le Seigneur Noir.

« Parfait. »

Le Seigneur Rouge, semblable exactement au Seigneur Noir si ce n'est sa couleur, entra dans la cellule des prisonniers et saisit Clytemnestre.

« Non ! Pas de nouveau ! Par pitié ! » cria Hélène.

« Ah ! » fit soudain Castor.

« Concentre-toi ! »

« Clytemnestre... »

« Oui, je sais, nous devons nous dépêcher. Mais sans la magie, tes chances de sauver tes sœurs et tes amis sont bien faibles. »

« Et son frère ! » ajouta Relov.

Le Vieillard Blanc prit l'air pensif :

« Oui... Son frère, bien sûr... »

Silence.

Il reprit :

« Bon ; reprenons. »

11

Après quelque jours, Castor estima qu'il était réellement temps d'y aller.

« Je n'en peux plus. Ils ont presque tué Clytemnestre. »

« Mais tu n'es pas prêt ! » objecta le Vieillard Blanc.

« Tant pis. Nous ne pouvons pas attendre plus longtemps. »

« Si tu te fais tuer, il n'y aura plus aucun espoir sur ce monde. Moi, je suis trop vieux. Pour sauver Xanthin, tu dois être prêt à affronter le Seigneur Noir et l'Empereur du Mal. Tu dois pour cela maîtriser parfaitement la magie. »

« Nous devons y aller maintenant... ou il sera trop tard. »

« Je t'aurai prévenu... »

Ils partirent.

12

« Ils se sont mis en route. » déclara le Seigneur Rouge.

« Excellent. Seigneur Noir, préparez-vous à combattre le Vieillard Blanc en duel. Seigneur Rouge, vous guiderez les autres jusqu'à la Tour et m'apporterez Castor. »

« Oui, mon Maître. »

« Mon Maître, continua le Seigneur Noir, j'ai senti la présence d'un nouveau Maître de la Magie. »

« Je sais. Le Seigneur des Cieux se réveille. Nous devons empêcher Castor et Relov de le rejoindre. »

« Avez-vous d'autres ordres, mon Maître ? » demanda le Seigneur Rouge.

« Pas pour l'instant... »

Les deux Lieutenants sortirent. L'Empereur se répéta à lui-même :

« Pas pour l'instant... Oui, pas pour l'instant... »

13

« Écartez-vous de la porte, ordonna le Seigneur Rouge. Lorsqu'ils arriveront, vous la fermerez très délicatement, à clef. Ils ne doivent pas pouvoir s'échapper. Suivez-les à la trace. Dès que le Vieillard Blanc se sera séparé des deux autres, vous les prendrez et me les apporterez. Compris, général ? »

« Oui, Monseigneur. Capitaines, écartez vos hommes de la porte. Vous, vous la fermerez aussitôt que les ennemis l'auront traversé. Vous, vous les suivrez ensuite. Prévenez-moi dès qu'ils se disperseront. Surtout, ne vous faites pas voir, sinon... »

Le regard qu'il porta à son supérieur indiquait clairement l'issue fatale qu'une telle erreur aurait.

Le Seigneur Rouge se dirigea vers un autre homme.

« Restez en communication radio avec le Seigneur Noir et moi-même. Suivez le Vieillard Blanc et renseignez-nous sur tous ses déplacements. »

« Oui, Seigneur. »

« Quant à vous, ordonnez à vos hommes d'être particulièrement obtus, de prétendre ne pas voir les ennemis, de tirer à côté s'ils se font trop remarquer, de courir plutôt lentement, de se faire tuer s'il le faut. Il est clair qu'ils essaieront de prendre des uniformes. Quelques gardes doivent se sacrifier. »

L'autre acquiesça de la tête.

« Prévenez l'Empereur qu'ils viennent de franchir la zone bleue. » ordonna le Seigneur Noir.

« Oui, Monseigneur. »

14

Castor, Relov et le Vieillard Blanc laissèrent leur vaisseau en bas et commencèrent l'escalade de la montagne de la tour.

« Ceci est fou ! Comment pourrions-nous vaincre une telle forteresse ? » demanda Relov.

« Il fallait le dire plus tôt. » répondit Castor.

« Nous aurions dû constituer une armée, réunir toutes les forces à notre disposition, mettre à bas le Mal. »

« Dans un tel combat, intervint le Vieillard Blanc, une seule force peut nous servir d'alliée, et c'est la magie. »

« Mais Castor ne maîtrise pas encore la magie ! »

« Voilà justement le problème. Et voilà pourquoi nous échouerons. »

Ils arrivèrent à la porte principale.

« Elle n'est pas gardée ! » jubila Relov.

« C'est un piège grossier... » répondit le Vieillard Blanc.

« Tant pis, nous n'avons pas le choix. Nous devons y aller. » fit Castor.

« Trois pour tous et tous pour un ! »

Ils franchirent l'immense portail...

15

...et furent dans la Tour d'Émeraude.

Une très haute salle vide, faite de métaux et de plastiques dans des tons gris qui rendaient mal avec la douce lumière verte qui filtrait par les murs, s'offrait à leurs yeux. Un petit escalier noir de chaque côté montait à un chemin de ronde à mi-hauteur, encadré d'une rambarde métallique. Des issues de tout côtés.

« Personne. » commenta Relov.

« Oh, il ne vont pas tarder à venir... » répondit le Vieillard Blanc.

« Dépêchons-nous : par où allons-nous passer ? » urgea Relov.

« Ils sont probablement en haut... » commença Castor.

« Ils sont en haut. » coupa le Vieillard Blanc.

« ...donc nous devons trouver un ascenseur. »

« Les voilà ! » cria Relov.

Dix gardes entrèrent dans la salle, d'en haut.

« Là ! Arrêtez-les ! » cria l'un d'entre eux.

Ils commencèrent à tirer.

Relov n'attendit rien et riposta. Il en tua un sur le coup.

Castor dégaina. L'intensité et la fréquence des tirs s'accrut.

Après quelques instants, le Vieillard Blanc ouvrit la main, faisant un geste en direction des gardes. Trois d'entre eux s'écroulèrent. Un autre tira en direction de l'assassin de ses amis, mais celui-ci arrêta le coup de la main.

Enfin, après une minute, tous les gardes étaient à terre. Et le combat cessa, faute de combattants. Roger se précipita sur l'escalier, suivi de Castor et du Vieillard Blanc qui, lui, ne se pressait pas. Il s'approcha des corps. L'un d'entre eux était encore vivant.

« Où est l'ascenseur le plus proche ? » demanda Relov, le visant à bout portant.

« Par... là... » chuchota-t-il, montrant sa gauche, et il sombra dans l'inconscience.

Le Vieillard Blanc le regarda de ses yeux aveugles quelques secondes, puis commenta :

« Il a dit la vérité. »

Puis quelques secondes plus tard :

« Il est mort... Enfilez les uniformes. »

Castor eut quelque appréhension à enfiler ce que portait une minute plus tôt leurs victimes. Il mit l'uniforme du jeune officier.

« Nous ne pouvons rester groupés, commenta le Vieillard Blanc. Le Seigneur Noir me cherche et il ne faut pas que vous soyez avec moi quand il me trouvera. Partez de votre côté ; soyez assurés qu'ils vous laisseront libérer vos amis sans objection : c'est un piège évidemment, car ils tenteront de vous arrêter et de vous empêcher de ressortir. Quant à moi, j'essaierai d'ouvrir cette porte-là. »

Il fit un geste théâtral en direction de l'entrée. Le portail était maintenant fermé.

« Mais si nous parvenons à ressortir, comment donc pourrai-je apprendre la magie, continuer ma formation ? »

« Si jamais vous réussissez à sortir, ne m'attendez surtout pas. Je serai mort de toute façon. Mais concentre-toi, Castor, comme je t'ai appris à le faire. Pense à moi, et je t'apparaîtrai et t'indiquerai comment te rendre auprès du Seigneur des Cieux. »

Il fit deux pas.

« Adieu, Castor. Puisses-tu réussir dans ton entreprise. »

Il se posta devant la porte et se concentra. Castor et Relov sortirent.

16

« Castor est ici, dans cette tour, en ce moment, Clytemnestre ! »

« Comment le sais-tu, Hélène ? »

« Je le sais, c'est tout. »

Roger parla, pour la première fois depuis leur emprisonnement :

« Ils sont tombés dans le piège. Le Vieillard Blanc va mourir. »

Xanthin sourit.

« Nous les tenons, mon Maître ! » annonça le Seigneur Rouge.

Le Seigneur des Cieux se leva entièrement.

Le Vieillard Blanc ferma les yeux.

Castor et Relov se dirigèrent vers l'ascenseur.

17

Ils y parvinrent, apparemment sans qu'on remarquât qui ils étaient. Ils appuyèrent sur le bouton « HAUT ». Quelques instants passèrent...

Au moment exact où la porte de l'ascenseur s'ouvrait et qu'ils commençaient à y rentrer, arriva la dernière personne qu'ils auraient voulu rencontrer : le Seigneur Rouge. Ils firent mine de lui céder la place.

« Excusez-moi, Monseigneur. » dit humblement Castor. Ils se mirent au garde-à-vous.

« Repos. Non, non, restez, Capitaine. » répondit l'autre, sur un ton intermédiaire entre l'ironie et la politesse.

Ils le suivirent donc dans l'ascenseur.

« Où allez-vous ? »

Castor regarda la liste des boutons. Trois cent quatre-vingt-huit étages. Il chercha ceux qui pourraient l'intéresser. 388 à 381 : Résidence privée du Seigneur de la Mort. 380 : Trône Impérial. 379 à 360 : Résidence des Seigneurs du Mal. 359 à 340 : Quartiers des officiers. Castor se demanda s'il pouvait y aller. Il était capitaine, mais était-ce bien un rang d'officier ? D'ailleurs, Relov était simple soldat. 339 à 310 : Quartiers des sous-officiers. Le choix se révélait plutôt délicat. 309 à 300 : Cantines. 299 à 280 : Dortoirs. Probablement pour les non gradés. 279 et 278 : Infirmerie. 277 à 275 : Garde permanente. 274 à 270 : Prisons, bloc spécial. Aha ! Intéressant. 269 à 265 : Garde spéciale. 264 à 260 : Prisons, bloc C. 259 à 255 : Prisons, bloc B. 254 à 250 : Garde des prisons. 249 à 245 : Prisons, bloc A. 244 à 230 : Rien d'indiqué. 229 à 180 : Réserves de matériel. 179 à 140 : Zones d'entraînement des soldats. Cela pourrait être bon pour se débarrasser du Seigneur Rouge, mais Castor était officier, et il n'irait certainement pas s'entraîner avec les simples soldats. Comment communiquer avec Relov ? 139 à 100 : Niveaux des vaisseaux. 99 à 70 : Niveaux techniques. 69 à 30 : Réserves diverses. 29 : Rien d'indiqué. 28 : INTERDIT. 27 et 26 : Centre de contrôle informatique. Probablement réservé aux équipes informaticiennes. 25 à 22 : Centre de communications. 21 : INTERDIT. 20 à 15 : Services civils, enrôlement de l'armée. 14 : Zone verte. Qu'est-ce que cela pouvait donc signifier ? 13 et 12 : Zone rouge III. 11 : Zone rouge II et II bis. 10 : Zone rouge I. 9 : Zone violette. 8 à 3 : Zone de transit. 2 et 1 : Sortie en zone bleue.

Tant pis, Castor choisit le numéro 110.

Le Seigneur Rouge tourna la tête vers les boutons et le numéro 270 se mit à clignoter.

« Intéressant, pensa Castor, ce sont peut-être où sont emprisonnés Hélène et Clytemnestre. »

Le Seigneur Rouge se retourna vers lui, et l'ascenseur démarra, très rapidement. Les secondes passaient très lentement.

« Nous a-t-il reconnu ? se demandait Relov. Si oui, nous allons mal finir. »

Machinalement, sa main chercha la poignée de son pistolet. Mais il pensa que ce n'était pas exactement ce que ferait un soldat en présence de son supérieur le plus haut ou presque.

Enfin, l'ascenseur s'arrêta au niveau 110.

Castor et Relov descendirent, tandis que le Seigneur Rouge continuait son ascension...

18

Le Vieillard Blanc concentra toute son énergie, réunit chacune de ses forces. Il tendit une main vers la porte. Celle-ci se mit à gémir, à craquer. Lentement, un très fin rai de lumière blanche se fit sur le sol.

19

« Relov, murmura Castor, ne penses-tu pas qu'il serait mieux d'avoir un vaisseau juste à la porte pour que nous pussions fuir plus aisément ? »

« Effectivement. Il serait aussi mieux que nous pussions faire venir directement les prisonniers ici et ouvrir les portes. Et par la même occasion, que l'Empereur du Mal nous restituât Xanthin... »

« Idiot ! Tu vas voir. »

Il s'approcha d'un vaisseau au hasard.

« Lieutenant, je veux que ce vaisseau soit transporté immédiatement devant la porte de sortie en zone bleue et y soit laissé : je viendrai le prendre plus tard. Vous passerez par la sortie latérale. Exécution ! »

« Oui, mon capitaine, répondit l'homme. Vous, continua-t-il en se tournant vers un soldat, assurez-vous que les batteries sont pleines et que tout est en ordre de marche. »

« Oui, mon lieutenant ! »

Castor s'éloigna et se dirigea de nouveau vers l'ascenseur.

« Vous voyez, rien de plus facile ! »

La porte de l'ascenseur s'ouvrit. Deux lieutenants étaient à l'intérieur.

« Sortez ! » ordonna Castor.

Ils obtempérèrent sans mot dire. Castor et Relov entrèrent.

« La discipline est fantastique dans cette armée... » commenta Relov.

« Étage 270. » dit Castor.

Relov appuya sur le bouton :

« Voilà, mon capitaine ! »

La porte se ferma lentement.

20

La porte s'ouvrit lentement. L'énergie solaire, inobscurcie par le vert de l'émeraude, inonda la pièce. La lumière naturelle masqua celle de l'électricité. Le paysage se révéla au Vieillard Blanc. Derrière la porte, quelques centimètres au-dessus du sol flottait un vaisseau.

« Qui êtes-vous ? » demanda le soldat paniqué, dégainant son arme. Il tira. Le Vieillard Blanc n'en fut pas le moindre au monde affecté.

« Que faites-vous là ? » réitéra-t-il. Soudain, il s'écroula en mugissant.

« Un vaisseau, pensa le Vieillard Blanc ; intéressant ! »

21

La porte s'ouvrit. Relov commença à tirer.

Une minute après, les gardes étaient tous abattus. L'alerte sonnait.

« Vite, Castor, va chercher les prisonniers ! »

La porte de la cellule s'ouvrit.

« Oh non, encore ! désespéra Clytemnestre. Mais... Castor ! »

« Vite, sortez ! Où est Pollux ? »

« Pollux ? Comment le saurions-nous ? »

« Vite ! cria Relov. Ils ne vont pas tarder ! »

« Mais... Et Pollux ? »

« Nous n'avons pas le temps. À l'ascenseur. »

Ils y rentrèrent en courant, et appuyèrent sur le bouton « 1 ».

22

« Alors, Vieillard Blanc, vous avez réussi à ouvrir cette porte ? »

L'interpellé fit volte-face.

« Le Seigneur Noir ! Je vous attends depuis longtemps. »

« Vous êtes prêt à m'affronter ? »

« Je suis prêt à mourir. »

« Vous êtes réaliste. Vous vous décidez enfin à admettre votre défaite. »

« Je n'admets rien du tout. Vous ne réussirez pas à fermer cette porte. Ils s'échapperont et vous perdrez la guerre. »

« Il n'y a pas de guerre. Il n'y a pas d'ennemi au Mal sur ce monde. »

« Ce que vous croyez. Et voilà pourquoi vous perdrez. »

Le Seigneur Noir fit un pas en avant. La porte commença doucement à se fermer.

Le Vieillard Blanc fit un pas en avant. La porte s'immobilisa.

Le Seigneur Noir leva la main, fit un geste. Un rayon cinglant atteignit son adversaire au visage. La porte recommença de bouger...

23

Deux soldats appuyèrent sur la commande de l'ascenseur.

La porte s'ouvrit ; ils firent un pas à l'intérieur et furent reçus par trois coups tirés à bout portant. Ils s'écroulèrent. La porte se ferma.

« Nous ne pourrons pas continuer ainsi et massacrer quelques gardes à chaque étage. »

« Très chère Clytemnestre, nous n'avons pas le choix ! »

« Très très chère Hélène, je sais bien. N'y a-t-il pas un moyen de bloquer les portes de l'ascenseur ? »

« S'il y en a un, répondit Relov, je ne le connais pas. Mais courage : nous en sommes au niveau 257. »

« C'est-à-dire que nous en avons fait treize, commenta Hélène, joyeusement. Puis, d'un ton macabre : il nous en reste deux cent cinquante-six. »

« Allons, très chère, objecta Relov alors qu'il abattait un soldat, nous ne nous en sortons pas mal ! »

« Je voudrais bien vous voir en difficulté, vous ! En êtes-vous bien capable ? »

« Moi, oui ; ce sont les autres qui n'arrivent pas à me poser de problèmes. À propos, il faudra sortir quelques cadavres de l'ascenseur, cela n'est pas propre. Je vous dit que tout va très bien. »

« Très bien, oui... murmura Roger. Pour l'instant... Nous pénétrons dans la zone de la garde des prisons. »

« Où est donc votre sang froid britannique ? » demanda Relov.

« Ménélas... » répondit-il simplement.

« Bloquez cet ascenseur ! » ordonna le Seigneur Rouge.

« Niveau 252. Voilà qui est inquiétant. » fit Clytemnestre.

« Mais non, vous verrez que... » commença Relov.

Il se tut en remarquant, par l'entrebâillement une centaine de gardes l'arme tournée vers eux, et, au-devant des gardes, le Seigneur Rouge.

Sans perdre un instant, Castor se concentra sur la porte. Elle cessa de s'ouvrir.

Le Seigneur Rouge fit un geste. La porte trembla.

24

« Vous avez eu grand tort de venir ici. Vous allez mourir et vos amis ne pourront jamais s'enfuir. »

Le Vieillard Blanc ployait sous les coups que son adversaire lui assénait. La porte était déjà presque totalement close.

Soudain, il rassembla toute son énergie et s'écria :

« Au nom de Xanthin, non ! »

La porte vola ouverte. Le Seigneur Noir poussa un cri.

25

Enfin, la porte se ferma et l'ascenseur redémarra. Castor s'effondra, épuisé.

« Nous les avons vaincu ! » cria Hélène. Elle se jeta dans les bras de son frère.

Pour la première fois depuis fort longtemps, Roger sourit.

Pendant le reste de la descente, ils ne firent que trois arrêts, pour un ou deux gardes à chacun.

Enfin, ils parvinrent au niveau inférieur et débarquèrent. Castor guida le plus vite possible les autres jusqu'à la sortie.

Le Vieillard Blanc et le Seigneur Noir combattaient toujours. La porte était mi-ouverte, et le vaisseau était encore derrière.

« Regardez ! » s'exclama Clytemnestre.

« Cours, Castor ! cria le Vieillard Blanc. Ne m'attends pas. Fuis ! »

À peine eurent-ils franchi le pas de la porte que le Vieillard Blanc dit :

« Voilà, j'ai gagné. Tu peux me tuer, Seigneur Noir. »

Il abaissa la main et toute l'énergie qui servait à le défendre fut employée à fermer et à bloquer la porte. Les attaques du Seigneur Noir le terrassèrent en un instant, avec une intensité telle que toute la salle trembla sous le choc.

Aussitôt son adversaire mort, le Seigneur Noir ordonna :

« Ouvrez-moi cette porte. »

Cinquante hommes se précipitèrent et en vinrent à bout en moins d'une minute. Mais Castor était déjà loin.

26

« Ils nous ont échappé, mon Maître. » annonça le Seigneur Noir.

« Je sais, répondit le Seigneur de la Mort. Ils sont de nouveau à Tekina. »

« Dois-je donner la chasse ? »

« Non. Ils reviendront. Ils croiront naïvement pouvoir nous attaquer. Quand ils arriveront, vous m'amènerez Castor. En attendant, dites au Seigneur Rouge de faire semblant de les rechercher. Lorsqu'ils auront constitué une petite armée et qu'ils se penseront prêts à nous détruire, nous les tiendrons. Anderland ne résistera pas longtemps s'ils sont à nos côtés... »

Imperium repetit

1

Pendant les mois qui suivirent la victoire de Castor, les héros s'employèrent à former une résistance contre le Mal. Une petite armée se constitua lentement et péniblement autour de Castor et de Clytemnestre, et bientôt les résistants furent en mesure de remporter leurs premières victoires sur les troupes de l'Empereur, sur de petits commandos isolés qui tentaient en vain de localiser la base principale des conjurés.

Un soir, Castor déambulait avec Relov sur les côtes de l'Océan de l'Infini.

« Je dois trouver le Seigneur des Cieux, Relov. Rappelle-toi bien ce que Xanthin nous a dit. Constituer une armée ne peut pas suffire à mettre à bas le Mal. Je dois apprendre à maîtriser la magie. »

« C'est dangereux de partir seul. Tu peux te faire prendre. »

« Je dois courir ce risque. »

Il lança un caillou dans la mer, qui rebondit et rebondit à n'en plus finir en direction du soleil couchant.

« Oui, je dois courir ce risque. Le Seigneur Rouge finira bien par nous repérer, tôt ou tard. Et ce jour là, nous devrons être prêt, nous devons monter l'attaque finale. Tout n'est pas joué, loin de là ; nous n'en sommes qu'au début. D'ailleurs, il nous faut aussi libérer Pollux. »

« S'il n'est pas déjà mort. »

Une vague, une giclée d'or liquide vint déferler à leurs pieds.

« Oh, il n'est pas mort. »

Ils parvinrent au fleuve. Castor remonta son cours des yeux, jusqu'au montagnes glacées.

« Le Vieillard Blanc m'est apparu en rêve. C'est là-bas que je dois aller. »

Il se tourna vers le soleil sur la mer.

« Ce monde a du être beau autrefois. »

Relov le corrigea :

« Il n'y a pas d'autrefois. »

Le soleil s'enfonça dans la mer. Degré par degré le ciel s'obscurcit. Des diamants resplendissant de mille feux apparurent dans la clarté ténébreuse du ciel nocturne.

« As-tu remarqué que les constellations ici sont les mêmes que sur Terre ? Seulement, sur Terre, nous sommes en mai ; ici, les étoiles sont ce qu'elles seraient en février. »

En effet, le Taureau brillait au-dessus de leurs têtes. Loin à l'est se levaient le Lion et le Cancer, tandis que Persée et les Poissons se couchaient à l'Ouest. Vénus éclipsait delta Geminorum, Mars hésitait entre Aldébaran et les Pléiades.

« Vénus quitte la troisième maison quand Mars y rentre. Des querelles entre frères et sœurs sont à prévoir. » dit une voix derrière eux.

« Hélène ! »

Relov s'approcha d'elle et prit sa main. Elle ne bougea pas.

« Sub hoc signo vincam. Je partirai à l'aube. » annonça Castor et il se retira, laissant sa sœur avec son ami.

En entrant dans sa baraque, Castor aperçut Roger.

« Ça ne va pas ? »

« Non. Je ne me sens vraiment pas à ma place. »

« Pourtant, vous y êtes bien. »

Roger sourit faiblement.

« Il me semble que je suis en marge de tout. Je suis toujours absent. »

« Ne vous inquiétez pas, je suis sûr que le Seigneur de la Mort a également des plans pour vous. Par ailleurs, je vous conseille de regarder les étoiles. Tournez-vous vers les Pléiades. Ce sont des étoiles jeunes... »

2

Castor fut réveillé par le son de l'alerte. Les troupes du Seigneur Rouge approchaient.

« Ils nous ont repéré. Ça va mal tourner. » commenta Relov.

En effet, une dizaine de milliers d'hommes fortement armés venaient de l'est à bord de chars d'assaut et d'autre véhicules de combat.

« Ils sont trois fois plus nombreux que nous. » soupira Clytemnestre.

Il fut rapidement décidé qu'un petit groupe attirerait l'ennemi au sud par une résistance de principe, puis fuirait, afin de permettre au gros de la troupe d'évacuer discrètement par le nord.

« Castor, nous allons faire diversion. Toi, prends un vaisseau et pars chercher le Seigneur des Cieux. Nous nous retrouvons au point secret 6 pour préparer l'attaque finale dans un mois jour pour jour. »

« Merci, Relov. Bonne chance. »

« Toi aussi. »

« Adieu, Castor ! »

« Adieu, Hélène. Adieu, Relov. »

3

Le ciel oriental s'enflammait sous la puissance de feu du soleil. Les doigts orangés de l'aube recouvraient progressivement le pays, de la mer à la mer. Castor partit par le nord. Une ancienne route sinueuse, légèrement incurvée vers l'est, montait dans les montagnes. À sa gauche, l'océan roulait au gré des vagues son immense masse bleu outremer. À sa droite, la plaine constellée de canaux s'étendait. La Tour d'Émeraude, exactement devant le soleil levant, semblait étinceler de vert. Devant lui, les prismes de la neige des montagnes décomposait la lumière en autant d'arcs-en-ciel microscopiques. Derrière, la forêt vert sombre trahissait difficilement les combats meurtriers qui y avaient lieu.

Il se rappelait exactement ce qu'il avait vu dans son rêve. C'était bien ce même endroit où le Vieillard Blanc le conduisait en disant :

« Tu trouveras le Seigneur des Cieux quand ton esprit sera prêt à le trouver, quand tu seras dans le bon état, quand tu te seras vidé de toute ta haine et de tous tes sentiments de révolte, quand tu accepteras ton destin. Alors tu seras arrivé chez celui qui t'enseignera ce que tu dois apprendre. Ouvre-toi, mets ton cœur à nu, et suis le chemin sans penser à rien. »

4

Les combats commençaient à s'éteindre. Les hommes du Seigneur Rouge avaient repoussé leurs adversaires sur des kilomètres et s'étaient emparés de la base sans aucune difficulté. Presque tous les résistants soit s'étaient enfuis soit avaient trouvé la mort.

« Clytemnestre, cria Relov, il est trop tard ! Il faut fuir ! Prenons un vaisseau tant qu'ils ne sont pas arrivés jusqu'ici. »

« Encore cinq minutes. »

« Non, pas cinq minutes. Pas même dix secondes. nous partons tout de suite. »

« C'est bon, je viens. »

Relov, Roger, Hélène et Clytemnestre embarquèrent donc à la dernière minute, sous le feu des soldats qui tentaient de les empêcher.

5

« Nous tenons la base, Monseigneur. Les résistants sont en déroute. De petits groupes se dirigent dans toutes les directions ; j'ai fait donner la chasse. »

« Bien, amiral. Qu'en est-il des deux groupes particuliers au sujet desquels je vous ai donné des ordres précis ? »

« J'ai fait comme vous me l'avez commandé. Nous avons laissé fuir Castor. Quant aux, autres, nous les suivons de loin, prêts à les embusquer à votre commandement. »

« Bien. Ne les ratez pas, cette fois, amiral. Ce serait regrettable... en ce qui vous concerne, bien entendu... »

Le Seigneur Rouge se retourna et s'éloigna d'un pas rapide.

« Oui, Monseigneur. »

L'Empereur du Mal regardait au loin la destruction de la base ennemie.

« Bien, bien, murmurait-il. Parfait. Castor sera bientôt l'un des nôtres, comme... »

Il s'interrompit, sentant une présence, se retourna et remarqua son serviteur.

« Oui, Seigneur Noir ? »

« Le Seigneur Rouge a pris la base des résistants, mon Maître. Castor est parti à la recherche de l'enseignement du Seigneur des Cieux. Nous l'avons laissé partir. »

« Excellent. »

« Relov, Roger, Hélène et Clytemnestre sont à notre merci. »

« Vous les capturerez au moment opportun. Nous nous en servirons de nouveau comme appât pour Castor. Mais cette fois, nous ne le raterons pas. Vous le prendrez et me l'apporterez ici, et vivant ! »

« Oui, mon Maître. »

6

Toute la journée, Castor rechercha le Seigneur des Cieux sans succès. Il parcourut une dizaine de fois le chemin indiqué et ne trouva rien ni personne. Enfin, il s'arrêta au soir.

« Rien... je me demande si... »

Il prépara un campement.

« Où peut-être le Seigneur des Cieux ? » se demanda-t-il, les yeux tournés vers les Pléiades.

« Voilà une bonne question... » répondit une voix derrière lui.

Castor se retourna pour voir un petit nabot bossu et laid à souhait.

« Qui êtes-vous ? »

« Qui suis-je ? Voilà une autre bonne question. Tu dois être très fort pour les bonnes questions. »

« Êtes-vous le Seigneur des Cieux ? »

« Suis-je le Seigneur des Cieux ? Celle-ci est moins intéressante car ce n'est que la combinaison des deux précédentes. »

« Donc la réponse est non. »

« Comme tu es intelligent. Si tu peux faire les questions et les réponses, que me reste-t-il ? »

« Savez-vous où se trouve le Seigneur des Cieux ? »

« Je n'en ai absolument aucune idée. Je ne sais même pas qui il est. »

« J'aurais dû m'en douter. »

Ils s'assirent.

« Vous avez faim ? »

« Oui. »

Il lui tendit une assiette de soupe.

« Alors, qui êtes-vous ? »

« Tu te répètes. »

« Vous pourriez répondre. »

« Je pourrais, mais ce serait plus intéressant si tu trouvais les réponses tout seul. »

« Et pourtant... »

« Oui ? »

« Et pourtant, tu es le Seigneur des Cieux. »

Quelques secondes passèrent.

« Je ne sais pas. Tu as peut-être raison. Puis-je me connaître moi-même ou savoir où je suis ? »

Une intense lumière commença d'entourer le petit être. La plus spectaculaire transformation se fit alors en lui. Quand la lumière se dissipa, Castor avait devant lui l'être le plus fantastique qu'il lui fût jamais donné d'observer. Il était de très grande taille, vêtu uniquement d'une longue robe orange doré, brodée de dragons rouges. Il avait une physionomie typiquement chinoise ; il portait une élégante barbiche et pour tous cheveux une natte du sommet de la tête. Il semblait regarder Castor intensément de ses yeux en amande sans pupille.

« Castor. Je t'attendais. »

« Maître. Je vous cherchais. »

7

« Et bien sûr, c'est nous qu'ils poursuivent. »

« C'en est toujours ainsi, Relov. »

« Je sais, Clytemnestre. »

En effet, avec une dizaine d'appareils ennemis à leurs trousses, Relov, qui pilotait, avait énormément de mal à éviter de se faire prendre.

« Et toi, Roger, ça va ? »

Roger, à l'arrière du vaisseau, était tireur.

Il ne répondit pas.

« Ils gagnent du terrain ! » s'écria Hélène.

« Alors nous passerons par là... » répondit Relov.

« Par où ? »

« Mais par là, par ce bois ! »

« Par ce bois ? Vous êtes fou ? »

« Non, ma chérie. Je suis parfaitement sain. Notre appareil est beaucoup plus maniable que les leurs. Ils devront abandonner la poursuite. »

« Alors, ils ne seront pas même là pour déposer une gerbe à notre tombe. »

« Vous avez tous vos ceintures et votre casque ? Préparez-vous, ça va secouer ! »

Le vaisseau effectua un quart de tour pour se retrouver en position verticale, et se faufiler entre les arbres.

« Je ne peux pas voir ça ! » protesta Hélène.

« Alors faites comme moi : fermez les yeux. » répondit Relov.

« QUOI ? »

8

« Tu veux apprendre à maîtriser la magie ? »

« Oui, Maître. »

« Tu as tort. Chacun maîtrise déjà la magie. Ce qui distingue les hommes les uns des autres est le fait que certains s'en rendent compte, d'autre pas. Tu ne viens pas pour apprendre à maîtriser la magie, mais pour te rendre compte que tu la possèdes déjà parfaitement. »

Castor hocha la tête :

« Oui, je comprends. »

« Non, tu ne comprends pas. Si tu comprenais, ton camp aurait déjà vaincu le Seigneur Noir et son Empereur. »

« Soit. Que dois-je faire pour me rendre compte de mon pouvoir ? »

« Ferme les yeux, détends-toi. »

Castor obéit. Des images de plus en plus précises se firent dans son esprit, si bien qu'à la fin il avait oublié la réalité pour être uniquement plongé dans le monde de sa pensée.

Il se tenait debout dans une immense jungle qui s'étendait à perte de vue. Devant lui, le Vieillard Blanc ressuscité. À gauche de celui-ci, le Seigneur des Cieux et à droite l'Empereur du Bien. Ce dernier était enveloppé d'une aura de lumière qui empêchait qu'on vît sa tête.

« Tu verras son visage quand ta formation sera finie, quand tu seras un Maître de la Magie. » lui expliqua le Vieillard Blanc.

Les trois Maîtres s'écartèrent. Derrière eux, l'Empereur du Mal, le Seigneur Noir et le Seigneur Rouge se tenaient, majestueux et inquiétants. La tête de l'Empereur du Mal était encore dans l'ombre.

« Leur présence ici montre que tu n'as pas encore mis à bas les restes de mal qui continuent à exister dans ton âme. Et le mal te tentera, tu risqueras de succomber tant que tu ne seras pas un Maître de la Magie. Quand tu auras progressé dans ta formation, tu combattras le Seigneur Noir en pensée, avant de le combattre en réalité, lui ou le Seigneur Rouge ; car il te faudra le vaincre pour devenir un vrai Maître. Et seul un Maître de la Magie pourra vaincre l'Empereur du Mal et sauver Xanthin, ce monde et Anderland. »

9

« Monseigneur ! »

« Oui, commandant ? »

« Ils sont rentrés dans un bois. Nous avons perdu les vingt vaisseaux envoyés à leur poursuite, et nous ne les retrouvons pas. »

« Comme c'est dommage. Je vous avez prévenu, commandant. Gardes ! »

Cinq gardes entrèrent, cinq armes furent pointées en direction du commandant. Le Seigneur Rouge commença à partir.

« Attendez, Seigneur ! Donnez-moi encore une chance ! Je vous en supplie ! »

« Vous venez de la laisser passer. »

Il s'éloigna. Les gardes tirèrent...

« Vous pouvez ralentir, maintenant, Relov. Ils sont tous morts. » dit Clytemnestre.

Relov ralentit.

« Ouf ! fit Hélène. Je n'aurais jamais dit que nous pussions nous en sortir. »

« Ne vous inquiétez pas, répondit Roger, nous aurons mainte autre occasion de nous faire tuer. Nous réussirons bien à en saisir une. »

« Et maintenant ? demanda Hélène. Où allons-nous ? »

« Nous devons trouver un endroit où nous cacher : il serait dangereux de rejoindre les autres tout de suite. » répondit Relov.

« Mais il ne vont pas tarder à nous retrouver aussitôt que nous aurons quitté cette forêt. »

« Non, il y a un endroit où il ne penseront pas à chercher... »

« Où ça ? »

« Sous l'eau ! »

« Cette fois, vous êtes bien fou ! »

« Non, chérie. Ils ne regarderont jamais sous la mer. »

« Et comment comptez-vous faire ? Cet engin n'est pas amphibie. »

« Qui vous parle d'engin ? Vous ne savez pas nager, ma chère ? »

« Arrêtez s'il vous plaît de m'appeler comme ça ! »

« Vous n'avez pas besoin de vous mettre dans tous vos états. »

« Je ne me mets pas dans tous mes états ! »

« Alors pourquoi criez-vous si fort ? »

10

Castor parcourait en courant les sentiers les plus dangereux de la montagne, la voix du Seigneur des Cieux toujours à ses oreilles.

« Saute par-dessus ce précipice. »

Il effectua un triple saut périlleux avant groupé sur la falaise qui devait bien faire une dizaine de mètres de largeur.

« Maintenant, élimine ces rochers qui t'obstruent le passage. »

Castor tendit la main : une vive lueur rouge en sortit et les rocs disparurent.

Un énorme bloc de quelques tonnes commença à lui tomber dessus. Il l'évita par un bond phénoménal, sans même l'avoir regardé.

« Bien. Maintenant, soulève-le. »

Castor fit un signe et le bloc se mit à flotter sans poids dans l'air ; un autre, et il remonta la pente par où il était venu.

Après de nombreuses embûches de la même espèce, il revint auprès de son Maître.

« Tu es fatigué ? »

« Il y a de quoi... »

« Non. Tu ne devrais pas l'être. Ce n'est pas ton énergie que tu utilises, c'est celle du tissus éthéré de ce monde. Tant que tu te serviras de ta force physique comme c'est le cas, tu ne seras pas prêt. »

11

« L'océan. Quelle idée géniale, cher Relov ! » réussit à buller Hélène en utilisant tout l'air qui lui restait. Elle remonta à la surface reprendre sa respiration.

Relov haussa les épaules. Au moins les gardes impériaux avaient perdu leur trace.

« Peut-être, reprit Hélène, devinant ses pensées, mais nous avons perdu notre vaisseau. »

Elle remonta respirer.

« Cesse d'émerger continuellement, fit Clytemnestre se retournant (c'était elle qui ouvrait la route), tu vas nous faire repérer. »

Hélène haussa les épaules.

Lentement, Relov s'approcha d'elle. Lorsqu'elle s'en aperçut, elle remonta d'un mètre pour l'éviter. Relov recula pour se trouver au niveau de Roger. Celui-ci regarda à droite avec l'expression la plus détachée qui soit.

« Nous avons retrouvé l'épave de leur vaisseau, Monseigneur. Ils sont probablement morts. »

Le Seigneur Rouge leva la tête vers le ciel. Il parut se concentrer.

Hélène fronça les sourcils. Elle sentait un regard inquisiteur au fond de son âme.

« C'est une ruse, amiral. Ils sont sains et saufs. Faites des recherches dans toute la région avoisinante. Ils ne peuvent être loin. Ramenez les moi, vivants. »

« Oui, Monseigneur. »

« Et en cas d'échec, ce ne sera pas votre commandant, cette fois, amiral, ce sera vous. »

« Oui... Monseigneur... »

« À bon entendeur, salut. »

L'amiral salua son supérieur et sortit.

12

Le soleil disparut sous la mer. Petit à petit, le monde fut envahi par les ténèbres.

Le Seigneur de la Mort esquissa un sourire, et retourna son trône. Il se leva lentement et se dirigea vers son ascenseur privé qui le conduisit un étage plus haut.

Il posa son regard vers un bloc d'émeraude justement à l'entrée de ses appartements privés. Un œil aigu aurait pu y discerner un reflet étrange.

« Alors Xanthin ? » demanda l'Empereur.

Le Seigneur Noir regagna ses quartiers. Il laissa partir un long et profond soupir puis s'endormit.

Le Seigneur Rouge entra dans le campement temporaire que ses hommes avait dressé.

L'amiral avait la gorge nouée. Il fallait qu'il retrouvât les resistants.

Pollux eut bien du mal à s'endormir. Il était frustré. Sa tentative de rejoindre Relov, Roger et ses sœurs s'était encore soldée par un échec.

Castor, épuisé, s'étendit à même le sol et sombra immédiatement dans un lourd sommeil agité de cauchemars.

Le Seigneur des Cieux posa son regard sur son élève. L'image du Vieillard Blanc apparut à son côté.

« Ce garçon pourra-t-il vaincre seul les Forces du Mal ? » demanda ce dernier.

« Il pourrait : n'importe qui pourrait. Mais il ne le pourra pas. Il bénéficiera d'un soutient... »

Relov, Roger, Hélène et Clytemnestre s'étaient arrêtés sur un îlot minuscule à un kilomètre de la côte. Clytemnestre dormait déjà d'un sommeil de plomb.

Relov s'approcha d'Hélène. Elle le vit, fit un sourire malicieux, et embrassa Roger de toutes ses forces.

13

« Où sont-ils maintenant ? » demanda Alexandre VII.

« Personne ne sait, Votre Altesse. Ils ont disparu. »

L'Empereur devint pensif.

Il saisit la console d'ordinateur la plus proche, et demanda à être téléporté chez Xanthin.

« Accès refusé. » répondit la machine.

« Bien sûr. J'aurais dû y penser. »

Il fit préparer une navette et alla chez le disparu. La porte refusa de le laisser entrer.

« Cela suffit ! s'écria-t-il. Je suis Empereur de l'Univers. »

Il fit jouer son mot de passe secret, et enfin pénétra chez Xanthin.

En passant près du cèdre centenaire, il remarqua une porte qui ne donnait sur rien. Derrière cette porte, tous ceux qui étaient partis chercher Xanthin étaient allongés sur le sol, plongés dans un profond sommeil agité de rêves.

« Ils ne sont pas près de se réveiller ! » dit une voix derrière lui.

Alexandre VII se retourna et fut surpris par qui il vit...

14

Castor était revenu dans la forêt de sa pensée. Il se préparait au combat.

« N'aie pas peur. Si tu te laisses infiltrer par la crainte, tu nourriras son énergie de ta frayeur. » dit le Seigneur des Cieux.

« Je t'en prie, Castor, ne te laisse pas vaincre. » ajouta le Vieillard Blanc.

« Si je perds, mourrai-je ? »

« Non, répondit le Seigneur des Cieux. Seulement, si tu es vaincu, tu tomberas infailliblement dans le piège du Mal, et tu subiras le même sort que tes futurs adversaires. »

« Tu es, continua le Vieillard Blanc, le seul espoir de l'Empereur du Bien. »

« Tu es capable de le vaincre. Il n'est pas plus puissant que toi. » dit le Seigneur des Cieux.

« Quand le combat sera commencé, tu devras te battre seul. En aucun cas nous ne pourrons aller à ton secours. » prévint le Vieillard Blanc.

« Sens la magie, continua le Seigneur des Cieux. Elle seule peut te permettre de vaincre ton adversaire. »

« Je t'en prie Castor, vaincs-le. Si tu es battu, tu rejoindras le Mal dans leur combat et ce monde deviendra entièrement la proie de la Mort, et Anderland elle-même succombera entre les griffes de son Empereur. »

« Ne vous inquiétez pas, Maître. Je serai victorieux. »

15

« Et maintenant ? demanda Hélène. Votre idée était brillante, Relov. Nous allons passer toute notre vie ici, peut-être ? »

« Non. Nous trouverons bien quelqu'un près de la côte pour nous abriter... »

« Pour que les impériaux nous retrouvent tout de suite ? »

« ...nous abriter et nous cacher. »

« C'est ça : on arrive dans un petit village, on frappe à une porte au hasard et on demande : « Excusez-nous, nous sommes poursuivis par les soldats de l'Empereur du Mal, pourriez-vous nous offrir l'hospitalité quelques jours le temps qu'ils perdent notre trace. » Facile. Autant aller directement nous constituer prisonniers auprès de l'Empereur.

Relov haussa les épaules.

« Ce n'est pas le moment de nous disputer, intervint Clytemnestre. »

« Nous allons encore être pris, dit Roger. Et nous servirons à nouveau d'appât pour Castor. Si encore nous ne devenons pas nous-mêmes des Seigneurs du Mal. »

« Comment se fait-il qu'à chaque fois qu'il parle, il déprime tout le monde ? demanda Relov. Il est toujours comme ça ? »

« Je ne sais pas, répondit Hélène. Demandez-lui ! »

« Vous êtes aveugles. » répondit simplement Roger.

16

Castor était maintenant seul dans la forêt. Il errait au hasard.

Soudain, il sentit une présence derrière lui. Il fit volte-face et reconnut le Seigneur Rouge qui l'attendait les bras croisés.

« Enfin nous nous confrontons, jeune Castor. Enfin tu vas venir au service de mon Maître, quand je t'aurais battu. »

« Jamais ! » s'écria Castor.

Le combat s'engagea.

Le Seigneur Rouge fit un geste et un disque le lumière tourbillonnant fonça sur Castor. Celui-ci prit une impulsion, sauta, effectua une acrobatie dans l'air et se retrouva derrière son adversaire. Le disque heurta un arbre.

Le Seigneur Rouge se retourna vivement.

« Pas mal. Tu seras un serviteur utile. »

Castor fit apparaître un sceptre lumineux dans sa main et s'apprêtait à en frapper son ennemi lorsqu'il reçut un coup sur la tête : une branche énorme s'était détachée d'un arbre voisin à la commande du Seigneur Rouge et l'avait heurté. Il vacilla.

Une nuée de pierres commencèrent à se voler sur Castor. Il devait les frapper de son arme pour les empêcher de lui cogner la tête et toute son attention était accaparée par cette tâche.

Enfin, il se rendit compte de l'erreur qu'il commettait. Il réduit les pierres en poussière par la force de sa magie et se retourna vers son adversaire.

17

« Hamlet ! s'exclama Alexandre VII. Vous ici ? »

Tous deux s'agenouillèrent, l'un devant l'autre.

« Est-ce vous qui avez fermé la porte, Votre Altesse ? »

« Oui. »

Puis, voyant que son interlocuteur s'attendait à plus, il continua :

« Il y avait ici un manuscrit inachevé de Xanthin, nommé Étherna. La dernière fois que j'ai vu le disparu, il était encore en train de l'écrire. Mais ce manuscrit est introuvable. Et je crois bien qu'il est la clef de la disparition de Xanthin et du sommeil de Castor et Pollux. »

Au regard de l'Empereur, Alexandre sut qu'il ne fallait pas trop poser de questions. Mais quelque chose n'allait pas...

18

Enfin le Seigneur Rouge reculait et ployait sous les coups de son adversaire. Castor avait gagné.

Le coup final fut porté. Le Seigneur Rouge était vaincu.

Castor retira le drap qui recouvrait son ennemi, impatient de voir quel visage il avait.

Il recula d'un bond en voyant avec horreur que c'était sa propre tête !

Puis le cadavre disparut.

« Bien ! murmura l'Empereur du Mal. Bien... »

19

« Il serait peut-être temps de s'enquérir de la situation de la population générale sur ce monde. »

« Oh ! bien sûr, répondit Hélène. Vous n'avez jamais posé la question, monsieur Je-Sais-Tout. »

« Et vous, vous y avez pensé, Chérie ? » lui lança Relov.

« Arrêtez, vous deux ! » cria Clytemnestre.

Roger prit la parole :

« Quelques hommes, les « neutres » ne sont pas ralliés à la Résistance ou aux troupes de l'Empire. Une débauche extraordinaire règne dans ces milieux. Régulièrement, l'Empereur y fait faire une rafle pour son armée. Ils vivent dans des conditions de subsistance et de confort au plus haut point précaires, chacun se débrouillant pour vivre au détriment de ses voisins. Ils sont presque tous prêts à se laisser corrompre pour une bouchée de pain : je crois que nous n'aurons aucun mal à obtenir l'aide de l'un d'entre eux. En revanche, les dénonciations sont fort courantes et nous devons être extrêmement prudents quant à notre couverture. Avez-vous de l'argent sur vous ? »

Tous restèrent bouche-bée car personne n'avait jamais entendu Roger parler aussi longtemps.

« J'ai quarante mille unités impériales cash sur moi. Mais dites-moi, comment savez-vous tout cela ? »

« J'ai ouvert les yeux à Tekina. »

Ils se mirent en route à travers les bois océaniques et parvinrent sans encombre à la limite de Manerst en fin d'après-midi.

« Laissez-moi faire... dit Relov. Attendez-moi ici. »

Il s'élança dans la ville avec dix mille unités.

Deux heures plus tard, au coucher du soleil, il revint en criant :

« C'est bon ! Suivez-moi tous. J'ai trouvé un logement. »

« Il est temps de vous mettre en route, Seigneur Noir. »

« Oui, mon Maître. »

20

Le soleil artificiel s'était figé à sept heures sur la voûte de cristal de la demeure de Xanthin. Il faisait éclater les nuages imaginaires en un accord légèrement cacaoptique de couleurs informatiques.

Les pins en étaient bleus.

Alexandre VII, grand et maigre et Hamlet, petit et large d'épaules, parlaient d'une voix à demi-éteinte en déambulant dans la forêt.

« Je sens venir un crépuscule sur Anderland, dit Alexandre. Depuis l'invasion de la Terre, les choses ne sont pas comme elles étaient. »

« Pour une fois qu'elles changent. Enfin, le crépuscule annonce la nuit. J'attends la nuit. »

« Pardon, Votre Altesse ? »

« There's no offence, my lord. »

« Yes by Saint Patrick but there is, Horatio, and much offence too. »

« Anderland est dans le crépuscule depuis cinq cent quinze gigasecondes. Elle attend la nuit. Désespérément. Enfin quelqu'un ou quelque chose a libéré la marche du temps. La nuit vient à grandes enjambées. »

Ils passèrent devant un terminal d'ordinateur. Hamlet appuya sur un bouton. Le soleil commença de décliner.

« Oui, et cette nouvelle affaire n'y est pas pour rien. »

« Manuscrit ? »

« Le Manuscrit de la Nuit. Et voilà pourquoi je le recherche. »

« Le même Manuscrit, bien employé pourrait devenir le Manuscrit du Jour. »

Ils se regardèrent l'un l'autre avec méfiance.

« Évidemment. »

« Vous savez où est ce manuscrit... »

« Si je le savais, je ne serais pas ici. »

« Ce n'était pas une question. Il est ici, et c'est vous qui l'avez, Votre Altesse. »

Hamlet s'apprêta à répondre, quand soudain...

21

« Concentre-toi ! » disait le Seigneur des Cieux.

Castor était absorbé dans ses pensées. Une par une, plusieurs visions se présentèrent à son esprit puis disparurent.

Son frère Pollux.

« Où es-tu, Pollux ? »

« Viens ! Rejoins-moi ! »

« Où es-tu ? »

Mais déjà la vision s'estompait.

À la place, Castor voyait le Seigneur Noir et le Seigneur Rouge.

« Viens avec nous, Castor. Tu éviteras ainsi des milliers de morts ! »

Encore une fois, la scène disparut.

L'Empereur du Mal et l'Empereur du Bien se regardaient, yeux dans les yeux. Cette fois, Castor pouvait presque voir leur têtes.

Enfin, la dernière vision apparut.

Castor poussa un cri.

22

« Vous logerez ici, dit Rotiart à Hélène et Clytemnestre. »

Il sortit en jetant à la dernière un long regard tout chargé de miel.

« Je n'ai pas confiance en lui. » dit Hélène.

« Il ne nous a pas dénoncé à l'armée. »

« Voire. »

Relov entra alors.

« Moi non plus je n'ai pas confiance en lui. Mais nous n'avons pas le choix. »

Il prit Hélène dans ses bras.

« Partons au plus vite. » dit celle-ci.

« Le Seigneur Noir est arrivé. » annonça en entrant Roger d'un ton sinistre.

« Que voulez-vous dire ? » demanda Clytemnestre alarmée.

« Rien. Seulement, le Seigneur Noir est arrivé à Manerst. »

23

« Le Seigneur Noir est arrivé à Manerst ! » s'écria Castor.

Il rouvrit les yeux et regarda son maître d'un air inquiet.

« Oui... » murmura celui-ci, d'un ton agacé.

« Et mes sœurs y sont, ainsi que Relov et Roger. »

« Oui... »

« Ils vont se faire capturer. »

« Oui... »

« Donc je dois les aider. »

« Non ! C'est encore un piège. Ce n'est pas eux que l'Empereur du Mal veut, mais bien toi. Il se sert encore une fois d'eux pour t'attirer. Le Seigneur Noir t'attend. »

« Allons, pourquoi tiendrait-il à moi particulièrement si ce que vous avez dit est juste, à savoir que chacun peut maîtriser la magie ? »

« Ça, tu ne dois pas le savoir. Mais dans tous les cas, si nous te perdons, la résistance ne pourra plus exister. Et ils le savent : nous ne retrouverons jamais un autre comme toi. »

« Je reviendrai, je vous le promets. »

« Si tu désire revenir, tu montres par cela même que tu ne maîtrises pas parfaitement la magie. »

« Tu n'es pas encore un maître de la magie, Castor. Tu es encore une proie facile pour le Mal. » ajouta le Vieillard Blanc, dont l'image venait d'apparaître.

« Mais si je ne vais pas les aider, le Seigneur Noir les tuera. Ou les convertira. »

« Mieux vaut quatre que cinq. » répondit le Seigneur des Cieux.

« Castor, ajouta le Vieillard Blanc, il n'y a rien que tu puisses faire pour tes amis qu'il ne leur soit déjà possible d'accomplir par eux-même. »

Un halo lumineux apparut près du fantôme. C'était l'Empereur du Bien.

« Castor, tu es ma dernière chance. Je ne veux pas te perdre. Ne m'abandonne pas. »

« M'ordonnez-vous de rester ici, Votre Altesse ? »

L'Empereur demeura pensif un instant.

« Non, tu es libre, Castor. Seulement rappelle-toi que tu ne le seras peut-être plus, bientôt... »

« Oui, je comprends. »

« Ne te fais pas prendre comme ton frère l'a déjà été, Castor. » conclut le Vieillard Blanc.

« Je les sauverai. Et je reviendrai. »

24

« Nous avons été vraiment naïfs de croire que l'on pouvait simplement demander l'hospitalité chez quelqu'un et qu'il ne préviendrait pas la garde ! » s'exclama Relov.

« Nous ? lui cria Hélène. Nous ? J'ai dû mal entendre ! »

« Écoutez, nous n'avions pas le choix... »

« Taisez-vous ! interrompit Clytemnestre. Il vaudrait mieux s'éclipser discrètement. »

« À pied, nous n'irions pas loin. »

« Non, effectivement, vous n'iriez pas loin. Vous n'irez même nulle part ! » répondit une voix.

Relov se retourna et commença à tirer.

Le Seigneur Noir fit un geste et l'arme fut dans sa main. Vingt gardes apparurent et braquèrent leurs fusils sur les captifs.

Enfin apparut Rotiart, l'air désolé.

« Je vous jure que je n'ai rien dit à personne. Je ne sais pas comment ils ont su. »

« Oh, bien sûr, bien sûr... répondit Relov. Sale traître ! Tu vas... »

Le Seigneur Noir l'interrompit :

« Cet homme dit la vérité. Ce n'est pas lui qui vous a dénoncé. »

Il désigna Roger :

« C'est lui. »

Puis, se tournant vers les gardes :

« Emmenez-les ! »

Ils furent menés en prison.

Le Seigneur Noir, se tournant vers un soldat, ordonna :

« Faites informer l'Empereur que de Sinzigur s'est mis en route. »

« Oui, Monseigneur. »

Le soldat sorti, le Seigneur Noir se retrouva seul avec Roger.

« Vous serez récompensé. »

« Qu'allez-vous faire d'eux, Monseigneur ? »

« Je les emmènerai auprès de l'Empereur en même temps que Castor. Ils resteront ici pour l'instant, assez mal gardé pour que de Sinzigur puisse tomber dans le piège. »

« Et Rotiart ? »

« Aucune importance... »

Le Seigneur Noir se retourna.

25

...quand soudain un gigantesque lion portant une couronne blanche lumineuse arriva en un bond devant les deux Empereurs. Tous deux se mirent à genoux.

« Gilles ! »

Le lion se tourna vers Hamlet et parla d'une voix de baryton :

« Avez-vous bien envoyé les enfants de votre fille, Relov et Roger sur Étherna, Votre Altesse ? »

« Oui. »

« Elëxoros, Erenus et Marc le Blanc y sont également. C'est parfait. Je pense bien que Xanthin va regretter son action... »

26

« Castor de Sinzigur est arrivé à Manerst, Monseigneur. »

« Parfait. Commandant, veillez à ce qu'il trouve la trace de ses amis et qu'il arrive jusqu'ici. Je l'attendrai. »

De leur prison, Relov et les autres entendirent deux coups de feu.

Castor regarda autour de lui : pas de soldats en vue. Il pénétra prudemment.

Roger se présenta devant la cellule de Relov et de ses amis.

« Espèce de... » lui lança Relov en bondissant jusqu'à la porte.

« Du calme, voyons. Restons très calmes... »

« Après ce que vous nous avez fait ? »

« Ce que j'ai fait ? Je vous ai sauvés. » répondit Roger, au moment qu'un petit déclic se faisait entendre dans la serrure.

Relov sortit, aperçut les deux gardes assommés : Roger avait ramassé leurs clés.

« Que feriez-vous donc sans moi ? demanda-t-il. Vous avez vraiment cru que je vous avais trahi ? »

« Des bêtises. Vous êtes génial ! » répondit Hélène, et elle lui sauta au cou.

Relov poussa un long soupir et jeta un regard noir à Clytemnestre qui réprimait difficilement un rire.

« Bon. Ce n'est pas tout, il faut sortir d'ici. intervint Rotiart. Suivez-moi. »

Castor pénétra dans une grande salle du premier étage, peu éclairée malgré la grande fenêtre qui donnait sur l'extérieur.

Une voix venant du coin opposé lui dit lentement :

« Je t'attendais, jeune de Sinzigur. Mon Maître le Seigneur de la Mort attend depuis longtemps un serviteur comme toi. »

27

Le Seigneur Noir s'approcha lentement et majestueusement de Castor. Celui-ci ne bougea pas. Ils se dévisagèrent pendant un long moment.

Enfin, le combat s'engagea.

Pendant que les premiers coups étaient frappés, Castor concentrait toute son énergie dans une boule d'énergie pour la jeter sur son adversaire. Il la jeta aussi subitement qu'il le put.

Le Seigneur Noir s'accroupit, la boule vola au-dessus de sa tête.

Castor, surpris, sentit un formidable horion au niveau de ses jambes. Il roula à terre.

Le Seigneur Noir fut au-dessus de lui en une seconde.

« Rejoins le Mal ou tu es mort ! »

28

Relov, Roger, Rotiart et les deux sœurs arrivèrent sans encombre à la porte principale.

« Il n'y a que cinq gardes. » commenta Clytemnestre.

« Et nous sommes cinq. » répondit Relov.

« Mais ils pourraient donner l'alerte... fit remarquer Hélène. Nous ne pouvons pas sortir et les attaquer ouvertement : nous nous ferions voir à coup sûr, et dans la mêlée l'un d'entre eux irait chercher des renforts. »

« Bon, ça va, dit Relov. Nous allons ruser. Roger, vous avez bien pris un pistolet supplémentaire sur l'un des gardes de la cellule ? »

« Oui. »

« Passez-le moi. Les autres, poussez-vous plus loin : il ne faut pas qu'ils me voient. »

Relov lança l'arme loin de lui, hors du champ de vue des soldats. Elle tomba avec un très fort bruit.

« Qu'est-ce que c'est ? » demanda un garde.

« Va voir ! » ordonna un autre.

Dès que le soldat fut dans sa ligne de visée, Relov tira. L'autre tomba mort.

« Tu as entendu, on a tiré ! »

« Vas-y ! »

Le deuxième garde fut abattu.

« Allons voir ! ordonna le capitaine. Fais très attention, c'est dangereux. »

Mais comme ils ne regardaient pas dans la bonne direction, toute leur attention ne leur servit à rien.

Le dernier garde fut également très vite descendu alors qu'il tentait de prendre la fuite.

29

Castor roula du mieux qu'il put sur le côté et fut vite sur ses jambes. Le Seigneur Noir se précipita sur lui. L'échange qui suivit fut mené à une vitesse étourdissante. Aucun des attaquants n'arrivait à déstabiliser l'autre et à gagner une réelle supériorité, mais Castor était contraint à reculer toujours vers le mur. Enfin, il fut bloqué contre la fenêtre. Le Seigneur Noir avait contre son cou un sceptre de lumière.

« Tu es acculé. Ne me force pas à te tuer. Castor, tu ne te rends pas encore compte de ta nécessité. Tu commences seulement de comprendre ta puissance. Viens avec moi, et je t'enseignerai ce qu'il te reste à apprendre. Ensemble, nous pourrions terminer cette guerre inutile et rapporter l'ordre dans ce monde. »

« Jamais je ne vous rejoindrai ! »

« Tu ne réalise pas la puissance du Mal. Le Vieillard Blanc ne t'a jamais dit ce qui est arrivé à Elëxoros dans ce monde. »

« Oh, j'en devine assez ! Je suppose que vous l'avez tué ou fait prisonnier... »

« Non. Je suis Elëxoros. »

« Non ! C'est faux ! Ce n'est pas possible ! »

« Regarde au fond de toi. Tu verras que c'est la vérité. »

« Non ! Non ! »

« Castor, il t'appartient tuer l'Empereur du Mal. Tel est son plan. Tu y es destiné. Viens avec moi : nous régnerons sur ce monde et Anderland, père et fils. »

Castor regarda la fenêtre derrière lui.

« Rejoins le Mal. Tu n'as pas d'autre sortie ! »

Castor sauta.

30

Relov et les autres sortirent et virent un vaisseau flottant devant la porte.

« C'est notre chance ! cria Relov. Fuyons ! »

Ils montèrent et démarrèrent.

Hélène murmurait :

« Ce vaisseau me dit quelque chose. Ah ! Relov, arrêtez-vous ! »

« Quoi ? »

« J'ai dit, arrêtez-vous ! »

Relov fit stopper l'engin, avec réticence.

« Alors, qu'y a-t-il ? »

« Castor est ici. »

Au même instant, une fenêtre du premier étage se brisa et on tomba dans le vaisseau.

« Castor ! »

Ils redémarrèrent tous les six du plus vite qu'ils le purent, sous le feu des soldats impériaux.

31

« Ils se sont échappés, mon Maître. » annonça le Seigneur Rouge.

« Oui, je sais. Encore une fois. Mais nous les aurons. Nous attendrons l'attaque finale. »

L'Empereur parut réfléchir puis rajouta, d'un ton particulièrement cruel :

« D'autre part, mettez le cap sur les montagnes occidentales, Seigneur Rouge. »

Le Seigneur Noir regarda lentement s'éloigner le vaisseau qui contenait Castor.

« Mon fils, murmura-t-il. Mon fils, viens avec moi. »

Castor laissa tomber une larme tiède sur la robe de sa sœur.

Reditus Iedis

1

Lorsque les résistants s'étaient retrouvés au point de rendez-vous, ils avaient découvert que leur groupe avait été décimé. Mais rapidement, principalement grâce aux efforts de Clytemnestre, ils se reconstituèrent et même eurent plus d'hommes que jamais. Ils préparaient leur attaque finale sur la tour d'Émeraude... Castor était, lui, parti terminer sa formation auprès du Seigneur des Cieux.

2

Le vieil amiral Williams prit la parole :

« Nous sèmerons une diversion loin d'ici et loin de la tour. L'Empereur y enverra ses troupes. Pendant ce temps, alors que l'armée de la Mort sera écartée du chemin, nous engagerons la bataille finale directement à la Tour d'Émeraude, dont ils ne penseront jamais que nous oserons l'attaquer. C'est notre dernière chance de vaincre le Seigneur de la Mort et nous ne devons pas la laisser passer. À aucun prix. C'est dans les jours qui vont suivre que tout se jouera... »

À ce moment, Castor entra dans la salle du conseil, l'air plus abattu que jamais.

« Qu'y a-t-il, Castor ? » demanda Hélène.

« Je te le dirai plus tard... »

« Pour surprendre encore plus l'Ennemi, continuait l'amiral, un autre groupe attaquera la tour par le derrière. En effet, nos espions y ont localisé une porte secrète insuffisamment gardée. Quand la bataille sera bien avancée et que les troupes impériales ne pourront plus y revenir, nous nous infiltrerons afin de créer une panique dans la base. Le général Rotiart commandera le gros des troupes et le colonel Emnor la diversion. Y a-t-il un volontaire pour attaquer l'Ennemi par revers ? »

Un lourd silence tomba sur la salle.

Relov se leva soudain et annonça :

« Amiral, j'irai. »

Hélène le regarda, sourit et se leva :

« Moi aussi. »

Enfin Castor déclara :

« Ne m'oubliez pas ! »

3

« J'ai trouvé son cadavre encore fumant... raconta Castor, les yeux vides. Massacré par les forces de l'Empire. Même un Seigneur de la Magie ne pouvait pas résister à un assaillant si supérieur en nombre. »

À ce moment, sous les yeux d'Hélène et de son frère, apparurent ensemble le Vieillard Blanc, le Seigneur des Cieux, l'Empereur du Bien.

« Oui. Ils m'ont tué. Et justement, ainsi, je t'accompagnerai toujours. »

« Bien sûr, mais comment finirai-je ma formation si tous les Maîtres du Bien sont morts ? »

« Tu as fini ta formation, Castor. Vois la figure de ton Empereur ! »

Hélène s'éclipsa discrètement.

Le halo blanc disparut. Castor écarquilla les yeux. Devant lui se tenait un jeune garçon d'au plus douze ans. Il était vêtu tout en blanc. De longs cheveux châtains bouclés lui descendaient dans le cou. Ses yeux bleu sombre exprimaient une grande douceur mais une infinie tristesse. Il sourit cependant, et ce sourire lui transforma le visage et le fit paraître plus jeune encore.

Castor demanda au Seigneur des Cieux :

« Alors je suis un Maître de la Magie. »

« Non. Pas encore. Il te reste encore à affronter le Mal. Si tu vaincs le Seigneur Noir et le Seigneur Rouge, alors tu seras un véritable Maître. »

Castor saisit l'occasion :

« Maître, le Seigneur Noir est-il vraiment Elëxoros ? »

Le Seigneur des Cieux fit une grimace de surprise, comme pris au dépourvu, puis toussa fortement et resta de marbre comme s'il n'avait pas entendu.

« Maître, vous devez me le dire ! »

« Oui. Il te l'a déjà annoncé. Il n'est pas menteur. »

Elëxoros poussa un soupir désespéré et s'assit sur une pierre.

« J'espérais que ce ne serait pas vrai... »

« C'est effectivement surprenant. Et très ennuyeux. »

« Je n'y arriverai pas. Je ne peux pas. »

Le Vieillard Blanc prit la parole :

« Castor, tu es notre seul espoir. Si tu refuses de le combattre, Anderland tombera. Et nous connaîtrons une autre Anderland... Schwarzenland ou Bösenland... »

« Oui, mais... »

« Tu n'a que cette façon de l'éviter : il te faut combattre le Seigneur Noir, fût-il Elëxoros. »

« Je ne pourrai pas le tuer ! »

L'Empereur du Bien se mit à genou devant Castor : il lui arrivait à peine au niveau des hanches. Il leva vers lui ses yeux noyés de larmes.

« Castor, je t'en supplie. Au Nom du Soleil et de la Lune, au Nom de la Tour d'Émeraude, au Nom du Dieu-Démiurge, au Nom de Xanthin Lui-Même, au Nom Tout-Puissant d'Étherna, je t'en supplie. Pour moi, pour Xanthin, pour Étherna, pour Anderland, je t'en supplie. Tu dois affronter le Seigneur Noir à nouveau. »

Castor plongea les yeux dans ceux de l'Empereur, contempla cet enfant pleurant avec candeur.

Il pensa à sa mère.

« J'irai. » annonça-t-il.

Les trois fantômes commencèrent à disparaître.

« Castor, dit en partant le Seigneur des Cieux. Ne deviens pas un agent du mal. Adieu ! »

Ils le laissèrent seul dans l'obscurité, seul avec son chagrin.

4

« Le Seigneur des Cieux est mort, mon Maître. »

L'Empereur fit un sourire sinistre et émit un petit rire cruel.

« Bien. Il n'y a plus qu'une seule personne qui pourrait achever la formation de Castor... moi-même ! »

Mais il cessa de sourire, réalisant que ce n'était pas tout à fait vrai. Il y avait encore l'Empereur du Bien, dont personne ne savait ce qu'il lui était arrivé... et Xanthin.

« Ils vont essayer dans quelque temps de nous attaquer. Comme leurs forces sont évidemment insuffisantes, ils risqueront une diversion. Il faut donc mater rapidement le petit groupe qui nous attaquera loin d'ici et garder presque toute l'armée à la tour elle-même. Mais, pour qu'ils croient à leur réussite, le gros de la troupe sera caché et se tiendra prêt à intervenir... quand je l'aurai décidé ! »

Il se répéta à lui-même tout bas :

« Oui, quand je l'aurai décidé... »

Puis, se tournant vers le Seigneur Noir :

« Vous, vous veillerez à ce que Castor n'ait pas d'encombre pour parvenir jusqu'ici. »

5

Le jour tant attendu et redouté vint enfin. Les résistants firent leur diversion loin au nord de la Tour, et quelques heures plus tard se mirent en route vers l'inexpugnable forteresse.

« Nous n'y arriverons jamais. Regardez la taille de notre flotte par rapport à la leur ! » s'écria Rotiart.

Roger fit un sourire imperceptible :

« Oui, pour échouer, nous échouerons. Mais ce n'est pas par manque d'hommes. D'ailleurs ils nous semblera avoir vaincu le mal... »

Hélène et Clytemnestre se dévisagèrent, ne sachant que faire de cet étrange oracle.

« J'ai du mal à cerner votre caractère, dit cette dernière. Vous semblez tellement à votre aise dans ce monde... pour quelqu'un arrivé à Anderland si récemment... »

« Justement. » répondit simplement Relov.

Castor regardait tristement la tour d'Émeraude au loin.

« Le Seigneur Noir sait que nous approchons. Tous nos camouflages sont inutiles. Il me voit aussi clairement que si j'étais juste devant lui. »

« Mais non, mais non... » répondit Relov, plutôt pour se persuader lui même.

Vint alors le moment où Castor, Hélène et Relov se séparèrent des autres.

« Bonne chance ! » leur cria Rotiart lorsqu'ils partaient.

« Bonne chance à vous aussi. » répondit Relov.

« Ibant obscûrî sôlâ sub nócte per úmbram

Pérque dómôs Dîtis vácuâs et inânia régna[*]... » répondit mystérieusement Roger.

6

« Les ennemis approchent ! »

« Bien. Envoyez les légions un et quatre les attaquer. La légions deux surveillera la porte arrière. Les légions trois, cinq et sept restent cachées. »

« Oui, amiral. »

« Quelles nouvelles de la légion six, colonel ? »

« Ils ont maté leurs ennemis et rentrent à la base. »

« Parfait. »

« Il n'y a que deux légions ! s'exclama Rotiart. Ils ne nous ont pas vu et sont tombés dans le piège. »

« En êtes-vous si sûr ? » demanda Clytemnestre.

« Du moins, espérons-le. Faites donner l'attaque ! »

Le groupe dirigé vers la porte secrète était allé à pied, pour éviter le plus possible de se faire repérer. Ils campaient à présent en secret devant la porte.

7

Hélène était venue auprès de son frère.

« Ne pleure pas, Castor, lui dit-elle. Nous allons bientôt vaincre l'Empire du Mal, délivrer Xanthin... et tout sera à nouveau comme avant. »

« Ne pas pleurer ! Tout comme avant ! J'ai déjà perdu deux Maîtres et un frère ! »

Il hésita un peu.

« Je dois affronter le Seigneur Noir à nouveau. »

« Mais tu est fou ! Pourquoi donc ? Quand bien même tu le vaincrais les forces impériales te prendraient aussitôt ! »

« Peut-être. Il n'empêche. Je dois affronter les Seigneurs du Mal, quitte à y laisser ma vie. L'Empereur du Bien m'en a supplié. »

« Mais, Castor... »

« Non, rien. Il vaut mieux mourir pour et avec l'espoir de laisser un monde propre derrière moi que de fuir mes responsabilité. »

« Mais ce ne sont pas tes responsabilités ! »

« Si. Je dois combattre le Seigneur Noir. Pour venger mon frère d'abord, et mes Maître. Mais aussi parce que j'ai déjà commencé de le combattre. »

Hélène regarda Castor droit dans les yeux.

« Castor, il y a une autre raison que tu ne m'as pas dite. »

Castor poussa un profond soupir et baissa la tête.

« Parce que... c'est... Elëxoros... »

Hélène le regarda l'air horrifié.

« Notre père ? » demanda-t-elle incrédule.

« Notre père. » répondit Castor.

Un silence terrible passa.

« Je ne peux pas rester ici, Hélène. Je dois y aller. »

Et avant que sa sœur eût pu prononcer un seul mot, Castor s'était rendu à la porte de la tour.

Relov arriva et trouva Hélène pleurant.

« Ah ! vous voilà ! Mais qu'y a-t-il ? »

« C'est Castor... Il est parti... »

« Parti où ? »

« Là ! » répondit-elle en montrant la Tour d'un geste dramatique.

8

« Conduisez-moi auprès du Seigneur Noir. » ordonna Castor aux gardes de la porte.

Ils se poussèrent et remirent l'ennemi à deux autres soldats qui le conduisirent menottes au poing auprès du Seigneur Noir.

« Cet ennemi s'est livré à nous, Monseigneur. »

« Très bien ! » répondit l'autre, et il congédia les hommes d'un signe de la main..

« Alors, continua-t-il, se tournant vers son fils, tu acceptes enfin ton empereur ? »

Castor sourit malicieusement.

« Mon empereur... Nous verrons ce qu'il vaudra, cet empereur ! Nous verrons surtout s'il vaut mieux qu'une femme et une mère. »

« J'ai bien peur que tu ne sois surpris, mon fils. » répondit le Seigneur Noir. En disant cela, il appuya sur un bouton ; la porte d'un ascenseur s'ouvrit sans un bruit.

Tous deux rentrèrent.

« Vous trahissez celui qui vous a sauvé à tous la vie par une pierre[*] ? »

« Sais-tu donc tout ce que m'a dit Claudius à Gringenstein ? Crois-tu qu'il s'est contenté de réciter un poème[*] ? Il y a déjà eu un Seigneur Noir avant moi... Comment se fait-il que tout le monde se retrouve ici ? Il te reste bien des mystères à percer, Castor, et ne t'imagine pas que tu me tueras si facilement : une malédiction pèse sur la famille, et depuis bien plus longtemps que tu ne le penses ! »

Castor regarda son père d'un air stupéfait mais ne dit rien.

Le nombre 380 se mit à clignoter et la porte de l'ascenseur se ferma.

9

La nuit, comme un voleur, Alexandre VII pénétra dans le palais de Gringenstein, qui semblait absolument endormi.

Cette histoire était confuse au plus haut point. Mais il sentait que tout reposait sur ce manuscrit. Qu'avait voulu dire Gilles ? Quel était son rôle dans cette intrigue ?

Enfin il arriva à la salle du trône. Il y était ! Là où autrefois avait été posé le Codex[*] reposait ce manuscrit tant recherché. Alexandre se précipita et le saisit avidement. Même à la lumière incertaine de la nuit sur Éden, il parvint à lire. C'était une liasse de feuilles jaunâtres écrites à l'encre bleue très pâle, d'une écriture en pattes de mouches presque indéchiffrable. « Étherna ». Les mains d'Alexandre tremblaient alors qu'il lisait ce livre tant recherché. Après un poème étrange,

« Dieux du ciel, donnez-moi un monde de lumière,

Un monde de radiance, un monde de couleurs,

D'éclairs, de pluie solaire, un monde lucifère,

Un monde de science, gloire, espoir et valeur,

Un monde d'harmonie parfaite, de musique,

Étincelle des dieux, temple de la beauté,

Fait pour l'éternité, royaume du statique,

Ignoré de l'ennui, canon de Vérité.

Se dresserait au centre une Tour d'Émeraude,

Et tout autour la plaine constellée de canaux

S'étendrait, immortelle, âme et esprit du Beau ;

Fleuves impétueux, artères d'une eau chaude,

Couleraient des montagnes, en descendant leur lit,

Parviendraient enfin à... la mer de l'Infini ! »

qui avait visiblement été rajouté après la rédaction du corps du livre, venait une ligne de points de suspension.

Ensuit le récit reprenait, mais d'une autre écriture, très lisible, très appliquée, à l'encre noire, à partir de « ...et furent dans Étherna » pour quelques lignes ; l'écriture première reprenait ensuite pour une page, et enfin c'était à nouveau l'écriture noire qui continuait, à quelques très rares interruptions près, jusqu'à la fin, qui d'ailleurs n'était pas une fin puisque l'histoire était brutalement interrompue sur une porte qui se refermait.

« Les écritures de Xanthin et d'Hamlet... murmura Alexandre. Je m'en doutais ! »

Il prit le manuscrit avec lui et se dirigea vers la sortie.

« Vous allez quelque part ? » lui demanda une voix qu'il connaissait trop bien.

Alexandre se retourna vers Hamlet, cherchant ce qu'il pourrait bien lui dire.

10

La porte de l'ascenseur s'ouvrit lentement sur la salle du trône.

Quatre notes, quatre coups même, accueillirent les arrivants, suivis de quatre autres. Le Seigneur de la Mort était assis devant un orgue, le dos tourné à Castor et au Seigneur Noir, et jouait une transcription de la Symphonie au Destin de Beethoven. Il continua quelques minutes et s'arrêta après un point d'orgue où il laissa longuement mourir les notes qui s'envolaient du haut de la tour par la fenêtre ouverte.

« Enfin te voilà, jeune de Sinzigur ! »

Il se retourna. Castor vit enfin le visage de l'Empereur du Mal. Il s'attendait à découvrir un vieillard horrible. Il n'en était rien. C'était un enfant au regard bon et calme qui le regardait, d'un air doux.

« Enfin te voilà, répéta-t-il. Je t'attendais. D'ici, tu vas pouvoir assister tranquillement à la destruction de ton armée, et surtout, à la mort de tes amis qui attendent près de la porte de derrière... pour nous prendre en embuscade ! »

Sa voix se fit encore plus mauvaise.

« Pour nous prendre en embuscade ! »

Il émit un petit rire sadique.

« Pour épouvanter mes troupes ! Une porte insuffisamment gardée ! Comme c'est spirituel ! Même si je n'avais pas des espions partout comme ta bien-aimée sœur Clytemnestre... »

« Quoi ? » explosa Castor.

« Tu ne crois pas que je suis assez stupide pour me faire avoir de cette façon. Mais je te rassure : même si ta sœur n'avait pas trahi en ma faveur, nous triompherions presque aussi aisément de vous ! »

Castor serra ses poings et se mordit la lèvre.

« Tu es en colère ? Alors tue moi ! Tu n'y auras pas de difficulté. Seigneur Noir, retirez-lui ses menottes. »

Ce qui fut fait.

« Je t'attends. Tue-moi, Castor. Tu seras vengé quand tu auras jeté mon corps par ces fenêtres ! »

Castor avança jusqu'au fond de la salle, regarda par les fenêtres la bataille, le massacre devrais-je dire, qui se déroulait à l'extérieur, se retourna vers le trône. Ce trône qu'il lui était à présent donné de posséder. Il suffisait d'un mouvement de la main, et...

« Tes amis seraient saufs, tu éviterais des milliers de morts, tu sauverais à coup sûr Anderland de ma domination. Qu'est-ce qui te retiens ? Assieds-toi sur ce trône et tu verras combien de temps tu resisteras encore. »

Castor résistait de toutes ses forces.

Le Seigneur Rouge entra, s'agenouilla suffisemment loin du trône pour qu'on ne pût pas savoir s'il le faisait pour l'Empereur ou pour Castor.

« La diversion a été éliminée, dit-il. Les rebelles qui campaient près de la porte arrière ont été faits prisonniers. Les légions supplémentaires ont été lâchées sur l'armée des résistants qui est encerclée de toutes parts. »

Castor vit par les fenêtres que ce n'était que trop vrai. Il sentit qu'Hélène avait été prise. Il vit que les soldats ménageaient Clytemnestre. Il s'écarta du trône. L'Empereur s'y assit. Le Seigneur Rouge se posta derrière lui.

Castor retira son gant droit, se retourna vers le Seigneur Noir et le lui jeta au pieds.

« Alors tuez-moi, dit-il. Vous n'en aurez pas la volonté. »

« Si tu désires me défier pour mourir... » répondit l'autre.

Différents grands objets de la salle se mirent à voler vers Castor et à le frapper durement à la tête. Celui-ci tentait au début de riposter, mais se laissa glisser doucement vers l'inaction et une mort certaine.

« Castor, murmura Hélène, ne m'abandonne pas ! »

« Hélène ! » murmura Castor. Ses forces lui revinrent soudain. Il hurla :

« Au Nom du Soleil et de la Lune ! » et frappa d'une boule de feu son adversaire qui chancela. « Au Nom de la Tour d'Émeraude ! » continua-t-il en lançant un éclair. « Au Nom du Dieu-Démiurge, au Nom de Xanthin Lui-Même ! » Il renversa Elëxoros. « Au Nom Tout-Puissant... » commença-t-il. « d'Éth... d'Éther... » Il ne put finir.

Rotiart et les quelques hommes qui lui restaient étaient cernés de partout. La fin était proche. Clytemnestre les avait trahis. À part Roger, qui ne combattait pas, ils étaient une vingtaine.

Soudain, Roger éclata de rire.

« J'ai enfin compris ! Comme c'est spirituel ! »

Rotiart ne pensait pas que ce fût drôle du tout, mais Roger continuait.

« Comme s'il eût été possible de vaincre ainsi ! »

Il se leva.

« Poussez-vous ! cria-t-il aux soldats impériaux. Allons, poussez-vous ! »

À l'immense surprise de Rotiart, ceux-ci obtempérèrent.

Roger se dirigea vers la Tour, y rentra par la porte principale sous les yeux effarés de tous, rentra dans un ascenseur et monta à l'étage 388.

Castor regardait son père à moitié mort.

« Je n'y arriverai pas, dit-il. Je ne peux pas tuer mon père. »

C'est alors qu'à sa surprise indescriptible le Seigneur Rouge bondit de derrière le trône impérial en criant :

« Mais moi, je peux. Au nom tout-puissant d'Étherna ! »

Et il acheva le Seigneur Noir. Celui-ci, en mourant, murmura :

« Je vous pardonne. À tous les deux. »

Castor regarda le Seigneur Rouge d'un air effaré, puis soudain comprit.

11

« Pardonnez-moi, Votre Altesse. Voici le manuscrit. » dit Alexandre et le tendit à Hamlet.

Castor sauta dans les bras du Seigneur Rouge, enleva son drap. Il vit sa propre tête, et cette fois-ci, il avait compris que c'était celle de son frère.

« Pollux ! »

L'autre l'embrassa sans mot dire.

Quelques secondes plus tard, l'Empereur du Mal toussa poliment.

« Parce que vous croyez que je suis mort, peut-être ? »

« Je suis désolé, Votre Altesse, répondit Castor... »

« ...mais cette fois, continua Pollux, vous avez échoué. »

L'Empereur rit doucement.

« Ah oui ? Vous croyez cela ? Vous le croyez vraiment ? Comme c'est amusant ! Vous croyez donc que parce que mes deux lieutenants principaux sont... partis, j'ai perdu mon armée et tout pouvoir moi-même ? Comme c'est amusant ! Peut-être votre tombe sera-t-elle plus raisonnable. Je reconnais que j'ai perdu une aide précieuse, mais, mes deux petits parricides, je n'ai pas du tout « échoué », comme vous le dites si bien ! »

Il laissa passer un long silence avant de continuer, d'un ton très calme et très doux même.

« Vous êtes très beaux, savez-vous. Oui, vous ferez d'excellentes... statues ! Je vous ferai mettre dans un musée, sur Terre, à Madrid peut-être. Hic stant Castor et Pollux, miserabiles hostes Æterni Imperatoris nostri[*]. »

Il s'approcha des fenêtres et regarda le ciel.

« Les Gémeaux sont au medium cæli et commencent à décliner. C'est regrettable : ils laissent la place au Cancer et au Lion. Quand je regarderai cette constellation, je penserai aux Dioscures ! »

Au fur et à mesure qu'il parlait, les jambes des deux héros se faisaient de plus en plus lourdes et bientôt ils ne purent plus les bouger.

12

« Non, Alexandre ! cria une voix. Ne lui donnez pas ! Ce manuscrit est à moi et je vous interdis de le lui rendre ! » cria une voix.

Alexandre et Hamlet se retournèrent et virent...

« Vous serez entièrement de pierre dans quelques minutes maintenant, et... »

L'Empereur du Mal fut brutalement interrompu par trois hommes qui venaient de rentrer.

« Cessez à l'instant ! » cria le premier, et il courut vers Castor et Pollux qui reprenaient vie en tombant lourdement sur le sol : c'était Roger.

Le second s'avança jusqu'au trône, et d'un seul geste de sa main, celui-ci se brisa en deux et tomba de part et d'autre. C'était l'Empereur du Bien.

« Je ne me rendrai pas sans combattre ! » cria, furieux, l'Empereur du Mal.

Le troisième personnage, resté jusqu'alors inaperçu au fond de la salle s'avança et dit :

« Mais vous avez déjà combattu. Et vous avez perdu ! »

C'était Xanthin.

13

La Tour d'Émeraude s'écroula en un épouvantable fracas.

« Voilà, dit Xanthin, voilà ce qui reste d'un monde qui aurait dû être parfait. Quelques morceaux d'émeraude, des souvenirs douloureux. Et bientôt, ce sera fini. »

Alors qu'il disait cela, se matérialisa dans l'air devant lui un portail scintillant aux contours de bois d'ébène.

« Vous vous rappelez ? » demanda-t-il à Relov[*]. Puis, s'adressant à ceux qui étaient assemblés là :

« Vous passerez dans l'ordre dans lequel je vous appellerai, je vous prie.

Castor de Sinzigur,

Pollux de Sinzigur, Seigneur Rouge,

Hélène de Sinzigur,

Clytemnestre de Sinzigur,

Roger Simpson,

Relov d'Etênnoh, Rajabhratri,

Windolf le Sage, Marc le Blanc, Vieillard Blanc,

Erenus d'Énirale, Seigneur des Cieux,

Alexandre le Septième, fils de Quentin le Grand et d'Anande des Elfes, Empereur de l'Univers, Empereur du Bien,

Elëxoros de Sinzigur, Seigneur Noir,

Hector Amulius Marcus Laurens Élysius Titus, fils de David, Empereur de l'Univers, Empereur du Mal,

Rotiart,

et tout le reste de la population, vivante ou ressuscitée, d'Étherna. »

Enfin, Xanthin lui-même franchit le seuil et la porte disparut, puis il brûla le manuscrit.

Adieu, Étherna, à tout jamais, Adieu !

Roger se rappela alors qu'il devait se présenter au Conseil des Ministres dans une semaine, et qu'il lui fallait donc apprendre l'anderlandien.

Dénouement

1

Le curseur monta jusqu'au menu « usungan[*] » et choisit un ou deux sous-menus. Caractère par caractère, le nom de « Xanthin » fut rentré. Une « boîte de dialogues » demanda quelques secondes d'attente, mais elle disparut si vite qu'elle aurait aussi bien pu ne pas être. Enfin vint une fenêtre remplissant presque tout l'écran ; dedans, on pouvait voir la tête d'un Elfe des bois.

« Roger ! »

« Peux-tu passer quelques minutes ? »

« Tout de suite. »

Et il fallait que Xanthin fût très expérimenté dans l'usage des machines, car ce fut effectivement tout de suite.

Roger était confortablement installé dans une méridienne authentique du XVIIè siècle, qui contrastait de manière saisissante avec le terminal d'ordinateur placé juste à côté. Sur son écran, hormis la fenêtre dont Xanthin venait de disparaître, on apercevait une image assez insolite et difficilement identifiable. Un jeune homme en fort piteux état (il lui manquait, par exemple, la main gauche) était assis sur un indescriptible ensemble de barres au-dessus d'un vertigineux précipice.

« Voyez-vous, j'avais l'intention, pour les quelques siècles à venir, de revoir tous les films qui ont jamais été tournés par la Terre. En regardant celui-ci, j'ai eu une très désagréable sensation de déjà vu. La conversation que cette personne vient d'avoir m'a rappelé de manière assez déplaisante celle qu'un de mes amis a tenu récemment. »

« Tiens donc ? Et quel rapport avec moi. »

« Simplement que si j'avais vu ce film plus tôt, j'aurais pris moins de temps à comprendre... certaines choses... »

« Son nom ? »

« La Guerre des Étoiles, l'Empire contre-attaque. »

Le silence dura peut-être une minute.

Xanthin le brisa.

« Enfin, Étherna est finie. »

« Non. J'ai ramassé ceci parmi les débris de votre prison. »

Il lui tendit une pierre verte grosse comme un œuf d'autruche. Dedans, au soleil du matin, on pouvait voir la Tour d'Émeraude intacte ; et Étherna immobile.

« Voilà, fit pensivement l'Elfe, Étherna comme elle aurait dû être et rester. Gardez ce joyau et puisse-t-il vous prévenir à jamais de l'erreur que j'ai commise : si vous écrivez un roman et créez un monde, très bien ; mais n'y entrez que si vous êtes sûr de votre divinité. »

2

« Je ne vous dérange pas, j'espère. »

« Non, bien sûr, mais pourquoi... ? »

« Je viens vous voir ? Essayez de deviner. »

Roger me regarda quelques secondes, puis sourit.

« Un verre ? »

Et n'attendant pas une réponse, il me tendit un verre d'un liquide opalescent. Je risquai une gorgée et recrachai immédiatement.

« Qu'est-ce que c'est ? »

« De l'Eau de Clair. »

« Je ne la supporte pas. »

Il dirigea quelques secondes son attention vers l'ordinateur, qui émit une note (au basson).

« Que venez-vous de faire ? »

« De rendre à Dieu ce qui est à Dieu. J'ai transféré une unité sur votre compte. Mais vous n'êtes pas venu que pour réclamer un verre d'alcool et un penny. »

« Non, effectivement. Je suis venu vous féliciter pour vos action de ministre, et pour votre discours de partance. Votre idée de faire de la Terre la capitale de l'Art était excellente. À ce sujet, pourquoi avoir choisi Madrid et non Florence pour le Grand Musée des Arts Terrestres ? »

« D'après le conseil de deux vieux amis... »

« Enfin, je vais vous dire quelque chose qui va sûrement vous étonner, et vous démontrer que les gens ont des raisons d'agir qu'il n'est pas évident de saisir au premier abord, que vous étiez bien à votre place sur Étherna, et pour vous éviter de penser à tort de mon fils, du mari de ma petite-fille et de mon arrière-petit-fils. »

« À savoir ? »

« Quelle langue parlons-nous en ce moment ? »

« L'anderlandien. »

« Depuis quand connaissez-vous l'anderlandien ? »

« Je l'ai appris juste en revenant d'Étherna, pour assister au premier Conseil des Ministres. Donc depuis dix ans. »

« En conséquence, quand vous étiez à Étherna, vous ne parliez pas anderlandien. Et quelle langue utilisaient l'Empereur du Mal et ses lieutenants, pour que vous pussiez comprendre ? »

Roger articula avec énormément de peine :

« L... l... l'an... glais. »

« Tâchez de ne pas faire de mauvais rêves. Bonsoir ! »

Et sur ce mot je disparus.

3

« Cela fait aujourd'hui cinq ans juste que je suis arrivé à Anderland, et c'est mon cinquantième anniversaire : j'ai cent cinquante-huit ans, comme on dit ici. J'étais tellement excité le jour de mon départ que j'en avais oublié ma date de naissance, samedi 11 mai 1968. Quelle coïncidence ! Non, rien depuis ce jour n'a jamais été dû à la chance. Ce n'est pas un hasard si je suis invité au vingt-cinquième anniversaire de Castor et Pollux.

Depuis le début, tout ce que j'ai vécu était écrit. Non dans le sens figuré, mais dans le sens le plus strict et littéral qui soit. Écrit, et par David. Il m'a choisi pour aller à Étherna. Il m'a rencontré « par hasard » ce beau samedi.

Devant la Tour d'Émeraude, j'ai compris que Xanthin avait créé Étherna en écrivant un livre, et je suis allé lui rappeler, je l'ai libéré de son bloc d'émeraude, il a vaincu Hamlet, il nous a permis de revenir à Anderland. « J'ai compris » ai-je écrit. Du moins le pensais-je. Ayant été un excellent ministre aux dires de tous, je pensais que l'expérience d'Étherna m'avait enrichie...

Mais je n'avais rien compris, ce que David m'a montré. Je pensais que Castor était le héros, pour avoir vaincu le Seigneur Noir. Quel tort... Je suis le héros de ce livre, le héros d'Étherna. David le savait. Il avait tout prévu. La question de savoir si Anderland était menacé n'avait pas de sens. Ce n'est pas un hasard, cela n'a rien d'un hasard si j'ai rencontré David il y a de cela cinq ans, un peu moins de seize années universelles, non, rien d'un hasard. Il avait prévu (que dis-je ! décidé) que Xanthin écrirait un livre et m'y a envoyé. Pourquoi ? Les « naïfs » que nous étions à Étherna, Relov, Castor, Pollux, Hélène, Clytemnestre et moi-même, n'avons pas participé à la Guerre du Codex. Les autres, si. Nous avons à présent connu le Codex, celui écrit par Xanthin, et nous savons. La lumière a éclaté.

Étherna a fait un autre de moi-même. Relov avait tort : nous ne sommes pas une dizaine dans cent billions. Nous sommes les héros. Quel sens curieux ! Les héros. Et à présent, je renais. Gilles et David ont eu raison de nous envoyer chez Xanthin, pour notre bien et celui de la Terre.

« Sais-tu donc tout ce que m'a dit Claudius à Gringenstein ? Crois-tu qu'il s'est contenté de réciter un poème ? Il y a déjà eu un Seigneur Noir avant moi... Comment se fait-il que tout le monde se retrouve ici ? Il te reste bien des mystères à percer, Castor, et ne t'imagine pas que tu me tueras si facilement : une malédiction pèse sur la famille, et depuis bien plus longtemps que tu ne le penses ! » a dit Elëxoros à son fils. Il n'avait pas tort. Il savait que nous étions à Étherna à dessein. Mais la malédiction dont il parlait est d'être les héros des livres de David.

Enfin, je sais qui je suis. Merci, Elëxoros, pour m'avoir donné le pouvoir de vous combattre. Merci, Erenus, pour tout m'avoir enseigné (et oui, à moi, et non à Castor). Merci Xanthin, qui avez créé Étherna. Merci Marc le Blanc, vous qui êtes le Temps. Merci Hamlet et Alexandre VII, merci le Mal et le Bien. Merci Castor et Pollux, merci Hélène et Clytemnestre ; je ne vous confondrai désormais plus jamais, et bon anniversaire. Merci Relov, soyez Ménélas à ma place. Merci Rotiart, président de l'Univers. Nous fûmes bien treize...

Merci, David, pour avoir écrit ce livre.

Merci, Gilles, pour m'avoir envoyé à Étherna.

Dî, quíbus impérium est animârum, Umbráeque siléntês,
Et Cháos, et Phlégethon, lóca nócte tacéntia lâtê,
Sit míhi fâs audîta lóquî, sit nûmine véstrô
Pándere rês áltâ térrâ et câlîgine mérsâs.
Ibant obscûrî sôlâ sub nócte per úmbram
Pérque dómôs Dîtis vácuâs et inânia régna[*].

Roger Simpson,
journal intime,
vendredi 11 mai 2018
(23è jour année universelle 51515),
ANDERLAND. »


Notes en bas de page

[R] Va au château de Gringenstein !

[R] Ô Guide, Roi Sacré, Divin et Immortel ! Je suis prêt à obéir et à mourir pour la gloire de mon Empereur !

[R] Voir le Livre de Ruxor

[R] Toi aussi, fils !

[R] Voir le Livre de Ruxor

[R] Ceci est mon dernier appel ! Rends à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu.

[R] Regarde ce livre !

[R] Je le prends.

[R] Tu auras donc la guerre !

[R] Viens vers moi, Seigneur du Mal !

[R] Moi, le Créateur de Tout, déclare.

[R] Être, ou ne pas être, c'est la question : est-ce plus noble de souffrir dans l'âme les pierres et les flêches d'une fortune insupportable.

[R] Écoute, écoute, Ô écoute ! Si jamais tu as aimé ton cher père.

[R] Ô Dieu !

[R] Venge son meurtre horrible et monstrueux.

[R] Meurtre !

[R] Meutre horrible, comme il l'est au mieux, mais celui-ci particulièrement horrible, étrange et monstrueux.

[R] Hâte-toi de me le faire connaître, pour qu'avec des ailes aussi rapides que la réflexion ou les pensées d'amour, je vole à ma vengeance.

[R] Je te trouve apte. Et tu serais plus inerte que l'herbe grasse qui prend racine à l'aise sur la rive du Léthé, si tu n'étais pas remué par ceci. Maintenant, Hamlet, écoute. Il a été annoncé que, pendant que je dormais dans mon jardin, un serpent m'a piqué. Ainsi toute l'oreille du Danemark est, par un récit imaginaire de ma mort, grossièrement abusée. Mais sache, noble jeune homme, le serpent qui a mortellement piqué ton père porte maintenant sa couronne.

[R] Ô mon âme prophétique ! Mon oncle !

[R] Bois cette eau.

[R] Nadénazir Premier, Fondateur de l'Empire

[R] Créateur du Monde

[R] Jupiter a pris l'unique Clef du Livre avant le jour de la Vérité.

[R] Hélas, pauvre Yorick. Je le connaissais, Horatio.

[R] Gringenstein doit être détruit !

[R] Claudius a été vaincu !

[R] Honte aux vaincus ! Gloire aux vainqueurs !

[R] Dieu, dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?

[R] Tout est détruit par le Temps ou le sera, mais le temps lui-même est tué par Anderland !

[R] Voir Le Livre de Ruxor

[R] Voir le Livre de Ruxor

[R] Voulez-vous bien aller à d'Upsilon ?

[R] Nous le voulons.

[R] Tout est bien terminé, s'il est obtenu que vous exprimiez votre satisfaction ; ce que nous paierons avec effort pour vous plaire, jour après jour : notre soit la patience alors, et votre nos rôles ; vos douces mains nous prêtent, et prennent nos cœurs.

[R] Je ne suis que fou par nord-nord-ouest. Quand le vent vient du sud, je sais reconnaître un faucon d'une scie.

[R] Mais ce n'était pas pour prouver qu'ils pussent exister.

[R] Si une chose est nécessaire à la vie, c'est la mort.

[R] Être honnête, comme va ce monde, est être un homme choisi parmi dix mille.

[R] À chacun ses armes.

[R] Sculpter de mes propres, de mes propres doigts la voie du Paradis ou le chemin de l'Enfer. Loin, profondément dans les profondeurs des os de la terre, dans les profondeurs sombres et infernales de l'Abysse, creusant et creusant, toujours pénétrant les niveaux inférieurs de Pandemonium, enfer faisant rage, agitation éternelle ; escaliers sans fin menant dans l'obscurité, à travers le cœur de pierres, des grottes et des grottes encore, des tunnels descendant vers l'intérieur, vers l'intérieur et seulement vers l'intérieur, des grilles à passer, à sens unique pour l'éternité ; entrant dans la Porte de bronze : les portes du Paradis et de l'Enfer sont adjacentes et identiques. Pour trouver quoi ? Oh, qu'y a-t-il derrière le seuil même des mots humains, où l'empire de la Mort elle-même n'attrape plus d'âme, où la seule lumière immonde soit celle du cœur brûlant du volcan, car jamais un rayon de soleil traverse la limite du cimetière, oui, quoi ? Le Styx et le Léthé, n'aie pas de doute, mon ami, la barque de Charon, et le trône du Roi du Monde, Baal, Lucifer, Pluton, Hadès, le puits des âmes. Ou peut-être est-ce le Paradis, symphonie de la beauté, summum du Zénith, trouvé au Nadir, Jardins de l'Éden, panthéon du Créateur, du Conservateur, même du Destructeur ? Non, ni l'un ni l'autre, et ce qui se trouve derrière le portail de l'Inflexible, ni feu ni terre, ni eau ni air ne peut être que...

[R] ...lumière !

[R] Dans un lieu inconnu se trouve la pierre du pouvoir : c'est une pierre ronde, claire, brillante et transparente. Elle fut donnée par les dieux au Roi de l'Infini. Mais l'homme mauvais la vola : le roi mourut. Et depuis lors, les temps sont mauvais.

[R] Tu découvriras, mon ami, l'épreuve des dieux : les péchés de ton âme seront mis à nu. Le feu purificateur sautera du ciel sur toi et dévorera tes fautes. Tu souffriras et ne pourras plus rien endurer quand ton corps sera lacéré, quand la Porte de l'Enfer, de la douleur sans fin, des flammes éternelles t'apparaîtra. Que tu doives y passer ou non dépend de si tu ressens la Peur.

[R] Nichée dans les contreforts de l'Himalaya, toit du Monde, perdue à jamais à la connaissance de l'Homme, la ville de l'infini dresse ses tours de cristal jusqu'aux hauteurs éthérées du ciel, gardienne de la porte, de la route qui conduit jusqu'à la grotte Dorée-Scintillante, laquelle en son sein contient le Cœur du Cosmos, le Cristal des fragments duquel furent construites les tours de cette ville.

[R] De toute ma vie j'ai cherché la Chose des dieux. Je ne savais pas où elle était, à quoi elle ressemblait, où je devais aller. Enfin, après que j'eus scruté toute la Terre, je revins chez moi, et alors je compris qu'Elle était là, où je me tenais, où j'avais été, où j'étais, où je serais toujours, qu'elle avait été à moi, l'était et le serait toujours, que, parce que j'avais compris cela, je pouvais L'utiliser. Ainsi je devins un dieu et je L'appelai Lozaire.

[R] La main de Dieu est le Temps, qui engendre les hommes mais les tuera. Il apporte et reprend. Il est le roi du monde. Le dieu du temps est le dieu des dieux. C'est par lui que toutes les choses arrivent et partent.

[R] Tu nous a créé !

[R] Tout est changé par le temps

[R] Allons où scintille cette lumière bleue. Le temps naîtra là.

[R] Si seulement la lumière de ce monde était la paix pour ce monde !

[R] Elle sera la paix.

[R] Par Pollux, puisses-tu dire vrai !

[R] Nous irons, nous verrons et nous vaincrons !

[R] Il y a plus de choses dans le ciel et la terre, Horatio, qu'il n'en est rêvé dans votre philosophie.

[R] Ils allaient obscurs sous la nuit solitaire par les ombres / Et par les maisons vides de Dité et ses vains royaumes...

[R] Voir Le Livre de Ruxor

[R] Voir Anderland

[R] Voir Anderland

[R] Ici se tiennent Castor et Pollux, misérables ennemis de Notre Éternel Empereur.

[R] Voir le Livre de Ruxor

[R] communications

[R] Dieux qui avez pouvoir sur les âmes, et vous, Ombres silencieuses, / Et Chaos, et Phlégéthon, lieux largement silencieux la nuit, / Qu'il me soit permis de dire ce que j'ai entendu, donnez-moi votre permission / De répandre les récits de la vieille terre plongée dans les ténèbres. / Ils allaient obscurs sous la nuit solitaire par les ombres / Et par les maisons vides de Dité et ses vains royaumes.


David Madore